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18/06/2024 | FRANCE | N°21/04500

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, 4ème chambre, 18 juin 2024, 21/04500


SG




LE 18 JUIN 2024

Minute n°


N° RG 21/04500 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LIOI





[Y] [P]
[N] [X]

C/

[T] [V]
[O] [V]





Demande relative à une servitude d’usage ou de passage des eaux





1 copie exécutoire et certifiée conforme à :
Maître Pierre LEFEVRE de la SARL ANTIGONE - 338
Me Anaïs DAUMONT - 246




délivrées le
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
---------------------------------------------------


QUATRIEME CHAMBRE


JU

GEMENT
du DIX HUIT JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE



Composition du Tribunal lors du délibéré :

Président :Nathalie CLAVIER, Vice Présidente,
Assesseur :Laëtitia FENART, Vice-Présidente,
Assesseur :Jean RAVON, Ma...

SG

LE 18 JUIN 2024

Minute n°

N° RG 21/04500 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LIOI

[Y] [P]
[N] [X]

C/

[T] [V]
[O] [V]

Demande relative à une servitude d’usage ou de passage des eaux

1 copie exécutoire et certifiée conforme à :
Maître Pierre LEFEVRE de la SARL ANTIGONE - 338
Me Anaïs DAUMONT - 246

délivrées le
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
---------------------------------------------------

QUATRIEME CHAMBRE

JUGEMENT
du DIX HUIT JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE

Composition du Tribunal lors du délibéré :

Président :Nathalie CLAVIER, Vice Présidente,
Assesseur :Laëtitia FENART, Vice-Présidente,
Assesseur :Jean RAVON, Magistrat à titre temporaire,

GREFFIER : Sandrine GASNIER

Débats à l’audience publique du 19 MARS 2024 devant Nathalie CLAVIER, siégeant en Juge Rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.

Prononcé du jugement fixé au 18 JUIN 2024.

Jugement Contradictoire rédigé par Jean RAVON, prononcé par mise à disposition au greffe.

---------------

ENTRE :

Monsieur [Y] [P], demeurant [Adresse 2]
Rep/assistant : Me Anaïs DAUMONT, avocat au barreau de NANTES

Madame [N] [X], demeurant [Adresse 2]
Rep/assistant : Me Anaïs DAUMONT, avocat au barreau de NANTES

DEMANDEURS.

D’UNE PART

ET :

Monsieur [T] [V], demeurant [Adresse 1]
Rep/assistant : Maître Pierre LEFEVRE de la SARL ANTIGONE, avocats au barreau de NANTES

Madame [O] [V], demeurant [Adresse 1]
Rep/assistant : Maître Pierre LEFEVRE de la SARL ANTIGONE, avocats au barreau de NANTES

DEFENDEURS.

D’AUTRE PART

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Exposé du litige

Madame [N] [X] et Monsieur [Y] [P] (les consorts [X]-[P]) sont propriétaires d’une maison d’habitation cadastrée section [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 4], sise [Adresse 2] (44), qu’ils ont acquise par acte authentique du 25 avril 2019.

Madame [O] [V] et Monsieur [T] [V] (les époux [V]) sont propriétaires d’une maison d’habitation cadastrée section [Cadastre 7], sise [Adresse 1] (44), qu’ils ont acquise par acte authentique du 17 novembre 1998.

Les deux propriétés sont contiguës.

Ayant constaté la présence d’une fenêtre sur la façade de la construction voisine créant une vue directe sur leur jardin et sur la façade arrière de leur maison, ainsi que la présence d’une gouttière permettant l’évacuation des eaux pluviales de la construction voisine sur leur propre terrain, les consorts [X]-[P] ont mis en demeure, en vain, les époux [V] de faire cesser toute vue sur leur fonds et de procéder au retrait de la dite gouttière.

Par acte d’huissier délivré le 19 octobre 2021, les consorts [X]-[P] ont assigné les époux [V] devant le tribunal judiciaire de NANTES aux fins de les voir condamner à supprimer toute vue sur leur fonds et à faire procéder au retrait de la gouttière.

Prétentions et moyens des consorts [X] -[P]

Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 22 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, les consorts [X]-[P] demandent au tribunal, au visa des articles 681, 678 et 679 du code civil, de :

- Juger que l’empiètement du débord du toit, de la gouttière ainsi que l’écoulement des eaux pluviales de la construction sise sur la parcelle cadastrée [Cadastre 7] appartenant aux époux [V] sur le fonds cadastré [Cadastre 6] sont illégaux ;
- Enjoindre et ordonner aux époux [V] de procéder au retrait de la gouttière de la toiture qui empiètent sur le fonds cadastré [Cadastre 6] et qui entraîne l’écoulement de leurs eaux pluviales sur la propriété des consorts [X]-[P], et ce, dans un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, à peine d’astreinte de 50,00 euros par jour de retard ;
- Juger que l’ouverture créée dans le mur de la construction sise sur la parcelle cadastrée [Cadastre 7] appartenant aux époux [V] est illégale ;
- Enjoindre et ordonner aux époux [V] de supprimer toute vue sur le fonds cadastré [Cadastre 6] appartenant aux consorts [X]-[P], et ce, dans un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, à peine d’astreinte de 50,00 euros par jour de retard ;
- Condamner les époux [V] à verser la somme de 10.000,00 euros aux consorts [X]-[P] sur le fondement de l’abus de droit ;
- Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;
- Débouter les époux [V] de l’intégralité de leurs demandes ;
- Condamner les époux [V] à verser la somme de 4.000,00 euros aux consorts [X]-[P] en applications des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner les mêmes aux entiers dépens.

Les consorts [X]-[P] exposent que les eaux pluviales s’écoulent de la toiture de la maison des époux [V] sur leur propre fonds, via une gouttière installée sur la façade arrière de l’habitation de ces derniers et empiétant sur leur parcelle, et qu’une ouverture a été créée sur la façade arrière de la maison des époux [V] en limite de leur fonds, créant une vue directe sur leur jardin et leur maison d’habitation.

Ils indiquent que ces situations ont été constatées et mentionnées dans le procès-verbal du bornage du 13 février 2020, diligenté par les époux [V].

Ils soutiennent que les époux [V] ne peuvent se prévaloir, pour revendiquer l’existence de servitudes, de la prescription acquisitive trentenaire à défaut pour eux d’apporter la preuve d’une possession continue et non interrompue, paisible, publique et non équivoque depuis trente ans.

Ils s’opposent aux demandes reconventionnelles des époux [V] qu’ils estiment dénuées de tout fondement juridique ou factuel.

Ils soulignent en revanche que le comportement des époux [V], prompts à contester devant la justice administrative les autorisations d’urbanisme qui leur sont délivrées et refusant le dialogue avec leurs voisins, est générateur de tracas et de stress, constitutifs d’un préjudice moral dont ils demandent réparation.

Prétentions et moyens des époux [V]

Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 20 avril 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, les époux [V] demandent au tribunal, au visa des articles 686 et 690, 645, et 662 du code civil et L 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, de :

- Débouter les consorts [X]-[P] de l’intégralité de leurs demandes eu égard à la prescription acquisitive trentenaire acquise par les époux [V] sur les ouvrages en cause ;
- Condamner solidairement ou à défaut in solidum les consorts [X]-[P] à rétablir à son emplacement initial la buse récoltant les eaux pluviales de la maison des époux [V], ceci sous astreinte de 500,00 euros par jour de retard passé un délai d’un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- Condamner solidairement ou à défaut in solidum les consorts [X]-[P] à régler aux époux [V] la somme de 468,00 euros au titre des frais du géomètre ;
- Condamner solidairement ou à défaut in solidum les consorts [X]-[P] à démolir leur construction ancrée sur le mur privatif des époux [V], matérialisé par le segment B-C au procès-verbal de bornage, et à remettre le mur dans son état initial avant travaux, ceci sous astreinte de 500,00 euros par jour de retard passé un délai d’un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- Condamner solidairement ou à défaut in solidum les consorts [X]-[P] à interrompre leurs travaux sur le mur mitoyen, ceci sous astreinte de 1.000,00 euros par infraction constatée ;
- Condamner solidairement ou à défaut in solidum les consorts [X]-[P] à régler aux époux [V] la somme de 4.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner solidairement ou à défaut in solidum les consorts [X]-[P] aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise EXBA ;
- Ecarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir sauf en ce qui concerne les condamnations des demandeurs.

En réplique aux consorts [X]-[P], les époux [V] soutiennent qu’ils ont acquis par prescription trentenaire une servitude d’écoulement des eaux pluviales et une servitude de vue. A l’appui de leurs prétentions, ils produisent principalement l’avis d’un expert du bâtiment qu’ils ont missionné.

Ils affirment que leur action en justice n’a pour but que de défendre leurs droits et ne recèle aucune manœuvre de nature à caractériser un abus du droit d’agir.

A titre reconventionnel, ils demandent que les consorts [X]-[P] soient condamnés à payer la moitié des frais du procès-verbal de bornage, dont le montant a été intégralement payé par les époux [V], en application des dispositions du code civil relatives à la procédure de bornage.

Ils demandent également que les consorts [X]-[P] soient condamnés à démolir la construction ancrée dans leur mur, ainsi qu’ils s’y étaient engagés en signant le procès-verbal de bornage du 13 février 2020 précité, à rétablir à son emplacement initial la buse qui recevait les eaux pluviales de leur maison et à interrompre leurs travaux sur le mur mitoyen.

***

Une ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2024 et l’affaire a été fixée à l’audience du 19 mars 2024. Les parties ont été informées par le président que le jugement serait rendu le 18 juin 2024 par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur les demandes des consorts [X]-[P]

1. Sur l’existence d’une servitude d’écoulement des eaux pluviales

Aux termes de l’article 681 du code civil, “tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin”.

Aux termes de l’article 688 du code civil, “les servitudes sont ou continues, ou discontinues. Les servitudes continues sont celles dont l'usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d'eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce […]”.

Aux termes de l’article 690 du code civil, “les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans”.

Aux termes de l’article 2261 du code civil, “pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire”.

En l’espèce, il est constant que les eaux pluviales s’écoulent de la toiture de la construction appartenant aux époux [V] par une gouttière installée sur la façade arrière de leur habitation, rejetant les eaux pluviales directement sur le fonds appartenant aux consorts [X] -[P], en contradiction avec les dispositions précitées de l’article 681 du code civil.

Cependant, les époux [V] prétendent que leur fonds bénéficie d’une servitude d’écoulement des eaux pluviales acquise par prescription trentenaire.

Il est établi qu’une conduite d’eau pluviale émanant d’un toit peut constituer une servitude continue et apparente, dans la mesure où son usage n’a pas besoin du fait actuel de l’homme et qu’elle est matérialisée par la présence d’un tuyau d’évacuation.

Il résulte des constats, partagés par les parties, que la gouttière installée sur la façade arrière de la maison des époux [V] présente les caractères objectifs d’une servitude continue et apparente au sens des dispositions précitées de l’article 688 du code civil.

La durée trentenaire de la possession étant contestée par les consorts [X]-[P], il appartient aux époux [V], en application des dispositions de l’article 2261 du code civil précitées, d’en apporter la preuve.

Il est constant que la maison d’habitation des époux [V], sur le mur de laquelle est installée la gouttière d’évacuation des eaux pluviales, a plus de trente ans d’âge. Il ressort en effet de l’extrait de la “formalité de publicité” foncière du 14 avril 1970 (pièce 1-défendeur-page 2 de la pièce annexée et intitulée “formalité de publicité”), que le fonds appartenait originairement à Madame [M] [S] pour l’avoir reçu en échange d’un immeuble propre de Monsieur [E] aux termes d’un acte notarié enregistré au bureau des hypothèques de [Localité 8] le 21 juillet 1919.

Il ressort cependant des pièces versées aux débats que la gouttière à laquelle est raccordé le tuyau d’évacuation des eaux pluviales, ne repose pas sur le mur d’origine, mais sur son rehaussement. La date de création de ce rehaussement est incertaine. L’acte authentique d’acquisition du bien du 17 novembre 1998 par les époux [V] n’y fait pas référence. S’agissant de la consistance du bien, ledit acte se borne à en décrire la superficie, les pièces existantes et l’origine de la propriété.

Il sera relevé que la garantie décennale étant attachée à la propriété de l’immeuble en application des dispositions de l’article 1792 du code civil, elle est, de ce fait, transférée aux acquéreurs successifs. En conséquence, mention des travaux de surélévation aurait dû être faite dans l’acte authentique du 17 juillet 1998 si ces travaux étaient intervenus dans les dix années précédentes. Tel n’est pas le cas.

Le cabinet d’expertise en bâtiment EXBA, mandaté par les époux [V], a rendu un avis après un examen des lieux de façon non contradictoire, à partir du fonds appartenant aux époux [V], aux termes duquel “la surélévation (toiture rehaussée par l’ajout de trois rangées de parpaings sur l’existant) n’est pas récente et pourrait avoir été réalisée il y a plus de trente ans […]. En tout état de cause, l’ancienne configuration de collecte des eaux pluviales de la zone (avant surélévation) est parfaitement identifiable par la présence d’un reste de zinc de l’ancienne gouttière dans le mur au nu de l’actuelle. L’eau pluviale déversait déjà à cet endroit avant la surélévation” (pièce 8-défendeurs).

Cet avis ne saurait à lui seul établir la durée trentenaire de la possession en raison notamment, du caractère non contradictoire des modalités de son élaboration.

Les demandeurs opposent à cet avis, la mauvaise interprétation de la nature et de l’usage de l’élément qui ressort du mur tel qu’il figure sur la photographie jointe à l’avis du cabinet EXBA (pièce 8-défendeurs), que ce dernier qualifie de “reste de zinc de l’ancienne gouttière” existant avant la surélévation. A l’appui de leurs allégations, les demandeurs produisent une lettre du 4 janvier 2023 adressée aux consorts [X]-[P] par l’entreprise de couverture et zinguerie AHM, qui indique que “l’élément en plomb dépassant de la maçonnerie du mur mitoyen de l’habitation du n°[Adresse 1] et de celle de Monsieur et Madame [P], correspond à un élément d’étanchéité de rive contre le mur de l’ancienne couverture (voir photo jointe)” (pièce 6- demandeurs). Or aucune photographie de l’élément analysé n’est jointe à cette pièce, contrairement à ce qui est indiqué. Les éléments circonstanciels de l’analyse sont par ailleurs imprécis, en ce qu’ils font uniquement référence à “notre dernier rendez-vous”, de sorte qu’il ne peut être déduit de ces constatations aucun élément de contradiction pertinent.

Il ressort en revanche de la photographie figurant sur l’avis du cabinet EXBA précité que l’élément dépassant la maçonnerie présente un aspect de tuyau déformé signalant le débouché d’une évacuation et non d’un élément d’étanchéité de rive, tel qu’indiqué par l’entreprise AHM.

Les demandeurs produisent également une attestation du 28 novembre 2022 de Monsieur et Madame [D] [R], propriétaires au [Adresse 3] depuis 1992, aux termes de laquelle ils indiquent que “les travaux d’agrandissement et notamment de rehaussement ont été réalisés par M. et Mme [V] depuis qu’ils sont propriétaires du bien”.

Or cette attestation n’est pas établie selon les formes prescrites par l’article 202 du code de procédure civile, en ce qu’elle ne mentionne, notamment, ni le lien de parenté de leurs auteurs ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles, ni qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que ses auteurs ont connaissance qu'une fausse attestation de leur part les expose à des sanctions pénales. Il s’ensuit que ce témoignage ne présente pas les garanties suffisantes pour contredire utilement les éléments de preuve apportés par les époux [V] à l’appui de leurs prétentions.

Il ressort en outre du plan cadastral joint au procès-verbal de bornage précité que la construction appartenant aux époux [V] et sur le mur de laquelle est apposée l’évacuation des eaux pluviales et dont il est établi qu’elle est très ancienne, est encastrée dans la propriété des consorts [X]-[P], de sorte que cette configuration des lieux tend à démontrer l’existence dès l’origine de la construction d’une évacuation des eaux pluviales de toit sur le fonds voisin.

Ainsi l’avis du cabinet d’expertise EXBA précité est corroboré par des éléments factuels convergents - l’ancienneté d’âge de la construction, sa situation particulière par rapport à la propriété des consorts [X]-[P], et par l’absence d’éléments de contradiction pertinents de la part des défendeurs.

Il en résulte que les époux [V] justifient d’une possession trentenaire continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque.

En conséquence, les consorts [X]-[P] seront déboutés de leur demande tendant à la condamnation des époux [V] à procéder au retrait de la gouttière permettant l’évacuation des eaux pluviales de toit sur le fonds cadastré [Cadastre 6].

2. Sur l’existence d’une servitude de vue

Aux termes de l’article 678 du code civil, “on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions”.

Aux termes de l’article 679 du code civil, “on ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s'il n'y a six décimètres de distance”.

En l’espèce, il est constant qu’une ouverture existe sur la façade arrière de l’habitation des époux [V], créant une vue directe sur le fonds voisin des consorts [X]-[P], en contradiction avec les dispositions précitées des articles 678 et 679 du code civil.

Le simple examen visuel, notamment de la photographie de ladite ouverture, attribuée aux époux [V] et utilisée par les consorts [X] -[P] dans leurs dernières écritures (page 8) à l’appui de leurs prétentions, montre que l’ouverture pratiquée dans le mur n’est pas de création récente en raison notamment des matériaux utilisés, des blocs de pierre brute, pour la construction du linteau et des bords latéraux de l’ouverture ; ces matériaux sont de même facture que ceux utilisés pour l’ensemble de la construction, dont il a été établi précédemment qu’elle existait en 1919.

L’ancienneté de cette ouverture est confirmée par le procès-verbal de constat d’huissier du 27 août 2019, établi à la demande des époux [V] et visé également par les demandeurs à l’appui de certaines de leurs prétentions dans leurs dernières écritures (page 10), dans les termes suivants : “Constatations débarras : je constate une petite fenêtre lucarne dans le mur en pierre, qui est très ancienne”.

Enfin, l’avis du cabinet EXBA précité est sans équivoque sur ce point : “l’ouverture est réalisée traditionnellement, en moellons maçonnés au mortier de chaux/sable, surmontée d’un linteau massif de pierre. Une poutre porteuse de la toiture de la dépendance voisine est engravée dans le tableau de l’ouverture et fortement dégradée par le temps. Nous pouvons attester avec certitude que cette ouverture, du fait de sa conception et de sa réalisation, date des origines de la construction, de plus d’un siècle. En aucun cas, cette ouverture n’aurait été réalisée récemment”.

Si cette expertise amiable et non contradictoire ne peut à elle seule établir la possession trentenaire de ladite ouverture, il demeure que les éléments factuels précédemment décrits viennent la corroborer et sont convergents.

En outre, les éléments mis en avant par le cabinet EXBA pour étayer son avis ne sont pas discutés par les demandeurs qui s’en tiennent à une contestation du principe de sa valeur probante en raison de son caractère non contradictoire.

Il résulte des développements qui précèdent que les époux [V] justifient d’une possession trentenaire continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque.

En conséquence, les consorts [X]-[P] seront déboutés de leur demande tendant à la condamnation des époux [V] à supprimer l’ouverture existante sur la façade arrière de leur habitation.

3. Sur l’abus du droit d’agir des époux [V]

Aux termes de l’article 1240 du code civil, “tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

En application de ces dispositions, il est établi que le droit d’agir en justice peut dégénérer en abus lorsque son titulaire commet une faute dans l’emploi qu’il en fait et ouvrir droit en conséquence à des dommages et intérêts.

En l’espèce, les consorts [X]-[P] ne démontrent pas en quoi les recours devant la juridiction administrative exercés par les époux [V] contre les décisions d’urbanisme du maire de la commune, les demandes reconventionnelles formées devant la présente juridiction, ainsi que les démarches entreprises pour se constituer des preuves à l’appui de leurs prétentions, constituent une faute et caractérisent leur mauvaise foi, leur malice ou une erreur grossière équipollente au dol.

Les consorts [X]-[P] seront en conséquence déboutés de leur demande de dommages et intérêts.

II. Sur les demandes reconventionnelles des époux [V]

1. Sur les frais de bornage

Aux termes de l’article 646 du code civil, “tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais commun”.

Si ces dispositions envisagent le bornage sous l’angle d’une action en justice, il est établi que, lorsque les propriétaires sont d’accord et maîtres de leurs droits, ils peuvent procéder à l’amiable au bornage de leurs fonds. Le procès-verbal qui en résulte est une convention consensuelle entre les parties dont les signatures manifestent l'intention de leurs auteurs de donner leur adhésion à toutes les énonciations de l'acte.

En l’espèce, il est constant qu’un procès-verbal de bornage et de reconnaissance de limites séparatives amiable a été dressé le 13 février 2020 par Monsieur [W] [U], géomètre-expert, à l’initiative de Monsieur [T] [V]. Ce document a été signé avec la mention «lu et approuvé» par Monsieur [T] [V] le 26 février 2020 et les consorts [X]-[P] le 18 mai 2021. Il stipule en son article 10 alinéa 8 que “les frais et honoraires relatifs aux opérations de bornage et d’établissement du présent procès-verbal seront supportés par Monsieur [T] [V]”.

Les conventions légalement formées tenant lieu de loi entre les parties en application des dispositions de l’article 1103 du code civil, les époux [V] apparaissent aujourd’hui mal fondés à solliciter le remboursement de la moitié de ces frais de bornage à hauteur de 468,00 euros.

En conséquence, ils seront déboutés de leur demande sur ce point.

2. Sur la démolition de la construction ancrée dans un mur apparentant aux époux [V]

Le procès-verbal de bornage du 13 février 2020 précité stipule en son article 3 dans le paragraphe intitulé “les dires des parties repris ci-dessous” : “Sur la partie B-C, la construction située sur la parcelle de M. [P] et de Mme [X] est ancrée dans le mur défini sur la partie B-C. M. [P] mentionne que ce mur appartient à M. [V] et que la construction précitée sera démolie. M. [P] et Mme [X] s’engagent à démolir ladite construction en respectant les règles de l’art en la matière”.

Si le procès-verbal de bornage ne constitue pas un acte translatif de propriété et n’implique pas, à lui seul, l’accord des parties sur la propriété du fonds, il en est différemment si cet accord est expressément formulé.

Il en résulte que la construction située sur la parcelle des consorts [X]-[P] et ancrée dans le mur défini sur la partie B-C que Monsieur [Y] [P] indique comme étant la propriété des époux [V] et défini comme tel par le procès-verbal de bornage du 13 février 2020 approuvé par les parties, devra être détruit, en application des dispositions du procès-verbal de bornage qui font loi entre les parties.

Il n’y a pas lieu, en l’état et eu égard aux circonstances de l’espèce, d’ordonner l’exécution de la présente décision sous astreinte.

3. Sur l’interruption des travaux sur le mur mitoyen

En application des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties fixées par l’acte introductif d’instance et les conclusions en défense.

Si le procès-verbal de bornage du 13 février 2020 définit le mur mitoyen entre les deux propriétés, les époux [V] n’indiquent pas la nature des travaux qui seraient en cours, ni leur localisation précise sur le mur mitoyen, de sorte que l’objet du litige n’est pas déterminé.

Ils seront donc déboutés de leur demande sur ce point.

4. Sur la buse récoltant les eaux pluviales de la maison des époux [V]

Les consorts [X]-[P] ne contestent pas avoir procédé à l’enlèvement de la buse de récolte des eaux pluviales du fonds des époux [V].

Cet équipement est intrinsèquement lié à la servitude d’écoulement des eaux pluviales dont l’existence a été établie précédemment.

En conséquence, les consorts [X]-[P] seront condamnés à remettre à son emplacement initial la buse récoltant les eaux pluviales de la maison des époux [V].

Il n’y a pas lieu, en l’état et eu égard aux circonstances de l’espèce, d’ordonner l’exécution de la présente décision sous astreinte.

III. Sur les décisions de fin de jugement

Succombant principalement, les consorts [X]-[P] seront condamnés aux dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, étant précisé que les frais exposés auprès du cabinet EXBA ne constituent pas des dépens au sens de l’article 695 du code de procédure civile.

En outre, les époux [V] ont dû exposer des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge.

Les consorts [X]-[P] seront donc condamnés in solidum à leur payer la somme de 2.500,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire. Aucun élément ne justifie d’écarter cette exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort ;

DIT que la gouttière d’évacuation des eaux de toit située sur le mur défini par le segment A-B au procès-verbal de bornage du 13 février 2020 et relevant du fonds cadastré [Cadastre 7] appartenant à Madame [O] [V] et Monsieur [T] [V], constitue une servitude d’écoulement des eaux pluviales acquise par une possession de trente ans ;

DÉBOUTE Madame [N] [X] et Monsieur [Y] [P] de leur demande tendant à la condamnation de Madame [O] [V] et de Monsieur [T] [V] à procéder au retrait de cette gouttière d’évacuation des eaux de toit ;

DIT que la fenêtre située sur le mur défini par le segment A-B au procès-verbal de bornage du 13 février 2020 et relevant du fonds cadastré [Cadastre 7] appartenant à Madame [O] [V] et Monsieur [T] [V], constitue une servitude de vue sur le fonds AN n°46 appartenant à Madame [N] [X] et à Monsieur [Y] [P], acquise par une possession de trente ans ;

DÉBOUTE Madame [N] [X] et Monsieur [Y] [P] de leur demande tendant à la condamnation de Madame [O] [V] et de Monsieur [T] [V] à supprimer cette vue ;

DÉBOUTE Madame [N] [X] et Monsieur [Y] [P] de leur demande de dommage et intérêts ;

DÉBOUTE Madame [O] [V] et Monsieur [T] [V] de leur demande de paiement de la moitié des frais de bornage ;

CONDAMNE in solidum Madame [N] [X] et Monsieur [Y] [P] à démolir la construction ancrée dans le mur défini sur la partie B-C au procès-verbal de bornage du 13 février 2020 et appartenant à Madame [O] [V] et à Monsieur [T] [V] ;

DIT n’y avoir lieu à prononcer l’exécution de cette décision sous astreinte ;

DÉBOUTE Madame [O] [V] et Monsieur [T] [V] de leur demande d’interruption des travaux sur le mur mitoyen aux deux fonds ;

CONDAMNE in solidum Madame [N] [X] et Monsieur [Y] [P] à remettre à son emplacement initial la buse récoltant les eaux pluviales de la maison appartenant à Madame [O] [V] et à Monsieur [T] [V] ;

DIT n’y avoir lieu à prononcer l’exécution de cette décision sous astreinte ;

CONDAMNE in solidum Madame [N] [X] et Monsieur [Y] [P] au entiers dépens ;

CONDAMNE in solidum Madame [N] [X] et Monsieur [Y] [P] à payer à Madame [O] [V] et à Monsieur [T] [V] la somme de 2.500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire du présent jugement.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

Sandrine GASNIER Nathalie CLAVIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/04500
Date de la décision : 18/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-18;21.04500 ?
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