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31/05/2024 | FRANCE | N°21/00867

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, Ctx protection sociale, 31 mai 2024, 21/00867


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTES
POLE SOCIAL

Jugement du 31 Mai 2024


N° RG 21/00867 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LH7I
Code affaire : 89E

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président: Hubert LIFFRAN
Assesseur: Franck MEYER
Assesseur: Alain LAVAUD
Greffier: Sylvain BOUVARD

DEBATS

Le tribunal judiciaire de Nantes, pôle social, réuni en audience publique au palais de justice à Nantes le 20 Mars 2024.


JUGEMENT

Prononcé par Hubert LIFFRAN, par mise à disposition au

Greffe le 31 Mai 2024.


Demanderesse :

Société EIFFAGE ENERGIE SYSTEMES - LOIRE OCEAN
Rue Michel Manoll
Zac Chantretire Ilot Per...

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTES
POLE SOCIAL

Jugement du 31 Mai 2024

N° RG 21/00867 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LH7I
Code affaire : 89E

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président: Hubert LIFFRAN
Assesseur: Franck MEYER
Assesseur: Alain LAVAUD
Greffier: Sylvain BOUVARD

DEBATS

Le tribunal judiciaire de Nantes, pôle social, réuni en audience publique au palais de justice à Nantes le 20 Mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé par Hubert LIFFRAN, par mise à disposition au Greffe le 31 Mai 2024.

Demanderesse :

Société EIFFAGE ENERGIE SYSTEMES - LOIRE OCEAN
Rue Michel Manoll
Zac Chantretire Ilot Perverie Erdrerie
44300 NANTES
Représentée par Maître Valéry ABDOU, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître Emmeline OUDIN, avocate au barreau de NANTES

Défenderesse :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE-ATLANTIQUE
Service contentieux
9 rue Gaëtan Rondeau
44958 NANTES CEDEX 9
Représentée par Mme [C] [O], audiencière munie à cet effet d’un pouvoir spécial

Le Président et les assesseurs, après avoir entendu le VINGT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE les parties présentes, en leurs observations, les ont avisées, de la date à laquelle le jugement serait prononcé, ont délibéré conformément à la loi et ont statué le TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE, dans les termes suivants :

EXPOSE DU LITIGE

La société Eiffage Energie Systèmes Loire-Océan (société Eiffage) a établi, le 30 mars 2021, une déclaration d’accident du travail concernant l’un de ses salariés, M. [F] [U], employé en qualité de chef de chantier, comportant, notamment, les indications suivantes, ainsi libellées :
- ‘‘Date de l’accident : 29 mars 2021 à 8 H 20 ;
- ‘‘Précisions complémentaires sur le lieu de l’accident : Lieu de travail habituel;
- ‘‘Activité de la victime lors de l’accident : Le salarié déclare : Après m’être accroupi pour vérifier le positionnement d’une gaine, j’ai ressenti une douleur au dos en me relevant ;
- ‘‘Nature de l’accident : Douleurs lors d’un mouvement, posture ;
- ‘‘Eventuelles réserves : Réserves émises en l’absence de fait accidentel (voir courrier joint) ;
- ‘‘Siège des lésions : Dos, sans précisions ;
- ‘‘Nature des lésions : Lumbago ;
- ‘‘Accident connu le 29 mars 2021 à 9 H par les préposés de l’employeur et décrit par la victime ;
- ‘‘Accident connu le 29 mars 2021 à 9 H par les préposés de l’employeur ;
- 1ère personne avisée : M. [W] [L]’’.

Le certificat médical initial, établi le 29 mars 2021 à 13 H 48, faisait état d’un lumbago et de soins sans arrêt de travail jusqu’au 30 avril 2021.

Par lettre en date du 30 mars 2021, l’employeur de M. [U] a fait part à la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique de ses réserves sur le caractère professionnel de cet accident, dans les termes suivants :
‘‘Après échange avec le salarié, il a indiqué ne pas avoir réalisé d’efforts depuis sa prise de poste, ni avoir travaillé dans des postures contraignantes. Compte tenu des circonstances d’apparition de la douleur, cette dernière ne semble pas avoir un origine professionnelle ;
‘‘Devant tous ces éléments, nous émettons les plus vives réserves sur le caractère professionnel des douleurs rapportées par M. [U]’’.

Par lettre du 13 avril 2021, la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire- Atlantique a notifié à la société Eiffage sa décision de reconnaître l’origine professionnelle de l’accident, au motif que «les circonstances du sinistre déclaré permettaient d’établir que l’accident était survenu par le fait ou à l’occasion du travail, conformément aux conditions posées par l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale».

Contestant le bien-fondé de cette décision, la société Eiffage a, par lettre du 7 juin 2021, saisi la commission de recours amiable.

Estimant, en l’absence de réponse de la commission de recours amiable dans les deux mois de sa saisine, que celle-ci avait rendu une décision implicite de rejet, la société Eiffage a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes, le 24 septembre 2021.

L’affaire a été appelée à l’audience du 20 mars 2024, à laquelle les parties, qui ont été régulièrement convoquées, étaient présentes ou représentées.

Par conclusions écrites déposées et visées par le greffier, la société Eiffage demande au tribunal de :
- Dire et juger inopposable à la société Eiffage la décision de prise en charge du sinistre déclaré par M. [U] le 30 mars 2021.

Au soutien de ses prétentions, la société Eiffage fait notamment valoir qu’aucun élément objectif ne vient corroborer les dires de l’intéressé selon lesquels il se serait fait mal au dos en vérifiant le positionnement d’une gaine ; que le salarié a continué sa journée de façon tout à fait normale ; que la société Eiffage a formellement contesté, dans sa lettre de réserves, la matérialité du sinistre, étant par ailleurs précisé que le salarié lui avait indiqué qu’il n’avait pas fourni d’effort; que compte tenu des éléments apportés par la société Eiffage, la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique aurait dû diligenter une enquête administrative afin de déterminer si le sinistre pouvait légitimement être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ; que la caisse aurait dû, au surplus, prendre en considération l’absence de témoin ; que dans ces conditions, compte tenu du caractère motivé des réserves émises, la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique de prendre en charge l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels doit être déclarée inopposable à la société Eiffage.

Par conclusions écrites déposées et visées par le greffier, la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique demande au tribunal de :
- Donner acte à la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire- Atlantique de ce qu’elle a fait une exacte application des textes en vigueur;
- Confirmer purement et simplement la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique en date du 13 avril 2021 de prendre en charge l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

Au soutien de ses prétentions, la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire- Atlantique fait notamment valoir que l’accident s’est produit au temps et au lieu de travail, ainsi que l’indique la déclaration d’accident du travail complétée par l’employeur ; que la lésion déclarée par M. [U] a été médicalement constatée par son médecin traitant le jour même du fait accidentel, soit le 29 mars 2021 ; que dans ces conditions, la présomption d’imputablité bénéficie à l’assuré ; qu’il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire ; que l’existence d’un témoin n’est nullement indispensable à l’établissement du fait accidentel ; qu’à cet égard, M. [U] occupant le poste de chef de chantier, il n’est pas anormal qu’il travaille seul, en l’absence de témoin; que le fait pour l’intéressé de ne pas s’être plaint ne saurait être considéré comme un argument probant de nature à remettre en cause l’existence d’un fait accidentel au temps et au lieu de travail ; que, de surcroît, l’employeur a lui-même confirmé, dans la déclaration d’accident du travail qu’il a établie, que le jour même du fait accidentel, le 29 mars 2021, l’accident a été connu de ses préposés et que les lésions ont été médicalement constatées ; que la constatation par le certificat médical initial d’un lumbago est tout à fait cohérente avec les circonstances de l’accident et avec la lésion, telles qu’elles sont rapportées dans la déclaration établie par l’employeur ; que celui-ci, dans son courrier du 30 mars 2021, n’a pas remis en cause la matérialité de l’accident, de sorte que la caisse a pu légitimement considérer que les circonstances exactes de l’accident déclaré par l’assuré étaient corroborées par de présomptions graves, précises et concordantes ; que l’employeur n’apporte aucune preuve que l’accident avait une cause totalement étrangère au travail, de nature à faire tomber la présomption d’imputabilité, se bornant à invoquer d’autres causes potentielles à la lésion ; qu’enfin, si la réception de réserves émises par l’employeur oblige la caisse à diligenter une enquête, c’est à la condition que ces réserves soient motivées ; qu’à ce titre, les réserves doivent porter sur le caractère professionnel de l’accident, à savoir sur les circonstances de temps et de lieu ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail ; que ces réserves doivent en outre être suffisamment précises et détaillées, à défaut de quoi l’employeur doit être considéré comme n’ayant pas émis de réserves ; que dans son courrier du 30 mars 2021 à la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique, la société Eiffage n’a aucunement motivé ses réserves, se contentant de relater les dires de l’assuré, sans remettre en cause la matérialité de l’accident et évoquant par ailleurs des considérations générales une origine non professionnelle ; que ces affirmations ne remettent pas en cause la réalité du fait accidentel ; que, de plus, la réalité de la lésion, à savoir un lumbago, qui se trouve confirmée par le certificat médical initial du 29 mars 2021, n’est pas davantage contestée par l’employeur ; que dans ces conditions, les réservées formulées par ce dernière ne peuvent pas être considérées comme étant motivées.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie expressément aux conclusions déposées au greffe du tribunal et soutenues à l’audience, ainsi qu’à l’ensemble des pièces communiquées et aux prétentions orales telles qu’elles sont rappelées ci-dessus.

La décision a été mise en délibéré au 31 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité du recours contentieux de la société Eiffage :

Selon l’article R.142-1.A.III du code de la sécurité sociale, s’il n’en est disposé autrement, le délai de recours contentieux est de deux mois à compter de la notification de la décision contestée.

Selon l’article R.142-6 du code de la sécurité sociale, lorsque la décision de la commission de recours amiable n’a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai de deux mois, l’intéressé peut considérer sa demande comme ayant été implicitement rejetée. Il peut alors se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire dans un délai de deux mois.

La société Eiffage ayant saisi la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique par lettre du 7 juin 2021, pouvait considérer, en l’absence de réponse de cette commission dans le délai de deux mois à compter de la réception de cette lettre, sa demande comme ayant été rejetée.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes ayant été saisi le 24 septembre 2021, le recours de la société Eiffage apparaît recevable.

Sur l’absence de mesures d’instruction diligentées par la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique :

Il résulte des dispositions de l’article R.441-7 du code de la sécurité sociale que lorsqu'elle a reçu des réserves motivées émises par l'employeur, la caisse dispose d'un délai de trente jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial pour engager des investigations. A défaut d’ouverture d’une instruction préalable dans ce délai, la décision de prise en charge de la caisse au titre de la législation professionnelle est inopposable à l’employeur.

Les réserves de l’employeur s'entendent, au sens de l’article R.441-7 précité, de la contestation du caractère professionnel de l'accident et ne peuvent donc porter que sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail. Elles ne peuvent être caractérisées par la seule invocation par l’employeur d’un état pathologique préexistant.

Si la lettre du 30 mars 2021 de la société Eiffage à la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique fait expressément état de réserves sur le caractère professionnel de l’accident invoqué par M. [U], elle se borne en réalité, d’une part, à invoquer le fait que le salarié aurait indiqué à son employeur qu’il n’avait pas réalisé d’efforts depuis sa prise de poste et qu’il n’avait pas travaillé dans des positions contraignantes, ce qui n’est nullement de nature, à supposer ces propos avérés, à remettre en cause le caractère professionnel de l’accident, d’autre part, à considérer que la douleur ressentie par l’intéressé «ne semble pas» avoir une origine professionnelle compte tenu des circonstances de son apparition, sans donner la moindre explication sur cette affirmation.

Force est de considérer, dans ces conditions, que les réserves émises par la société Eiffage dans sa lettre du 30 mars 2021, ne sont pas véritablement motivées, en sorte que la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire- Atlantique ne peut se voir reprocher de ne pas avoir diligenté une enquête.

Sur la présomption d’imputabilité invoquée par la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique :

Selon l’article L.411-1 du code du travail, est considéré comme accident du travail l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs.

Pour contester le caractère professionnel de l’accident allégué par M. [U], la société Eiffage se borne à faire valoir qu’aucun témoin n’a été cité par M. [U] et qu’aucun élément objectif ne vient confirmer ses dires.

Cependant, la nature des lésions mentionnées dans la déclaration d’accident du travail, à savoir un lumbago, se trouve confirmée dans le certificat médical initial par le médecin traitant ayant examiné M. [U] le même jour à 13 H 48, dans un temps voisin de l’accident allégué. De plus, il résulte des débats que M. [L], préposé de l’employeur, a été prévenu par l’intéressé dans un temps voisin de l’accident allégué. Ce sont là autant d’éléments objectifs, constituant des présomptions graves, précises et concordantes venant confirmer que M. [U] a bien été victime, le 29 mars 2021 à 8 H, d’un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail. Cet accident est, de ce fait, présumé imputable à la société Eiffage.

Il appartient à l’employeur, dès lors qu’il entend contester le caractère professionnel de cet accident, d’écarter cette présomption en apportant la preuve que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.

En l’absence de tout élément de preuve fourni à cet égard par la société Eiffage, il y a lieu de déclarer opposable à cette dernière la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l’accident survenu à M. [U], le 29 mars 2021.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe,

DIT la société Eiffage Energie Systèmes Loire-Océan recevable en son recours ;

CONFIRME la décision implicite de la commission de recours amiable confirmant la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire-Atlantique du 13 avril 2021 reconnaissant le caractère professionnel de l’accident dont M. [F] [U] a été victime le 29 mars 2021 ;

DEBOUTE la société Eiffage Energie Systèmes Loire-Océan de toutes ses demandes ;

CONDAMNE la société Eiffage Energie Systèmes Loire-Océan aux dépens ;

RAPPELLE que, conformément aux articles 34 et 538 du code de procédure civile et R.211-3 du code de l’organisation judiciaire, les parties disposent d’un délai de UN MOIS, à compter de la notification de la présente décision pour en INTERJETER APPEL;

AINSI JUGE ET PRONONCE par mise à disposition du jugement au greffe du tribunal le 31 mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, la minute étant signée par Monsieur Hubert LIFFRAN, président, et par Monsieur Sylvain BOUVARD, greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 21/00867
Date de la décision : 31/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-31;21.00867 ?
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