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23/05/2024 | FRANCE | N°22/05031

France | France, Tribunal judiciaire de Meaux, 1ère ch. - sect. 3, 23 mai 2024, 22/05031


- N° RG 22/05031 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC3H6
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE

Date de l'ordonnance de
clôture : 22 janvier 2024

Minute n°24/428
N° RG 22/05031 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC3H6






Le

CCC : dossier

FE:
-Me MAMMAR
-Me MEURIN



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


JUGEMENT DU VINGT TROIS MAI DEUX MIL VINGT QUATRE



PARTIES EN CAUSE

DEMANDEURS

Monsieur [D] [O]
Madame [V] [N] épouse [O]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représ

entés par Me Philippe MAMMAR, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDERESSE

S.A. CAISSE REGIONALE DU CREDIT
AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE
[Adresse 1]
représentée par Maî...

- N° RG 22/05031 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC3H6
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE

Date de l'ordonnance de
clôture : 22 janvier 2024

Minute n°24/428
N° RG 22/05031 - N° Portalis DB2Y-W-B7G-CC3H6

Le

CCC : dossier

FE:
-Me MAMMAR
-Me MEURIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DU VINGT TROIS MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

PARTIES EN CAUSE

DEMANDEURS

Monsieur [D] [O]
Madame [V] [N] épouse [O]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentés par Me Philippe MAMMAR, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDERESSE

S.A. CAISSE REGIONALE DU CREDIT
AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE
[Adresse 1]
représentée par Maître François MEURIN de la SELARL TOURAUT AVOCATS, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats et du délibéré :
Présidente : Mme RETOURNE, Juge
Assesseurs: Mme GRAFF, Juge
M. ETIENNE, Juge

Jugement rédigé par : Mme GRAFF, Juge

DEBATS

A l'audience publique du 14 Mars 2024
GREFFIERE

Lors des débats et du délibéré : Mme CAMARO, Greffière

JUGEMENT

contradictoire, mis à disposition du public par le greffe le jour du délibéré, Mme RETOURNE, Présidente, ayant signé la minute avec Mme CAMARO, Greffière ;

EXPOSE DU LITIGE

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie (ci-après le Crédit Agricole) a consenti à Madame [V] [N] épouse [O] l'ouverture en ses livres d'un compte bancaire.

Dans le cadre d'un projet d'acte de donation-partage, elle a confié à son agence bancaire le 2 juillet 2022 un RIB reçu par courriel provenant, selon elle, en toute apparence, de son notaire, et a demandé à ce qu'il soit procédé au virement de la somme de 54.282 euros, virement qui était effectué le jour même.

Par la suite, Madame [V] [N] épouse [O] recevait un appel téléphonique de son notaire l'informant que le règlement attendu ne lui était pas parvenu et il était découvert que le RIB qui lui avait été transmis pour réaliser le virement n'était pas celui du notaire.

Le 8 juillet 2022, Madame [V] [N] épouse [O] a déposé plainte pour escroquerie et a sollicité de sa banque le remboursement de la somme frauduleusement détournée.

Le 21 juillet 2022, le compte bancaire de Madame [V] [N] épouse [O] a été crédité de la somme de 32.532 euros dans le cadre de la procédure de rappels de fonds.

Par courriers recommandés avec accusés de réception en date des 1er août et 4 octobre 2022, Madame [V] [N] épouse [O] et Monsieur [D] [O] ont sollicité le remboursement du solde de la somme détournée sur son compte, soit 21.750 euros.

Par courriers en date du 2 août et du 6 octobre 2022, le Crédit Agricole n'a pas donné une suite favorable à leur demande.

C'est dans ces conditions que, par acte de commissaire de justice en date du 8 novembre 2022, Madame [V] [N] épouse [O] et Monsieur [D] [O] ont assigné le Crédit Agricole afin notamment d'obtenir le remboursement de la somme sollicitée.

Aux termes de leurs dernières conclusions (conclusions en réplique n°2 et récapitulatives notifiées par RPVA le 16 octobre 2023), Madame [V] [N] épouse [O] et Monsieur [D] [O] sollicitent du tribunal de :

" A TITRE PRINCIPAL, au visa de l'article L.133-18 du code monétaire et financier
-CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE d'avoir à verser à Madame [O] la somme de 21.750 euros correspondant au solde des sommes détournées de leur compte ;
-DIRE que cette condamnation sera assortie des intérêts au taux légal majoré de 15 points à compter du 8 juillet 2022 ;
-CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE d'avoir à verser à Madame et Monsieur [O] la somme de 2.521,40 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice financier ;
-CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE d'avoir à verser à Madame [O] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

A TITRE SUBSIDIAIRE, au visa de l'article L.561-6 du code monétaire et financier et des articles 1194 et 1231-1 du code civil
-CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE d'avoir à verser à Madame [O] la somme de 21.750 euros correspondant au solde des sommes détournées de leur compte ;
-CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE d'avoir à verser à Madame et Monsieur [O] la somme de 2.521,40 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice financier ;

-CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE
PICARDIE d'avoir à verser à Madame [O] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE
-CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE de payer à Madame et Monsieur [O] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-CONDAMNER la Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE aux dépens dont distraction au profit de Maître Philippe MAMMAR, avocat;
-RAPPELER que le jugement à intervenir est assorti de l'exécution provisoire. "

Madame [V] [N] épouse [O] soutient que l'opération bancaire litigieuse ne saurait être qualifiée d'opération autorisée au sens de l'article L.133-18 du code monétaire et financier en ce que le virement litigieux n'a pas été réalisé au profit de son destinataire, le notaire, mais d'un tiers en raison de manœuvres frauduleuses. Sur le fondement de l'article L.561-6 du code monétaire et financier et des articles 1194 et 1231-1 du code civil, Madame [V] [N] épouse [O] reproche au Crédit Agricole d'avoir manqué à son devoir de vigilance et de conseil au motif qu'il n'a pas vérifié que l'identité du titulaire du RIB correspondait bien à celui de l'étude notariale et qu'il a exécuté un ordre de virement comportant une anomalie matérielle apparente. Elle ajoute que le Crédit Agricole ne justifie pas des diligences accomplies pour récupérer les fonds prévues par l'article L.133-21 du code monétaire et financier. En réplique au Crédit Agricole, elle conteste toute négligence, ayant confié la réalisation de cette opération à la banque afin précisément d'éviter toute difficulté.

Aux termes de ses dernières conclusions (conclusions n°4 notifiées par RPVA le 22 novembre 2023), le Crédit Agricole sollicite du tribunal de :

" Dire et juger que l'article L.133-18 du code monétaire et financier ne peut recevoir application en l'espèce, dès que l'opération critiquée a été autorisée par Madame [O],

Dire et juger que l'article L.561-6 du code monétaire et financier ne peut davantage recevoir application en l'espèce, dès lors que cet article a pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et que la victime d'agissements frauduleux ne peut s'en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts,

Dire et juger, au visa de l'article L.133-21 du code monétaire et financier que le CREDIT AGRICOLE n'a pas commis de faute en exécutant l'ordre de paiement tel qu'il lui a été donné,

Débouter Monsieur et Madame [O] de leurs demandes, fins et conclusions, Monsieur [O] étant en tout état de cause étranger à l'affaire,

Très subsidiairement, ordonner un partage de responsabilité par moitié,

Condamner solidairement Monsieur [D] [O] et Madame [V] [N]-[O] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner solidairement Monsieur [D] [O] et Madame [V] [N]-[O] aux dépens de l'instance et ceux qui en seront la suite. "

Le Crédit Agricole souligne, à titre liminaire, que Monsieur [D] [O] n'a aucun intérêt à agir en ce qu'il n'est pas concerné par le litige. Sur le fond, il soutient que l'article L.133-18 du code monétaire et financier n'est pas applicable, l'opération bancaire litigieuse ayant non seulement été autorisée mais ordonnée par Madame [V] [N] épouse [O] sur un compte précisément identifié de sorte qu'il n'a aucune obligation de remboursement. Il précise également que la demanderesse ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L.561-6 du code monétaire et financier en ce qu'elles ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Pour contester tout manquement à son devoir de vigilance et de conseil, le Crédit Agricole fait valoir qu'en qualité de banque émettrice du virement, il lui était impossible de déceler une quelconque anomalie quant à l'origine du RIB remis et que celui-ci ne présentait pas d'anomalie matérielle apparente. Il reproche également à Madame [V] [N] épouse [O] d'avoir été négligente en transmettant un RIB sans être alertée par le courriel du notaire, différent de celui avec lequel ils correspondaient jusque-là, et alors que le notaire lui avait déjà transmis le RIB quelques jours auparavant.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

Par ordonnance du 22 janvier 2024, le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a renvoyé l'affaire à l'audience collégiale du 14 mars 2024 à laquelle elle a été plaidée et mise en délibéré au 23 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est rappelé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de " dire et juger " qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise des moyens développés dans le corps des conclusions, et qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.

L’intérêt à agir relevant des dispositions de l’article 789 du code de procédure civile et aucune demande d’irrecevabilité n’étant formulée dans le dispositif des conclusions du Crédit Agricole, il n’y a lieu pas de statuer sur le fait que Monsieur [D] [O] soit concerné par le litige.

I - Sur la demande de remboursement des sommes détournées

L'article L.133-18 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au présent litige, énonce notamment qu'en cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l'opération ou après en avoir été informé.

L'article L.133-21 du même code dispose qu'un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique.

En l'espèce, l'opération bancaire litigieuse a été exécutée conformément à la demande de Madame [V] [N] épouse [O] et la somme litigieuse a été virée au bénéficiaire désigné par le RIB remis par celle-ci. S'il est constant qu'elle a été conduite, par l'emploi de manœuvres frauduleuses, à donner un ordre de virement ne correspondant pas à son intention, il ne peut s'en déduire qu'il s'agit d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée au sens des dispositions susmentionnées.

***

Madame [V] [N] épouse [O] est mal fondée à invoquer un manquement de la banque, au titre des articles L. 561-5 et suivants du code monétaire et financier relatifs aux obligations de vigilance et de déclarations, lesquelles ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme de sorte que les victimes d'agissements frauduleux ne peuvent s'en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.

***

Elle se trouve également mal fondée à reprocher au Crédit Agricole de ne pas avoir tenté de récupérer la totalité des fonds détournés dès lors que l'article 133-21 du code monétaire et financier précise que, dans une telle situation, le prestataire de services de paiement du payeur " s'efforce " de récupérer les fonds engagés dans l'opération de paiement et qu'il ressort de la procédure que le Crédit Agricole a bien engagé le rappel des fonds et que la somme de 32.532 euros a été restituée à Madame [V] [N] épouse [O].

***

Selon les dispositions de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits

En application de l'article 1231-1 du même code, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé. Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

La banque prestataire de services au titre d'un virement SEPA, comme en l'espèce, n'a donc pas à contrôler la légalité ou le caractère avisé du virement envisagé par son client auprès d'un tiers.

S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.

Sur les anomalies matérielles alléguées par Madame [V] [N] épouse [O], il sera observé que le RIB litigieux, versé aux débats, est au nom de l'étude notariale SCP AREZES BOISSEAU LE GUYADER CASTELA, précisément en charge de l'acte de donation-partage projeté par Madame [V] [N] épouse [O], mais qu'il comporte un code banque et un code BIC ne correspondant pas aux coordonnées d'un compte de la Caisse des Dépôts et Consignations.

Si le Crédit Agricole affirme, à juste titre, qu'il ne peut être exigé d'un employé de banque de connaître les codes banque et BIC de tous les établissements bancaires, toutefois, un RIB au nom d'un notaire qui supporte un code SWIFT BIC XXXX au lieu de CDCG (souligné par le tribunal) et un code banque classique au lieu du code banque 40031 dédié à la Caisse des Dépôts et Consignations (souligné par le tribunal) doit nécessairement attirer l'attention d'un professionnel de la banque normalement vigilant.

Il n'est par ailleurs pas contesté qu'au regard de la sensibilité de la transaction, Madame [V] [N] épouse [O] s'était rapprochée de son agence bancaire pour lui en confier le virement et qu'un rendez-vous avait été organisé le 23 juin 2022 afin de préparer l'opération de sorte que le Crédit Agricole n'ignorait rien des circonstances du virement projeté ainsi que cela ressort du courriel adressé par Madame [V] [N] épouse [O] le 2 juillet 2022 à la banque par lequel elle sollicite la réalisation du virement de son compte " vers le RIB ci-joint du notaire ", précisant " la notaire me demande un avis de virement ".

Au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer que le Crédit Agricole, expressément informé du contexte, du motif du virement effectué et de la destination des fonds vers un compte détenu par une étude notariale, était en mesure de s'alerter de la discordance apparente de manière manifeste entre les références bancaires figurant sur le RIB litigieux et celles correspondant habituellement à la Caisse des Dépôts et Consignations et aurait dû procéder à des vérifications sur ce point.

Ce faisant, le Crédit Agricole a manqué à son devoir général de vigilance.

***

Le Crédit Agricole soutient que Madame [V] [N] épouse [O] a commis une faute ayant contribué à son propre préjudice au motif qu'elle s'est contentée de transmettre le RIB reçu sans s'interroger sur l'adresse mail " [I] [M] ; [Courriel 3] " qui n'était pas l'adresse habituelle de l'étude notariale, " [Courriel 4] " et alors que le RIB de l'étude lui avait déjà été adressé quelques jours auparavant.

Madame [V] [N] épouse [O] réplique, sans que cela ne soit contesté et tel que cela ressort du courriel frauduleux, que celui-ci était précédé du nom de la collaboratrice de l'étude notariale de sorte qu'elle n'y a pas vu matière à suspicion.

Il sera tout d'abord observé que l'adresse mail de Madame [I] [M] n'apparaît pas de prime abord dans la messagerie de Madame [V] [N] épouse [O] mais seulement son nom : " [I] [M] ".

Il sera également relevé que le mail frauduleux s'inscrit dans le cadre d'échanges avec l'étude notariale. Plus précisément, il ressort des pièces versées aux débats que par courriel en date du 20 juin 2022, Madame [I] [M] a adressé à Madame [V] [N] épouse [O] le projet d'acte de donation partage accompagné du RIB de l'étude, qu'elle a soulevé une difficulté quant aux modalités de répartition entre ses trois enfants et proposé la possibilité de réaliser une donation complémentaire de 5.000 euros à [B] afin que la donation soit égalitaire ; que par réponse du même jour, Madame [V] [N] épouse [O] a pris acte de cette problématique et émis le souhait d'en discuter de vive voix.

Or le courriel frauduleux en date du 27 juin 2022, soit quelques jours plus tard, au nom de Madame [I] [M] figurant en tête de l'adresse mail, transmet le projet d'acte de donation-partage " actualisé " et précise " j'ai ajouté la donation d'une somme d'argent de 5.000 euros à [B] afin d'équilibrer ce que chacun reçoit ", complété des nouveaux montants engagés et dus, et accompagné du RIB frauduleux.

Aussi, au regard de la teneur, de la précision et de la cohérence de ces échanges, il ne saurait être reproché à Madame [V] [N] épouse [O] d'avoir été négligente dans la réception du RIB frauduleux et sa transmission à la banque.

Aussi, aucune faute ne sera retenue à son encontre.

Eu égard à ces éléments, le Crédit Agricole sera condamné à verser à Madame [V] [N] épouse [O] la somme de 21.750 euros correspondant au solde des sommes détournées de son compte.

III - Sur les demandes indemnitaires

Selon l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Par ailleurs, en application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leur prétention.

Sur le préjudice financier

Madame [V] [N] épouse [O] soutient qu'en raison des manquements de la banque, elle n'a pas pu régulariser la donation-partage et elle a dû poursuivre le règlement des charges de copropriété et impôts afférents aux biens qui devaient entrer dans le patrimoine de ses enfants, frais qu'elle évalue à la somme de 2.521,40 euros, à actualiser. Monsieur [D] [O] s'associe à cette demande faisant valoir qu'il participe aux frais.

Le Crédit Agricole réplique, sans que cela ne soit contesté, que les biens objets de la donation-partage étaient en location de sorte que les charges se trouvent de ce fait pour partie récupérées sur les locataires, que cette donation ne devait porter que sur la nue-propriété dont les donateurs conservaient l'usufruit et qu'il était également convenu que Madame [V] [N] épouse [O] conserverait à sa charge les frais et impôts fonciers afférents aux biens objets de la donation-partage.

Il ressort du projet d'acte notarié versé aux débats que les biens étaient effectivement donnés en location et que les parties faisaient leur affaire personnelle de tout compte prorata au titre des impôts fonciers, sans autre précision.

De plus, il ressort du courriel du notaire du 20 juin 2022 qu'il était effectivement envisagé que Madame [V] [N] épouse [O] conserve l'usufruit des biens immobiliers, la notaire de préciser : " vous continuerez donc de pouvoir utiliser les biens, de les occuper ou de les mettre en location. Vous conserverez également à votre charge le paiement de tous les frais, impôts fonciers et locaux, travaux d'entretien, ainsi que les grosses réparations telles que réfection du chauffage, des fenêtres, de la toiture, ravalement… " et de solliciter la confirmation de Madame [V] [N] épouse [O] sur ce point.

Or, Madame [V] [N] épouse [O] n'apporte aucun élément accréditant que l'ensemble de ces frais devait être finalement mis à la charge de ses enfants.

En conséquence, Madame [V] [N] épouse [O] et Monsieur [D] [O] seront déboutés de leur demande à ce titre.

Sur le préjudice moral

Madame [V] [N] épouse [O] fait valoir qu'en raison des manquements de la banque, elle a subi un préjudice moral en raison de l'inquiétude suscitée par le manque de sécurité des transactions opérées par le Crédit Agricole dont elle dit être cliente depuis 38 ans. Elle verse aux débats deux attestations du Docteur [U] en date des 27 octobre 2022 et 10 mars 2023 faisant état de troubles psychologiques et anxiodépressifs en lien avec le refus de sa banque de la rembourser. Elle sollicite à ce titre la somme de 5.000 euros.

Il ressort des attestations produites l'existence d'un préjudice en lien avec le refus de la banque de rembourser Madame [V] [N] épouse [O] des sommes détournées pour lequel il lui sera alloué la somme de 1.000 euros.

En conséquence, le Crédit Agricole sera condamné à payer à Madame [V] [N] épouse [O] la somme de 1.000 euros au titre du préjudice moral.

IV - Sur les dispositions de fin de jugement

Sur les dépens

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l'espèce, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie succombant, elle sera condamnée aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Philippe MAMMAR, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur les frais irrépétibles

L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

En l'espèce, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie sera condamnée à verser à Madame [V] [N] épouse [O] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En revanche, Monsieur [D] [O] sera débouté de sa demande.

De même, la demande de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie de condamnation solidaire de Madame [V] [N] épouse [O] et Monsieur [D] [O] à lui payer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Sur l'exécution provisoire

L'article 514 du code de procédure civile dispose que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

En conséquence, l'exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe,

CONDAMNE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie à payer à Madame [V] [N] épouse [O] la somme de 21.750 euros correspondant au solde des sommes détournées de son compte en application des dispositions de l’article 1231-1 du code civil;

DEBOUTE Madame [V] [N] épouse [O] et Monsieur [D] [O] de leur demande au titre du préjudice financier ;

CONDAMNE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie à payer à Madame [V] [N] épouse [O] la somme de 1.000 euros au titre du préjudice moral ;

REJETTE la demande de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie de partage de responsabilité;

CONDAMNE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie aux dépens, dont distraction au profit de Maître Philippe MAMMAR ;

CONDAMNE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie à payer à Madame [V] [N] épouse [O] la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE Monsieur [D] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie de sa demande de condamnation solidaire de Madame [V] [N] épouse [O] et Monsieur [D] [O] à lui payer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.

LA GREFFIERELA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Meaux
Formation : 1ère ch. - sect. 3
Numéro d'arrêt : 22/05031
Date de la décision : 23/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-23;22.05031 ?
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