La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2024 | FRANCE | N°21/01115

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, 1ère chambre, 16 mai 2024, 21/01115


IC

FC.

LE 16 MAI 2024

Minute n°

N° RG 21/01115 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LAFY




[I] [H]


C/

[P] [D], [V], [B], [T] [G]
S.A.R.L. ST JOSEPH exerçant sous l’enseigne CENTURY 21
[E] [Z]
[S] [N]







Le

copie exécutoire
et
copie certifiée conforme
délivrée à :
- Me Sophine Guillard
- Me Loic Rajalu
- Me Vincent Chupin
- Me Philippe Bardoul


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
-----------------------------------------



PREMIERE CHAMBRE
>
Jugement du SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE



Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur :Florence CROIZE, Vice-présiden...

IC

FC.

LE 16 MAI 2024

Minute n°

N° RG 21/01115 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LAFY

[I] [H]

C/

[P] [D], [V], [B], [T] [G]
S.A.R.L. ST JOSEPH exerçant sous l’enseigne CENTURY 21
[E] [Z]
[S] [N]

Le

copie exécutoire
et
copie certifiée conforme
délivrée à :
- Me Sophine Guillard
- Me Loic Rajalu
- Me Vincent Chupin
- Me Philippe Bardoul

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
-----------------------------------------

PREMIERE CHAMBRE

Jugement du SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président :Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur :Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur :Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,

GREFFIER : Isabelle CEBRON

Débats à l’audience publique du 12 MARS 2024.

Prononcé du jugement fixé au 16 MAI 2024, date indiquée à l’issue des débats.

Jugement Contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe.

---------------

ENTRE :

Madame [I] [H]
née le 17 Mars 1970 à [Localité 10], demeurant [Adresse 5]
Rep/assistant : Me Sophie GUILLARD, avocat au barreau de NANTES

DEMANDERESSE.

D’UNE PART

ET :

Monsieur [P] [D], [V], [B], [T] [G]
né le 16 Février 1975 à [Localité 10], demeurant [Adresse 1]
Rep/assistant : Me Loïc RAJALU, avocat au barreau de NANTES

S.A.R.L. ST JOSEPH exerçant sous l’enseigne CENTURY 21, dont le siège social est sis [Adresse 7]
Rep/assistant : Maître Vincent CHUPIN de la SELARL PUBLI-JURIS, avocats au barreau de NANTES

Maître [E] [Z], demeurant [Adresse 2]
Rep/assistant : Maître Philippe BARDOUL de la SELARL TORRENS AVOCATS, avocats au barreau de NANTES, avocat postulant
Rep/assistant : Maître Thierry CABOT de la SELARL EFFICIA, avocats au barreau de RENNES, avocat plaidant

Maître [S] [N], demeurant [Adresse 3]
Rep/assistant : Maître Philippe BARDOUL de la SELARL TORRENS AVOCATS, avocats au barreau de NANTES, avocat postulant
Rep/assistant : Maître Thierry CABOT de la SELARL EFFICIA, avocats au barreau de RENNES, avocat plaidant

DEFENDEURS.

D’AUTRE PART

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte authentique du 16 mai 2018, dressé par Maître [E] [Z], notaire à [Localité 9] (Loire-Atlantique), avec la participation de Maître [S] [N], notaire à [Localité 11], assistant l’acquéreur, et celle de Maître [C] [M], notaire à [Localité 10], assistant le prêteur, Monsieur [P] [G] a vendu à Madame [I] [H] une maison d’habitation sur la commune de [Localité 8], [Adresse 4], cadastrée section BA, numéro [Cadastre 6], moyennant le prix de 89 500 euros, outre la somme de 5 500 euros due à l’agence Century 21 Saint Joseph, à titre d’honoraires de négociation. Après avoir rappelé qu’aux termes de l’avant contrat du 26 février 2018, le vendeur s’était notamment engagé à revoir l’étanchéité du toit-terrasse, l’acte stipulait que les parties reconnaissaient que les travaux avaient été réalisés dans les règles de l’art, ainsi qu’il résultait des photos annexées. Les déclarations du vendeur selon lesquelles l’immeuble est raccordé au réseau public de collecte destiné à recevoir les eaux usées domestiques étaient également reprises dans l’acte.

Se plaignant de l’apparition dès le 11 juin 2018 d’infiltrations d’eau à l’intérieur de la maison, Mme [H] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes.

Par ordonnance du 7 mars 2019, le juge des référés a ordonné une expertise confiée à Monsieur [A] [K].

Par ordonnance du 27 novembre 2019, la mission a été étendue à l’examen du sol de la maison de Mme [H].

L’expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 7 août 2020.

Sur la base de ce rapport, Mme [H] s’est rapprochée, par lettre officielle du 28 août 2020, des conseils de M. [G], de l’agence immobilière et des deux notaires, afin de trouver une solution amiable.

Par lettre officielle du 21 octobre 2020, le conseil de M. [G] a indiqué que si ce dernier admettait que sa responsabilité puisse être engagée concernant l’étanchéité du toit du garage et était disposé à assumer le coût de la reprise d’étanchéité de la toiture terrasse du garage, il contestait que sa responsabilité puisse être engagée s’agissant de la partie habitation et il rappelait la clause exonératoire des vices cachés contenue dans l’acte authentique de vente.

Par actes des 10 et 12 février 2021, Mme [H] a dès lors assigné devant le tribunal judiciaire de Nantes M. [G], la SARL Century 21 dénommée Saint Joseph, Madame [E] [Z] et Madame [S] [N].

*
**

En l’état de ses dernières conclusions communiquées par la voie électronique le 5 février 2024, Mme [H] sollicite du tribunal, sur le fondement des articles 1104, 1112-1, 1130, 1131, 1137, 1641, 1240 et 1645 du code civil, de voir:
à titre principal,
dire et juger que le comportement de M. [G] et de la société Century 21 Saint Joseph est constitutif d’un dol;dire et juger que le consentement de Mme [H] à l’acte de vente du 16 mai 2017 a été obtenu par dol;annuler en conséquence l’acte authentique de vente du 16 mai 2018 conclu avec M. [G];à titre subsidiaire,

dire et juger que M. [G] et la société Century 21 SARL Saint Joseph se sont rendus coupables d’un dol à  l’occasion de la vente du bien immobilier à  son profit;
ordonner la réduction du prix de vente fixé dans l’acte authentique du 16 mai 2018;condamner en conséquence solidairement M. [G] et la SARL Century 21 Saint Joseph à lui rembourser la somme de 52 186,53 euros, sauf à parfaire, au titre de la réduction du prix de vente;à titre infiniment subsidiaire,
dire et juger que les désordres constatés sont constitutifs de vices cachés connus du vendeur;ordonner la résolution du contrat de vente du 16 mai 2018;condamner M. [G] à la restitution du prix de vente du bien immobilier situé [Adresse 4] au titre de la garantie des vices cachés;en tout état de cause,
constater que Mme [H] a subi un préjudice de jouissance, un préjudice financier, un préjudice moral et d’anxiété;sur le préjudice subi du fait de l’attitude de M. [G],
à titre principal,
dire et juger que M [G] est responsable du préjudice subi par Mme [H] sur le fondement de l’article 1645 du code civil;sur le préjudice subi du fait des manquements de la SARL Saint Joseph,
constater le manquement de la SARL Century 21 Saint Joseph à son obligation d’information et de conseil;dire et juger que la SARL Century 21 Saint Joseph est responsable du préjudice subi par Mme [H] sur le fondement de l’article 1240 du code civil;sur le préjudice subi du fait des manquements des notaires,
constater le manquement de Maîtres [Z]x et [N] à leurs obligations de conseil, d’information et de diligences;dire et juger que Maîtres [Z] et [N] sont responsables du préjudice qu’elle a subi sur le fondement de l’article 1240 du code civil;en conséquence, condamner in solidum M. [G], la SARL Century 21, Maître [U] [Z] et Maître [S] [N] à lui verser 85 000 euros, sauf à parfaire, au titre du préjudice qu’elle a subi, détaillé comme suit:- 25 000 euros au titre de son préjudice de jouissance,
- 30 000 euros au titre de son préjudice financier,
- 30 000 euros au titre de son préjudice moral et d’anxiété,

condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
A titre principal, elle soutient que la maison acquise a présenté immédiatement après son entrée dans les lieux des désordres:
- infiltrations d’eau à l’intérieur de la maison au droit de la jonction entre le garage et la partie habitable, sous le toit monopente constitué d’une couverture tuile ainsi que dans le garage, recouvert, quant à lui, d’un toit-terrasse,
- non conformité du raccordement à l’assainissement collectif en l’absence de tabouret d’assainissement.
Elle assure qu’aucun de ces désordres n’était visible pour un profane au stade de la signature de l’acte authentique, alors que M. [G] ne pouvait les ignorer, soit parce qu’il en est à l’origine, soit parce que les informations lui avaient été communiquées par les locataires. Elle souligne en effet que M. [G] était chargé de revoir l’étanchéité du toit-terrasse, ce qu’il a fait faire par un ami, sans que les travaux soient réalisés dans les règles de l’art, le bien restant impropre à sa destination. Elle fait observer que les contrats de location que M. [G] a conclu, en particulier les états des lieux qui y sont annexés, démontrent que l’humidité dans la partie habitable était supérieure à ce qu’elle devait être, de sorte qu’il ne pouvait ignorer les problèmes d’étanchéité du toit de la maison, à l’origine de la problématique d’humidité du sol. Elle estime enfin qu’il ne pouvait ignorer la non conformité de l’assainissement.
Elle expose que M. [G] lui a sciemment menti et a mis en place des stratagèmes visant à cacher les malfaçons, notamment en décrivant dans l’annonce immobilière le bien en très bon état ou en camouflant les désordres grâce à de la peinture. Elle soutient que le recours à un agent immobilier ne saurait exonérer le vendeur de son obligation de transmettre les informations en sa possession.
Elle assure enfin que si elle avait eu connaissance des désordres qui rendent le bien impropre à sa destination, elle n’aurait pas acquis le bien.

A titre subsidiaire, elle sollicite une réduction du prix de vente à hauteur des travaux à réaliser, suivant les devis qu’elle a produits et qui ont été retenus par l’expert.

A titre infiniment subsidiaire, elle invoque la garantie des vices cachés et assure que le vendeur avait connaissance des désordres.

Elle reproche à l’agence immobilière, tenue à un devoir d’information, de renseignement et de conseil, de ne pas l’avoir alertée sur l’ampleur de la problématique affectant l’étanchéité du toit-terrasse qui rend le bien impropre à sa destination et de ne pas avoir effectué de vérification au stade de la régularisation de l’acte authentique, alors que l’obligation mise à la charge du vendeur dans le compromis était peu contraignante. Alors que les désordres étaient alors visibles, elle en conclut que l’agent immobilier a manqué aux obligations qui lui incombaient, en particulier à son obligation d’information et de conseil, et a contribué à la tromper sur les qualités du bien dont elle faisait l’acquisition.
Elle lui reproche en outre de n’avoir procédé à aucune vérification concernant la partie habitation, notamment de ne pas avoir sollicité les états des lieux avec les locataires ayant occupé le bien.
Elle estime en outre que l’absence de conformité de l’assainissement était visible pour un professionnel de l’immobilier. Elle ajoute qu’un arrêté municipal imposait à l’agent immobilier le contrôle de la conformité des installations.

Elle reproche aux notaires, tenus à un devoir de conseil et d’information et à un devoir de diligence, de s’être contentés des dires du vendeur sur les travaux réalisés concernant l’étanchéité du toit-terrasse, les photographies annexées à l’acte étant insuffisantes pour prouver la résolution du problème signalé dans le compromis de vente. Selon elle, les notaires auraient dû attirer son attention sur une éventuelle difficulté quant à la manière dont les travaux avaient été effectués et ils ne pouvaient indiquer que les travaux avaient été effectués dans les règles de l’art.
Elle note en outre une contradiction dans l’acte authentique s’agissant du rattachement de l’immeuble au réseau public de collecte des eaux usées. Elle souligne que les notaires admettent qu’elles auraient dû contrôler la conformité du raccordement en application de l’arrêté municipal du 8 juillet 2019.

Au titre de ses préjudices, elle invoque un préjudice de jouissance. Elle expose que dès le 11 juin 2018, sa maison acquise le 16 mai 2018 devenait inhabitable, qu’elle a été sans logement jusqu’au 1er juillet 2019, qu’elle a été hébergée du 24 juin 2019 au 2 décembre 2020 par l’association Saint Benoît Labre et que depuis le 1er décembre 2020, elle réside dans un logement d’insertion. Elle précise qu’elle est mère de trois enfants, dont un encore à charge, qu’elle n’a pas été en capacité de l’accueillir dans le cadre d’une résidence alternée et qu’elle a dû le rencontrer principalement au domicile du père de celui-ci.
Elle invoque ensuite un préjudice financier constitué par les intérêts d’emprunt, les frais de dossier, les frais de prise de garantie, les divers droits et taxes liés à l’achat, ainsi que les frais supportés depuis la 11 juin 2018, outre le temps perdu qu’elle n’a pu consacrer à son activité de coiffeuse.
Elle invoque enfin un préjudice moral et d’anxiété, en raison du stress inhérent aux procédures judiciaires qu’elle a été contrainte d’engager. Elle précise suivre une thérapie.

*
**

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par RPVA le 29 janvier 2024, M. [P] [G] demande au tribunal, au visa de l’article 1643 du code civil, de:
- sur la partie habitation de l’immeuble

constater que le rapport d’expertise de M. [K] comporte un mode opératoire de recherche des infiltrations qui ne permet pas de créer les conditions réelles du sinistre invoquées par Mme [H];constater que le mode opératoire choisi par l’expert comporte une modification de l’état des lieux initial (par le retrait total d’un joint d’étanchéité) et crée ainsi une infiltration dont l’ampleur est sans commune mesure avec celle invoquée par Mme [H] lors du sinistre;-sur la partie garage de l’immeuble
constater que l’infiltration relevée par l’expert concerne précisément l’acrotère au droit du ballon d’eau chaude, et non la totalité du toit-terrasse;constater que ce désordre a le caractère d’un désordre apparent évoqué avant la vente, mais dont la cause n’a pas été parfaitement identifiée par l’intermédiaire immobilier chargé de la vente ;-sur l’action en garantie des vices cachés : l’application d’une clause élusive de garantie des vices cachés insérée dans l’acte notarié
constater que M. [G] avait confié la gestion de la location de son bien à l’agence immobilière MPG et qu’il n’a pas participé à l’élaboration des états des lieux d’entrée et sortie des locataires ;constater que M. [G] n’a pas vendu directement son bien, mais il en a confié la vente à l’agence Century 21 Saint Joseph Immobilier qui a procédé à la désignation du bien et son estimation et engagé les pourparlers en vue de la signature d’un compromis de vente ;dire et juger que cette clause doit donc recevoir une parfaite application et Mme [H] sera déboutée de son action en garantie des vices cachés ;- sur l’action en nullité
Constater qu’à aucun moment dans le processus de vente, il n’a pu effectuer des manœuvres dolosives de nature à déterminer le consentement de l’acquéreur ;Dans tous les cas,
Débouter Mme [H] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner Mme [H] à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;Subsidiairement, dans l’hypothèse d’une annulation ou d’une résolution de la venteDébouter Mme [H] de toutes ses demandes au titre des préjudices annexes, dans la mesure où une éventuelle annulation ou résolution de la vente rétroagirait à la date de la vente.
A titre liminaire, il relève que la mesure d’humidité réalisée par l’expert judiciaire le 29 janvier 2020 qui s’est révélée être au-delà des seuils l’a été 1 an ½ après la survenance du sinistre, en plein hiver, alors que la maison n’était pas chauffée. Il estime que les conclusions de l’expert sont erronées, puisqu’elles ne découlent pas de ses propres constatations objectives. Il conteste en outre les modes opératifs choisis par l’expert.

Il s’oppose à la demande d’annulation de la vente conclue le 16 mai 2018, rappelant qu’il a confié la vente à une agence immobilière qui a visité les lieux, estimé le bien et diffusé une annonce. Il en déduit qu’aucune manœuvre dolosive ne peut lui être reprochée.
S’agissant plus particulièrement des désordres affectant le toit terrasse du garage, il rappelle que ce désordre a été signalé dans le compromis de vente et qu’il n’est pas contesté, même par l’expert judiciaire, qu’il a réalisé des travaux. Il assure que la fuite est consécutive à une fissure dans un acrotère située au droit de la descente de gouttière, donc non concernée par les travaux d’étanchéité du toit terrasse.
S’agissant des infiltrations dans la partie habitation, il fait observer que Mme [H] indique que les infiltrations sont apparues à la suite d’un évènement climatique particulier. Il estime que la méthodologie retenue par l’expert judiciaire ne permet pas de valider l’existence d’un dol et d’une impropriété à destination. Il rappelle qu’il avait confié la location de son bien à une agence immobilière. Il relève qu’aucun sinistre n’a été déclaré. Il conteste avoir réalisé des embellissements juste avant la vente litigieuse.
S’agissant de l’absence de conformité de l’assainissement, il souligne qu’il s’agit d’une non-conformité mineure et il assure qu’il n’a pas menti.
Il rappelle enfin que l’acte de vente comporte une clause élusive de garantie des vices cachés et qu’il a fait appel à des mandataires immobiliers successifs.

Il s’oppose également à la demande de réduction du prix de vente, aucun dol de sa part n’étant caractérisé. Il fait valoir qu’il ne peut être condamné à payer des travaux de remise à neuf du bien qui constituerait un enrichissement sans cause pour l’acquéreur.

Il s’oppose en outre aux demandes de dommages-intérêts. Il estime que la maison, une fois les mesures conservatoires effectuées, était habitable, que les frais d’acquisition et intérêts liés au prêt d’acquisition ne peuvent constituer un préjudice, dans la mesure où ils concourent à la constitution d’un patrimoine et qu’il ne peut être déclaré responsable d’un préjudice qui découle de choix procéduraux qu’il juge inappropriés, l’action judiciaire étant en l’espèce périlleuse s’agissant d’un bien ancien sur lequel le vendeur n’offrait aucune garantie.

*
**

Au terme de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 13 février 2024, la SARL Saint Joseph, exerçant sous l’enseigne Century 21, demande au tribunal, au visa des articles 1104, 1130 et suivants, 1641 et suivants, 1240 du code civil, de :
Débouter Mme [H] de l’intégralité de ses demandes, écrits, fins et conclusions qu’elle dirige contre elle ;Condamner Mme [H] à lui régler la somme de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner Mme [H] aux entiers dépens de l’instance qui comprendront les frais d’expertise judiciaire ;Débouter Maître [Z] et Maître [N] des demandes qu’elles dirigent contre elle ;Débouter M. [G] de toutes demandes qu’il pourrait diriger contre elle ;Dans l’hypothèse où le tribunal trouverait matière à entrer en voie de condamnation contre elle, condamner M. [G] à la garantir intégralement et à la relever indemne de l’intégralité des condamnations qui seraient prononcées à son encontre, ceci tant en principal, intérêts, frais qu’accessoires et condamner M. [G] à lui régler la somme de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance qui comprendront les frais d’expertise judiciaire.
Elle soutient qu’elle a vu tous les défauts apparents de l’immeuble, à savoir les infiltrations d’eau dans la partie garage et l’absence d’attestation de conformité de l’assainissement, et qu’elle les a signalés à Mme [H], qui a signé le compromis de vente en toute connaissance de cause. Elle souligne que la suite de la vente a été gérée par les notaires. Elle estime qu’aucun manquement ne peut lui être reproché au titre du désordre relatif aux infiltrations d’eau pluviales dans la partie habitation, ce désordre n’étant pas visible par un professionnel de l’immobilier, ni au titre de l’humidité du sol, également non visible par un professionnel de l’immobilier, selon l’expert judiciaire. Elle fait observer que selon l’expert, les travaux à réaliser pour rendre conforme l’assainissement sont peu importants.
Elle entend rappeler que l’agent immobilier est un professionnel de la vente, et non un professionnel de la construction et que dès lors que l’état apparent de l’immeuble ne révèle aucun désordre potentiel, l’agent immobilier n’a pas à se livrer à une quelconque investigation complémentaire. Elle estime avoir parfaitement rempli sa mission s’agissant de l’étanchéité du toit-terrasse, en avisant Mme [H] et en obligeant le vendeur à prendre l’engagement de réparer ce défaut. Elle rappelle que c’était une autre agence qui avait assuré précédemment la gestion locative du bien, que les pièces de vie de l’habitation venaient d’être repeintes et que l’expert judiciaire lui-même n’a pas relevé de défaut lors de ses constats visuels. Elle en conclut qu’à aucun moment, elle n’a dissimulé de façon dolosive des informations à Mme [H].
Elle conteste par ailleurs tout manquement à son obligation d’information et de conseil, alors qu’elle estime au contraire avoir été particulièrement vigilante, relevant dès le stade des visites et du compromis tous les points susceptibles de poser difficulté qui étaient visibles et en avisant Mme [H]. Elle précise que le texte de l’annonce correspondait à ce qu’elle avait constaté et que selon la délibération de la commune de la Chevrolière, la conformité de l’assainissement doit être vérifiée au jour de l’acte définitif de mutation.

Elle s’oppose également à la demande en garantie formée par les notaires, dès lors qu’elle n’a commis aucun manquement, ni aucune faute.

*
**

Dans leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 février 2022, Maîtres [Z] et [N], notaires, demandent au tribunal :

A titre principal,
Constater qu’elles s’en rapportent à justice quant à la demande de nullité et de réduction de prix ;Débouter Mme [H] de toutes ses demandes, fins et conclusions à leur encontre ;A titre subsidiaire,
Répartir, en cas de condamnation in solidum, la charge de la dette entre les coobligés et dire que l’agence immobilière, la SARL century 21 Saint Joseph, et M. [G] supporteront l’intégralité de la datte ;Condamner l’agence immobilière, la SARL Century 21 Saint Joseph, et M. [G] à les garantir de toutes condamnations pouvant intervenir à leur encontre ;En tout état de cause,
Condamner Mme [H], ou tout autre succombant, à leur verser la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner les mêmes aux dépens ;Dire n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Elles font valoir qu’elles se sont assurées de la réalisation de travaux par la production de photographies, que si des factures avaient existé, elles auraient été annexées à l’acte et que Mme [H] n’ignorait pas l’inexistence de factures. Elles ajoutent qu’il n’existe aucune obligation légale s’agissant du contrôle de la conformité de l’assainissement collectif, qu’il n’est pas démontré que la délibération de la commune de La Chevrollière ait été portée à la connaissance des chambres des notaires et qu’elles pouvaient légitimement ignorer cette délibération. Elles en concluent qu’aucune faute ne peut leur être reprochée.

Sur les préjudices, elles soutiennent que le préjudice de jouissance et le préjudice financier au titre des loyers indemnisent le même préjudice, ce qui est contraire au principe de la réparation intégrale du préjudice. Elles rappellent que l’annulation de la vente entraîne l’anéantissement de plein droit du contrat de prêt accessoire, que les frais liés à la souscription d’un contrat de prêt ne constituent pas un préjudice indemnisable ouvrant droit à réparation, et qu’il a été jugé de même pour les intérêts mis à la charge de l’acquéreur. Elles font observer qu’en cas d’annulation de la vente, les droits d’enregistrement ou la taxe foncière sont restitués par l’administration fiscale. Elles s’opposent au remboursement des frais de bâchage, de débâchage et d’huissier de justice, n’étant pas responsables des désordres affectant la toiture et au paiement des autres frais, qui font double emploi avec la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elles soutiennent enfin qu’aucune preuve d’une souffrance morale n’est rapportée dans ce litige purement patrimonial.

Dans l’hypothèse d’une condamnation solidaire ou in solidum, elles relèvent que l’agence immobilière a négocié la vente et était ainsi mieux à même qu’elles pour apercevoir les désordres affectant la maison, que la vente était parfaite dès le stade du compromis de vente rédigé par l’agence immobilière et qu’elle est à l’origine de la confusion, en omettant de solliciter une attestation de conformité de l’assainissement collectif. Elles soutiennent que le vendeur devra également supporter tout ou partie de la charge de la dette, ayant manqué à son obligation de délivrance en ce qui concerne l’assainissement et ayant connaissance depuis plusieurs années des problèmes récurrents d’infiltrations. Elles rappellent que le notaire ne peut être condamné à garantir la faute intentionnelle du vendeur et que l’indemnité allouée à l’acquéreur au titre de la garantie des vices cachés n’est pas un préjudice indemnisable par le notaire.

*
**

Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties à leurs dernières conclusions susvisées.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 février 2024.


MOTIFS

A titre liminaire, il sera rappelé que les demandes tendant à voir constater ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile. Le tribunal n’est dès lors pas tenu d’y répondre.

Sur le dol

L'article 1137 du code civil énonce que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.

Le dol consiste ainsi en une manoeuvre ou un mensonge, par omission ou par réticence, ayant pour but et pour effet de surprendre le consentement d’une partie, de provoquer chez le cocontractant une erreur qui le détermine à contracter. Il doit émaner du cocontractant ou de son représentant et est constitué d’un élément matériel et d’un élément intentionnel. L'auteur des manoeuvres, du mensonge ou de la réticence doit en effet avoir agi "intentionnellement pour tromper le contractant".

Le dol peut porter sur n’importe quel élément du contrat. Mais le demandeur doit établir qu’il n’aurait pas consenti s’il avait connu la réalité, c’est-à-dire que l’élément concerné était pour lui déterminant, ce qu’il pourra établir librement.

La charge de la preuve du caractère intentionnel du comportement du cocontractant et le caractère déterminant du dol allégué pèse sur la personne qui prétend que son consentement a été vicié. Il doit établir la réalité des agissements qui ont provoqué son erreur.

En l’espèce, l’acte authentique de vente conclu le 16 mai 2018 indique, sous le paragraphe « état du bien » que :
« aux termes de l’avant contrat en date du 26 février 2018 ayant précédé les présentes, il a été stipulé notamment ce qui suit, littéralement rapporté […]
Le vendeur s’engage à revoir l’étanchéité du toit-terrasse.
Les parties aux présentes déclarent et reconnaissant que les travaux sus relatés, stipulés à la charge du Vendeur, ont été réalisés dans les règles de l’Art dès avant la signature des présentes. »

Sous le paragraphe relatif à l’assainissement, il est mentionné à l’acte que « le vendeur déclare :
Que l’immeuble objet des présentes est raccordé au réseau public de collecte destiné à recevoir les eaux usées domestiques ;[…]Ne rencontrer actuellement aucune difficulté particulière avec cette installation, qui fonctionne correctement ;Qu’il n’a pas reçu des services compétents de mise en demeure de mettre l’installation en conformité avec les normes existantes. »
Il ressort de l’expertise judiciaire que :
« le désordre d’infiltration était visible dans la partie garage, relevé par la SARL century 21 Saint Joseph, et qui à sa demande, a fait l’objet d’une intervention de réparation de la part du vendeur » ;« le désordre dans la partie habitation n’était pas visible par l’agent immobilier, ni par Mme [H]. Les travaux de peinture ont été réalisés à la période avant les visites, ce qui n’a pas permis de constater les conséquences de fuite d’eau provenant de la couverture tuile du plafond. Nous pouvons dire qu’au stade de l’avant-contrat, les désordres étaient visibles pour la partie garage pour un profane, mais n’étaient pas visibles pour la partie habitation pour un profane » ; « au stade de l’acte authentique de vente, les désordres n’étaient pas visibles pour la partie garage et pour la partie habitation pour un profane » ;« la couverture en toiture-terrasse du garage n’est pas étanche à l’eau. Nous pouvons dire que l’immeuble est impropre à sa destination » ;« Les travaux de couverture sur la toiture-terrasse ont été réalisés avec des matériaux qui n’assurent pas une bonne étanchéité à l’eau. Nous pouvons dire que c’est un vice de conception et de matériau à la demande du vendeur M. [G] et réalisé par le couvreur ami de M. [G] » ;« la couverture en tuile n’est pas étanche à l’eau et des fuites d’eau sont constatées dans les pièces du salon-séjour cuisine. Nous pouvons dire que l’immeuble est impropre à sa destination » ;« La couverture tuile ne respecte pas les règles de l’art en la matière, à savoir la pente minimum assurée par la charpente pour la nature de la tuile employée. » ;S’agissant de la conformité de l’assainissement collectif, il était indiqué dans le compromis l’absence de contrôle de conformité d’assainissement, le contrôle effectué par Mme [H] le 14 février 2009 révèle sa non-conformité, à savoir l’absence de tabouret de visite d’assainissement et pluvial et l’absence de bonde siphoïde avec un délai de mise en conformité de six mois, « au stade de l’avant-contrat, les désordres étaient visibles pour un profane »  ;« l’attestation de conformité d’assainissement n’est pas produite dans la liste des pièces lors de l’acte authentique. Mme [H] ne connaît pas la liste des pièces obligatoires lors de l’acquisition et lit dans le document que « le vendeur déclare que l’immeuble objet des présentes est raccordé au réseau public de collecte destiné à recevoir les eaux usées domestiques ». Nous pouvons dire qu’au stade de l’acte authentique de vente, les désordres n’étaient pas visibles pour un profane » ;S’agissant de l’humidité dans le sol, « au stade de l’avant-contrat, les désordres n’étaient pas visibles pour un profane » ;« la présence d’humidité importante au-delà des seuils tolérés sans avoir de conséquences néfastes d’habitabilité rend l’immeuble impropre à sa destination » ;« la présence d’humidité est une conséquence des désordres de fuites de couverture tuile et de toiture-terrasse ».
Le contrôle réalisé par la SAUR le 18 février 2019 conclut que le raccordement des installations au réseau public d’assainissement « n’est pas réalisé conformément à la réglementation en vigueur (non conforme) », faute de tabouret d’assainissement et de bonde siphoïde.

L’expert judiciaire indique, en réponse à un dire de l’agence immobilière, qu’il a « pris en compte les trois locations établies par M. [G] avec des présences d’eau et d’humidité indiquées de façon récurrente dans les états des lieux de sortie.
Du 8/02/2014 au 14/11/2014Du 10/01/2015 au 5/08/2016 – M. [Y], locataire, indique dans l’état des lieux de sortie « a refait les peintures (maison très humide)Du 8/08/2016 au 1/12/2016 ».
En effet, l’état des lieux réalisé le 7 février 2014 fait notamment état « d’un spot sans ampoule car humidité », ainsi qu’ « une grosse trace d’humidité au plafond ». L’avenant à l’état des lieux du 12 février 2014 mentionne « des soucis de remontées d’humidité sur tous les murs extérieurs ainsi que la cloison entre la chambre et la salle de bains. Il est nécessaire d’éponger plusieurs fois par jour.
Les locataires demandent à ce que le propriétaire trouve une solution rapidement afin que les meubles ne soient pas dégradés ».

L’état des lieux réalisé le 5 août 2016 indique que le locataire « a refait la peinture (maison très humide) ».

Dans son attestation du 11 juillet 2018, certes non conforme aux exigences de l’article 202 du code de procédure civile, Madame [J] [W] indique être restée six mois seulement dans le bien objet du litige, en raison des « infiltrations d’eau par le plafond et le sol » et l’humidité : « du moisi sur les murs de la chambre ainsi que du salon étaient présentes. De l’eau s’infiltrait également dans les spots de la cuisine au-dessus de l’évier, les aliments pourrissaient. Et en temps de pluies des plats servaient à récupérer l’eau qui coulait du plafond et nous étions dans l’obligation d’éponger les sols. Je précise que M. [G] était parfaitement au courant de la situation puisque nous avions refusé de lui payer son loyer et que plusieurs locataires présents avant nous l’avaient également informés. »

Il peut être relevé, par rapport aux critiques formulées par M. [G] à l’égard de la méthodologie adoptée par l’expert judiciaire, que ce dernier précise, en réponse à un de ses dires, que « les tests d’arrosage ont montré lors d’opération d’expertise, avec une simulation de pluie moins importante et moins longue, que les deux couvertures sont fuyantes. »

L’annonce qui avait été diffusée avant la vente décrivait le bien objet du présent litige comme « une maison de plain-pied T1 bis rénovée, avec garage et cour. […] Très bon état : ouvertures doubles vitrage, couverture tuiles, tout-à-l’égoût. Habitable immédiatement. »

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que le désordre d’humidité affectant la maison d’habitation préexistait à la vente, que M. [G], bien qu’il s’en défende, en avait connaissance, puisque les différents locataires ayant occupé la maison l’avaient signalé, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’agence immobilière MPG Immobilier, ainsi que cela ressort expressément des états des lieux produits, corroborés par l’attestation d’une ancienne locataire et que non seulement, il n’en a pas informé Mme [H] mais qu’il l’a dissimulé, en réalisant des travaux avant la vente. Si M. [G] le conteste désormais dans ses écritures, l’annonce qui a été diffusée en décrivant le bien mis en vente comme une « maison rénovée » suffit à le démontrer.

C’est en vain que M. [G] se défend de toute manœuvre dolosive en arguant de la circonstance qu’il a choisi de confier la vente de son bien immobilier à une agence immobilière, étant souligné qu’il n’a pas fait appel à la même agence que celle à qui il avait confié la location de sa maison et qui avait réalisé les états des lieux faisant état d’humidité conséquente.

La dissimulation des traces d’humidité présente un caractère nécessairement intentionnel, dans le but de favoriser la vente.

L’engagement du vendeur à revoir l’étanchéité du toit-terrasse dans l’avant-contrat, le fait que l’humidité rende la maison impropre à sa destination selon l’expert judiciaire et l’ampleur de l’humidité telle que décrite par les anciens locataires démontrent suffisamment la caractère déterminant de cet élément pour l’acquéreur.

Il s’en suit que M. [G] a commis un dol engageant sa responsabilité au préjudice de Mme [H], en n’informant pas son acquéreur d’un problème d’humidité persistant et de grande ampleur dans la maison et en le dissimulant par la réalisation de travaux avant la vente pour présenter le bien comme « une maison rénovée ».

Sur les conséquences de l’annulation de la vente

Il est constant que la victime du dol dispose d'une option:
- soit solliciter la nullité du contrat, et le cas échéant des dommages-intérêts s'il y a faute ;
- soit maintenir le contrat et solliciter uniquement des dommages-intérêts, la responsabilité du cocontractant fautif étant alors de nature délictuelle.

Le préjudice réparable d’un cocontractant victime d’un dol, qui a fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter à des conditions plus favorables et de ne pas avoir à engager les frais afférents aux travaux à réaliser dans les parties communes.

En l’espèce, Mme [H] sollicite l’annulation de la vente.

Les parties doivent être remises dans l'état qui existait antérieurement à celle-ci.

Le vendeur doit en conséquence restitution du prix de vente. Mme [H] devra, quant à elle, restituer la maison litigieuse.
Du fait de la nullité du contrat de vente, celui-ci est censé ne jamais avoir existé et les parties doivent être remises en l'état où elles se trouvaient avant la vente, chacune des parties devant restituer à l'autre ce qu'elle a reçu en vertu de la vente.
Il s'ensuit que Mme [H] doit restituer à M. [G] le bien vendu.

En cas de dol, la partie contre qui la nullité est prononcée peut être condamnée à des dommages et intérêts en considération d'un préjudice distinct causé à l'autre partie du fait de ses manoeuvres frauduleuses.

Sur le préjudice de jouissance

Mme [H] ne peut invoquer un préjudice de jouissance, dès lors que la vente est annulée rétroactivement, étant précisé que le remboursement des loyers acquittés relève du préjudice financier et non du préjudice de jouissance. Elle ne peut en effet solliciter l’indemnisation de la privation de la jouissance d’un bien dont elle est réputée n’avoir jamais été propriétaire.

Elle sera dès lors déboutée de sa demande de ce chef.

Sur le préjudice financier

Mme [H] démontre avoir acquitté un loyer de 336,55 euros du 24 juin 2019 au 2 décembre 2020, soit 5 721,35 euros, puis un loyer de décembre 2020 à juin 2022 pour un total de 6 740,90 euros et enfin un loyer pour un logement situé à [Localité 11] depuis le 27 juin 2022 pour un montant de 12 298,80 euros, soit un total de 24 761,05 euros.

Elle justifie en outre avoir payé :
Les frais de constat d’huissier pour un montant de 256,79 euros,Les frais de bâchage et débâchage provisoires pour un montant de 694,25 euros,Les honoraires d’assistance d’un architecte pour un montant de 1 760 euros,Les frais de dossier pour un montant de 500 euros (= 455 + 45),Les frais de prise de garantie pour un montant de 858,40 euros (= 781,40 + 77),Les intérêts à hauteur de 17 238,94 euros, les frais d’assurance n’étant pas sollicités.En revanche, ainsi que le font observer Mes [Z] et [N], les frais de mutation seront restitués par l’administration des impôts. En effet, en application de l'article 1961 alinéa 2 du code général des impôts, dans tous les cas où il y a lieu à annulation de la vente, les droits d'enregistrements ou la taxe de publication foncière perçus sur l'acte annulé sont restituables si l'annulation a été prononcée par un jugement ou un arrêt passé en force de chose jugée.
Au total, le préjudice financier subi par Mme [H] s’élève à la somme de 46 069,43 euros.

Sur le préjudice moral

Elle justifie ne pas avoir été en mesure d’accueillir son fils pendant un an, alors qu’une résidence alternée avait été actée.

Elle produit en outre une attestation de Mme [O] [X], qui se présente comme psychopraticienne en thérapies brèves, établie le 7 juin 2022, de laquelle il ressort qu’elle a reçu la requérante « en consultations à son cabinet en 2022 […] dans le cadre d’un état de stress post-traumatique lié à une procédure judiciaire consécutive à l’achat de sa maison ».

Outre l’anxiété liée à toute procédure judiciaire et au temps à y consacrer, Mme [H] a été contrainte de quitter sa maison peu de temps après son acquisition, alors qu’elle pensait pouvoir faire confiance à son vendeur et avoir été conseillée par les deux notaires intervenus à la vente.

Mme [H] justifie ainsi d’un préjudice moral, qui sera indemnisé par l’allocation de la somme de 15 000 euros.

Il s’ensuit que les préjudices subis par Mme [H] s’élèvent à la somme totale de 61 069,43 euros.

Sur la responsabilité de l’agence immobilière

L’agence immobilière est tenue à l'égard des acquéreurs, dans le cadre de la négociation de la vente, d'une obligation d'information et de conseil lui imposant, sous peine d'engager sa responsabilité délictuelle, de les informer des vices et défauts de l'immeuble dont elle avait connaissance.

Il est constant que la SARL Saint Joseph était chargée de la vente de la maison et qu’elle a rédigé l’avant-contrat.

Dans cet acte, il est précisé sous le paragraphe intitulé « assainissement » que :
« Le vendeur déclare que l’immeuble vendu est raccordé au réseau d’assainissement. L’installation d’assainissement n’a fait l’objet d’aucun contrôle de conformité par le service public de l’assainissement. L’acquéreur fera son affaire personnelle de la réalisation des travaux qui pourraient s’avérer nécessaires aux fins d’obtention de la conformité. En toute hypothèse, il est ici précisé que faute d’effectuer les travaux nécessaires à la conformité compte tenu de la législation en vigueur lors du contrôle, la Commune pourra, après mise en demeure, faire procéder d’office, aux frais du propriétaire, auxdits travaux. »

Il est en outre précisé sous le paragraphe intitulé « conditions particulières » que « le vendeur s’engage à revoir l’étanchéité du toit-terrasse ».

Selon l’expert judiciaire, l’agence immobilière « a constaté des désordres dans la partie garage et a demandé au vendeur des réparations sur l’étanchéité de la toiture-terrasse. […] Nous pouvons dire qu’au stade de l’avant-contrat, les désordres dans la partie garage étaient visibles pour un professionnel de l’immobilier mais n’étaient pas visibles dans la partie habitation pour un professionnel de l’immobilier. […] L’attestation de conformité est une pièce obligatoire lors de l’avant-contrat. Nous pouvons dire qu’au stade de l’avant-contrat, le désordre de non-conformité était visible pour un professionnel de l’immobilier. ». Il estime que le désordre relatif à l’humidité dans le sol « n’était pas visible pour un professionnel de l’immobilier » « au stade de l’avant-contrat ».

Il en résulte qu’aucun manquement ne peut être reproché à l’agence immobilière s’agissant du désordre d’humidité affectant la maison d’habitation, puisque ce désordre n’était pas visible du fait des travaux entrepris par le vendeur et qu’elle n’était pas en charge de la location du bien. Professionnelle de l’immobilier mais non professionnelle de la construction, il ne peut lui être fait reproche de ne pas avoir suffisamment mené d’investigations concernant la partie habitation du logement.

C’est également en vain que des reproches sont adressés à l’agence immobilière s’agissant des désordres affectant le garage et l’assainissement, dès lors qu’au contraire, elle a constaté des difficultés concernant le toit-terrasse et l’assainissement et qu’elle a pris soin de faire prendre des engagements au vendeur pour y remédier. Elle ne saurait être responsable de l’absence de vérification de ces deux points dans l’acte authentique, dont elle n’était pas chargée de la rédaction. Contrairement à ce que prétend la requérante, l’engagement pris par le vendeur concernant l’étanchéité du toit-terrasse dans l’avant-contrat apparaît suffisamment contraignant.

Dans ces conditions, aucune manœuvre ou rétention d’information ou manquement à son devoir d’information, de conseil et de vérification de la part de l’agence immobilière n’est caractérisée. Sa vigilance doit au contraire être soulignée.

Sur la responsabilité des notaires

Le notaire est tenu d'apporter aux parties à l'acte qu'il reçoit, en sa qualité d'officier public, les informations et conseils relevant de son champ de compétence, afin que celles-ci puissent bénéficier des effets qu'elles attendent de cet acte, à défaut de quoi il engage envers elles sa responsabilité extra contractuelle.

Il a été repris plus haut les mentions de l’acte authentique de vente, dont la rédaction avait été confiée à Me [Z], avec l’assistance de Me [N].

Selon l’expert judiciaire, « les désordres étaient visibles pour la partie garage pour un professionnel de l’immobilier mais n’étaient pas visibles pour la partie habitation pour un professionnel de l’immobilier. » Il ajoute que « au stade de l’acte authentique, le désordre de non-conformité était visible pour un professionnel de l’immobilier. »

Alors qu’aux termes de l’avant-contrat, repris dans l’acte authentique, il appartenait au vendeur de justifier de la conformité de l’assainissement et de l’étanchéité du toit-terrasse du garage, force est de constater que les deux notaires se sont contentées des déclarations du vendeur et de trois photographies, alors que ces éléments étaient manifestement insuffisants pour s’assurer de la conformité de l’installation d’assainissement et de l’étanchéité du toit-terrasse. Il leur appartenait d’alerter l’acquéreure, profane en la matière, sur l’insuffisance de ces pièces, ce qu’elles ne justifient pas – et ne prétendent d’ailleurs pas - avoir fait.

Ainsi, Mmes [Z] et [N] ont manqué à leur devoir d’information et de conseil. La faute des notaires est donc caractérisée.

Sur la répartition de la charge de la dette

La faute des notaires a concouru avec les manquements des vendeurs aux préjudices de Mme [H], ce qui doit conduire à leur condamnation in solidum avec le vendeur à l'indemniser des préjudices subis.
Mmes [Z] et [N] seront donc condamnée in solidum avec M. [G] à régler à Mme [H] la somme de 61 069,43 euros en réparation des préjudices qu’elle a subis.
Le préjudice découlant d’un manquement au devoir d’information et de conseil s’analyse en une perte de chance de renoncer à l’acquisition projetée, si Mme [H] avait été pleinement informée par le notaire en vertu de son devoir d’information et de conseil.
En l’espèce, cette perte de chance, au regard des déclarations du vendeur et des photographies produites, ainsi que du prix de vente, peut être évaluée à 20%.
Ainsi, compte tenu des fautes respectives commises, il convient de fixer la charge finale des sommes allouées à Mme [H] à hauteur de 80% pour M. [G] et à hauteur de 20% pour les notaires.
Mes [Z] et [N] devront donc garantir M. [G] à hauteur de 20% du montant de la condamnation in solidum prononcée.
En l’absence de faute de l’agence immobilière, la demande de garantie présentée par les notaires à son encontre sera rejetée.

Sur les autres demandes

Succombant principalement, M. [G], Me [Z] et Me [N] seront condamnés aux dépens, qui comprendront les frais d’expertise judiciaire. Ils ne peuvent dès lors prétendre à l’octroi d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît équitable qu’ils prennent en charge les frais que Mme [H] a dû engager pour faire valoir ses droits en justice, évalués à la somme de 5 000 euros.

Il est également équitable que les frais engagés par la SARL Saint Joseph pour se défendre soit pris en charge par l’auteur de son assignation. Mme [H] sera ainsi condamnée à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Il sera par ailleurs rappelé que le présent jugement est exécutoire provisoirement, de droit, au regard de la date d’introduction de l’instance.

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Prononce la nullité de la vente de la maison d’habitation située sur la commune de [Localité 8], [Adresse 4], cadastrée section BA, numéro [Cadastre 6], effectuée par acte authentique du 16 mai 2018, entre Monsieur [P] [G] et Madame [I] [H] pour dol ;

Condamne Monsieur [P] [G] à restituer à Madame [I] [H] la somme de 89.500 euros au titre du prix de vente;

Ordonne à Madame [I] [H], après remboursement de l’intégralité du prix de vente, de restituer l’immeuble en litige à Monsieur [P] [G];

Dit que Maître [E] [Z] et Maître [S] [N] ont manqué à leur devoir d’information et de conseil ;

Condamne in solidum Monsieur [P] [G], Maître [E] [Z] et Maître [S] [N] à payer à Madame [I] [H] la somme totale de 61 069,43 euros en réparation des préjudices subis ;

Condamne in solidum Monsieur [P] [G], Maître [E] [Z] et Maître [S] [N] à payer à madame [I] [H] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamne Maître [E] [Z] et Maître [S] [N] à garantir Monsieur [P] [G] à hauteur de 20% des condamnations prononcées au titre des préjudices;

Rejette la demande de garantie présentée par Maître [E] [Z] et Maître [S] [N] à l’égard de la SARL Saint Joseph ;

Condamne Madame [I] [H] à verser la somme de 2 000 euros à la SARL Saint Joseph au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes présentées par Monsieur [P] [G], d’une part, et Maître [E] [Z] et Maître [S] [N], d’autre part, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum Monsieur [P] [G], Maître [E] [Z] et Maître [S] [N] aux dépens ;

Rappelle l’exécution provisoire de droit du présent jugement.

Le Greffier, Pour la Présidente empêchée 

Isabelle CEBRONMarie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01115
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;21.01115 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award