TRIBUNAL JUDICIAIRE
de MEAUX
Pôle Social
Date : 02 septembre 2024
Affaire :N° RG 22/00685 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC4LE
N° de minute : 24/00519
RECOURS N° :
Le
Notification :
Le
A
1 CCC aux parties
1 CCCà Me RIGAL
JUGEMENT RENDU LE DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
PARTIES EN CAUSE
DEMANDERESSE
Société [4]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Non comparante, non représentée, ayant pour conseil Maître Gabriel RIGAL, avocat au barreau de LYON
DEFENDERESSE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’ISERE
[Adresse 1]
[Localité 2]
Non comparante, non représentée
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DE L’AUDIENCE
Présidente : Madame Murielle PITON, Juge
Assesseur : Madame Cristina CARRONDO, Assesseur Pôle social
Assesseur : Monsieur Didier AOUIZERATE, Assesseur pôle social
Greffier : Madame Emilie NO-NEY lors des débats, et Madame Diara DIEME, adjointe administrative faisant fonction de greffier, lors du délibéré
DÉBATS
A l'audience publique du 10 juin 2024.
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EXPOSE DU LITIGE
Le 08 mars 2022, Monsieur [C] [D], salarié de la société [4], a été victime d'un accident.
Selon la déclaration d'accident du travail rédigée le jour même par l'employeur, l'accident serait survenu dans les circonstances suivantes :
" Activité de la victime lors de l'accident : Après avoir interpelé des managers, selon la vidéo, le salarié, agité, aurait écrit des messages sur son téléphone.
Nature de l'accident : Puis il aurait retiré sa veste et aurait escaladé sur un bungalow, se mettant à crier et agiter un cutter.
Objet dont le contact a blessé la victime Fort heureusement, trois collègues ont réussi à le convaincre de descendre sans qu'il se blesse. "
Le certificat médical initial, daté du 09 mars 2022, constatait : " harcèlement par un collègue de travail, agitation anxiété dépression avis psychologue après service d'urgence ".
Par un courrier daté du 18 mars 2022, la société [4] a transmis ses réserves sur le caractère professionnel de l'accident, à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère (ci-après, la Caisse).
Par courrier du 1er juin 2022, la Caisse a notifié à la société [4] la prise en charge de l'accident survenu le 08 mars 2022 au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par courrier daté du 28 juillet 2022, la société [4] a contesté cette décision devant la Commission de recours amiable.
Puis, par courrier recommandé expédié le 28 novembre 2022, la société [4] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Meaux en contestation de la décision implicite de rejet de la Commission de recours amiable.
L'affaire a été appelée à l'audience du 13 mars 2023 et renvoyée à celle du 04 septembre 2023, puis à celle du 08 janvier 2024 et enfin à celle du 10 juin 2024.
La société [4] avait sollicité une dispense de comparution et la Caisse, dûment convoquée, était absente.
Au terme de sa requête aux fins de saisine valant conclusions, la société [4] demande au tribunal de :
- Déclarer son recours recevable et bien fondé en toutes ses demandes, fins et prétentions ;
Y faisant droit,
- Constater que l'instruction de la demande de reconnaissance en accident du travail de Monsieur [C] [D] n'a été ni contradictoire, ni loyale et effective ;
- Constater que la Caisse ne rapporte pas la preuve que Monsieur [C] [D] a été victime d'un accident du travail,
En conséquence,
- Déclarer inopposables à la société [4] la décision du 1er juin 2022 de la Caisse de prise en charge de l'accident du 8 mars 2022 de Monsieur [C] [D], de même que toutes les conséquences financières y afférentes ;
En tout état de cause,
- Débouter la Caisse de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner la Caisse aux dépens.
En défense, la Caisse ne formule aucune observation.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'affaire a été mise en délibéré au 23 septembre 2024, avancé au 02 septembre 2024, date du présent jugement.
MOTIFS DE LA DECISION
L'article 472 du code de procédure civile dispose que : Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.
Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Régulièrement informée de la date de l'audience par bulletin de renvoi valant convocation, daté du 09 janvier 2024 et réceptionné le 12 janvier 2024, la Caisse n'était ni présente ni représentée à l'audience et n'a pas fait connaître le motif légitime de son absence.
Il sera statué par décision réputée contradictoire en application des dispositions de l'article 473 du code de procédure civile.
Sur le moyen tiré de l'irrespect du principe du contradictoire :
Aux termes de l'article R.441-8 du code de la sécurité sociale, " I.-Lorsque la caisse engage des investigations, elle dispose d'un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident.
Dans ce cas, la caisse adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident à l'employeur ainsi qu'à la victime ou ses représentants, dans le délai de trente jours francs mentionné à l'article R. 441-7 et par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Ce questionnaire est retourné dans un délai de vingt jours francs à compter de sa date de réception. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire. En cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable.
La caisse informe la victime ou ses représentants ainsi que l'employeur de la date d'expiration du délai prévu au premier alinéa lors de l'envoi du questionnaire ou, le cas échéant, lors de l'ouverture de l'enquête.
II.-A l'issue de ses investigations et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial, la caisse met le dossier mentionné à l'article R. 441-14 à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu'à celle de l'employeur. Ceux-ci disposent d'un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l'employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d'observations.
La caisse informe la victime ou ses représentants et l'employeur des dates d'ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation. "
En application de l'article R.441-14 du même code, ledit dossier constitué par la caisse primaire comprend :
1°) la déclaration d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;
2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;
3°) les constats faits par la caisse primaire ;
4°) les informations communiquées à la caisse par la victime ou ses représentants ainsi que par l'employeur ;
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ou, le cas échéant, tout autre organisme.
Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire.
Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation (2e civ., 6 mai 2024, n°22-22.413) qu'il incombe à la Caisse, afin d'assurer une complète information de l'employeur, dans le respect du secret médical dû à la victime, de présenter à la consultation de l'employeur les éléments recueillis, susceptibles de lui faire grief, sur la base desquels se prononce la Caisse pour la reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie ou d'un accident.
En l'espèce, la société [4] fait valoir que la Caisse a manqué à son obligation d'information et au respect du principe du contradictoire, en ne lui transmettant pas l'intégralité des pièces du dossier et, notamment, son courrier de réserves émises quant aux circonstances de l'accident, ainsi que l'ensemble des certificats médicaux de prolongation.
Il résulte toutefois de la jurisprudence précitée que l'obligation d'information à laquelle est tenue la Caisse ne porte que sur les éléments susceptibles de faire grief à l'employeur. Aussi, la sanction de l'inobservation d'une telle obligation d'information est subordonnée à l'existence d'un grief pour l'employeur.
Or, il ne saurait être soutenu que les certificats médicaux de prolongation, délivrés à la suite du certificat médical initial, feraient grief à l'employeur dans sa contestation de la prise en charge de l'accident du travail, dès lors que ces certificats médicaux de prolongation ne portent pas sur le lien entre la lésion et l'activité professionnelle du salarié.
Il en est de même du courrier de réserves quant aux circonstances de l'accident, lequel ne fait pas grief à l'employeur dès lors qu'il en est l'émetteur.
Par conséquent, il y a lieu d'écarter ce moyen, lequel ne saurait être accueilli.
Sur la contestation de la prise en charge de l'accident :
Aux termes de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale, " est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise. "
Il en résulte qu'une présomption d'imputabilité s'applique pour les accidents survenus au temps et sur le lieu de travail. Il est constant que cette présomption s'étend aux soins et arrêts de travail prescrits pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète soit la consolidation de l'état de la victime.
Une lésion externe ou interne qui se produit par le fait ou à l'occasion du travail, doit être présumée comme résultant de cet accident, étant précisé que la présomption d'imputabilité couvre non seulement les lésions survenues au temps du travail mais également les lésions différées ou les symptômes apparus ultérieurement lorsqu'ils peuvent être rattachés à l'accident soit parce qu'ils sont apparus dans un temps voisin soit parce qu'il y a eu continuité des soins depuis l'accident de travail.
Pour que la présomption d'imputabilité au travail puisse s'appliquer, la victime doit au préalable établir la réalité du fait accidentel ainsi que sa survenance au temps et au lieu du travail. Cette preuve peut être établie par tout moyen ou résulter de présomptions graves, précises et concordantes notamment lorsque les déclarations du salarié sont corroborées par des éléments objectifs et vérifiables, par la teneur des documents médicaux produits ou par les déclarations de témoins.
Les seules déclarations du salarié sur l'accident qu'il a subi sont, en principe, insuffisantes pour établir le caractère professionnel de l'accident. Il lui appartient d'établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel.
Il convient de rappeler que trois critères cumulatifs sont requis pour qualifier un accident en tant qu'accident du travail :
- un événement précis et soudain, survenu à une date certaine,
- une lésion corporelle ou psychique provoquée par cet événement,
- un fait lié au travail.
En l'espèce, la contestation ne porte pas sur l'existence d'une lésion mais sur les circonstances de sa survenue.
La société [4] soutient qu'il appartient à la Caisse d'apporter la preuve de la matérialité de l'accident et qu'à défaut d'une telle preuve d'un fait accidentel et de la constatation d'une lésion caractérisée et concordante, brutalement apparue ce jour-là, la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels lui est inopposable.
Il ressort des pièces versées aux débats qu'une déclaration d'accident de travail a été rédigée le 08 mars 2022 concernant Monsieur [C] [D]. Il y est indiqué que l'accident avait eu lieu le même jour à 14 heures 15 et que les horaires de travail de la victime ce jour-là étaient de 13 heures 15 à 21 heures. L'accident s'étant produit en temps et au lieu de travail, la présomption d'imputabilité au travail trouve donc à s'appliquer.
Ladite déclaration fait état d'un accident qui serait survenu dans les circonstances suivantes : " Après avoir interpelé des managers, selon la vidéo, le salarié, agité, aurait écrit des messages sur son téléphone.
Puis il aurait retiré sa veste et aurait escaladé sur un bungalow, se mettant à crier et agiter un cutter.
Fort heureusement, trois collègues ont réussi à le convaincre de descendre sans qu'il se blesse. "
Sur cette dernière, il est en outre mentionné que :
- l'accident a été connu par l'employeur le jour même,
- il a été inscrit sur le registre des accidents bénins de l'infirmerie,
- le nom de la première personne avisée ou du témoin est inscrit,
- la victime a été transportée à l'hôpital.
Dans son courrier de réserves du 18 mars 2022, la société se contente d'alléguer l'existence de crises d'angoisses qui constitueraient un état pathologique antérieur, que la Caisse aurait auparavant refusé de prendre en charge, sans toutefois en rapporter la preuve.
En outre, la société [4] relève que le certificat médical initial est daté du lendemain de l'accident et qu'il n'est pas rédigé par le médecin urgentiste de l'hôpital mais par un médecin généraliste, lequel constate : " harcèlement par un collègue de travail, agitation anxiété dépression avis psychologue après service d'urgence ".
Si, comme le relève l'employeur, les allégations de harcèlement évoquées sur le certificat médical initial ne sauraient s'assimiler à un événement brusque et soudain, mais davantage à une situation latente et persistante, force est cependant de constater que le Docteur [Y] [X], rédacteur dudit certificat médical, constate une " agitation anxiété ", se référant à l'avis du psychologue ayant échangé avec l'assuré, lors de son passage aux urgences. Or, de telles lésions médicalement constatées sont compatibles avec la notion de fait brusque et soudain, la jurisprudence retenant les lésions d'ordre psychique comme pouvant être à l'origine de la prise en charge d'un accident à caractère professionnel.
Aussi, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, lesquels constituent un faisceau d'indices suffisamment graves, précis et concordants permettant d'établir la matérialité de l'accident dont Monsieur [C] [D] a été victime le 08 mars 2022, il n'y pas lieu de renverser la présomption d'imputabilité au travail.
Par suite, la société [4] sera déboutée de sa demande.
Sur les dépens :
Succombant à l'instance, la société [4] sera condamnée aux éventuels dépens exposés, sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort,
DÉBOUTE la société [4] de toutes ses demandes ;
DIT la décision de prise en charge de l'accident dont Monsieur [C] [D] a été victime le 08 mars 2022 au titre de la législation sur les risques professionnels est opposable à la société [4] ;
CONDAMNE la société [4] aux entiers dépens ;
RAPPELLE que ce jugement est susceptible d'appel dans le délai d'un mois à compter de sa notification aux parties ;
Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 2 septembre 2024, et signé par la présidente et la greffière.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
Diara DIEME Murielle PITON