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07/06/2024 | FRANCE | N°19/02492

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, Ctx protection sociale, 07 juin 2024, 19/02492


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTES
POLE SOCIAL

Jugement du 07 Juin 2024


N° RG 19/02492 - N° Portalis DBYS-W-B7C-KAIK
Code affaire : 89B

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président: Dominique RICHARD
Assesseur: Aurore DURAND
Assesseur: Sébastien HUCHET
Greffier: Sylvain BOUVARD

DEBATS

Le tribunal judiciaire de Nantes, pôle social, réuni en audience publique au palais de justice à Nantes le 12 Mars 2024.


JUGEMENT

Prononcé par [T] [I], par mise à disposition

au Greffe le 07 Juin 2024.


Demanderesse :

Madame [U] [E]
22 La Mercerie
44750 CAMPBON
représentée par Me FNATH, avocat au barrea...

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTES
POLE SOCIAL

Jugement du 07 Juin 2024

N° RG 19/02492 - N° Portalis DBYS-W-B7C-KAIK
Code affaire : 89B

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président: Dominique RICHARD
Assesseur: Aurore DURAND
Assesseur: Sébastien HUCHET
Greffier: Sylvain BOUVARD

DEBATS

Le tribunal judiciaire de Nantes, pôle social, réuni en audience publique au palais de justice à Nantes le 12 Mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé par [T] [I], par mise à disposition au Greffe le 07 Juin 2024.

Demanderesse :

Madame [U] [E]
22 La Mercerie
44750 CAMPBON
représentée par Me FNATH, avocat au barreau de

Défenderesse :

S.A. APLIX
Rd 723
ZA les Relandières
44850 LE CELLIER
représentée par Me Florence NATIVELLE, avocat au barreau de NANTES

CPAM DE LOIRE-ATLANTIQUE
9 rue Gaëtan Rondeau
44958 NANTES CEDEX 9
non comparante

La Présidente et les assesseurs, après avoir entendu le DOUZE MARS DEUX MIL VINGT QUATRE les parties présentes, en leurs observations, les ont avisées, de la date à laquelle le jugement serait prononcé, ont délibéré conformément à la loi et ont statué le SEPT JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE, dans les termes suivants :

EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [U] [E], salariée de la société APLIX en qualité d’opératrice cariste magasin, a été victime d’un accident du travail le 2 mai 2016.
Le certificat médical initial a été établi le 2 mai 2016 et fait état d’une « fracture de la clavicule gauche ».
La déclaration d’accident du travail a été établie le 3 mai 2016 et indique que « la victime venait de finir de charger la 1ère remorque du camion sans problème. Lors du chargement de la 1ère palette de la 2ème remorque, la victime n’a pas vérifié si la palette passait en hauteur : le bundle du haut s’est pris dans le câble de déblocage de la partie supérieure du toit du camion, la palette de 3 bundles à basculée, celui du milieu est tombé » et que « le bundle du haut a heurté l’épaule gauche de la victime (bundle : pile de bobines de produit fini) ».
La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE (ci-après « la CPAM ») de Loire-Atlantique a pris en charge l’accident déclaré par Madame [E] au titre de la législation professionnelle.
Madame [E] a été déclarée inapte à son poste de travail et a été licenciée pour inaptitude d’origine professionnelle en décembre 2020.
Souhaitant voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur dans l’accident du travail dont elle a été victime, Madame [E] a sollicité auprès de la CPAM la mise en œuvre d’une tentative de conciliation à cette fin.
La CPAM a établi un procès-verbal de carence le 18 juillet 2018.
Madame [E] a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes en vue de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception expédiée le 13 octobre 2018.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 2 février 2022 devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes à l’issue de laquelle, par jugement rendu le 25 mars 2022, le tribunal a reconnu la faute inexcusable de la société APLIX ; ordonné, avant dire droit sur l’indemnisation des préjudices personnels de Madame [E], une expertise médicale ; et lui a alloué une provision de 1.500 € à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices.
Le 22 mai 2023, le Docteur [M] [X] a transmis son rapport d’expertise médico-légale puis, par ordonnance de fixation en date du 7 juin 2023, les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du pôle social du tribunal judiciaire de Nantes du 12 mars 2024 au cours de laquelle, à défaut de conciliation, chacune d’elle a fait valoir ses prétentions.
Madame [E] demande au tribunal de :
À titre principal
admettre la recevabilité de sa demande en indemnisation ;
condamner la CPAM de Loire-Atlantique et l’employeur à payer les indemnités suivantes :
2.679,60 € au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
1.000 € au titre du préjudice esthétique temporaire ;
2.133 € au titre de la tierce personne temporaire ;
8.000 € au titre des souffrances endurées ;
24.300 € au titre du déficit fonctionnel permanent ;
5.000 € au titre du préjudice d’agrément ;
À titre subsidiaire
ordonner un complément d’expertise concernant les préjudices des souffrances endurées, préjudice d’agrément et le déficit fonctionnel permanent ;
dire et juger qu’en vertu de l’article 1231-6 du code civil, ces indemnités portent intérêts au taux légal à compter de la date de la demande de faute inexcusable présentée à l’organisme de sécurité sociale ;
rappeler que la CPAM de Loire-Atlantique devra procéder à l’avance des sommes octroyées, à charge pour elle de les récupérer auprès de l’employeur responsable ;
dire que les préjudices personnels seront réévalués en cas de rechute ou d’aggravation des séquelles ;
condamner l’employeur responsable à lui verser 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner l’employeur responsable aux entiers dépens ;
ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir compte tenu de l’ancienneté des faits.
La société APLIX demande au tribunal de :
À titre principal
débouter Madame [E] de toute demande dirigée à son encontre ;
À titre subsidiaire
débouter Madame [E] de toute demande formulée au titre de ses préjudices personnels consécutifs à l’accident du travail survenu le 2 mai 2016 excédant la somme de 5.187,33 € (avant déduction de la provision déjà perçue) et plus précisément limiter :
l’indemnisation allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire à hauteur de 2.054,33 € ;
l’indemnisation allouée au titre de l’assistance tierce personne à hauteur de 2.133 € ;
l’indemnisation allouée au titre du préjudice esthétique temporaire à hauteur de 1.000 € ;
débouter Madame [E] de toute demande formulée au titre des souffrances endurées, du préjudice d’agrément et du déficit fonctionnel permanent ;
À titre infiniment subsidiaire
ordonner un complément d’expertise médicale aux fins d’évaluation des préjudices personnels de Madame [E] limitativement énumérés ci-après :
les souffrances endurées ;
le déficit fonctionnel permanent ;
le préjudice d’agrément ;
ordonner que les frais consécutifs à l’organisation de cette mesure expertale complémentaire seront mis à la charge définitive de Madame [E] et/ou de la CPAM de Loire-Atlantique ;
En tout état de cause
condamner Madame [E] à lui verser la somme de 1.500 € au titre des dispositions du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La CPAM de Loire-Atlantique demande au tribunal la reconnaissance de son action récursoire.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions de Madame [E] reçues le 22 janvier 2024, à celles de la société APLIX reçues le 11 mars 2024 et à la note d’audience, en application de l’article 455 du code de procédure civile.
La décision a été mise en délibéré au 7 juin 2024.

MOTIVATION DE LA DÉCISION
I- Sur le Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT)
Aux termes du rapport d’expertise du Docteur [X], il apparait que Madame [E] a été dans l’incapacité partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles du 2 mai 2016 jusqu’au 31 janvier 2017, de classe II à 25%.
Cette incapacité s’est poursuivie de façon partielle, de classe I à 10%, du 1er février 2017 au 31 octobre 2017.
Dans ses conclusions, Madame [E] fait observer que le rapport [L], dans sa version actualisée en 2022, préconise que le DFT soit indemnisé sur une base de 25 à 33 € par jour, et sollicite qu’il lui soit appliqué le montant de 28 € par jour évalué comme suit :
Classe II du 2/05/2016 au 31/01/2017 (soit 274 jours) : 274 x 28 x 0,25 = 1.918 € ;
Classe I du 01/02/2017 au 31/10/2017 (soit 272 jours) : 272 x 28 x 0,10 = 761,60 €.
Soit un total de 2.679,60 € demandé en réparation de son DFT.
En réponse, la société APLIX demande que le DFT de Madame [E] soit indemnisé au regard du SMIC net, c’est-à-dire 1.329,05 € en 2022 équivalent à 21,50 € par jour, soit :
Pour le DFT en Classe II : 21,50 € x 0,25 x 273 jours = 1.467,38 € ;
Pour le DFT en Classe I : 21,50 € x 0,10 x 273 jours = 586,95 €.
Elle considère donc que ce DFT ne peut être indemnisé qu’à hauteur de 2.054,33 €.
À titre liminaire, il sera rappelé que le déficit fonctionnel temporaire a pour objet d’indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire jusqu’à sa consolidation. Il correspond aux périodes d’hospitalisation de la victime mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime durant la maladie traumatique (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement la victime).
En l’espèce, il ressort du rapport du Docteur [X] que Madame [E] a subi un DFT de classe II et I qu’il convient d’indemniser à hauteur de 25€ le jour d’incapacité totale avec une dégressivité de 25% le jour d’incapacité partielle en classe II et 10% le jour d’incapacité partielle en classe I, soit :
Classe II : 274 jours x 25 € x 25% = 1.712,5 € ;
Classe I : 272 jours x 25 € x 10% = 680 € ;
Par conséquent, l’indemnisation du DFT de Madame [E] sera fixée à la somme de : 2.392,50 €.

II- Sur le préjudice esthétique temporaire
Le Docteur [X] indique dans son rapport que : « Durant la période traumatique, du fait des astreintes aux soins – coude au corps ; port d’anneaux – il a existé une altération temporaire de l’apparence physique subies. Le préjudice esthétique temporaire est fixé à 01 sur une échelle à 7 ».
Eu égard à ces constatations, Madame [E] estime que l’indemnisation qui lui est due ne saurait être inférieure à 1.000 €.
La société APLIX, quant à elle, soutient qu’elle n’a pas d’observations particulières à formuler sur cette demande et s’en remet à l’appréciation du tribunal, en précisant cependant que la demande de Madame [E] ne peut excéder la somme de 1.000 €.
Il résulte d’une jurisprudence constante que le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent et qu’il appartient aux juges du fond, s’ils constatent une altération de l’apparence physique avant la date de consolidation, d’évaluer le préjudice esthétique temporaire de la victime quand bien même l’expert judiciaire aurait retenu que le préjudice esthétique définitif se confond intégralement avec le préjudice esthétique temporaire .
En l’espèce, la demande de Madame [E] n’apparait pas excessive au regard des constatations du rapport d’expertise médico-légale, si bien qu’il lui sera attribué la somme de 1.000 € en réparation de son préjudice esthétique temporaire.

III- Sur l’assistance tierce personne temporaire
Dans le cas où la victime a besoin, du fait de son handicap, d’être assistée pendant l’arrêt d’activité et avant la consolidation par une tierce personne, elle a le droit à l’indemnisation du financement du coût de cette tierce personne.
Les frais d’assistance tierce personne à titre temporaire ne sont pas couverts au titre du livre IV du code de la sécurité sociale et doivent être indemnisés sans être pour autant réduits en cas d’assistance d’un membre de la famille ni subordonnés à la production de justificatifs des dépenses effectives.
Aussi, le rapport du Docteur [X] permet de constater que : « Avant la date de consolidation des blessures, Madame [E] [U] a eu recours à l’assistance d’une tierce personne dans la réalisation des actes de la vie quotidienne (habillage du haut du corps ; aide à la toilette ; aide à la préparation des repas).
Cette assistance a été de 1h ½ par jour du 6 au 13 mai 2016.
Cette assistance a été ensuite de 3h30 + de 3h30, soit 7 heures par semaine du 14 mai jusqu’au 3 juin 2016.
Cette assistance a été ensuite d’1 heure 30 (allers et retours pour les séances de kinésithérapie à raison de trois par semaine) du 4 juin 2017 jusqu’au 1er novembre 2017 ».
Madame [E] fait observer que le référentiel [L] indique un tarif horaire de l’indemnisation se situant entre 16 et 25 € de l’heure, et que la jurisprudence actuelle retient une base horaire de 18 €.
Partant, elle sollicite que son préjudice soit liquidé comme suit :
du 6/05/2016 au 13/05/2016 (8 jours) : 8jrs x 12h x 18 € = 1.728 € ;
du 14/05/2016 au 3/06/2016 (21 jours) : 21jrs x 7Hsem x 18 € = 378 € ;
du 4/06/2017 au 01/11/2017 (151 jours) : 151 jrs x 1,5h x 18 € = 27 € ;
Soit la somme de 2.133 € en réparation de ce poste de préjudice.
En réponse, la société APLIX soutient qu’elle n’a pas d’observations particulières à formuler sur cette demande et s’en remet à l’appréciation du tribunal, en indiquant cependant que la demande de Madame [E] ne peut excéder la somme de 2.133 €.
A titre liminaire, il sera rappelé que l’indemnisation du préjudice résultant de l’assistance tierce personne s’effectue en multipliant le nombre d’heure d’assistance effectué par le coût horaire applicable.
Le coût horaire sollicité par Madame [E] peut être fixé à la somme de 17 € par heure.
Ainsi pour la période du 6/05/2016 au 13/05/2016, soit 8 jours, à raison de 1h ½ par jour (1,5h), elle est légitime à demander l’indemnisation de 12h d’assistance (8jrs x 1,5h), soit : 12h x 17 € = 204 €.
Pour la période du 14/05/2016 au 3/06/2016, soit 21 jours (3 semaines) à raison de 7h par semaine, elle est bien fondée à solliciter l’indemnisation de 21h d’assistance (3sem x 7Hsem), soit : 21h x 17 € = 357 €.
Enfin, pour la période du 4/06/2017 au 01/11/2017, le Docteur [X] explique qu’elle a effectué 1h30 allers et retours pour des séances de kinésithérapie à raison de 3 par semaine, c’est-à-dire un total de 4h30 (4,5h) par semaine. Il sera rappelé que sur la période considérée il s’est écoulé 151 jours, de telle sorte que Madame [E] peut demander l’indemnisation suivante : 4,5Hsem/ 7jrs x 157 jours x 17 € = 1.650,21 €.
Par conséquent, le préjudice au titre de l’assistance tierce personne de Madame [E] s’élève à 2.211,21 €.
Toutefois le tribunal ne pouvant aller au-delà de la demande, le montant alloué sera fixé à la somme de 2133 euros.

IV- Sur la demande d’expertise complémentaire au fins d’évaluation des autres postes de préjudices
Outres les postes de préjudices réparés dans les développements précédents, Madame [E] sollicite également, à titre principal, la réparation de 3 postes de préjudices non soumis à l’expertise médico-légale du Docteur [X], soit :
8.000 € au titre des souffrances endurées ;
24.300 € au titre du déficit fonctionnel permanent ;
5.000 € au titre du préjudice d’agrément ;
Dans l’éventualité où le tribunal ne serait pas en mesure de statuer en l’état elle requiert, à titre subsidiaire, qu’il soit ordonné un complément d’expertise sur ces préjudices.
Cependant, il ressort tant de la lecture des demandes de Madame [E] que des conclusions responsives de la société APLIX que le tribunal est en mesure de statuer sur l’indemnisation de ces postes de préjudice sans solliciter une mesure d’expertise complémentaire.
Par conséquent, il n’y a donc pas lieu de faire droit à cette demande.

V- Sur les souffrances endurées
Madame [E] propose de retenir, comme éléments constitutifs des souffrances qu’elle a endurées, l’immobilisation de son bras/épaule avec la pose d’anneaux de [N], l’aggravation de la fracture par une capsulite, de nombreuses séances de kinésithérapie (cinq fois par semaine puis ensuite trois fois par semaine), de la balnéothérapie et la reprise de traitements antalgiques de classe I, III et anti-inflammatoires, ainsi que des infiltrations.
Elle rappelle que la CPAM de Loire-Atlantique a fixé son taux d’IPP à 17%, et affirme que ces souffrances justifient d’un préjudice douloureux pouvant être évalué à 3/7.
Elle demande, dès lors, au tribunal de tenir compte de l’importance de ses souffrances, de la longueur des soins, des traitements médicamenteux, des séances de rééducation ainsi que du retentissement psychologique dont elle souffre et continue de souffrir, mais aussi qu’elle était âgée de 49 ans au moment de l’accident de sorte que l’indemnisation ne saurait être inférieure à 8.000 € conformément à la jurisprudence en vigueur.
En réponse, la société APLIX fait observer que les souffrances endurées sont évaluées en fonction d’une cotation médico-légale, laquelle prévoit pour des souffrances évaluées à 3 sur 7 un préjudice dit « modéré » et une indemnisation comprise entre 4.000 et 8.000 €, et pour des souffrances évaluées à 4 sur 7 un préjudice dit « moyen » indemnisable entre 8.000 et 20.000 €.
Elle considère donc que la demande de Madame [E] à hauteur de 8.000 € relèverait de l’indemnisation d’un préjudice évaluée à 3,5 sur 7.
En tout état de cause, elle oppose que l’évaluation faite par Madame [E] est arbitraire puisqu’elle ne repose que sur les seuls éléments d’appréciation ressentis par elle, et demande qu’elle soit déboutée de ses demandes ou, a minima, que ses prétentions soient ramenées à de plus justes proportions au regard de la jurisprudence de la cour d’appel de Rennes.
En l’espèce, il est opportun de rappeler que ce poste de préjudice a pour objet de réparer toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que les troubles associés que doit endurer la victime par suite de l’atteinte à son intégrité physique, dans la seule mesure où elles ne sont pas réparées après consolidation par la rente majorée.
Aussi, s’il apparait que l’évaluation faite par Madame [E] de ses souffrances à une valeur de 3 sur une échelle à 7 est fondée sur son appréciation personnelle, il y a cependant lieu de constater la réalité de ses souffrances principalement sur le plan physique, et par ricochet sur le plan psychique au regard du retentissement sur sa vie.
En effet, bien que ce poste de préjudice n’ait pas fait l’objet d’une expertise par le Docteur [X], l’ensemble des éléments d’appréciation mis en exergue par Madame [E] ressort du rapport d’expertise médico-légale, notamment que le diagnostic posé par le service des urgences du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Saint-Nazaire après l’accident dont elle a été victime est une « fracture de la clavicule gauche ».
Ce rapport note également que cette fracture s’est « compliquée d’’une capsulite rétractile de l’épaule gauche » avec des traitements par antalgiques, séances de kinésithérapie et de balnéothérapie, et souligne l’existence de « douleurs de l’épaule gauche et des troubles dans les amplitudes articulaires de cette épaule notamment dans les mouvements d’antépulsion et d’abduction ».
La réalité et l’importance des souffrances physiques de Madame [E] n’est pas contestable mais sa demande indemnitaire doit cependant être ramenée à de plus juste proportions et fixée à hauteur de 5.000 €.

VI- Sur le préjudice d’agrément
Madame [E] porte à la connaissance du tribunal qu’elle pratiquait un certain nombre de loisirs, notamment la marche à pied, le vélo, la pratique de l’équitation et qu’elle était propriétaire de deux chevaux.
Elle souligne qu’elle a indiqué au Docteur [X], lors de l’expertise médico-légale, qu’elle ne pouvait plus monter à cheval et qu’elle avait dû dresser/faire dresser ses chevaux pour l’attelage suite aux conséquences médicales de son accident du travail.
Elle précise que sa passion pour l’équitation et son impossibilité de monter à cheval sont relatés dans les nombreuses attestations de sa famille et proches qu’elle verse aux débats via ses pièces n° 5 à 11).
Elle conclut donc que du fait de ses douleurs et de sa gêne fonctionnelle au niveau de son épaule elle ne peut plus pratiquer de manière régulière ses activités favorites, dont l’équitation, et sollicite l’indemnisation de ce poste de préjudice à hauteur de 5.000 €.
La société APLIX, quant à elle, oppose que la demande indemnitaire de Madame [E] se fonde sur les seules attestations de ses proches corroborant sa pratique de l’équitation, en dépit de toute évaluation par le Docteur [X].
Elle rappelle que l’accident du travail dont a été victime la requérante a affecté son bras gauche, non dominant, et qu’il lui était donc tout à fait possible d’utiliser son bras droit dominant.
Par ailleurs, elle expose que l’accident date de plus de 7 ans de sorte que s’il devait être admis l’existence d’un préjudice d’agrément, celui-ci ne pourra qu’être limité dans le temps ; la fin de la période de déficit fonctionnel temporaire de Madame [E] étant fixé au 31 octobre 2017.
Elle conclut donc que rien ne permet à ce jour de démontrer que Madame [E] n’est pas en mesure de pratiquer ses activités de loisirs et passions habituelles et demande qu’elle soit déboutée de sa demande indemnitaire ou, à tout le moins, que celle-ci soit ramenée à de plus juste proportions.
À titre liminaire, il sera rappelé que la réparation du préjudice d’agrément vise exclusivement à indemniser l’impossibilité pour la victime de pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisir qu’elle pratiquait antérieurement au dommage.
La prise en compte d’un préjudice d’agrément n’exige pas la démonstration d’une pratique en club ; une pratique individuelle est suffisante à partir du moment où elle est prouvée.
Par ailleurs, la preuve de l’existence d’un préjudice d’agrément incombe à la victime et peut être rapportée par tout moyen .
En l’espèce, Madame [E] produits six attestations de proches et membres de sa famille confirmant sa pratique de l’équitation depuis de nombreuses années et les conséquences de son accident du travail sur cette activité de loisir.
En effet, Madame [K] [E], sa fille, déclare : « Depuis toute petite, ma mère, Madame [U] [E], a été baignée dans le monde du cheval. Ce milieu est sa passion depuis toujours. Elle a besoin d’aller voir son cheval tous les jours afin de passer du temps avec lui, pour s’en occuper, le travailler. Son accident du travail l’a privée de ça pendant 4 ans. C’est pourquoi son accident du travail a eu un fort impact négatif sur sa santé ainsi que son moral » (pièce n° 5 demanderesse).
Il est de même pour Monsieur [C] [R], son oncle, qui indique : « J’ai toujours connu [U] passionnée par le monde équestre. Depuis son adolescence elle a toujours pratiqué l’équitation de manière régulière. S’occuper de son cheval et le monter constitue pour elle un besoin indispensable à son bien-être et à son équilibre. Privée de cette activité pendant 4 années à cause de son accident a représenté pour elle un préjudice important » (pièce n° 7 demanderesse).
Il est étonnant que pour justifier sa demande de rejet la société APLIX oppose que Madame [E] aurait pu se servir de son bras droit, dominant, alors que de tout évidence il est difficile, voire déconseillé pour des raisons de sécurité, de monter à cheval et de faire de l’équitation (diriger et contrôler son cheval) en ne pouvant se servir que d’un seul bras fût-il non dominant.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la demande de Madame [E] apparait justifiée dans son principe et nullement excessif dans son quantum de sorte qu’il convient de lui allouer la somme de 5.000 € en réparation de son préjudice d’agrément.

VII- Sur le Déficit Fonctionnel Permanent (DFP)
Madame [E] fonde sa demande d’indemnisation de ce poste de préjudice sur les deux arrêts d’Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 20 janvier 2023 ayant considérés que la rente ne répare pas le DFP.
Elle expose que s’il n’est pas évident d’indemniser ce préjudice en l’absence de taux évalué par le barème du concours médical puisque le taux d’IPP ne correspond pas à cette évaluation, il est néanmoins nécessaire d’indemniser la victime à l’aune de la réparation intégrale des préjudices dans tous ses nouveaux contours.
Elle invoque ainsi à son profit le rapport [F] prévoyant que doivent être indemnisées les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie ainsi que les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien.
Dès lors, elle soutient, d’une part, qu’elle conserve des séquelles importantes relevées dans le rapport d’expertise médico-légale du Docteur [X] comme suit :
Examen des épaules :
Pas d’affaissement des épaules ; à la palpation, il existe une cal osseux médico-claviculaire gauche ; la palpation est sensible.
Périmètre en cm
Droite
Gauche
Axillaire
40 cm
40 cm
Biceps
32 cm
31,5 cm
Coude
27 cm
27 cm
Avant-bras
26,5 cm
27 cm
Poignet
17,5 cm
16,5 cm
Gantier
20,5 cm
20 cm
Amplitude articulaire :
Antépulsion : 170° à droite versus 115° à gauche
Abduction : 160° à droite versus 130° à gauche
Examen clinique (séquelles) : persistance d’un cal osseux, limitation dans les mouvements d’amplitude articulaire de l’épaule gauche notamment de l’abduction et de l’antépulsion.
D’autre part, elle fait observer que le barème du concours médical prévoit un taux séquellaire pouvant être évalué à 12% comprenant la raideur de son épaule gauche, et que le référentiel [L] dans sa version 2022 prévoit une valeur de point à 2.025 € pour une personne âgée de 49 ans à la date de consolidation.
Par conséquent, elle demande la réparation de son DFP à hauteur de 24.300 euros.
En réponse, la société APLIX, oppose que Madame [E] ne dispose ni de compétences médicales, ni de celles d’un expert-médical, et estime être légitime à faire valoir les éléments suivants :
le tribunal ne dispose que d’éléments subjectifs de la requérante pour l’évaluation de ce poste de préjudice ; ce qui ne permet pas de se positionner sur l’indemnisation à allouer ;
par référence au barème de droit commun, le taux susceptible d’être retenu pour la pathologie de Madame [E] serait de l’ordre de 8% ;
par application du référentiel [L], le point de pourcentage est évalué à 1.800 € pour une personne âgée de 49 ans au jour de la consolidation avec un taux fixé entre 6 et 10% ;
en conséquence, l’indemnisation susceptible d’être allouée à Madame [E] pourrait être évaluée à hauteur de 14.400 €.
En l’espèce, la lecture du barème du concours médical auquel se réfère Madame [E], dans sa partie relative aux « SÉQUELLES ARTICULAIRES (hors main et doigt) », permet d’observer les données suivantes :
A. Épaule

dominant
non dominant
•Perte totale de la mobilité de la gléno-humérale et de la scapulo-thoracique
30%
25%
•Limitation de l'élévation et de l'antépulsion à 60° fixée en rotation interne
25%
20%
•Élévation et antépulsion limitées à 85°
20%
15%
•Élévation antérieure, antépulsion entre 130° et 180°
jusqu’à 10%
jusqu’à 8%
•Déficit isolé de la rotation interne
6 à 8%
4 à 6%
• Déficit isolé de la rotation externe
3 à 5%
1 à 3%
•Épaule ballante
20 à 30%
15 à 25%
Aussi, le taux de 8% auquel fait référence la société APLIX pour réduire la demande de Madame [E] correspond à une antépulsion comprise entre 130° et 180°, alors pourtant que dans son rapport d’expertise le Docteur [X] a mentionné une antépulsion de 115° à gauche (non dominant).
Il apparait donc, à la lecture dudit barème, que le taux de Madame [E] devrait être compris entre 8% et 15%, si bien que sa demande fondée sur un taux de 12% n’apparait manifestement pas disproportionnée.
Par conséquent, il convient de faire droit à sa demande et de réparer son DFP à hauteur de 24.300 €.

VIII- Sur l’action récursoire de la CPAM de Loire-Atlantique
La CPAM de Loire-Atlantique devra assurer l’avance des indemnisations ci-dessus allouées à Madame [E], déduction faite de la provision de 1.500 euros déjà allouée, et pourra en poursuivre le recouvrement à l’encontre de la société APLIX en vertu des dispositions de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale.

IX- Sur les autres demandes
Au regard de la situation respective des parties, il convient de considérer que la société APLIX succombe dans la présente instance et qu’elle en supportera, par conséquent, les entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
Cependant, l’équité commande de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente procédure, de sorte que la demande de Madame [E] formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile doit être rejetée.
S’agissant des décisions rendues en matière de sécurité sociale, l’exécution provisoire est facultative, en application de l’article R.142-10-6 du code de la sécurité sociale.
L’exécution provisoire est compatible avec la nature de la décision et sera ordonnée compte tenu de l’ancienneté des faits.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, contradictoirement, par décision rendue en premier ressort par mise à disposition au greffe :
DÉBOUTE Madame [U] [E] de sa demande d’expertise complémentaire aux fins d’évaluation des postes de préjudice de souffrances endurées, préjudice d’agrément et déficit fonctionnel permanent ;
FIXE l’indemnisation des préjudices de Madame [U] [E] comme suit :

2.392,50 € au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
1.000 € au titre du préjudice esthétique temporaire ;
2133 € au titre de la tierce personne temporaire ;
5.000 € au titre des souffrances endurées ;
5.000 € au titre du préjudice d’agrément ;
24.300 € au titre du déficit fonctionnel permanent ;
DIT que la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE de Loire-Atlantique versera directement à Madame [U] [E] les sommes dues au titre de l’indemnisation de ses préjudices conformément à l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, déduction faite de la provision de 1.500 euros déjà allouée par jugement de la présente juridiction en date du 25 mars 2022 ;
CONDAMNE la société APLIX à rembourser à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE de Loire-Atlantique les frais de l’expertise ordonnée par le tribunal ainsi que les sommes versées à Madame [U] [E] au titre de l’indemnisation complémentaire conformément à l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale ;
DÉBOUTE Madame [U] [E] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société APLIX aux dépens ;
ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision ;
RAPPELLE que conformément aux dispositions des articles 34 et 538 du code de procédure civile et R.211-3 du code de l’organisation judiciaire, les parties disposent d’un délai d’UN MOIS, à compter de la notification de la présente décision pour en INTERJETER APPEL ;
AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ par mise à disposition du jugement au greffe du tribunal le 7 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, la minute étant signée par Dominique RICHARD, présidente, et par Sylvain BOUVARD, greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 19/02492
Date de la décision : 07/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-07;19.02492 ?
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