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06/06/2024 | FRANCE | N°22/04972

France | France, Tribunal judiciaire de Meaux, 1ère ch. - sect. 3, 06 juin 2024, 22/04972


- N° RG 22/04972 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CCZCV
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE

Date de l'ordonnance de
clôture : 19 février 2024

Minute n°24/555
N° RG 22/04972 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CCZCV






Le

CCC : dossier

FE :
-Me KACI
-Me BINATE
-Me VAUTIER



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


JUGEMENT DU SIX JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE



PARTIES EN CAUSE

DEMANDERESSE

S.A.S. HLN GROUP
[Adresse 1]
représentée par Me Lyes KACI, avocat au ba

rreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDERESSES

S.A.R.L. EVOLIS
[Adresse 2]
représentée par Maître Lynda BINATÉ de , avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

S.C.I. CM INVES...

- N° RG 22/04972 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CCZCV
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE

Date de l'ordonnance de
clôture : 19 février 2024

Minute n°24/555
N° RG 22/04972 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CCZCV

Le

CCC : dossier

FE :
-Me KACI
-Me BINATE
-Me VAUTIER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DU SIX JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE

PARTIES EN CAUSE

DEMANDERESSE

S.A.S. HLN GROUP
[Adresse 1]
représentée par Me Lyes KACI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDERESSES

S.A.R.L. EVOLIS
[Adresse 2]
représentée par Maître Lynda BINATÉ de , avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

S.C.I. CM INVESTISSEMENT
[Adresse 1]
représentée par Maître Emmanuel VAUTIER de la SELARL EVAVOCAT, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats et du délibéré :
Présidente : Mme RETOURNE, Juge
Assesseurs: Mme GRAFF, Juge
M. ETIENNE, Juge

Jugement rédigé par : Mme GRAFF, Juge

DEBATS

A l'audience publique du 04 Avril 2024 en présence de Mme [T] auditrice de justice, qui a été autorisée à participer au délibéré avec voix consultative.

GREFFIERE

Lors des débats et du délibéré : Mme CAMARO, Greffière

JUGEMENT

contradictoire, mis à disposition du public par le greffe le jour du délibéré, Mme RETOURNE, Présidente, ayant signé la minute avec Mme CAMARO, Greffière ;

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 14 septembre 2021, effectif à compter du 15 septembre 2021 pour se terminer le 14 septembre 2029, la SCI CM INVESTISSEMENT a donné à bail commercial à la société HLN GROUP des locaux situés [Adresse 1], moyennant un loyer annuel de 24.000 euros, hors charges et hors taxes, pour y exercer une activité de préparation culinaire avec cuisson, sans consommation sur place, et uniquement en livraison.

Ce bail a été conclu avec le concours de la société GROUPE JLV, exerçant sous le nom commercial EVOLIS (ci-après la société EVOLIS) en vertu d'un mandat exclusif de recherche de locataire en date du 21 juin 2021.

Des loyers étant demeurés impayés, la SCI CM INVESTISSEMENT a, par acte d'huissier du 25 mars 2022, fait signifier à la société HLN GROUP un commandement de payer visant la clause résolutoire du contrat de bail pour une somme en principal de 10.183,33 euros.

Par arrêté en date du 18 juillet 2022, la municipalité de [Localité 3] s'est opposée à la demande de changement de destination sollicitée par la société HLN GROUP.

Par ordonnance du 28 septembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux a dit n’y avoir lieu à référé en ce qu’il n’a pas le pouvoir de prononcer la nullité pour dol ou la résiliation d’un bail.

C'est dans ces conditions que, par acte de commissaire de justice du 25 octobre 2022, la société HLN GROUP a assigné la SCI CM INVESTISSEMENT aux fins d'annulation du bail et de condamnation au paiement de diverses sommes.

Par acte de commissaire de justice du 23 décembre 2022, la SCI CM INVESTISSEMENT a assigné en intervention forcée la société EVOLIS.

Par ordonnance du 17 avril 2023, le juge de la mise en état a joint les deux affaires.

Aux termes de ses dernières conclusions (notifiées par RPVA le 17 décembre 2023), la société HLN GROUP sollicite du tribunal de :

« DECLARER recevable et bien fondée la société HLN en toutes ses demandes, fins et conclusions; tenant compte notamment :

du manquement du bailleur à son obligation de délivrance ;
de la mauvaise foi, déloyauté et réticence dolosive du bailleur ;

En conséquence,

PRONONCER :

la nullité du contrat pour dol ; à défaut ;

la résolution rétroactive du contrat de bail aux torts exclusifs du bailleur ; à défaut ;

la nullité du contrat pour absence de contrepartie ou contrepartie illusoire ;

Par suite,

CONDAMNER le bailleur à payer au preneur :

la somme de 18.067 euros au titre du remboursement des factures correspondant à une partie des travaux réalisés, à titre provisoire, et DESIGNER un expert en charge d'évaluer l'accroissement réel de la valeur du bien à la suite des travaux réalisés par le preneur afin de condamner le bailleur à payer la somme ainsi expertisée ;

la somme de 6.000 euros au titre du remboursement du dépôt de garantie ;

la somme de 4.320 euros au titre du remboursement de la commission payée à l'agent immobilier ;

la somme de 60.000 euros au titre des dommages et intérêt réparant la perte de chance d'exploiter le local conformément aux dispositions contractuelles ;

la somme de 7000 euros au titre des dépens et frais irrépétibles.

ASSORTIR son jugement de l'exécution provisoire ;

PRENDRE toute mesure conservatoire de nature à assurer le recouvrement des sommes dues à la société HLN ;

DEBOUTER la SCI CM INVESTISSEMENT de toutes ses demandes, fins et conclusions. »

Sur le fondement des articles 1104 et 1137 du code civil, la société HLN GROUP soutient que la SCI CM INVESTISSEMENT avait connaissance des restrictions d'urbanisme empêchant l’exploitation du commerce et lui a sciemment dissimulé aux fins de conclusions du bail. Au visa de l’article 1169 du même code, la société HLN GROUP fait valoir que faute d’exploitation du commerce, le bail a été conclu sans contrepartie. Elle considère également que la SCI CM INVESTISSEMENT a manqué à son obligation de délivrance conforme prévue à l’article 1719 du code civil dès lors que l’activité prévue au bail n’était pas compatible avec les règles d’urbanisme du secteur.

Aux termes de ses dernières conclusions (conclusions n°2 notifiées par RPVA le 18 avril 2023), la SCI CM INVESTISSEMENT sollicite du tribunal de :

« DIRE ET JUGER la SAS HLN GROUP mal fondée en ses demandes ;

En conséquence,

REJETTER toutes les demandes de la société HLN GROUP ;

JUGER que le bailleur n'a pas manqué à son obligation de délivrance ;

JUGER que le bailleur n'a pas fait preuve de mauvaise foi, ou de réticence dolosive, en conséquence ;

DEBOUTER la société HLN GROUP de toutes ses demandes de condamnation pécuniaire à l'égard de la SCI CM INVESTISSEMENT ;

Si par Extraordinaire le Tribunal devait condamner la SCI CM INVESTISSEMENT ;

CONSTATER le manquement de la société EVOLIS à son obligation de conseil et d'information à l'égard de la société CM INVESTISSEMENT ;

En conséquence,

CONDAMNER la société EVOLIS, mandataire en gestion immobilière, à garantir la société CM INVESTISSEMENT de toute condamnation pécuniaire prononcée à son encontre ;

Sur les demandes de la société CM INVESTISSEMENT ;

CONSTATER l'acquisition de la clause résolutoire du bail ;

ORDONNER l'expulsion de la SAS HLN GROUP et de tous occupants de son chef des lieux loués et situés [Adresse 1] et ce avec l'assistance du Commissaire de Police ou à défaut d'une des personnes prévues à l'article 21 de la loi du n°91-650 du 9 juillet 1991 et d'un serrurier si besoin est ;

ORDONNER la séquestration, aux frais de la SAS HLN GROUP, à ses risques et périls, des meubles laissés dans les lieux loués, pour sûreté des loyers échus et des charges locatives ;

En cas de maintien dans les lieux après l'acquisition de la clause résolutoire,

CONDAMNER la SAS HLN GROUP à payer à la SCI CM INVESTISSEMENT, une indemnité d'occupation égale au montant loyer actualisé en cours, augmentée de la TVA, des taxes diverses et charges jusqu'à la libération effective des lieux ;

A titre principal,

CONDAMNER la SAS HLN GROUP à payer à la SCI CM INVESTISSEMENT la somme de 45.600 euros au titre des loyers et indemnité d'occupation suivant décompte en date du ler avril 2023, avec intérêt au taux légal à compter du 25 mars 2022 pour la somme de 10.183,33 euros et de la date de l'assignation pour la somme de 15.400 euros et de la date des présentes écritures pour le surplus ;

CONDAMNER la SAS HLN GROUP à payer à la SCI CM INVESTISSEMENT la somme de 3.083,33 euros au titre des provisions pour charges savoir la taxe foncière dues sur 2021, 2022 et 2023 ;

A titre subsidiaire,

CONDAMNER la SAS HLN GROUP à payer à la SCI CM INVESTISSEMENT la somme de 25.583,33 euros, suivant décompter en date du 25 septembre 2022 avec intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2022 pour la somme de 10.183,33 euros et de la date de la présente assignation pour le surplus ;

En tout état de cause

CONDAMNER la SAS HLN GROUP au paiement de la somme de 1.788,33euros euros à titre de dommages et intérêts ;

DIRE que le dépôt de garantie restera acquis au bailleur à titre de clause pénale ;

CONDAMNER la SAS HLN GROUP au paiement de la somme de 19.588,87 euros au titre de la facture d'électricité du local situé [Adresse 1] ;

CONDAMNER la SAS HLN GROUP à payer à la SCI CM INVESTISSEMENT la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la SAS HLN GROUP aux entiers dépens. »

Sur le fondement de l'article 1134 du code civil, la SCI CM INVESTISSEMENT conteste toute manœuvre dolosive en ce qu’elle ignorait, au moment de la signature du bail, que le local ne pouvait être utilisé pour la destination contractuellement prévue. Elle conteste tout manquement à son obligation de délivrance conforme en ce qu'il appartenait, selon elle, à la société HLN GROUP de se renseigner en amont sur la faisabilité de son projet, notamment au regard des règles de l’urbanisme et que le bail mettait à la charge du preneur l’obtention des éventuelles autorisations administratives. Elle conteste les sommes sollicitées par la société HLN GROUP en ce qu'elle ne démontre pas que l'ensemble des frais dont elle fait état ont été mis en œuvre pour l'amélioration des locaux.

Au visa des articles 1999 et 2000 du code civil, la SCI CM INVESTISSEMENT fait valoir que la société EVOLIS, en sa qualité d’agent immobilier, a manqué à son obligation de conseil et d'information en ne l'alertant pas sur la possibilité d'une incompatibilité entre l'activité de la société HLN GROUP et les règles d'urbanisme applicables.

Aux termes de ses dernières conclusions (notifiées par RPVA le 12 octobre 2023), EVOLIS sollicite du tribunal de :

« A tire principal,

Juger que la société GROUPE JLV exerçant sous le nom commercial EVOLIS n'a commis aucune faute à l'égard de la SCI CM INVESTISSEMENT ;
A titre subsidiaire,

Juger que la SCI CM INVESTISSEMENT s'étant rendue coupable de dol, elle ne peut solliciter la garantie de la société GROUP JLV exerçant sous le nom commercial EVOLIS ;
En conséquence,

Débouter la SCI CM INVESTISSEMENT de son appel en garantie à l'encontre de la société GROUPE JLV exerçant sous le nom commercial EVOLIS ;
A titre infiniment subsidiaire,

Juger que le préjudice invoqué par la société HLN GROUP n'est pas établi ni dans son principe, ni dans son quantum,
En tout état de cause,

Condamner la SCI CM INVESTISSEMENT à payer à la société GROUPE JLV exerçant sous le nom commercial EVOLIS la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la SCI CM INVESTISSEMENT aux entiers dépens. »
La société EVOLIS conteste tout manquement à ses obligations contractuelles faisant valoir que la SCI CM INVESTISSEMENT ne l'avait pas informée d'une éventuelle difficulté en lien avec les règles d'urbanisme et qu'interrogée sur la possibilité d'exercer l'activité envisagée par la société HLN group, la SCI CM INVESTISSEMENT avait répondu par l'affirmative.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

Par ordonnance du 19 février 2024, le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a renvoyé l'affaire à l'audience collégiale du 4 avril 2024 pour y être plaidée et mise en délibéré au 6 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il est rappelé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de « dire et juger », « dire » et « juger » qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile,
mais uniquement la reprise des moyens développés dans le corps des conclusions, et qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.

I – Sur les demandes de la société HLN GROUP

Sur la nullité du bail commercial pour dol

Selon l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L’article 1130 du même code énonce que l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ; leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

L’article 1137 précise que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges ; constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

La charge de la preuve des manœuvres dolosives incombe à celui qui les invoque.

En l’espèce, le bail commercial conclu le 14 septembre 2021 prévoit en son article 4 « Activités autorisées » que « le Preneur ne pourra utiliser les lieux loués que pour les activités de : Préparation culinaire avec cuisson, sans consommation sur place, et uniquement en livraison » et en son article 5 3°) « Conditions d’exploitation » que « Les locaux sont à usage commercial » et que « Le Preneur fera son affaire personnelle de toutes autres autorisations administratives requises au titre de son activité et du paiement de toutes sommes, redevances, taxes et droits relatifs aux autorisations de voirie (enseigne…), de toutes installations ou équipements spécifiques dont les locaux ne seraient pas à ce jour dotés et nécessitant l’obtention d’un avis favorable d’une autorité administrative, commission de sécurité, etc. »

Il ressort des pièces versées aux débats que la municipalité de [Localité 3] a adressé un courrier à la SCI CM INVESTISSEMENT le 9 février 2022 faisant suite à leur rencontre la veille relativement aux travaux effectués sans autorisation par la société HLN GROUP.

Dans ce courrier, la mairie précise que « les règles d’urbanisme ne permettent pas d’y accueillir une activité qui génèrerait des nuisances auprès du voisinage ».

Elle s’adresse à la SCI CM INVESTISSEMENT en ces termes :
« Ces contraintes vous ont été maintes fois rappelées lors de vos différents échanges avec mes services et lors de notre précédente rencontre sur site du 4 octobre 2018.
Or, force est de constater que vous avez malgré tout loué votre local à une entreprise sans vous assurez de la compatibilité de l’activité exercée avec le secteur ».

Il en résulte que la SCI CM INVESTISSEMENT avait connaissance, depuis 2018, de restrictions quant à la compatibilité des activités susceptibles d’être exercées sur le secteur en lien avec le risque de nuisances.

Si la SCI CM INVESTISSEMENT affirme qu’elle n’a aucune connaissance en matière d’urbanisme et ne savait pas que l’activité envisagée par son locataire contrevenait au plan local d’urbanisme, elle ne conteste pas ne pas avoir donné cette information.

Par ailleurs, il est produit un échange de SMS en date du 22 juillet 2021 entre Monsieur [J], gérant de la SCI CM INVESTISSEMENT, et la société EVOLIS, agence immobilière en charge de la recherche d’un preneur, en ces termes :

« Bonjour Monsieur [J],
Un client a un projet de faire un labo de cuisine et s’est renseigné concernant vos locaux à [Localité 3].
Est-ce possible ?
Bien à vous
[K] [Y]
Société Evolis »

Puis,

« Bonjour monsieur [Y]
C’EST POSSIBLE
CORDIALEMENT MR [J] ».

Il s’en déduit qu’informée par l’agence immobilière bien en amont de la signature du bail de la nature du projet de société HLN GROUP, la SCI CM INVESTISSEMENT a néanmoins poursuivi l’opération, sans informer quiconque des restrictions dont elle avait connaissance.

Or de telles restrictions étant susceptibles d’avoir un effet sur l’exercice de l’activité de restauration rapide de la société HLN GROUP, avec recours à des plateformes de livraison, tel que mentionné au bail et impliquant des allers et venues de véhicules de livraison sur les jours et horaires ouvrables de l’entreprise, il s’agit d’un élément essentiel du bail commercial.

Il est donc établi que la SCI CM INVESTISSEMENT a volontairement dissimulé à la société HLN GROUP, à la conclusion du bail, une information susceptible d'avoir un effet sur son consentement.

Il en résulte que la réticence dolosive commise par la SCI CM INVESTISSEMENT a été déterminante du consentement de la société HLN GROUP qui n'aurait pas conclu le bail si elle avait eu connaissance de cette information.

En conséquence, il y a lieu de prononcer la nullité du bail commercial conclu le 14 septembre 2021 entre la SCI CM INVESTISSEMENT et la société HLN GROUP concernant les locaux situés [Adresse 1].

Sur les conséquences de la nullité du bail

En application de l’article 1178 du code civil, un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d'un commun accord.
Le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé.
Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.
Indépendamment de l'annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle.

Le prononcé de la nullité replace donc les parties dans l'état où elles se trouvaient lors de la conclusion du contrat.

***

La société HLN GROUP est donc bien fondée à solliciter le remboursement du montant du dépôt de garantie de 6.000 euros prévue à l’article 8 du bail commercial qu'elle a versé lors de son entrée dans les lieux.

En conséquence, la SCI CM INVESTISSEMENT sera condamnée à régler à la société HLN GROUP la somme de 6.000 euros au titre du remboursement du dépôt de garantie.

***

De même, la société HLN GROUP est bien fondée à solliciter le remboursement de la commission réglée à la société EVOLIS d’un montant de 4.320 euros, justifiée par facture en date du 29 juillet 2021.

En conséquence, la SCI CM INVESTISSEMENT sera condamnée à régler à la société HLN GROUP la somme de 4.320 euros au titre du remboursement de la commission régler à la société EVOLIS.

***

S’agissant de la demande de remboursement des factures correspondant à une partie des travaux réalisés, la société HLN GROUP sollicite la somme de 18.067 euros ainsi que la désignation d’un expert afin d’évaluer l’accroissement réel de la valeur du bien à la suite de ces travaux. Elle soutient avoir entrepris de gros travaux de rénovation consistant en la mise en place d’installations électriques et sanitaires, d’une VMC, la création d’un circuit d’évacuation des eaux usées, la création d’un circuit d’extraction et d’échappement des fumées, l’installation d’un ballon d’eau chaude, la réhabilitation et le rééquilibrage des sols, plafonds et murs. Elle affirme que l’état des lieux d’entrée fait mention de l’état déplorable du bien et produit des photographies avant/après témoignant, selon elle, des travaux réalisés.

La SCI CM INVESTISSEMENT s’oppose à cette demande au motif que la société HLN GROUP ne démontre pas que l’ensemble des frais dont elle fait état ont été mis en œuvre pour l’amélioration du bien loué.

Il ressort de l’état des lieux établi le 15 septembre 2021 que les portes, menuiseries sont décrites en « mauvais état », le plafond, le sol et les murs entre « état moyen » et « mauvais état » avec les précisions suivantes : « La cour est en état d’usage. Des fissures sont présentes sur l’ensemble de la surface (voir photos) » et qu’il n’est aucunement précisé l’état de l’électricité, du gaz naturel et des caractéristiques énergétiques, ces items supportant la mention « à compléter ultérieurement ».

Pour justifier des frais engagés, la société HLN GROUP produit des copies de devis et factures au nom de la SAS MELTEX dont il n’est établi aucun lien avec la requérante, des copies de factures au nom de [E], représentant de la société suivant le bail commercial, des copies de tickets de caisse de diverses enseignes (BRICOMAN, CASTORAMA, ACTION, LIDL, CARREFOUR, LEROY MERLIN, CARTER-CASH, FETE SENSATION, BRICO DEPOT, ALICE DELICE, GIFI) sans indication de son payeur et dont certaines sont illisibles, des copies de tickets de carte bancaire de diverses enseignes (SMILE AND PAY, ACE HOTEL MITRY) et des factures de carburant et de péage.

Par ailleurs, les quelques factures produites au nom de la société HLN GROUP ont été photocopiées surmontées du ticket de carte bancaire de sorte qu’elles ne sont pas exploitables.

De plus, les photographies produites, non datées, ne permettent pas d’apprécier l’ampleur des travaux tels que décrits par la société HLN GROUP.

Aussi, la société HLN GROUP ne démontre pas que les documents produits justifient des dépenses engagées pour les travaux qu’elle dit avoir réalisés dans le local loué ni d’un éventuel accroissement de la valeur du bien, étant relevé qu’elle a bénéficié, suivant l’article 6 du bail commercial, d’une franchise de loyer de 3 mois en contrepartie de la réalisation de travaux et qu’il n’est produit aucune annexe au bail précisant la nature des travaux convenus.

Il en résulte que l’utilité d’une expertise judiciaire visant à évaluer l’accroissement de la valeur du bien n’est pas démontrée, étant rappelé qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve, conformément aux dispositions de l’article 146 du code de procédure civile.

Au regard de ces éléments, la société HLN GROUP sera déboutée de sa demande de condamnation de la SCI CM INVESTISSEMENT au paiement de la somme de 18.067 euros au titre du remboursement des factures correspondant à une partie des travaux réalisés et de désignation d’un expert aux fins d’évaluation de l’accroissement réel de la valeur du bien à la suite des travaux réalisés.

***

S’agissant de la demande de dommages-intérêts réparant la perte de chance d’exploiter le local commercial conformément à sa destination contractuelle, il sera rappelé que cela suppose que soit rapportée la preuve du préjudice allégué.

La société HLN GROUP évalue cette perte de chance à hauteur de 60.000 euros correspondant, selon elle, à au moins ¼ du chiffre d’affaires moyen annuel constaté dans le secteur de la restauration en livraison.

Elle produit à l’appui de sa demande un lien vers une page internet du site « gerersonrestaurant.fr » selon lequel « ceux [les services de livraison à domicile] offrant des plats haut de gamme sont en mesure de se faire 475.200 euros pendant une année d’activité. En ce qui concerne les autres catégories, moyenne et basse, leur chiffre d’affaires annuel avoisine 316.800 euros et 198.000 euros au cours d’un exercice comptable ».

Sur la base de ces seuls éléments, non référencés, non datés, purement déclaratifs et non individualisés à la situation de la société HLN GROUP, sa demande sera rejetée.

***

Enfin, la société HLN GROUP ne précise pas la nature des mesures conservatoires sollicitées afin d’assurer le recouvrement des sommes qui lui sont dues de sorte qu’elle sera déboutée de sa demande.

II – Sur les demandes de la SCI CM INVESTISSEMENT

Sur les conséquences de la nullité du bail

La nullité du bail commercial ayant été prononcée, la SCI CM INVESTISSEMENT sera déboutée de sa demande de résiliation ainsi que de ses demandes subséquentes d’expulsion et de séquestration des biens de la société HLN GROUP.

Par ailleurs, l’article 1719 du code civil énonce notamment que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée.

Il ressort des précédents développements que la SCI CM INVESTISSEMENT a donné à bail un local sans avoir préalablement avisé le preneur que des restrictions administratives dont elle avait connaissance, interdisait l’activité commerciale convenue.

Il en résulte que la société HLN GROUP n’a pu exploiter les locaux loués conformément à leur destination contractuelle. Elle n’est donc pas redevable du paiement des loyers, indemnités d’occupation et charges sollicitées de sorte que la SCI CM INVESTISSEMENT sera également déboutée à ce titre.

De même, la SCI CM INVESTISSEMENT ne peut se prévaloir de l’application de la clause pénale prévue à l’article 16 2°) du bail sur le fondement de laquelle elle sollicite la somme de 1.788,33 euros. Sa demande sera donc rejetée.

Sur la facture d’électricité

Selon l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

La SCI CM INVESTISSEMENT sollicite la somme de 19.588,87 euros correspondant, selon elle, à la facture d’électricité du local loué.

Or cette facture n’est pas produite.

La société HLN GROUP conteste cette demande et produit un document qu’elle présente comme étant ladite facture, au nom de Total Energies, d’un montant de 19.588,87 euros et à l’ordre de CM INVESTISSEMENT, [Adresse 1].

Il en ressort que la période concernée s’étend du 5 mai 2021 au 5 février 2022 alors que la prise d’effet du bail est au 15 septembre 2021.

Au regard de ces éléments et, en l’absence de précisions quant aux sommes susceptibles d’être imputées à la société HLN GROUP à compter de la prise du bail, la SCI CM INVESTISSEMENT sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur l’appel en garantie contre la société EVOLIS

En application de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L'article 1991 du code civil dispose que le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution et l'article 1992 du même code précise que le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.

Il est de principe que pèse sur l'agent immobilier, en vertu de son mandat, une obligation d'information et de conseil qui comporte l'obligation pour lui de délivrer loyalement toutes les informations en sa possession mais aussi qu'il se renseigne lui-même sur tous les points d'une certaine importance et ce, afin d'attirer l'attention de son mandant sur les avantages et risques de l'opération envisagée et de lui indiquer les choix les plus opportuns en fonction des objectifs qu'il poursuit.

En application de l'article 1353 du code civil, c’est à celui qui est contractuellement tenu d’une obligation particulière d'information ou de conseil de rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation. En ce cas, il appartient à l'agent immobilier de démontrer avoir accompli toutes les diligences attendues.

La SCI CM INVESTISSEMENT sollicite la garantie de la société EVOLIS au motif que celle-ci a manqué à son obligation d’information et de conseil.

La société EVOLIS conteste tout manquement. Elle affirme que la SCI CM INVESTISSEMENT lui avait affirmé qu’il s’agissait de locaux d’activité et qu’elle l’a tenue dans l’ignorance du risque d’incompatibilité des activités du preneur et les dispositions d’urbanisme.

En l'espèce, il est constant que la SCI CM INVESTISSEMENT et la société EVOLIS ont conclu un mandat exclusif de recherche de locataire le 21 juin 2021 s’agissant des locaux situés [Adresse 1].

En son article 2 « Destination et usage des Locaux », le mandat prévoit que « Le mandant déclare expressément que la destination des Locaux est Locaux d’activité » et l’article 7 « Déclarations du mandant » précise que celui-ci déclare « qu’il n’a omis aucune information susceptible d’être utile à l’utilisateur » et « qu’il n’a pas connaissance de vice(s) caché(s) ou de tout élément pouvant rendre l’immeuble impropre à sa destination ».

Il se déduit des précédents développements et de ce qui précède que la SCI CM INVESTISSEMENT, mandant auteur du dol, ne peut reprocher à la société EVOLIS, mandataire, d'avoir manqué, à son égard, à l'obligation de conseil à laquelle elle est tenue dès lors qu’elle n’a pas communiqué les informations en sa possession concernant le local objet du mandat, lesquelles auraient été utiles à l’agent immobilier dans sa prospection et sa sélection de preneurs potentiels.

En conséquence, la SCI CM INVESTISSEMENT sera déboutée de son appel en garantie à l’encontre de la société EVOLIS.

III – Sur les dispositions de fin de jugement

Sur les dépens

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, SCI CM INVESTISSEMENT, succombant, sera condamnée aux dépens.

Sur les frais irrépétibles

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

En l’espèce, la SCI CM INVESTISSEMENT sera condamnée à payer à la société HLN GROUP la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

De même, la SCI CM INVESTISSEMENT sera condamnée à payer à la société EVOLIS la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En revanche, la SCI CM INVESTISSEMENT sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

Selon les articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi n'en dispose autrement ou que le juge écarte l'exécution provisoire de droit s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire.

En conséquence, l'exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe,

PRONONCE la nullité du bail commercial conclu le 14 septembre 2021 entre la SCI CM INVESTISSEMENT et la société HLN GROUP concernant les locaux situés [Adresse 1] ;

CONDAMNE la SCI CM INVESTISSEMENT à régler à la société HLN GROUP la somme de 6.000 euros au titre du remboursement du dépôt de garantie ;

DEBOUTE la SCI CM INVESTISSEMENT de sa demande de conservation du dépôt de garantie à titre de clause pénale ;

CONDAMNE la SCI CM INVESTISSEMENT à régler à la société HLN GROUP la somme de 4.320 euros au titre du remboursement de la commission réglée à la société GROUPE JLV exerçant sous le nom commercial EVOLIS ;

DEBOUTE la société HLN GROUP de sa demande de condamnation de la SCI CM INVESTISSEMENT au paiement de la somme de 18.067 euros au titre du remboursement des factures correspondant à une partie des travaux réalisés et de désignation d’un expert aux fins d’évaluation de l’accroissement réel de la valeur du bien à la suite des travaux réalisés ;

DEBOUTE la société HLN GROUP de sa demande de condamnation de la SCI CM INVESTISSEMENT au paiement de la somme de 60.000 euros au titre de sa demande de dommages-intérêts réparant la perte de chance d’exploiter le local commercial conformément aux dispositions contractuelles ;

DEBOUTE la société HLN GROUP de sa demande de prendre toute mesure conservatoire de nature à assurer le recouvrement des sommes qui lui sont dues ;

DEBOUTE la SCI CM INVESTISSEMENT de sa demande de résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire ainsi que de ses demandes subséquentes d’expulsion et de séquestration des biens de la société HLN GROUP ;

DEBOUTE la SCI CM INVESTISSEMENT de sa demande de condamnation de la société HLN GROUP au paiement de la somme de 45.600 euros au titre des loyers et indemnités d’occupation et de sa demande subsidiaire de paiement de la somme de 25.583,33 euros ;

DEBOUTE la SCI CM INVESTISSEMENT de sa demande de condamnation de la société HLN GROUP au paiement de la somme de 3.083,33 euros au titre des provisions pour charges ;

DEBOUTE la SCI CM INVESTISSEMENT de sa demande de condamnation de la société HLN GROUP au paiement de la somme de 1.788,33 euros à titre de dommages et intérêts ;

DEBOUTE la SCI CM INVESTISSEMENT de sa demande de condamnation de la société HLN GROUP au paiement de la somme de 19.588,87 euros au titre de la facture d’électricité du local loué ;

DEBOUTE la SCI CM INVESTISSEMENT de son appel en garantie à l’encontre de la société GROUPE JLV, exerçant sous le nom commercial EVOLIS ;

CONDAMNE la SCI CM INVESTISSEMENT aux dépens ;

CONDAMNE la SCI CM INVESTISSEMENT à payer à la société HLN GROUP la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCI CM INVESTISSEMENT à payer à la société GROUPE JLV exerçant sous le nom commercial EVOLIS la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la SCI CM INVESTISSEMENT de sa demande de condamnation de la société HLN GROUP au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.

LA GREFFIERELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Meaux
Formation : 1ère ch. - sect. 3
Numéro d'arrêt : 22/04972
Date de la décision : 06/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-06;22.04972 ?
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