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06/06/2024 | FRANCE | N°22/00060

France | France, Tribunal judiciaire de Meaux, 1ère ch. - sect. 2, 06 juin 2024, 22/00060


- N° RG 22/00060 - N° Portalis DB2Y-W-B7F-CCO7D
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE





Minute n°24/556
N° RG 22/00060 - N° Portalis DB2Y-W-B7F-CCO7D



Date de l'ordonnance de
clôture : 12 février 2024


le

CCC : dossier

FE :
-Me MONEYRON
-Me GAVAUDAN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DU SIX JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE


PARTIES EN CAUSE


DEMANDEUR

Monsieur [G] [L]
[Adresse 8]
représenté par Maître Thierry MONEYRON de la SCP MONEYRON-LEV

EILLARD, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant

DEFENDERESSE

Société D’AMÉNAGEMENT FONCIER ET ETABLISSEMENT RURAL (SAFER) ILE DE FRANCE
[Adresse 3]
représentée pa...

- N° RG 22/00060 - N° Portalis DB2Y-W-B7F-CCO7D
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE

Minute n°24/556
N° RG 22/00060 - N° Portalis DB2Y-W-B7F-CCO7D

Date de l'ordonnance de
clôture : 12 février 2024

le

CCC : dossier

FE :
-Me MONEYRON
-Me GAVAUDAN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DU SIX JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE

PARTIES EN CAUSE

DEMANDEUR

Monsieur [G] [L]
[Adresse 8]
représenté par Maître Thierry MONEYRON de la SCP MONEYRON-LEVEILLARD, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant

DEFENDERESSE

Société D’AMÉNAGEMENT FONCIER ET ETABLISSEMENT RURAL (SAFER) ILE DE FRANCE
[Adresse 3]
représentée par Maître Edouard GAVAUDAN de la SELARL GAVAUDAN, avocats au barreau de MEAUX, avocats postulant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors du délibéré :
Président : M. BOURDEAU, Juge
Assesseurs: Mme VISBECQ, Juge
Assesseurs: Mme BASCIAK, Juge

Greffière lors du délibéré : Mme CAMARO

Jugement rédigé par : Mme VISBECQ, Juge

DEBATS

A l'audience publique du 02 Mai 2024, tenue en rapporteur à deux juges : M.BOURDEAU et Mme VISBECQ assistés de Mme CAMARO, Greffière; le tribunal a, en application de l'article 786 du Code de Procédure Civile, examiné l’affaire les avocats des parties ne s’y étant pas opposés.
Le juge chargé du rapport en a rendu compte au Tribunal dans son délibéré pour le prononcé du jugement à l'audience de mise à disposition du 06 Juin 2024.

JUGEMENT

contradictoire, mis à disposition du public par le greffe le jour du délibéré, M. BOURDEAU, Président, ayant signé la minute avec Mme CAMARO, Greffière ;

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS

Monsieur [G] [L] est propriétaire de la parcelle cadastrée ZI n°[Cadastre 1], lieu-dit Carrouge sur la commune de [Localité 6] (77 410).

Madame [W] [T] est propriétaire de la parcelle cadastrée B n°[Cadastre 2] à [Localité 11] (60 560).

Monsieur [G] [L] et Madame [W] [T] ont eu pour projet de procéder à l’échange de leurs parcelles.

Par décision du 22 juillet 2021, la SAFER Île-de-France a indiqué au notaire et à Madame [W] [T] qu’elle entendait préempter la parcelle cadastrée ZI n° [Cadastre 1], appartenant à Monsieur [G] [L], pour une somme de 8000 euros.

Par acte délivré le 17 décembre 2021, Monsieur [G] [L] a assigné la SAFER devant le tribunal judiciaire de Meaux aux fins d’annulation de la décision de préemption.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2023, Monsieur [G] [L] demande, au visa des articles L.143-1 et suivants, R.143-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, au tribunal de :
— prononcer la nullité de la décision de la SAFER Île-de-France de préempter la parcelle cadastrée ZA n°[Cadastre 1] sur la commune de [Localité 6],
— condamner la SAFER Île-de-France à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— débouter la SAFER Île-de-France de ses prétentions ;
— condamner la SAFER Île-de-France aux entiers dépens.

Au soutien de sa demande de nullité, Monsieur [G] [L] expose, au visa de l’article R.143-6 du code rural et de la pêche maritime, que la décision de préemption n’a pas été signée par le président du conseil d’administration mais par Monsieur [A] [D], directeur général délégué, sans l’accord de tous les commissaires de gouvernement et que la décision n’a pas été notifiée à l’acquéreur évincé en raison d’une erreur dans l’adresse (« allée » au lieu d’« avenue »).

Il ajoute, au visa des articles L.143-1, L143-4 et L124-1 du code rural et de la pêche maritime, que l’acte envisagé n’est pas un acte à titre onéreux pour lequel le droit de préemption est prévu mais un échange de parcelles agricoles en vue de leur exploitation qui relèvent des immeubles ruraux et ne peuvent faire l’objet d’une préemption. Il précise que la valeur indiquée par le notaire n’avait pour but que de vérifier l’absence de déséquilibre financier de l’opération.

Il expose enfin, au visa de l’article L143-3 du code rural et de la pêche maritime, que la décision ne comporte pas de motivation précise et en lien avec la valorisation des terres soumises à l’échange mais uniquement des termes généraux de mission de protection de l’environnement confiée au législateur. En outre, il fait valoir que les informations concernant l’éventuel bénéficiaire de la préemption ne sont pas suffisantes pour permettre son identification. Il ajoute que le fait que le terrain se trouve inclus dans un vaste espace agricole ne peut suffire à motiver l’objectif tendant à faciliter le regroupement parcellaire.

Pour s’opposer à la demande relative à la fraude, il indique que la SAFER ne rapporte pas la preuve de ce que les parties à l’échange ne sont pas exploitantes agricoles et que les terrains ne sont pas de valeur, de taille et de consistance équivalentes. Il fait valoir qu’il n’a pas à justifier de l’intérêt que lui procure l’échange envisagé. Il rappelle que les parcelles sont classées N aux termes du PLU et constituent ainsi des terres agricoles et non des terrains vagues.

Il demande de rejeter les demandes de dommages et intérêts, faute pour la SAFER de justifier d’un abus dans l’exercice de son droit d’agir en justice et d’un préjudice.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 janvier 2024, la SAFER d’Île-de-France demande au tribunal de :
Vu les articles L.141-1 et suivants, L.143-2 et L.143-4 du code rural et de la pêche maritime,
— débouter Monsieur [G] [L] de l’ensemble de ses demandes comme n’étant pas fondées,
Vu les articles L.143-8 à L.412-12 et R.143-4 du code rural et de la pêche maritime, 1589 alinéa 1er et 1240 du code civil et le Décret n°2017-95 du 26 janvier 2017,
— condamner Monsieur [G] [L] à se rendre, sous astreinte de 500 par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, en l’étude de Maître [Z] [M], notaire à [Localité 12] ([Localité 12]), afin de régulariser l’acte authentique de vente de la parcelle au prix de 8000 euros à son profit,
— juger que faute pour Monsieur [G] [L] de régulariser l’acte authentique dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement à intervenir, ce jugement vaudra acte de vente à son profit et qu’elle pourra le faire publier comme tel auprès du service de la publicité foncière compétent,
— condamner Monsieur [G] [L] à lui verser la somme de 5000 euros de dommages intérêts au titre de la faute commise par fraude à son droit de préemption,
— condamner Monsieur [G] [L] à lui verser la somme de 5000 euros supplémentaires au titre de la procédure abusive qu’il a engagée,
— condamner Monsieur [G] [L] à lui payer la somme de 7000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.

Pour s’opposer à la demande de nullité de sa décision, la SAFER d’Île-de-France indique que :
— Monsieur [D] est habilité à signer la décision puisqu’il a obtenu une délégation selon procès-verbal du conseil d’administration du 20 mai 2021, qu’il n’existe que deux commissaires du gouvernement et que leur accord n’est nécessaire qu’en cas de préemption avec révision du prix, ce qui n’est pas le cas en l’espèce,
— l’acte ne consiste pas en un échange mais, selon l’acte notarié transmis, à une aliénation à titre onéreux (8000 euros). Aucune cause d’exemption ou d’exclusion n’a été mentionnée dans la déclaration d’intention d’aliéner (DIA),
— le droit de préemption n’est exclu par l’article L142-4 du code rural et de la pêche maritime que pour les échanges qui relèvent de l’article L124-1 du même code, à savoir les échanges d’immeubles ruraux et les échanges réalisés par voie d’aménagement foncier agricole et forestier. Or, il ne s’agit ni d’un périmètre d’aménagement foncier, ni de parcelles appartenant au même canton ou d’un canton et d’une commune limitrophe ou contigu,
— la décision est suffisamment motivée en ce qu’elle rappelle l’objectif légal de préservation et de valorisation agricole par l’agrandissement d’une exploitation locale et d’éviter toute artificialisation illégale, elle permet d’identifier le bénéficiaire éventuel par la mention d’une EARL exploitant des terres mitoyennes et elle a été valablement notifiée à l’acquéreur évincé à l’adresse transmise par le notaire dans le DIA et publiée à la Mairie.

Au soutien de sa demande relative à la fraude, la SAFER indique que selon la DIA transmise par le notaire, Madame [W] [T] est cuisinière et habite à [Localité 10] (93), de sorte qu’il ne peut être soutenu qu’elle compte exploiter la parcelle objet de l’échange. Elle ajoute que les parcelles sont différentes, à la fois par leur surface, leur état, leur lieu et leur valeur. Elle précise que la parcelle de Madame [W] [T] est petite, dégradée et fait office de dépôt d’épaves de voitures tandis que celle de Monsieur [G] [L] est plus grande et parfaitement entretenue. Elle s’interroge sur la finalité réelle de l’échange au regard également de la création d’une SCI au siège de l’entreprise de Monsieur [G] [L] dont l’associé est Monsieur [P] [T] résidant à Livry-Gargan. Elle soutient que la qualification d’échange a été faite pour faire échec à son droit de préemption.

Elle sollicite enfin des dommages et intérêts pour procédure abusive intentée à son encontre.

Reconventionnellement, elle demande de constater que la vente est parfaite pour avoir respecté les conditions prévues par les articles L412-8 à L412-11 du code rural et de la pêche maritime et de condamner Monsieur [G] [L] à venir signer l’acte authentique de vente en l’étude de Maître [M] sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision. À défaut pour lui de venir régulariser la vente dans un délai de trois mois, elle demande que le jugement vaille vente.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures susvisées des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 février 2024.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 2 mai 2024 et mise en délibéré au 6 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande principale de nullité de la décision de la SAFER :

Sur l’habilitation du signataire de la décision :

L’article R143-6 du code rural et de la pêche maritime prévoit que la société d’aménagement foncier et d’établissement rural qui exerce le droit de préemption notifie au notaire chargé d’instrumenter par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 du code civil sa décision signée par le président de son conseil d’administration ou par toute personne régulièrement habilitée à cet effet.

Il résulte de l’extrait K-Bis à jour au 12 juillet 2021 annexé à la décision de préemption en date du 22 juillet 2021 que Monsieur [A] [D] est le directeur général délégué de la SAFER d’Île-de-France.

L’annexe I du procès-verbal du conseil d’administration du 20 mai 2021 annexée à la décision de la SAFER précise que le « Conseil d’Administration délègue les pouvoirs nécessaires à Monsieur [A] [D], Directeur Général Délégué, pour instruire, décider et mettre en œuvre, après accords des Commissaires du Gouvernement, l’exercice du droit de préemption conformément au décret attributif en vigueur ».

La SAFER a produit deux avis favorables à la décision de préemption :
— l’avis du directeur régional et interdépartemental de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt d’Île-de-France en date du 20 juillet 2021,
— l’avis du Commissaire adjoint du Gouvernement Finances en date du 21 juillet 2021.

Si ces documents sont intitulés « AVIS », il est souligné qu’il s’agit d’un avis favorable à l’opération et que celui-ci peut dès lors être apprécié comme constituant un accord à la préemption. Aucun élément ne permet d’affirmer que l’avis d’autres commissaires du gouvernement serait nécessaire.

Ainsi, aucune nullité de la décision ne saurait être encourue pour défaut d’habilitation de Monsieur [A] [D] à signer ladite décision.

Sur la notification de la décision à l’acquéreur évincé :

L’article R143-6 du code rural et de la pêche maritime prévoit que la décision de préemption est notifiée à l’acquéreur évincé, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception de la notification faite au notaire. Une analyse de cette décision est adressée dans le même délai au maire de la commune intéressée en vue de son affichage en mairie pendant quinze jours. L’accomplissement de cette formalité est certifié par le maire qui adresse à cette fin un certificat d’affichage à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural.

Il résulte des pièces versées aux débats que la décision de préemption de la SAFER d’Île-de-France, notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception à Madame [W] [T] au [Adresse 5], est revenue avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse ». Cette adresse correspond à celle figurant sur le formulaire adressé par le notaire le 10 mai 2021.

Il n’appartient pas à la SAFER de vérifier l’adresse transmise par le notaire.

En conséquence, aucune nullité de la décision ne saurait être encourue de ce chef.

Sur l’application du droit de préemption à l’acte prévu :

L’article L143-1 du code rural et de la pêche maritime dispose qu’il est institué au profit des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural un droit de préemption en cas d’aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains nus à vocation agricole, sous réserve du I de l’article L. 143-7.

En application de l’article 1107 du code civil, le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure. Il est à titre gratuit lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie.

En l’espèce, si Monsieur [G] [L] et Madame [W] [T] avaient prévu d’échanger leur parcelle sans versement d’argent, cela est sans incidence sur le caractère onéreux du contrat, Monsieur [G] [L] reconnaissant échanger sa parcelle avec celle de Madame [W] [T], de sorte que l’échange comporte une contrepartie et n’est pas fait dans une intention libérale.

L’article L143-4 du code rural et de la pêche maritime dispose que ne peuvent faire l’objet d’un droit de préemption : 1° Les échanges réalisés en application de l’article L. 124-1.

L’article 124-1 du même code vise notamment les échanges d’immeubles ruraux, en l’absence de périmètre d’aménagement foncier, situés soit dans le même canton, soit dans un canton et dans une commune limitrophe de celui-ci. En dehors de ces limites, l’un des immeubles échangés doit être contigu aux propriétés de celui des échangistes qui le recevra.

Il résulte des pièces versées aux débats que la parcelle de Monsieur [G] [L] se situe dans le canton de [Localité 7] tandis que la parcelle de Madame [W] [T] se situe dans le canton de [Localité 13] et que ces cantons ne sont pas limitrophes. Aucun des immeubles échangés n’est contigu aux propriétés de celle des parties qui le recevra.

En conséquence, le droit de préemption peut s’appliquer à l’échange et aucune nullité n’est encourue de ce chef.

Sur le défaut de motivation :

En application des articles L143-2 et L143-3 du code rural et de la pêche maritime, à peine de nullité, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l’un ou à plusieurs des objectifs suivants :
1° L’installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;
2° La consolidation d’exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes, dans les conditions prévues à l’article L. 331-2 ;
3° La préservation de l’équilibre des exploitations lorsqu’il est compromis par l’emprise de travaux d’intérêt public ;
4° La sauvegarde du caractère familial de l’exploitation ;
5° La lutte contre la spéculation foncière ;
6° La conservation d’exploitations viables existantes lorsqu’elle est compromise par la cession séparée des terres et de bâtiments d’habitation ou d’exploitation ;
7° La mise en valeur et la protection de la forêt ainsi que l’amélioration des structures sylvicoles dans le cadre des conventions passées avec l’Etat ;
8° La protection de l’environnement, principalement par la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées, dans le cadre de stratégies définies par l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes publiques en application du présent code ou du code de l’environnement ;
9° Dans les conditions prévues par la section 3 du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code de l’urbanisme, la protection et la mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains.

Il résulte de la décision du 22 juillet 2021 que la SAFER d’Ile-de-France a indiqué exercer son droit de préemption au regard de l’objectif prévu par le 2° de l’article L143-2 du code rural et de la pêche maritime et a justifié sa décision par les motifs particuliers suivants :
« La parcelle cadastrée section ZI n°[Cadastre 4], vendue par M. [L] est en nature réelle d’herbage, clôturée, desservie par un chemin rural et incluse dans un vaste espace agricole.
Déclarée libre de tout bail par le notaire instrumentaire, cette parcelle est toutefois recensée par le Registre Parcellaire Graphique (RPG) de la Politique Agricole Commune (PAC) et cultivée par un agriculteur du secteur.
Les terres agricoles, libres de bail, sont particulièrement rares dans cette partie du département de Seine-et-Marne où 80 % de la SAU est en fermage. En raison de l’absence de bail, le bien vendu pourrait ainsi contribuer à l’agrandissement d’une exploitation locale.
La parcelle est classée en zone agricole du Plan Local d’Urbanisme (PLU) et figure parmi les espaces agricoles et naturels dont le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF) prévoit la préservation et la valorisation.
Proches de l’agglomération parisienne, les espaces agricoles et naturels de la commune d’[Localité 6] sont soumis à forte pression foncière et font parfois l’objet d’artificialisation illégale (mitage, dépôts de déchets, constructions, coupes non autorisées de bois…).
Dans ce contexte, l’intervention de la SAFER vise en priorité la consolidation d’exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles, et surtout l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes.
La SAFER entend protéger durablement ce secteur en accord et en partenariat avec les acteurs publics locaux, au premier rang desquels les différentes collectivités locales. Elle souhaite également concourir à l’amélioration des structures parcellaires des exploitations locales en constituant des îlots de culture de plus grande dimension, facilitant ainsi leur mise en valeur.
La SAFER a connaissance de demandes conformes à ces objectifs parmi, lesquelles elle peut citer à titre d’exemples :
— celle d’une collectivité locale qui serait susceptible d’être intéressée par l’acquisition du bien vendu en vue de préserver durablement son usage agricole. En tant que bailleur rural, elle pourrait louer la parcelle à une exploitation du secteur agréée par la SAFER,
— une exploitation agricole contiguë à responsabilité limitée (EARL), qui serait susceptible d’être intéressée par son acquisition ou sa location en vue de procéder à un regroupement parcellaire pour constituer un ténement plus important, plus facilement exploitable.
Bien entendu, ces exemples ne préjugent en rien du choix de la SAFER et la publicité préalable à la rétrocession permettra à tous les intéressés de présenter leur candidature.
Quel que soit l’attributaire retenu, l’objet de la préemption sera garanti en assortissant la rétrocession de ce bien d’un cahier des charges imposant le maintien de sa vocation naturelle, forestière ou agricole pendant une durée minimum de vingt ans. »

Ainsi, la SAFER se réfère à l’un des objectifs prévu par la loi, à savoir la consolidation d’exploitations en vue d’atteindre une dimension économique viable et l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes. Elle explique que la parcelle est incluse dans un vaste espace agricole, en nature réelle d’herbage et libre de tout bail et pourrait contribuer à l’agrandissement d’une exploitation locale. Elle ajoute que le droit de préemption permet d’éviter toute articifialisation des lieux mais également de constituer des îlots de culture de plus grande dimension facilitant leur mise en valeur. Elle précise qu’une collectivité locale est intéressée par la parcelle pour la donner à bail ainsi qu’une exploitation agricole contigüe afin d’adjoindre cette parcelle à la sienne et de l’exploiter. Ces données concrètes apparaissent suffisantes pour identifier les bénéficiaires éventuels et pour contrôler l’exactitude des motifs allégués.

En conséquence, aucune nullité ne saurait être encourue de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de condamnation sous astreinte :

L’article L143-8 du code rural et de la pêche maritime dispose que le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural s’exerce dans les conditions prévues par les articles L. 412-8 à L. 412-11 et le troisième alinéa de l’article L. 412-12.

Selon l’article L412-8 du code rural et de la pêche maritime, le notaire chargé d’instrumenter doit faire connaître au bénéficiaire du droit de préemption, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte d’huissier de justice, le prix, les charges, les conditions et les modalités de la vente projetée, ainsi que, dans l’hypothèse prévue au dernier alinéa du présent article, les nom et domicile de la personne qui se propose d’acquérir. Cette communication vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus. Les dispositions de l’article 1589, alinéa 1er, du code civil sont applicables à l’offre ainsi faite.

L’article 1589 alinéa 1er du code civil précise que la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.

Il résulte du courrier adressé le 9 juin 2021 par le notaire en charge de l’échange de parcelles que les parties ont consenti à un échange sans soulte, les biens étant évalués tous deux à la somme de 8000 euros.

La décision de préemption du 22 juillet 2021 a été faite au prix de 8000 euros. Dès lors, il ne s’agit pas d’une préemption avec contre-offre mais d’une acceptation de l’offre au prix de la parcelle convenue entre les parties à l’échange.

En conséquence, il convient de constater que la vente est parfaite.

L’article L131-1 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision.

L’article L131-2 du même code précise qu’une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu’après le prononcé d’une astreinte provisoire et pour une durée que le juge détermine. Si l’une de ces conditions n’a pas été respectée, l’astreinte est liquidée comme une astreinte provisoire.

Compte tenu de l’opposition de Monsieur [G] [L] à la décision de préemption, il convient de le condamner sous astreinte provisoire de 100 euros par jour à compter de la signification de la présente décision à se rendre chez Maître [Z] [M], notaire à [Localité 12] 16e arrondissement (75) afin de régulariser l’acte authentique de vente de la parcelle située à [Localité 6] (77) cadastrée Section ZI N° [Cadastre 1] [Adresse 9] d’une surface de 1 ha 47 a 60 ça. Le montant de l’astreinte ne pourra excéder la somme de 10 000 euros.

À défaut de régularisation de l’acte de vente dans un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision, le présent jugement vaudra acte de vente.

Sur les demandes reconventionnelles de dommages et intérêts :

Sur le préjudice lié à la fraude :

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il résulte du courrier rédigé par le notaire en charge de l’échange, que Monsieur [G] [L] et Madame [W] [T] avaient prévu de passer leur contrat d’échange devant notaire et que celui-ci a transmis à la SAFER le formulaire de déclaration d’intention d’acquisition afin qu’elle puisse faire valoir son droit à préemption.

Dès lors, la preuve n’est pas rapportée que Monsieur [G] [L] a voulu, par la qualification d’échange, faire échec au droit de préemption de la SAFER.

En conséquence, la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

Sur le préjudice lié à la présente procédure :

Selon l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Il est constant que l’exercice du droit d’agir en justice ne peut constituer une faute que si la preuve d’un abus est rapportée par celui qui l’invoque.

Or, la SAFER ne rapporte pas cette preuve.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande.

Sur les mesures de fin de jugement :

En application des dispositions de l’article 514 du code de procédure civile, la présente décision est exécutoire par provision.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner Monsieur [G] [L], partie qui succombe, aux dépens ainsi qu’au paiement à la SAFER d’Île-de-France d’une somme de 2000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il sera en outre débouté de sa demande au titre des dépens et des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort,

Déboute Monsieur [G] [L] de sa demande tendant à prononcer la nullité de la décision prise le 22 juillet 2021 par la SAFER d’Île-de-France relative à l’exercice de son droit de préemption sur sa parcelle située à [Localité 6] ;

Constate que la vente à la SAFER d’Île-de-France au prix de huit mille euros de la parcelle appartenant à Monsieur [G] [L] située à [Localité 6] cadastrée Section ZI N° [Cadastre 1] [Adresse 9] d’une surface de 1 ha 47 a 60 ça est parfaite ;

Condamne Monsieur [G] [L] sous astreinte provisoire de 100 euros à compter de la signification de la présente décision à se rendre en l’étude de Maître [Z] [M], notaire à [Localité 12] 16e arrondissement (75) afin de régulariser l’acte authentique de vente de la parcelle située à [Localité 6] (77) cadastrée Section ZI N° [Cadastre 1] [Adresse 9] d’une surface de 1 ha 47 a 60 ça ;

Dit que le montant total de l’astreinte provisoire ne saurait excéder la somme de 10 000 euros ;

Dit qu’à défaut de régularisation de l’acte authentique dans un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision, le présent jugement vaudra vente ;

Déboute la SAFER d’Île-de-France de sa demande de dommages et intérêts au titre de la fraude ;

Déboute la SAFER d’Île-de-France de sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive ;

Condamne Monsieur [G] [L] aux dépens ;

Condamne Monsieur [G] [L] à payer à la SAFER d’Île-de-France la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Monsieur [G] [L] de ses demandes au titre des dépens et des frais irrépétibles ;

Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire.

LA GREFFIERELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Meaux
Formation : 1ère ch. - sect. 2
Numéro d'arrêt : 22/00060
Date de la décision : 06/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-06;22.00060 ?
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