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06/06/2024 | FRANCE | N°23/00509

France | France, Tribunal judiciaire de Meaux, 1ère ch. - sect. 2, 06 juin 2024, 23/00509


- N° RG 23/00509 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC5EO
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE





Minute n°24/557
N° RG 23/00509 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC5EO



Date de l'ordonnance de
clôture : 12 février 2024


le

CCC : dossier

FE :
-Me VAUTIER
-Me NEGREVERGNE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DU SIX JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE


PARTIES EN CAUSE


DEMANDEURS

Monsieur [D] [R] [H] [U]
Madame [P] [V]
[Adresse 2]
représentés par Maître Emmanuel

VAUTIER de la SELARL EVAVOCAT, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant

DEFENDERESSES

S.C.P. [M] [Y] ET CLAIRE VIGNER-GRAELING
[Adresse 6]
[Localité 10]
S.C.P. ARNAUD ...

- N° RG 23/00509 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC5EO
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE

Minute n°24/557
N° RG 23/00509 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC5EO

Date de l'ordonnance de
clôture : 12 février 2024

le

CCC : dossier

FE :
-Me VAUTIER
-Me NEGREVERGNE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DU SIX JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE

PARTIES EN CAUSE

DEMANDEURS

Monsieur [D] [R] [H] [U]
Madame [P] [V]
[Adresse 2]
représentés par Maître Emmanuel VAUTIER de la SELARL EVAVOCAT, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant

DEFENDERESSES

S.C.P. [M] [Y] ET CLAIRE VIGNER-GRAELING
[Adresse 6]
[Localité 10]
S.C.P. ARNAUD THIERRY SMAGGHE, [I] [L] ET CLEMENTINE SMAGGHE-ALPHONSE
[Adresse 9]
représentées par Maître Jean-charles NEGREVERGNE de la SELAS NEGREVERGNE-FONTAINE-DESENLIS, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors du délibéré :
Président : M. BOURDEAU, Juge
Assesseurs: Mme VISBECQ, Juge
Mme BASCIAK, Juge

Greffiers lors du délibéré : Mme CAMARO

Jugement rédigé par : Mme VISBECQ, Juge

DEBATS

A l'audience publique du 02 Mai 2024, tenue en rapporteur à deux juges : M.BOURDEAU et Mme VISBECQ assistés de Mme CAMARO, Greffière; le tribunal a, en application de l'article 786 du Code de Procédure Civile, examiné l’affaire les avocats des parties ne s’y étant pas opposés.
Le juge chargé du rapport en a rendu compte au Tribunal dans son délibéré pour le prononcé du jugement à l'audience de mise à disposition du 06 Juin 2024.

JUGEMENT

contradictoire, mis à disposition du public par le greffe le jour du délibéré, M. BOURDEAU, Président, ayant signé la minute avec Mme CAMARO, Greffière ;
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS

Par acte reçu le 11 mars 2021 par Maître [M] [Y], notaire associé à [Localité 10] (77) avec la participation de Maître [I] [L], notaire à [Localité 11] (77), Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] ont acquis de Monsieur [Z] [U] la pleine propriété à hauteur de la moitié chacun de trois biens immobiliers situés [Adresse 12] (77) cadastrés Section C n°[Cadastre 1], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 3], [Cadastre 5] et [Cadastre 4] au prix de 159 008 euros.

L’acte précise que l’ensemble des immeubles se situe en zone A du PLU.

Après avoir entamé divers travaux d’aménagement sur la parcelle cadastrée section C n° [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5], Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] ont reçu un courrier de la Mairie en date du 18 janvier 2022 les informant de restrictions concernant les parcelles en zone humide et leur rappelant que leur parcelle est située en zone agricole et que toute autre activité est soumise à autorisation.

Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] ont fait réaliser une étude afin de savoir dans quelle zone la parcelle litigieuse se situe. Sur les 31 sondages et 4 fosses effectués les 14 et 24 février 2022, 24 sondages et la totalité des fosses ont mis en évidence la présence d’une zone humide avérée pédologiquement.

Estimant que cette classification remet en cause les aménagements prévus sur la parcelle, Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] ont sollicité les observations des notaires sur l’absence d’information relative à cette zone humide dans l’acte de vente.

Faute de solution amiable, Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] ont assigné le 25 janvier 2023 la SCP [M] [Y] et Claire VIGNER-GRAELING et la SCP ARNAUD THIERRY SMAGGHE [I] [L] ET CLEMENTINE SMAGGHE-ALPHONSE devant le tribunal judiciaire de Meaux aux fins d’indemnisation de leurs préjudices.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 septembre 2023, Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] demandent, au visa de l’article 1240 du code civil, au tribunal de :
— juger que le notaire instrumentaire a commis une faute et a failli à son devoir de prudence et de conseil en omettant de mentionner dans son acte le classement en zone humide des parcelles faisant l’objet de la vente,
— juger que cette faute leur a causé des préjudices,
Par conséquent,
— condamner solidairement la SCP [M] [Y] et Claire VIGNER-GRAELING et la SCP ARNAUD THIERRY SMAGGHE, [I] [L] ET CLEMENTINE SMAGGHE-ALPHONSE au paiement de :
• la somme de 15 000 euros au titre de la perte de chance,
• la somme de 16 449 euros au titre des frais engagés pour la réalisation de l’étude de délimitation de la zone humide et de la réalisation du projet à présent à la DDT,
• la somme de 80 000 euros au titre des travaux d’ores et déjà entamés,
• la somme de 25 000 euros au titre des travaux de remise en état à prévoir,
• la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
— condamner solidairement la SCP [M] [Y] et Claire VIGNER-GRAELING et la SCP ARNAUD THIERRY SMAGGHE, [I] [L] ET CLEMENTINE SMAGGHE-ALPHONSE au paiement de la somme de 7500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner solidairement la SCP [M] [Y] et Claire VIGNER-GRAELING et la SCP ARNAUD THIERRY SMAGGHE, [I] [L] ET CLEMENTINE SMAGGHE-ALPHONSE aux entiers dépens.
À l’appui de leur demande de paiement au titre de la responsabilité civile, Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] indiquent que, dans le cadre de sa mission de rédacteur d’acte, le notaire est tenu des fautes qu’il commet sur le fondement de l’article 1240 du code civil dès lors qu’elles ont causé un dommage. Ils soutiennent que le notaire a l’obligation de vérifier la situation des biens au regard de la législation sur l’urbanisme et d’informer ses clients sur les conséquences que peuvent avoir les règles d’urbanisme sur le projet immobilier. Ils ajoutent que le notaire doit procéder à une analyse fine des documents nécessaires à l’opération afin d’assurer la conformité des faits et du droit ainsi que la sécurité juridique et la pleine efficacité de l’acte qu’il dresse. Ils indiquent que les certificats d’urbanisme annexés à l’acte de vente ne font pas état de ce que les biens se situent en zone humide et considèrent dès lors que le notaire aurait dû vérifier l’inventaire des zones humides et des cours d’eau de la commune. Ils affirment avoir informé le notaire de leur projet de travaux et que celui-ci ne modifie pas la classification de leurs parcelles, le hangar mis à la disposition du transporteur se situant sur l’autre parcelle.

Ils précisent subir divers préjudices du fait de l’absence d’information sur le classement des biens acquis en zone humide. Ils indiquent d’abord avoir perdu la chance de ne pas avoir acheté les biens immobiliers. Ils évoquent ensuite les frais qu’ils ont dû assumer : frais d’étude de délimitation de zone humide, travaux réalisés, projet à présenter à la DDT et frais de remise en état. Ils ajoutent avoir perdu la chance d’acquérir les biens à une valeur moindre. Ils font valoir ensuite la baisse de la valeur des biens. Ils exposent enfin subir un préjudice moral en ce qu’ils sont régulièrement sollicités par la Mairie pour cesser leurs activités et remettre en état le terrain, qu’ils se sont engagés à assumer l’entretien du terrain conformément à son classement en zone humide, qu’ils ont dû intenter un recours administratif et envisagent d’autres procédures. Ils déclarent que la situation est stressante et contraignante pour eux.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 octobre 2023, la SCP [M] [Y] et Claire VIGNER-GRAELING et la SCP ARNAUD THIERRY SMAGGHE, [I] [L] ET CLEMENTINE SMAGGHE-ALPHONSE demandent, au visa de l’article 1240 du code civil, au tribunal de :
— débouter Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] de leurs demandes, fins et conclusions,
— condamner Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] à leur payer la somme de 4000 euros chacune au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] aux dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Charles NEGREVERGNE, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Pour s’opposer à la mise en œuvre de leur responsabilité civile, les notaires rappellent qu’une promesse de vente a été signée le 24 novembre 2020 avec leur concours, que l’usage des biens a été spécifié comme rural, que le bénéficiaire a indiqué entendre conserver cet usage et ne pas envisager d’opérations de modifications du bien qui nécessiteraient soit un arrêté de non opposition à déclaration préalable de travaux, soit un permis de construire et dont l’obtention préalable à la vente serait pour lui constitutive d’une condition suspensive. Ils ajoutent que les certificats d’urbanisme ont été annexés à la promesse de vente. Ils font valoir que ces mentions et documents ont été repris lors de la vente le 11 mars 2021, soit près de quatre mois plus tard. Ils font remarquer que le bien appartenait à Monsieur [Z] [U] et que les acquéreurs résident dans la commune, de sorte qu’ils connaissent parfaitement les biens acquis. Ils affirment en outre qu’il ne leur a jamais été précisé que des travaux d’aménagement étaient prévus. Ils ajoutent que le classement en zone humide n’est pas établi, l’étude produite n’étant pas contradictoire, que la Mairie a seulement informé les demandeurs que les zones humides étaient soumises à restrictions et leur rappelait la destination agricole des lieux. Ils soulignent que les aménagements intérieurs ne posent pas difficulté mais que l’extraction de terre végétale, le comblement avec du tout-venant provenant de chantiers et la mise à dispositions de hangars à un transporteur routier pour y remiser ses camions transforme la zone agricole en zone artisanale et est donc soumise à autorisation.

Concernant les préjudices, ils rappellent que les biens concernés par le projet d’aménagement ont été acquis au prix de 17 688 euros et que la demande s’analyse en une réduction de prix qui ne peut consister en un préjudice réparable par un notaire.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures susvisées des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 février 2024.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 2 mai 2024 et mise en délibéré au 6 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité des notaires :

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il résulte de ce texte que la mise en œuvre de la responsabilité civile suppose la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice.

En l’espèce, Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] indiquent que la parcelle qu’ils ont acquise se situe en zone humide et que dès lors ils ne peuvent réaliser les aménagements qu’ils avaient prévus.

Les notaires opposent que les pièces produites ne peuvent suffire à établir le classement de la parcelle en zone humide et qu’ils n’avaient pas connaissance de ce projet.

Il est constant que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande d’une des parties et que celle-ci doit être corroborée par d’autres éléments.

L’étude de délimitation de zone humide a été réalisée à la demande de la société Terac et Loc TP. chargée d’aménager les parcelles cadastrées C n°[Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] d’une surface d’environ 3,35 ha sur la commune de [Localité 13] appartenant à Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V]. Il en résulte que la majorité des sondages et la totalité des fosses réalisés ont mis en évidence la présence de caractères hydromorphes et que la zone humide est avérée sur une emprise de 25 980 mètres carrés.

La carte imprimée à partir du site http://carto.geo-ide.application.developpement-durable.gouv.fr recensant les zones humides avérées et potentielles en Île-de-France situe la parcelle objet de l’étude essentiellement en zone humide de classe B (zone humide probable).

En outre, si le Maire de [Localité 13] ne précise pas dans son courrier adressé le 18 janvier 2022 que la parcelle se situe en zone humide, il indique à Monsieur [D] [U] et la société Terac et Loc TP qu’il a été contacté par les services de la DDT Police de l’eau et de l’environnement qui lui a adressé une plaquette d’information et de restrictions concernant les zones humides et que celle-ci est consultable en mairie.

Il résulte de ces pièces que la parcelle acquise par Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] se situe essentiellement en zone humide.

Toutefois, faute pour eux de préciser les aménagements qu’ils souhaitaient réaliser et de justifier de l’impossibilité d’y parvenir compte tenu du classement en zone humide, ils ne démontrent pas l’existence d’un préjudice certain en lien direct avec l’existence d’une zone humide.

En conséquence, ils seront déboutés de leur demande sans qu’il soit nécessaire de statuer sur l’existence d’une faute de la part des notaires.

Sur les mesures de fin de jugement :

En application des dispositions de l’article 514 du code de procédure civile, la présente décision est exécutoire par provision.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V], parties qui succombent, aux dépens ainsi qu’au paiement à la SCP [M] [Y] et Claire VIGNER-GRAELING et à la SCP ARNAUD THIERRY SMAGGHE, [I] [L] ET CLEMENTINE SMAGGHE-ALPHONSE d’une somme de 1500 euros chacune au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] seront déboutés de leur demande au titre des dépens et des frais irrépétibles.

Il convient d’accorder à Maître Jean-Charles NEGREVERGNE le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort,

Déboute Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] de leur demande en paiement au titre de la responsabilité civile ;

Condamne Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] aux dépens ;

Accorde à Maître Jean-Charles NEGREVERGNE le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] à payer à la SCP [M] [Y] et Claire VIGNER-GRAELING la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] à payer à la SCP ARNAUD THIERRY SMAGGHE, [I] [L] ET CLEMENTINE SMAGGHE-ALPHONSE la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Monsieur [D] [U] et Madame [P] [V] de leurs demandes au titre des dépens et des frais irrépétibles.

LA GREFFIERELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Meaux
Formation : 1ère ch. - sect. 2
Numéro d'arrêt : 23/00509
Date de la décision : 06/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-06;23.00509 ?
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