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30/05/2024 | FRANCE | N°23/00418

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, 8eme chambre, 30 mai 2024, 23/00418


MM

F.C


LE 30 MAI 2024

Minute n°24/209

N° RG 23/00418 - N° Portalis DBYS-W-B7G-MB2E




[L] [K]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/002999 du 09/10/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BREST)


C/

M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE [Localité 3]

NATIO 20-40






copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à


copie certifiée conforme
délivrée à
PR (3)
Me B. SALQUAIN
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
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HUITIEME CHAMBRE


Jugement du TRENTE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE



Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Florenc...

MM

F.C

LE 30 MAI 2024

Minute n°24/209

N° RG 23/00418 - N° Portalis DBYS-W-B7G-MB2E

[L] [K]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/002999 du 09/10/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BREST)

C/

M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE [Localité 3]

NATIO 20-40

copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à

copie certifiée conforme
délivrée à
PR (3)
Me B. SALQUAIN
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
----------------------------------------------

HUITIEME CHAMBRE

Jugement du TRENTE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur :Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur :Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,

GREFFIER : Mélanie MARTIN

Débats à l’audience publique du 22 MARS 2024 devant Florence CROIZE, vice-présidente, siégeant en juge rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.

Prononcé du jugement fixé au 30 MAI 2024, date indiquée à l’issue des débats.

Jugement prononcé par mise à disposition au greffe.

---------------

ENTRE :

Madame [L] [K], demeurant [Adresse 1]
Rep/assistant : Maître Bertrand SALQUAIN de la SELARL INTER BARREAUX NANTES ANGERS ATLANTIQUE AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de NANTES, avocats plaidant

DEMANDERESSE.

D’UNE PART

ET :

M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE [Localité 3]
représenté par Céline MATHIEU-VARENNES, procureur adjoint

DEFENDEUR.

D’AUTRE PART

EXPOSE DU LITIGE

Le 27 février 2019, Madame [L] [K] s’est vue opposer par la directrice des services de greffe judiciaire du tribunal d’instance de Morlaix une décision de refus de délivrance d’un certificat de nationalité française, au motif que les actes d’état civil produits ne répondaient pas aux exigences de la loi comorienne sur l’état civil, de sorte qu’elle ne justifiait pas d’un état civil probant conformément à l’article 47 du code civil.

Par exploit en date du 15 juin 2020, elle a dès lors introduit une action déclaratoire de nationalité sur le fondement de l’article 18 du code civil.
Elle demandait en outre le paiement de la somme de 1200 euros sur le fondement des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle et 700 du code de procédure civile, moyennant renonciation de l’avocat à percevoir la contribution versée par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle, en sus des dépens.

Elle expose que si sa naissance n’a pas été déclarée dans le délai de 15 jours suivant l’accouchement, un jugement supplétif a été rendu le 31 janvier 2017 par le tribunal de cadi de Moroni, que suite à ce jugement, un acte de naissance lui a été délivré et que son acte de naissance a été rectifié à sa requête par décision du procureur de la République afin d’ajouter son nom de famille. Elle fait valoir que son acte de naissance comporte les mentions obligatoires communes aux actes d’état civil ainsi que les mentions obligatoires aux actes de naissance et que tous les documents fournis corroborent les mêmes informations relatives à son état civil. Elle soutient que son grand-père maternel et sa mère bénéficient de la nationalité française.

Par jugement du 23 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Nantes a ordonné la radiation de l’affaire, l’avocat de la demanderesse ne s’étant pas présenté à l’audience de plaidoirie et n’ayant pas déposé de dossier de plaidoirie.

Le 30 janvier 2023, la demanderesse a déposé des conclusions aux fins de réinscription au rôle.

Le jour même, le dossier était réenrôlé.

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par RPVA le 11 juin 2021, le ministère public requiert qu’il plaise au tribunal :
- constater que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;
- débouter Mme [L] [K] de ses demandes ;
- dire et juger que [L] [K], se disant née le 17 mars 1985 0 [Localité 2] (Comores), n’est pas de nationalité française ;
- ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil.

Après avoir rappelé qu’il appartient à Mme [L] [K] de rapporter la preuve de la nationalité française d’un de ses parents au jour de sa naissance et d’un lien de filiation légalement établi à l’égard de ce dernier, avant la majorité, le ministère public soutient que la copie du jugement supplétif n° 41 délivrée le 14 mars 2017 n’est pas légalisée et que celle délivrée le 15 mars 2019 ne précise pas le nom de la personne dont la signature est légalisée.
Il soutient en outre que les deux copies certifiées conformes du jugement supplétif n° 41 ne précisent pas qui les a délivrées et qu’elles ne sont pas identiques. Il souligne que la rectification matérielle du procureur de la République près le tribunal de première instance de Moroni du 12 avril 2018 mentionne que l’acte a été dressé le 30 mars 2017, alors que les deux copies de celui-ci indiquent qu’il a été dressé le 8 mars 2017 et que la copie délivrée le 3 juillet 2018 de l’acte de naissance n° 594 ne mentionne pas la décision en vertu de laquelle le nom de l’intéressée a été rectifié, en violation de la loi comorienne.
Il entend au surplus invoquer l’irrégularité internationale du jugement supplétif de naissance du 31 janvier 2017, en ce qu’il ne porte pas mention de la communication du dossier au ministère public avant que le cadi ne statue, ce qui constitue une atteinte manifeste au principe du contradictoire. Il en conclut que ce jugement est inopposable en France et que l’acte de naissance n° 594 dressé en exécution de celui-ci ne peut faire foi au sens de l’article 47 du code civil.
Le ministère public fait valoir en tout état de cause que l’acte de naissance n° 594 ne permet pas à la demanderesse de se voir attribuer la nationalité française, dès lors que, d’une part, un jugement supplétif de naissance n’a pas pour objet d’établir un lien de filiation mais un état civil et que, d’autre part, le jugement supplétif est intervenu alors que la demanderesse était âgée de 31 ans.
Le ministère public s’interroge enfin sur l’acte de naissance de l’intéressée que sa mère alléguée a présenté lorsqu’elle a souscrit une déclaration de reconnaissance le 12 mars 1998, puisqu’il résulte de l’objet même de ce jugement supplétif que l’intéressée n’était jusqu’en 2017 titulaire d’aucun acte de naissance.

*
* *

Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour un plus ample exposé du litige aux dernières conclusions susvisées des parties.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 février 2024.

MOTIFS

Sur le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile

Aux termes des dispositions de l’article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s’élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l’assignation, ou le cas échéant une copie des conclusions soulevant la contestation, sont déposées au ministère de la justice qui en délivre récépissé.

En l’espèce, le ministère de la justice a reçu le 21 octobre 2020 copie de l’assignation suivant récépissé du 29 octobre 2020.

Il est ainsi justifié de l’accomplissement des formalités de l’article 1043 du code de procédure civile.

Sur le fond

Aux termes de l’article 18 du code civil, est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français.

Il a été jugé que nul ne peut se voir reconnaître la nationalité française, sur quelque fondement et à quelque titre que ce soit, s’il ne justifie pas d’un état civil fiable et certain par la production d’un acte de naissance répondant aux exigences de l’article 47 du code civil.

Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.

En l'absence de convention permettant une dispense de légalisation avec les Comores, les actes d'état civil produits par Mme [L] [K], pour produire effet en France, doivent, selon la coutume internationale reprise dans l'Instruction générale relative à l'état civil, respecter la formalité de la légalisation, même si l’article 47 du code civil ne le prévoit pas expressément.

Selon l’Instruction générale relative à l’état civil, peuvent être acceptés en France, les copies ou extraits :
- soit légalisés, à l’étranger, par un consul de France ;
- soit légalisés, en France, par le consul du pays où ils ont été établis ;
- soit établis, en France, par un consul étranger sur la base d’actes de l’état civil conservés par lui.

Ce principe de légalisation des actes publics étrangers a été de nouveau inscrit dans la loi récemment.

Aux termes de l’article 16 II de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet.

Le décret n° 2024-87 du 7 février 2024 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, certes postérieur aux actes produits, est venu rappeler le principe de la légalisation et préciser les modalités de légalisation découlant de l’usage international, prenant ainsi la suite du décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, dont les dispositions avaient été annulées par une décision du Conseil d’Etat du 7 avril 2022, annulation prenant effet au 31 décembre 2022.

Selon l’article 1er de ce décret, sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France ou devant un ambassadeur ou chef de poste consulaire français doit être légalisé pour y produire effet.

La légalisation est la formalité par laquelle sont attestées la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Elle donne lieu à l'apposition d'un cachet dont les caractéristiques sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de la justice et des affaires étrangères.

L’article 3 de ce même décret énonce que l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire français est compétent pour légaliser :
1° Les actes publics émis par les autorités de son Etat de résidence ;
2° Les actes publics émis par les autorités diplomatiques et consulaires d'Etats tiers présents sur le territoire de son Etat de résidence.
A moins que l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire français ne dispose d'un spécimen des signature, sceau ou timbre original dont l'acte est revêtu, celui-ci doit être préalablement légalisé par l'autorité compétente de l'Etat dont il émane.
De façon exceptionnelle, le ministre des affaires étrangères peut légaliser les actes publics émanant d'agents diplomatiques et consulaires étrangers en résidence sur le territoire national et destinés à être produits devant d'autres agents diplomatiques et consulaires étrangers en résidence sur le territoire national.

L’article 4 précise néanmoins que par dérogation au 1° du I de l'article 3, peuvent être produits en France ou devant un ambassadeur ou chef de poste consulaire français les actes publics émis par les autorités de l'Etat de résidence dans des conditions qui ne permettent manifestement pas à l'ambassadeur ou au chef de poste consulaire français d'en assurer la légalisation, sous réserve que ces actes aient été légalisés par l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire de cet Etat en résidence en France.
Le ministre des affaires étrangères rend publique la liste des Etats concernés.

Suivant l’annexe 8 du tableau récapitulatif de l’état actuel du droit conventionnel en matière de légalisation, dont la dernière mise à jour date du 1er avril 2024, les Etats dans lesquels les actes publics sont émis dans des conditions qui ne permettent manifestement pas à l’ambassadeur ou au chef de poste consulaire français d’en assurer la légalisation sont l’Angola, les Comores et la Guinée. Les Etats dans lesquels l’ambassadeur ou le chef de poste consulaire français est matériellement empêché de légaliser les actes publics qui y sont émis
sont: l’Afghanistan, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen.

En application de l'article 30 du code civil, la charge de la preuve incombe à M. [L] [K] qui n'est pas personnellement titulaire d'un certificat de nationalité française.

En l'espèce, force est de constater que la copie délivrée le 14 mars 2017 de l’acte de naissance de la requérante ne comporte aucun tampon de légalisation, de sorte que cette copie ne peut recevoir effet en France.
La copie délivrée le 21décembre 2017 comporte au verso un tampon d’authentification apposé le 25 décembre 2017 par le parquet de Moroni et un tampon légalisant la signature de [T] [Y], soit l’officier d’état civil ayant délivré la copie, apposé le 19 décembre 2017 par le ministère des affaires étrangères comorien.
Il s’ensuit que la légalisation apposée sur cette copie de l’acte de naissance n’est pas conforme à la coutume internationale, en ce que le principe de double légalisation, issu de l’usage international, n’a pas été respecté, dès lors que cette copie n’est pas légalisée par l’autorité consulaire.
Si la copie délivrée le 3 juillet 2018 produite par le ministère public comporte bien un tampon de légalisation apposé par le ministère des affaires étrangères comorien et un second tampon apposé par l’ambassade des Comores en France, cette double légalisation n’est pas davantage conforme à l’usage international, en ce que la même signature de l’officier d’état civil ayant délivré la copie est légalisée à deux reprises.
Faute d’avoir été régulièrement légalisé et alors qu’une légalisation irrégulière équivaut à une absence de légalisation, l’acte de naissance versé aux débats ne peut recevoir effet en France.

En tout état de cause, les deux copies les plus récentes de l’acte de naissance mentionnent le nom patronymique de la requérante, contrairement à la copie la plus ancienne, sans toutefois faire mentionner de la décision de rectification du procureur de la République. Ces copies ne sont donc pas établies selon les règles usitées et ne sont pas régulières. Elles ne peuvent se voir reconnaître aucune valeur probante au sens de l’article 47 du code civil.

Au surplus, cet acte de naissance a été dressé en exécution d’un jugement supplétif qui a été prononcé sans qu’aucune mention ne permette d’établir qu’il a été communiqué préalablement au ministère public, en violation du principe du contradictoire. Ce jugement est donc contraire à l’ordre public international français et est inopposable en France. L’acte de naissance dressé en exécution d’un jugement supplétif étant indissociable de la décision ordonnant son établissement et la régularité internationale de cette décision étant contestée, il ne peut faire foi au sens de l’article 47 du code civil.
En tout état de cause, ce jugement supplétif a été prononcé alors que Mme [L] [K] était majeure et il découle de l’article 20-1 du code civil que l’établissement de la filiation après la majorité est sans effet sur la nationalité française de Mme [L] [K].
Il s’ensuit que Mme [L] [K] ne justifie pas d’un état civil certain et fiable et qu’elle ne peut donc pas prétendre à la nationalité française. Elle sera dès lors déboutée de l’intégralité de ses demandes et il sera dit qu’elle n’est pas de nationalité française.

Sur les autres demandes

Succombant, Mme [L] [K] supportera la charge des dépens. Elle ne peut dès lors prétendre à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

CONSTATE que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;

DÉBOUTE Madame [L] [K] de l’intégralité de ses demandes, y compris de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT que Madame [L] [K], se disant née le 17 mars 1985 à [Localité 2] (Comores), n’est pas de nationalité française ;

ORDONNE la mention prévue par l’article 28 du code civil ;

CONDAMNE Madame [L] [K] aux dépens.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT

Mélanie MARTINFlorence CROIZE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : 8eme chambre
Numéro d'arrêt : 23/00418
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;23.00418 ?
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