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30/05/2024 | FRANCE | N°20/02091

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, 1ère chambre, 30 mai 2024, 20/02091


C.L

F.C


LE 30 MAI 2024

Minute n°

N° RG 20/02091 - N° Portalis DBYS-W-B7E-KUNL




[G] [N]

[Z] [J] épouse [N]


C/

[L] [T] épouse [E]

[P] [E] épouse [I]

[Y] [E] épouse [O]

[U] [E]

[X] [E]

S.A.S. CABINET [B] IMMOBILIER.









Le 30.05.2024

copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à


copie certifiée conforme
délivrée à



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
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PREMIERE CHAMBRE


Jugement du TRENTE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE



Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,
Assesseur :Florence CROIZE, Vice-présid...

C.L

F.C

LE 30 MAI 2024

Minute n°

N° RG 20/02091 - N° Portalis DBYS-W-B7E-KUNL

[G] [N]

[Z] [J] épouse [N]

C/

[L] [T] épouse [E]

[P] [E] épouse [I]

[Y] [E] épouse [O]

[U] [E]

[X] [E]

S.A.S. CABINET [B] IMMOBILIER.

Le 30.05.2024

copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à

copie certifiée conforme
délivrée à

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
----------------------------------------------

PREMIERE CHAMBRE

Jugement du TRENTE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,
Assesseur :Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur :Constance DESMORAT, Juge commis,

Greffier : Caroline LAUNAY

Débats à l’audience publique du 19 MARS 2024 devant Marie-Caroline PASQUIER, vice-présidente, siégeant en juge rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.

Prononcé du jugement fixé au 30 MAI 2024, date indiquée à l’issue des débats.

Jugement Contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe.

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ENTRE :

Monsieur [G] [N]
né le 07 Octobre 1986 à [Localité 12] (LOIRE ATLANTIQUE), demeurant [Adresse 13]
Rep/assistant : Maître Antoine MAUPETIT de la SARL CHROME AVOCATS, avocats au barreau de NANTES, avocats plaidant

Madame [Z] [J] épouse [N]
née le 04 Novembre 1986 à [Localité 14] (ILLE-ET-VILAINE), demeurant [Adresse 13]
Rep/assistant : Maître Antoine MAUPETIT de la SARL CHROME AVOCATS, avocats au barreau de NANTES, avocats plaidant

DEMANDEURS.

D’UNE PART

ET :

Madame [L] [T] épouse [E]
née le 29 Décembre 1946 à [Localité 9] (NORD), demeurant [Adresse 1]
Rep/assistant : Maître Philippe BARDOUL de la SELARL TORRENS AVOCATS, avocats au barreau de NANTES

Madame [P] [E] épouse [I]
née le 18 Novembre 1972 à [Localité 11] (NORD), demeurant [Adresse 8]
Rep/assistant : Maître Philippe BARDOUL de la SELARL TORRENS AVOCATS, avocats au barreau de NANTES

Madame [Y] [E] épouse [O]
née le 03 Décembre 1974 à [Localité 11] (NORD), demeurant [Adresse 5]
Rep/assistant : Maître Philippe BARDOUL de la SELARL TORRENS AVOCATS, avocats au barreau de NANTES

Monsieur [U] [E]
né le 13 Juillet 1977 à [Localité 10] (NORD), demeurant [Adresse 2]
Rep/assistant : Maître Philippe BARDOUL de la SELARL TORRENS AVOCATS, avocats au barreau de NANTES

Monsieur [X] [E]
né le 25 Mars 1982 à [Localité 7] (DEUX SEVRES), demeurant [Adresse 3]
Rep/assistant : Maître Philippe BARDOUL de la SELARL TORRENS AVOCATS, avocats au barreau de NANTES

S.A.S. CABINET [B] IMMOBILIER (RCS NANTES - 381 383 827) agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
dont le siège social est sis [Adresse 6]
Rep/assistant : Maître Thibaud HUC de la SELARL CONSEIL ASSISTANCE DEFENSE C.A.D., avocats au barreau de NANTES

DEFENDEURS.

D’AUTRE PART

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé du 12 janvier 2019, Madame [A] [T] veuve [E], Madame [P] [E], Madame [Y] [E], Monsieur [U] [E] et Monsieur [X] [E] (ci-après “les consorts [E]”), ont vendu à Monsieur [G] [N] et son épouse, Madame [Z] [J], dans l’ensemble immobilier en copropriété situé à [Adresse 13], cadastré section EO, numéro [Cadastre 4], deux appartements situés au premier étage, ainsi qu’une cave, moyennant le prix de 400 000 euros. Diverses conditions suspensives étaient prévues à l’acte. Il était par ailleurs stipulé des honoraires de négociation au profit du cabinet Saint Pasquier [B] immobilier d’un montant de 20 000 euros, à la charge des acquéreurs.

Aux termes d’un acte authentique, reçu le 2 juillet 2019 par Maître [H] [V], notaire à [Localité 12], avec la participation de Maître [W] [S], notaire à [Localité 12], la vente a été réitérée.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 décembre 2019, M. et Mme [N], qui indiquent avoir appris postérieurement à la vente qu’un dégât des eaux dans le local du rez-de-chaussée avait été généré par un vice affectant les canalisations de leur appartement, ont mis en demeure Mme [A] [E] de leur régler la somme de 10 194,14 euros au titre des travaux de réfection des canalisations et de l’indemnisation de leur préjudice de jouissance et du préjudice moral de Mme [N], alors enceinte de 7 mois.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 janvier 2020, M. [U] [E] s’est opposé au paiement des sommes réclamées. S’il a admis l’existence d’un dégât des eaux, il a contesté que les vendeurs avaient gardé une information par devers eux, exposant avoir immédiatement informé l’agence immobilière. Il a rappelé le projet des vendeurs consistant à effectuer de vastes travaux dans l’appartement. Il a enfin jugé farfelu le quantum des préjudices invoqués.

M et Mme [N] ont dès lors, par actes des 20 et 26 mai 2020, assigné devant le tribunal judiciaire de Nantes les consorts [E], ainsi que la SAS Cabinet Saint Pasquier [B] Immobilier, en paiement de la somme de
20 331,33 euros pour les vendeurs et celle de 5 000 euros pour l’agence immobilière.

Dans le dernier état de leurs conclusions communiquées par la voie électronique le 14 juin 2022, M. et Mme [N] demandent au tribunal, au visa des articles 1103, 1104, 1112-1, 1130, 1137, 1217, 1231, 1231-1, 1240, 1315, 1641, 1644 et 1645 du code civil, de :

les dire et juger recevables et bien fondés en leur action ; dire et juger que la responsabilité des consorts [E] est engagée au titre de la garantie des vices cachés ; Dire et juger que la responsabilité des consorts [E] est engagée au titre de la réticence dolosive ; Dire et juger que la responsabilité des consorts [E] est engagée au titre du manquement à l’obligation précontractuelle d’information ; Dire et juger que la responsabilité des consorts [E] est engagée au titre du manquement à l’obligation contractuelle d’information ; En conséquence, condamner in solidum les consorts [E] à leur verser la somme de 20.564,45 €, augmentée des intérêts légaux à compter du 4 décembre 2019 ; Dire et juger que la responsabilité délictuelle du Cabinet [B] Immobilier est engagée ; En conséquence, condamner le Cabinet [B] Immobilier à leur verser la somme de 5.000,00 € ; Débouter les consorts [E] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions; Débouter le Cabinet [B] Immobilier de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ; Condamner in solidum les consorts [E] et le Cabinet [B] Immobilier à verser à Monsieur et Madame [N] la somme de 8.500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; Condamner in solidum les consorts [E] et le Cabinet [B] Immobilier aux entiers frais et dépens de l'instance.
A l’appui de leur demande de condamnation des consorts [E], ils invoquent en premier lieu la garantie des vices cachés, dans la mesure où, d’une part, le dégât des eaux s’est déclaré le 15 mai 2019, soit avant la vente, d’autre part, le vice leur a été dissimulé lors de la vente et où, enfin, le vice rend la chose impropre à son usage. Ils indiquent enfin effet qu’ils ont été contraints d’effectuer des travaux réparatoires et qu’ils ne pouvaient, au jour de la vente, habiter leur appartement de ce fait. Ils précisent que les consorts [E] en avaient connaissance puisque Mme [A] [E] en a informé elle-même son assurance multirisques le lendemain de la survenance du dégât des eaux. Ils estiment que solliciter 2,5% du prix de vente apparaît fondé.

Ils sollicitent en outre des dommages-intérêts, le vice ayant retardé de trois mois leur emménagement dans l’immeuble:
- 4 032,74 euros au titre des travaux de réfection des canalisations,
- 2 974,20 euros (= 991,40 euros x3) au titre du préjudice de jouissance;
- 1 557,51 euros au titre des frais d’intérêts intercalaires relatifs à l’emprunt bancaire,
- 2 000 euros au titre du préjudice moral de Mme [N], alors enceinte de sept mois, compte tenu du retentissement que la dissimulation de cette information a eu sur le déroulement de sa grossesse.

Ils invoquent en second lieu la réticence dolosive. Selon eux, les consorts [E] leur ont sciemment dissimulé la survenance d’un dégât des eaux provenant de l’appartement litigieux et il est évident que s’ils avaient eu connaissance de cette information, ils auraient contracté à des conditions substantiellement différentes, à un moindre prix, compte tenu de l’importance des travaux réparatoires. Ils s’estiment fondés sur ce fondement à solliciter des dommages-intérêts.

Ils invoquent en troisième lieu le manquement des consorts [E] à leur obligation précontractuelle d’information. Ils estiment qu’il ne fait aucun doute que les vendeurs ont volontairement dissimulé le dégât des eaux provenant de l’appartement litigieux, alors qu’ils savaient que cette information était déterminante dans la volonté des acquéreurs de contracter dans les conditions prévues au contrat de vente. En effet, selon eux, cette information était déterminante au sens de l’article 1112-1 du code civil, comme portant sur l’état de l’immeuble, objet de la vente.

Ils invoquent en quatrième lieu le manquement des consorts [E] à leur obligation contractuelle d’information. Ils font observer que les vendeurs ont déclarent à l’acte avoir donné toutes les informations qu’ils connaissaient et qui pouvaient avoir une importance déterminante sur la décision des acquéreurs de contracter, ils ont sciemment dissimulé le dégât des eaux.

A l’appui de leur demande de condamnation de l’agence immobilière, M et Mme [N] soutiennent que celle-ci, informée du vice affectant l’appartement au moins trois semaines avant la vente, l’a dissimulé, alors qu’elle est tenue à un devoir de renseignement, voire de conseil ou de mise-en-garde vis-à-vis des acquéreurs. En réponse aux conclusions de l’agence immobilière, ils font valoir que la renonciation de l’acquéreur au bénéfice de subrogation ne le prive pas d’agir en garantie contre le vendeur.

Ils s’opposent à la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure prétendument abusive, puisqu’ils ne font qu’exercer leurs droits.

*
* *

Dans le dernier état de leurs conclusions notifiées par RPVA le 26 novembre 2021, les consorts [E] demandent au tribunal, au visa des articles 1641, 1103, 1104, 1112-1, 1130, 1137, 1217, 1231, 1231-1, 1240, 741, 744 et 745 du code civil, de:
Débouter M. et Mme [N] de l’ensemble de leurs demandes fins et conclusions;En tout état de cause,
Condamner la Société Cabinet [B] Saint Pasquier Immobilier à les garantir de toutes condamnations prononcées contre eux; Condamner solidairement Monsieur et Madame [N] à leur verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive;Condamner solidairement M. et Mme [N] à leur verser la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile; Condamner les mêmes aux entiers dépens de l’instance et réserver à la SELARL Pallier Bardoul et Associés l’entier bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Ils rappellent que l’acte de vente contient une clause de renonciation à la garantie, ce qui prive M et Mme [N] de toute possibilité de s’en prévaloir. Ils assurent avoir informé en temps utile et en tout cas préalablement à l’acte réitératif l’agence immobilière de ce dégât des eaux.

Ils jugent fantaisistes les différentes demandes de dommages-intérêts et contreproductives les pièces versées. Ils estiment que M et Mme [N] “tentent de battre monnaie, puisqu’ils ont toujours été très clairs sur leur projet de réaliser d’importants travaux dans l’appartement.” Ils en concluent qu’il est difficile de soutenir que le vice rendrait la chose impropre à son usage. Ils indiquent que la somme de 10 000 euros réclamée au titre de la réduction du prix de vente n’est pas justifiée dans son principe, ainsi que dans son quantum, que le remboursement des travaux de réfection de la canalisation n’est pas dû, faute pour les requérants de démontrer avoir engagé de tels frais.

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* *

Au terme de ses conclusions communiquées par RPVA le 21 février 2022, la SAS Cabinet [B] Immobilier conclut, au visa de l’article 1240 du code civil, au débouté de M et Mme [N] de l’ensemble de leurs demandes à son encontre, ainsi qu’au rejet de la demande de garantie des consorts [E] et à la condamnation des époux [N] à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en sus des dépens.

Elle conteste toute faute. Elle soutient que l’origine de la fuite n’a été découverte que postérieurement à la vente et que tout laissait penser à un sinistre en lien avec la copropriété. Elle fait valoir qu’en tout état de cause, cette information ne peut être qualifiée de capitale dans la mesure où, de l’aveu des demandeurs, elle n’aurait pas remis en cause la vente et que ce sinistre ne rend pas le bien impropre à sa destination, dès lors que les conséquences du dégât des eaux n’y sont pas localisées et que l’appartement a été acheté pour être rénové.

Elle assure qu’aucun préjudice ne résulte de l’absence de connaissance du dégât des eaux, dans la mesure où M et Mme [N] ne démontrent pas qu’ils auraient renoncé à l’achat ou demandé le report de la vente ou même négocié le prix, puisque lors de la vente, il était supputé que le désordre trouvait son origine dans les parties communes de l’immeuble.

Elle rappelle que les acquéreurs ont expressément renoncé à un recours sur le fondement des vices cachés, en prenant le bien en l’état et ils pourraient être indemnisés des travaux de reprise par l’assurance souscrite par Mme [E].
Elle estime que sa responsabilité ne saurait être engagée, puisqu’il n’existe aucun lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice invoqué, puisque les demandeurs bénéficiaient de la protection de l’assurance habitation de Mme [E].

Elle estime que la somme de 5 000 euros réclamée n’est pas justifiée et qu’elle a loyalement fait son travail.

Sur les demandes indemnitaires à l’encontre des vendeurs, elle souligne que les acquéreurs ne peuvent à la fois demander une réduction du prix de vente et le montant des travaux réparatoires. Elle souligne que les demandeurs ont acquis le bien à un prix qui prenait en compte la nécessité de travaux de rénovation importants, ce qui peut expliquer qu’ils aient renoncé à faire jouer l’assurance de Mme [E]. Elle en conclut que le préjudice de M et Mme [N] est inexistant.

Elle s’oppose à la demande en garantie formée par les vendeurs, en l’absence de faute en lien avec les préjudices invoqués par les demandeurs.

*
* *

Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties à leurs dernières écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 janvier 2024.


MOTIFS

Sur la garantie des vices cachés

Aux termes de l’article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.

L’article 1642 du même code précise que le vendeur n’est pas tenu des vices apparents et dont l’acheteur a pu se convaincre lui-même.

C’est à l’acquéreur exerçant l’action en garantie des vices cachés qu’il appartient de rapporter la preuve de l’existence et de la cause des vices qu’il allègue.

L’article 1643 du même code ajoute que lorsqu’une clause de non garantie des vices cachés a été stipulée à l’acte, cette dernière est écartée lorsque la mauvaise foi du vendeur s’évinçant de sa connaissance du vice caché est démontrée.
L’acte authentique du 2 juillet 2019, qui doit faire la loi entre les parties, contient une clause usuelle de non garantie des vices cachés par le vendeur, libellée comme suit:
“L’ACQUEREUR prend le BIEN dans son état au jour de l’entrée en jouissance, tel qu’il l’a vu et visité, sans recours contre le VENDEUR pour quelque cause que ce soit et notamment pour mauvais état de la ou des constructions pouvant exister, du sol ou du sous-sol, vices mêmes cachés, erreur dans la désignation, le cadastre ou la contenance cadastrale, tout différence, excédât-elle un vingtième devant faire son profit ou sa perte.”
Il en résulte que pour pouvoir prétendre à l'indemnisation des conséquences de l'existence du vice caché allégué, M et Mme [N] doivent démontrer :
- l'existence du vice antérieurement à la vente,
- son caractère caché,
- le fait que le vice rendent l'immeuble impropre à sa destination ou à l'usage auquel on le destine, ou qu'il en diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquis ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il l’avait connu,
- la connaissance qu'avaient les vendeurs du vice, de son ampleur et de ses conséquences, laquelle rend sans effet la clause de non garantie insérée à l'acte.

En l’espèce, il ressort du message électronique du syndic à M. [N] du 5 juillet 2019 qu’un sinistre a été déclaré par le locataire du local situé en-dessous de l’appartement objet du litige, qu’une recherche de fuite a été faite en mai 2019 afin de “déterminer l’origine exacte de la fuite” et qu’un rendez-vous d’expertise est fixé le 30 juillet 2019, soit postérieurement à la signature de l’acte de vente.
Il s’avère ainsi que les vendeurs ignoraient au jour de la signature de l’acte si la fuite avait une origine privative ou si elle relevait de la copropriété.
Dans ces conditions, la mauvaise foi des consorts [E] n’est pas établie et la clause exonératoire des vices cachés est opposable à M et Mme [N].

Sur la réticence dolosive et le manquement à l’obligation précontractuelle d’information
L'article 1137 du code civil énonce que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.

Le dol consiste ainsi en une manoeuvre ou un mensonge, par commission ou par réticence, ayant pour but et pour effet de surprendre le consentement d’une partie, de provoquer chez le cocontractant une erreur qui le détermine à contracter. Il doit émaner du cocontractant ou de son représentant et est constitué d’un élément matériel et d’un élément intentionnel. L'auteur des manoeuvres, du mensonge ou de la réticence doit en effet avoir agi "intentionnellement pour tromper le contractant".

Le dol peut porter sur n’importe quel élément du contrat. Mais le demandeur doit établir qu’il n’aurait pas consenti s’il avait connu la réalité, c’est-à-dire que l’élément concerné était pour lui déterminant, ce qu’il pourra établir librement.

La charge de la preuve du caractère intentionnel du comportement du cocontractant et le caractère déterminant du dol allégué pèse sur la personne qui prétend que son consentement a été vicié. Il doit établir la réalité des agissements qui ont provoqué son erreur.

Selon l’article 1112-1 du code civil, le vendeur est tenu d’une obligation précontractuelle d'information et à ce titre, il doit attirer l’attention de l'acquéreur sur une information déterminante dont il avait connaissance.
Aux termes de l'article 1112-1 du code civil, 'Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.

Le manquement à une obligation précontractuelle d'information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, s'il ne s'y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d'une erreur déterminante provoquée par celui-ci.

Ainsi, l’existence ou l’absence d’intention de tromper fournit le critère essentiel de distinction entre le dol et le simple manquement à l’obligation d’information.

En l’espèce, l’acte authentique de vente régularisé le 12 janvier 2019 prévoit notamment que “les parties déclarent que préalablement à la conclusion des présentes, elles avaient échangé toutes les informations qu’elles connaissaient et qui pouvaient avoir une importante déterminante sur leur décision respective de contracter et ce, qu’il existe ou non entre elles un lien particulier de confiance”, puis, en page 21: “Afin de respecter les dispositions de l’article 1112-1 du code civil, lors de la signature de l’avant-contrat, les parties ont porté à la connaissance respective de chacune les informations ayant un lien direct et nécessaire avec la présente vente et revêtant une importance déterminante pour leur consentement respectif.”

Or, M. [K] [B] indique dans son message électronique du 23 septembre 2019 que “trois semaines avant la signature de l’acte, Mme [E] nous a fait savoir verbalement qu’elle avait rencontré un collaborateur de l’agence de voyage en dessous qui s’était plaint d’une tâche d’eau au plafond. Cette dernière nous a relaté être passé à l’agence de voyage, pour comprendre le problème... l’interlocuteur lui aurait dit que ça ne fuyait plus. Mme [E] nous a relaté être surprise de cette fuite puisque son appartement était inoccupé depuis plusieurs semaines, et qu’il n’y avait aucun dégât dans son appartement. Par mesure de sécurité et sur notre conseil, Mme [E] a fait une déclaration de sinistre auprès de son assurance... Je vous rappelle que cette mesure vous protège puisqu’elle est la preuve du constat avant vente. Nous avons réinterrogé Mme [E] à ce sujet quelques jours avant la vente, qui nous a confirmé qu’aucune suite n’était donnée puisque la fuite avait disparu.”

Les consorts [E] produisent une attestation de leur agent général d’assurance datée du 7 juin 2019, soit avant la réalisation de la vente, suivant laquelle Mme [E] l’a informé le 16 mai 2019 de “la survenance d’un sinistre dégât des eaux ayant touché les locaux de son voisin du dessous, les voyageurs du monde. L’assureur de ces derniers a diligenté l’entreprise Costa pour effectuer une recherche de fuite. La fuite semble se situer au niveau d’une canalisation d’évacuation encastrée dans la dalle béton entre le local des voyageurs du monde et l’appartement de Mme [E]. A ce jour, le syndic reste dans l’attente du rapport de recherche de fuite afin de pouvoir confirmer que cette canalisation est intégrée aux parties communes. De ce fait, la réparation incomberait au syndic.”

Par message électronique du 7 juin, Mme [E] a transmis à son assureur le constat de dégât des eaux rempli par le locataire du rez-de-chaussée.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les consorts [E] avaient connaissance d’une information relative à l’existence d’un dégât des eaux survenu préalablement à la vente susceptible de provenir de leur appartement qu’ils n’ont pas transmise à leurs acquéreurs. Il importe peu que lors de la vente, l’origine précise de ce dégât des eaux n’ait pas encore été identifiée.

Le coût des travaux réparatoires démontre suffisamment le caractère déterminant de cette information.

En revanche, il n’est pas démontré que la dissimulation de cette information présentait un caractère intentionnel, dans le but de favoriser la vente, dès lors qu’il est avéré que Mme [E] en a informé l’agence immobilière, préalablement à la réitération de la vente par acte authentique.

Il est ainsi établi que les consorts [E] détenaient une information avant la vente relative à l’état de l’immeuble, dont ils n’ont pas informé les acquéreurs. Ils ont dès lors manqué à leur obligation d’information précontractuelle.

Sur la responsabilité de l’agence immobilière
En application de l’article 1240 du code civil, l’agence immobilière est tenue à l'égard des acquéreurs, dans le cadre de la négociation de la vente, d'une obligation d'information et de conseil lui imposant, sous peine d'engager sa responsabilité délictuelle, de les informer des vices et défauts de l'immeuble dont elle avait connaissance.

La mission de l'agent immobilier ne se limite pas au rapprochement d'un vendeur et d'un acheteur. Il lui incombe de s'assurer de la bonne fin de la transaction dans laquelle il intervient, et à ce titre, son devoir d'information lui impose notamment d'assurer une information claire, complète et précise des parties propre à garantir l'efficacité de leur négociation.

Il est constant que l’agence immobilière [B] Immobilier était chargée de la vente de la maison et qu’elle a rédigé l’avant-contrat.

Il résulte des développements précédents que l’agence immobilière a été informée préalablement à la signature de l’acte authentique de vente du dégât des eaux survenu dans le local en-dessous de l’appartement en vente susceptible de provenir de cet appartement et elle n’en a pas informée les acquéreurs, ni même conseillé aux vendeurs d’en informer le notaire chargé de la vente ou M et Mme [N].

Il s’ensuit que la SARL cabinet [B] a manqué à son devoir d’information et de conseil.

Sur les dommages-intérêts
Le courrier de [R] [M], se présentant comme maître d’oeuvre en charge du chantier de rénovation de l’appartement, du 30 octobre 2019 renvoie à un devis n° 1001 de la société MPC du 28 octobre 2019 chiffrant les travaux de réparation de la canalisation à la somme de 1098,73 euros. Il y est fait état d’un retard du chantier d’une durée de trois mois.
Les factures produites comportent une seule facture de la société MPC pour un montant de 8 570,71 euros mais renvoyant à un devis n° 920, différent donc du devis n° 1001.

M et Mme [N] produisent en outre une quittance de loyer du mois de novembre 2019, ainsi que des attestations, non conformes aux exigences de l’article 202 du code de procédure civile, établies par la mère de Mme [N], son manageur et une amie très proche, faisant état du “stress énorme” ressenti par celle-ci, alors qu’elle était enceinte et souffrait de diabète gestationnel.

Néanmoins, il ressort du rapport de l’assureur du 12 août 2019 que M et Mme [N] avaient acquis le bien, en projetant une rénovation totale. Leur offre d’achat mentionne ainsi que: “l’acquéreur est informé qu’il s’agit d’un projet de rénovation totale”.

Il en résulte que l'attitude des consorts [E] a privé M et Mme [N] de la chance de pouvoir acquérir le bien à des conditions plus avantageuses. Au regard du devis produit et repris par le maître d’oeuvre chargé des travaux et alors que Mme [E] a déclaré le sinistre à son assurance, cette perte de chance s’évalue à la somme de 800 euros.

M et Mme [N] ne sont, en revanche, pas fondés à solliciter un préjudice de jouissance. Le courrier de leur maître d’oeuvre du 30 octobre 2019 faisant état d’un retard dans l’avancement des travaux, qui ne constitue pas une attestation établie conformément aux exigences de l’article 202 du code de procédure civile, n’est accompagnée d’aucune autre pièce justifiant d’un report des travaux prévus. Au contraire, ils produisent une facture du 31 octobre 2019 au titre de l’évacuation de gravats, ce qui laisse entendre que des travaux ont été réalisés au sein de l’appartement entre la réitération de la vente et le 31 octobre 2019, date d’établissement de la facture au titre de l’évacuation des travaux.

Ils ne peuvent dès lors solliciter le remboursement des frais intercalaires.

Mme [N] ne peut sérieusement invoquer un préjudice moral, alors que des travaux de rénovation totale étaient planifiés, par nature source de stress.

La faute des vendeurs et celle de l’agence immobilière ayant toutes les deux concourru au dommage et ce, alors que les consorts [E] étaient soit présents, soit représentés lors de la signature de l’acte de vente, il convient de les condamner in solidum à payer la somme de 800 euros à M et Mme [N].
Les consorts [E] seront en conséquence déboutés de leur demande en garantie formée à l’encontre de l’agence immobilière.

Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts

Non seulement l’action de M et Mme [N] est fondée, mais elle n’apparaît pas en tout état de cause animée par une intention de nuire manifeste. Il y a donc lieu de rejeter la demande de dommages-intérêts présentée par les consorts [E].

Sur les autres demandes

Succombant, les consorts [E] ainsi que la SARL Cabinet [B] Immobilier seront condamnés aux dépens de la présente instance. Ils ne peuvent dès lors prétendre à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît équitable qu’ils prennent en charge les frais que les requérants ont dû exposer non compris dans les dépens pour faire valoir leurs prétentions en justice et évalués à 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Dit que Madame [A] [T] veuve [E], Madame [P] [E], Madame [Y] [E], Monsieur [U] [E] et Monsieur [X] [E] ont manqué à leur obligation précontractuelle d’information;

Dit que la SARL Cabinet [B] Immobilier a manqué à son devoir d’information et de conseil;

Condamne in solidum Madame [A] [T] veuve [E], Madame [P] [E], Madame [Y] [E], Monsieur [U] [E] et Monsieur [X] [E] et la SARL Cabinet [B] Immobilier à payer à Monsieur [G] [N] et son épouse, Madame [Z] [J] la somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne in solidum Madame [A] [T] veuve [E], Madame [P] [E], Madame [Y] [E], Monsieur [U] [E] et Monsieur [X] [E] et la SARL Cabinet [B] Immobilier à payer à Monsieur [G] [N] et son épouse, Madame [Z] [J] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Rejette la demande de dommages-intérêts et la demande de garantie à l’encontre de la SARL Cabinet [B] Immobilier présentées par Madame [A] [T] veuve [E], Madame [P] [E], Madame [Y] [E], Monsieur [U] [E] et Monsieur [X] [E];

Rejette la demande présentée par Madame [A] [T] veuve [E], Madame [P] [E], Madame [Y] [E], Monsieur [U] [E] et Monsieur [X] [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Rejette la demande présentée par la SARL Cabinet [B] Immobilier [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamne in solidum Madame [A] [T] veuve [E], Madame [P] [E], Madame [Y] [E], Monsieur [U] [E] et Monsieur [X] [E] et la SARL Cabinet [B] Immobilier aux dépens.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,

Caroline LAUNAYMarie-Caroline PASQUIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/02091
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;20.02091 ?
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