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16/05/2024 | FRANCE | N°21/02548

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, 1ère chambre, 16 mai 2024, 21/02548


IC

G.B


LE 16 MAI 2024

Minute n°

N° RG 21/02548 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LD7U




[R] [V]


C/

L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT







Le

copie exécutoire
et
copie certifiée conforme
délivrée à
- Me Océane Goursaud


copie certifiée conforme
délivrée à :
- Me Thibaud Huc



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
-----------------------------------------



PREMIERE CHAMBRE


Jugement du SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE


>Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur :Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur :Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,



GREFFIER : I...

IC

G.B

LE 16 MAI 2024

Minute n°

N° RG 21/02548 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LD7U

[R] [V]

C/

L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

Le

copie exécutoire
et
copie certifiée conforme
délivrée à
- Me Océane Goursaud

copie certifiée conforme
délivrée à :
- Me Thibaud Huc

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
-----------------------------------------

PREMIERE CHAMBRE

Jugement du SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur :Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur :Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,

GREFFIER : Isabelle CEBRON

Débats à l’audience publique du 12 MARS 2024.

Prononcé du jugement fixé au 16 MAI 2024, date indiquée à l’issue des débats.

Jugement Contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe.

---------------

ENTRE :

Madame [R] [V]
née le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 5] (LOIRE ATLANTIQUE), demeurant [Adresse 1]
Rep/assistant : Maître Océane GOURSAUD de la SELARL MAJELI AVOCAT, avocats au barreau de NANTES

DEMANDERESSE.

D’UNE PART

ET :

L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT, dont le siège social est sis [Adresse 4]
Rep/assistant : Maître Thibaud HUC de la SELARL CONSEIL ASSISTANCE DEFENSE C.A.D., avocats au barreau de NANTES

DEFENDERESSE.

D’AUTRE PART

Exposé du litige et des demandes

Par requête datée du 7 avril 2016 et déposée au greffe le 15 avril 2016, Mme [R] [V] a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nantes d’une demande en fixation de mesures relatives à l’exercice de l’autorité parentale, l’hébergement, l’organisation du droit d’accueil et à la pension alimentaire concernant son fils [P], né le [Date naissance 3] 2012 de sa relation avec M. [G] [L].

L’affaire a été enrôlée le 15 avril 2016 auprès de la 2ème chambre civile cabinet D du tribunal de grande instance de Nantes, sous le numéro 16/04986.

Mme [V] a reçu une convocation le 12 juin 2017 pour une audience fixée le 12 septembre 2017.

A cette date, le dossier a été plaidé et le juge aux affaires familiales a rendu sa décision le 10 octobre 2017.

Estimant qu’il s’était écoulé un délai anormal qui a eu des conséquences sur sa situation personnelle, Mme [V] a, par acte d’huissier en date du 16 avril 2021, fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Nantes aux fins de le voir condamner à indemniser le préjudice qu’elle prétend avoir subi.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 mars 2022, elle sollicite, sur le fondement des articles L 141-1 du code de l’organisation judiciaire, et 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, de :

- Condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, à lui payer la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir
- Condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire du trésor (Sic!), en tous les frais et dépens dont distraction au profit de Maître Océane Goursaud.

Elle soutient que le délai anormalement long auquel elle a été confrontée peut s’analyser en un déni de justice puisque l’Etat a manqué à son devoir de protection juridictionnelle en ne statuant pas sur ses prétentions dans un délai raisonnable.
La référence à ce même délai raisonnable est également rappelée par l’article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.
S’appuyant sur différentes décisions judiciaires ayant reconnu la responsabilité de l’Etat pour des délais de 11 et 12 mois qui s’étaient écoulés entre la requête et l’audience de tentative de conciliation, elle estime que celui de 18 mois qui s’est déjà écoulé entre sa demande initiale et la date à laquelle le jugement a été rendu, constitue un retard de traitement engageant la responsabilité de l’Etat qui n’a pas donné au tribunal de grande instance de Nantes les moyens humains nécessaires, ce qui avait été dénoncé par le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Nantes dans une lettre ouverte du 12 octobre 2017 adressée à Madame le Garde des Sceaux.
Elle expose que la simple attente prolongée et non justifiée d’une décision de justice induit un préjudice moral ouvrant droit à des dommages et intérêts. Au surplus, séparée du père de son enfant avec lequel les liens étaient tendus au moment de la séparation et inquiète des conditions dans lesquelles son enfant était accueilli au domicile de son père situé chez la mère de son ex-conjoint, laquelle souffre d’une maladie psychiatrique mal prise en charge, elle indique avoir vécu cette attente d’une décision du juge avec inquiétude. Si au jour de l’audience, la situation s’était apaisée dès lors qu’elle ne souhaitait pas couper les liens de son fils avec son père, elle précise qu’elle a été contrainte de saisir à nouveau le juge aux affaires familiales. La dernière décision qu’elle produit permet d’éclairer la situation qu’ont eu à vivre Mme [V] et son enfant et ne fait que confirmer les conséquences particulièrement dommageables des délais excessifs imposés aux justiciables saisissant le juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire de Nantes.

* *
*

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2023, l’agent judiciaire de l’Etat demande au tribunal de :

- Déclarer que sur l’ensemble de la procédure, la responsabilité de l’Etat pourrait être engagée sur le fondement de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire à hauteur de 11 mois au maximum ;

- Débouter madame [R] [V] de l’ensemble de ses demandes ;

- La condamner aux dépens ;

A titre subsidiaire,
- Fixer l’indemnité pour préjudice moral à proportion de ce qui serait effectivement justifié et réduire le montant de l’indemnité de procédure.

L’agent judiciaire de l’Etat rappelle que l’existence d’un déni de justice doit s’apprécier à la lumière des circonstances propres à chaque espèce, en prenant en considération la nature de l’affaire, sa complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la procédure et de l’ensemble des diligences réalisées par les services chargés du dossier et qu’il appartient au demandeur de rapporter la preuve d’un déni de justice.

Il considère que le délai écoulé entre la requête et la date de l’audience de 17 mois doit être amputé du délai considéré comme raisonnable de 6 mois et que le délai entre l’audience et le délibéré, d’une durée de un mois, est raisonnable.

Concernant le préjudice moral invoqué, il estime que s’il est constant qu’une durée excessive de procédure est de nature à causer un préjudice moral au justiciable, il appartient à ce dernier de produire des pièces qui étayent sa demande indemnitaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Il relève que lors de l’audience les deux parties se sont accordées sur les modalités d’exercice d’autorité parentale et que la durée de la procédure a permis un rapprochement des parties. Il souligne qu’elle ne justifie pas des suites données aux plaintes pénales déposées en 2016 à l’encontre de M [L] et que celles-ci ne sont que la conséquence d’un conflit familial et non d’un dysfonctionnement du service public de la justice.
Il considère dès lors que le préjudice moral n’est pas suffisamment caractérisé et il ne saurait y avoir lieu à réparation de ce chef.

* *
*

L’ordonnance de clôture est intervenue le 9 janvier 2024.

Motifs de la décision

Sur la responsabilité de l’Etat

Il résulte de l’article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire que “L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.”

Il est par ailleurs de jurisprudence établie que le déni de justice s’entend non seulement du refus de statuer, mais aussi du manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable.

Par ailleurs, l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce que “Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle...”

Ce délai raisonnable doit être apprécié in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce, en prenant en considération la nature de l'affaire, sa complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la procédure et de l'ensemble des diligences réalisées par les services chargés du dossier.

Il résulte des éléments produits que madame [R] [V] a déposé une requête le 15 avril 2016 devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nantes aux fins de voir fixer les modalités de l’exercice de l’autorité parentale sur son enfant mineur né de sa relation avec M. [G] [L].

Cette requête a été enrôlée le 15 avril 2016 sous le n° 16/04986 et affectée à la 2ème chambre, cabinet D.
Les débats se sont déroulés à l’audience du 12 septembre 2017 devant le juge aux affaires familiales. L’affaire a été mise en délibéré au 10 octobre 2017.

Il convient de constater en l’espèce qu’un délai de 17 mois est intervenu entre le moment où Mme [V] a déposé sa requête et la date à laquelle elle a eu accès pour la première fois à un juge et a pu faire valoir ses prétentions lors de l’audience qui s’est tenue le 12 septembre 2017 alors que l’affaire ne présentait aucune complexité, n’appelait pas de diligences particulières et que le comportement de la demanderesse n’est pas la cause d’un allongement du délai, le tout sans qu’aucune explication n’ait été fournie à l’intéressée sur ce retard.

Il y a lieu de relever par ailleurs que les dispositions de l’article 1138 du code de procédure civile qui imposent au greffe de convoquer le défendeur à l’audience par lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans les quinze jours de la requête, n’ont pas été respectées puisque la convocation a été adressée le 12 juin 2017.

En conséquence, ce délai apparaît excessif, surtout dans le domaine du droit de la famille où il existe une urgence particulière à statuer avec célérité sur des mesures concernant les enfants, le passage du temps pouvant avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre un parent et son enfant. Un délai de l’ordre de 6 mois peut être considéré comme adéquat en la matière et madame [V] était en droit d’obtenir, en y ajoutant le temps du délibéré, une décision mi-novembre 2016.

Dès lors, celui de 17 mois qu’a eu à subir Mme [R] [V] est anormalement long et engage la responsabilité de l’Etat en raison de l’incapacité du service public de la justice à faire face à sa mission essentielle qui est de répondre aux sollicitations des justiciables.

En revanche, le délai d’un mois entre la date de l’audience et la date à laquelle a été rendue la décision apparaît raisonnable compte tenu de la nécessité de la motivation de la décision après étude des pièces et de la nécessité de la mise en forme du jugement par le greffe.

Le caractère excessif du délai d’accès au juge s’apparente à un déni de justice caractérisant ainsi le fonctionnement défectueux du service public de la Justice.

La responsabilité de l’État est en conséquence engagée.

Sur l’indemnisation du préjudice moral

La demande formée au titre du préjudice moral est fondée en son principe dès lors qu’un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit une angoisse supplémentaire, peu important que par la suite les relations entre les parties se soient, momentanément, apaisées.
La demanderesse ne justifie pas pour autant l’indemnité qu’elle réclame à hauteur de 8.000 €.

Au regard du délai anormalement long de l’attente pour accéder à un juge et voir son litige examiné, le préjudice moral de Mme [R] [V] sera réparé par l’allocation de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes:

L’Agent Judiciaire de l’Etat succombant, sera condamné aux dépens et Maître Océane Goursaud sera autorisée à se prévaloir des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il apparaît équitable qu’il verse également à Mme [R] [V] la somme de 1.500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’exécution provisoire est de droit.

Par ces motifs

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort,

Dit que l’Etat a engagé sa responsabilité à l’égard de Mme [R] [V] en raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Mme [R] [V] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts ;

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Mme [R] [V] la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens qui pourront être recouvrés par Maître Océane GOURSAUD conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit.

Le Greffier, Pour la Présidente empêchée 

Isabelle CEBRONMarie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/02548
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;21.02548 ?
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