La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/05/2024 | FRANCE | N°17/00503

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, 8eme chambre, 30 mai 2024, 17/00503


MM

M-C P


LE 30 MAI 2024

Minute n°24/200

N° RG 17/00503 - N° Portalis DBYS-W-B7A-IYWF


M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE NANTES REF NAT/16/60/TG


C/

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL DEPARTEMENTAL D’ILE ET VILAINE, représentant légal de
[T] [Y]

[Y] [T]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2017/17810 du 13/11/2017 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de NANTES)

NATIO 16-60

copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à


copie certifiée conforme<

br>délivrée à
PR (3)
Me J. AIHONNOU
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
----------------------------------------------



HUITIEME CHAMBRE


Jugement du TRENTE MAI DEUX...

MM

M-C P

LE 30 MAI 2024

Minute n°24/200

N° RG 17/00503 - N° Portalis DBYS-W-B7A-IYWF

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE NANTES REF NAT/16/60/TG

C/

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL DEPARTEMENTAL D’ILE ET VILAINE, représentant légal de
[T] [Y]

[Y] [T]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2017/17810 du 13/11/2017 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de NANTES)

NATIO 16-60

copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à

copie certifiée conforme
délivrée à
PR (3)
Me J. AIHONNOU
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
----------------------------------------------

HUITIEME CHAMBRE

Jugement du TRENTE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur :Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur :Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,

GREFFIER : Mélanie MARTIN

Débats à l’audience publique du 22 MARS 2024 devant Florence CROIZE, vice-présidente, siégeant en juge rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.

Prononcé du jugement fixé au 30 MAI 2024, date indiquée à l’issue des débats.

Jugement prononcé par mise à disposition au greffe.

---------------

ENTRE :

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE NANTES,
représenté par Céline MATHIEU-VARENNES, procureur adjoint

DEMANDEUR.

D’UNE PART

ET :

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL DEPARTEMENTAL D’ILE ET VILAINE, représentant légal de [T] [Y], [Adresse 2]
Rep/assistant : Maître José AIHONNOU de la SELARL FRETIN-HARDY-AIHONNOU, avocats au barreau de NANTES

Monsieur [Y] [T], demeurant [Adresse 2]
Rep/assistant : Maître José AIHONNOU de la SELARL FRETIN-HARDY-AIHONNOU, avocats au barreau de NANTES

DEFENDEURS.

D’AUTRE PART

EXPOSE DU LITIGE

Par acte en date du 6 décembre 2016 le procureur de la République de Nantes a assigné devant le tribunal de grande instance de Nantes le président du conseil départemental d’Ile et Vilaine en qualité de représentant légal de mademoiselle [Y] [T] aux fins d’annuler l’enregistrement de la déclaration souscrite par [Y] [I] [N] [T] prise en la personne de son représentant légal, le Président du conseil départemental “d’Ile et Vilaine” et de dire que cette dernière, se disant née le 1er octobre 2000 à [Localité 1] (Congo) n’est pas de nationalité française.

Cette déclaration acquisitive de nationalité française souscrite sur le fondement de l’article 21-12 du code civil le 20 février 2013 avait été enregistrée le 11 juillet 2013.

Par conclusions d’incident adressées signifiées le 17 novembre 2017, le représentant légal de [Y] [T] demandait au tribunal d’ordonner le sursis à statuer dans l’attente de la décision à intervenir devant le tribunal de grande instance de Rennes saisi d’une demande d’établissement de son acte de naissance.

Suivant ordonnance de mise en état du 18 janvier 2018, il était ordonné le sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive du tribunal de grande instance de Rennes saisi par requête aux fins d’établissement judiciaire d’un acte de naissance au profit de [Y] [T].

Cette demande a été rejetée par le tribunal judiciaire de RENNES a suivant décision du 5 mars 2019

Suivant exploit du 17 mars 2022, le procureur de la République de Nantes a ré-assigné [Y] [T] devenue majeure aux mêmes fins d’annulation de l’enregistrement de la déclaration, et les deux procédures ont fait l’objet d’une jonction.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 mai 2021, [Y] [T] demande au tribunal :
A TITRE PRINCIPAL
- Constater que l’action du Ministère Public est au-delà du délai de 2 ans prescrit par l’article 26-4 du code civil ;
- Constater, sur le fondement de l’article 26-4 3° que le Ministère Public ne rapporte pas la preuve d’un mensonge ou d’une fraude et donc ne rapporte pas la preuve de ce que l’acte de naissance de Madame [T] est apocryphe ;
- Voir en conséquence débouter le Ministère public de l’ensemble de ses demandes ;
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- Voir dire que les conséquences consécutives à la perte de la nationalité française de Madame [T] sont disproportionnées ;
- Voir en conséquence débouter le Ministère public de l’ensemble de ses demandes,
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- Laisser les dépens a la charge de l’État.

[Y] [T] rappelle les dispositions de l’article 26-4 du code civil qui prévoient notamment que le ministère public doit agir en contestation dans le délai de deux ans à compter de l’enregistrement ou de la découverte du mensonge et de la fraude. Elle soutient que l’action introduite le 6 décembre 2016 n’est pas prescrite sous réserve que le procureur de la République de Nantes fasse la preuve d’un mensonge ou d’une fraude, ce qu’il ne fait pas, la constatation d’un acte « inexistant» sur les registres de l’état civil de la Maire de [Adresse 4] (CONGO) n’étant pas suffisante à caractériser une fraude. Elle affirme que l’absence de ce document peut provenir d’une destruction, d’une disparition ou pour d’autres circonstances, s’agissant spécifiquement du CONGO, dont une grande partie des archives de l’état civil ont été détruites par les exactions des guerres civiles émaillant l’histoire de cette nation, et considère qu’il appartenait au ministère public de se rapprocher de l’ambassade du Congo pour obtenir les explications utiles. Elle en déduit que l’action en contestation est tardive.

Sur le fond [Y] [T] qui considère justifier d’un état civil certain au sens de l’article 47 du code civil, par la production de son extrait d’acte de naissance délivré le 13 février 2012 par l’Ambassade du CONGO en FRANCE, et la copie d’un acte de naissance établi le 27 septembre 2013 signé et revêtu du sceau de l’Officier d’état civil au Ministère des Affaires Etrangères de [Localité 3]. Elle souligne qu’aux termes de l’article 98-4 du code civil leurs énonciations font foi jusqu’à décision de rectification, et qu’au regard de ce constat le tribunal judiciaire de RENNES a suivant décision du 5 mars 2019 dit que [Y] [T] dispose d’un acte de naissance et d’un extrait d’acte de naissance. Elle ajoute que depuis son arrivée en FRANCE en 2008 elle bénéficie d’une possession d’état sur son état civil et son identité française.
A titre subsidiaire elle fait état de ce que la remise en question de son identité française a des conséquences disproportionnées et particulièrement grave sur son état de santé, risquant d’entraîner une décompensation de sa maladie psychiatrique.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 10 JUIN 2022 le procureur de la République de Nantes maintient sa demande d’annulation de l’enregistrement de la déclaration souscrite par [Y] [T] et demande au tribunal de dire que’elle n’est pas de nationalité française.
Il rappelle les dispositions de l’article 16 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 aux termes duquel le mineur qui entend souscrire une déclaration au visa de l’article 21-12 du code civil doit notamment fournir un extrait d’acte de naissance, conforme aux exigences de l’article 47 du code civil.
 
Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux termes de leurs dernières écritures.
 
L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande relative à la reconnaissance de la nationalité française

Aux termes de l’article 21-12 du code civil, « L'enfant qui a fait l'objet d'une adoption simple par une personne de nationalité française peut, jusqu'à sa majorité, déclarer, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France. Toutefois, l'obligation de résidence est supprimée lorsque l'enfant a été adopté par une personne de nationalité française n'ayant pas sa résidence habituelle en France. 

Peut, dans les mêmes conditions, réclamer la nationalité française :
1° L'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ;
2o L'enfant recueilli en France et élevé dans des conditions lui ayant permis de recevoir, pendant cinq années au moins, une formation française, soit par un organisme public, soit par un organisme privé présentant les caractères déterminés par un décret en Conseil d’État ».

Aux termes de l’article 16 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993, pour souscrire la déclaration prévue à l'article 21-12 du code civil, le déclarant fournit notamment son acte de naissance et un document officiel d'identité.

Il résulte de l’article 26-4 du code civil que dans le délai de deux ans suivant la date à laquelle il a été effectué, l'enregistrement peut être contesté par le ministère public si les conditions légales ne sont pas satisfaites et l’enregistrement peut encore être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte.

Il convient enfin de rappeler qu’en application de l’article 47 du code civil, « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »
 
Ces dispositions prévues par l’article 47 sont applicables à toute demande pour laquelle un acte d’état civil probant est requis.
 
En matière de nationalité, quel que soit le fondement de la demande, il est exigé de justifier de façon certaine de son état civil par la production d’un acte d’état civil conforme aux exigences de l’article 47 du code civil.

En l’espèce, le Président du Conseil Général d’Ile et Vilaine, agissant en qualité de représentant légal de [Y] [T] a souscrit une déclaration acquisitive de nationalité française le 20 février 2013 sur le fondement de l’article 21-12 du Code civil, et a produit à cette fin un extrait d’acte de naissance n°217/03RC5, ladite déclaration ayant été enregistrée le 11 juillet 2013.

Il n’est pas discuté que les vérifications administratives effectuées auprès de la Mairie du centre d’état civil de [Adresse 4] (CONGO) ont révélé que l’acte de naissance n°217/03RC5 était inexistant.

En prenant acte, [Y] [T] a d’ailleurs sollicité la délivrance d’un jugement supplétif. Le rejet de cette demande par jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 5 mars 2019 ne lui permet pas de justifier de son état civil par ce biais.

Or, force est de constater que [Y] [T] persiste à solliciter le rejet des demandes du ministère public alors qu’elle ne fournit pas au tribunal d’éléments supplémentaires sur son état civil, l’acte de naissance produit à l’appui de sa déclaration de nationalité étant inexistant donc apocryphe.

Il est admis de manière constante par la cour de cassation que la production d’un acte de naissance apocryphe constitue un mensonge, et par ailleurs le délai de deux ans d’exercice de l’action en annulation de l’enregistrement pour fraude ou mensonge court à compter de la date à laquelle le ministère public l’a découverte. S’agissant de [Y] [T], dès lors que le maire du centre d’état civil de [Adresse 4] a informé le 5 novembre 2015 l’ambassade de FRANCE au CONGO de l’inexistence de l’acte de naissance n°217/03RC5, l’action en contestation de l’enregistrement de la nationalité initiée par le procureur de la République de Nantes suivant exploit du 6 décembre 2016 a été introduite dans le délai de deux années prescrit à l’article 26-4 du code civil et par suite est recevable.

Sur le fond, alors qu’il est constant que nul ne peut se voir reconnaître la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas d’un état civil certain, et qu’il n’est pas discuté que l’acte de naissance produit par [Y] [T] à l’appui de sa déclaration de nationalité est apocryphe, elle ne peut se voir en l’état reconnaître la nationalité française.

A ce titre, la fragilité psychologique de l’intéressée évoquée à titre subsidiaire, si elle apparaît établie et, au moins partiellement, en lien avec la contestation de sa nationalité, ne peut en elle-même justifier le maintien de la nationalité française à défaut d’état civil fiable.

Il en découle que les demandes de [Y] [T] devront être rejetées et qu’il sera dit qu’elle n’est pas de nationalité française. 

Sur les mesures de fin de jugement
 
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
 
En l’espèce, [Y] [T] sera condamnée aux dépens.

Si l'exécution provisoire des décisions de première instance est de droit, il convient en l'espèce de l'écarter, apparaissant incompatible avec une matière relative à l'état des personnes, en ce qu'elle risque d'engendrer des conséquences difficilement réparables en cas de modification de la décision en appel.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort,
 
DIT que l’action du procureur de la République de Nantes est recevable ;

ANNULE l’enregistrement de la déclaration souscrite par [Y] [I] [N] [T] ;

DIT que [Y] [I] [N] [T], se disant née le 1er octobre 2000 à [Localité 1] (CONGO), n’est pas de nationalité française ;

ORDONNE la mention prévue par l’article 28 du code civil ;

CONDAMNE [Y] [T] aux entiers dépens ;

ÉCARTE l'exécution provisoire de droit de la présente décision.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT

Mélanie MARTINFlorence CROIZE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : 8eme chambre
Numéro d'arrêt : 17/00503
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;17.00503 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award