TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 11 Juillet 2024
Enrôlement : N° RG 23/11836 - N° Portalis DBW3-W-B7H-372H
AFFAIRE : S.A.S. LES CHAUX DE LA TOUR (Me Alexis ROYER)
C/ LA DIRECTION INTERRÉGIONALE DES DOUANES DE [Localité 4] (ASSOCIATION BGDM ASSOCIATION)
DÉBATS : A l'audience Publique du 04 Juin 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette, Greffier
Vu le rapport fait à l’audience
A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 11 Juillet 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Société LES CHAUX DE LA TOUR
Société par actions simplifiée au capital de 826 804 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de AIX-EN-PROVENCE n°B 572 621 142, dont le siège social est sis [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Alexis ROYER, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Stéphane CHASSELOUP de KPMG, avocat plaidant au barreau des HAUTS-DE-SEINE
C O N T R E
DEFENDERESSE
LA DIRECTION INTERRÉGIONALE DES DOUANES DE [Localité 4]
dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Gaëtan BALESTRA de l’ASSOCIATION BGDM ASSOCIATION, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Anne-Claire MOYEN de la SELARL URBINO ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS
EXPOSE DU LITIGE :
Faits et procédure :
La société CHAUX DE LA TOUR a pour activité principale la fabrication de la chaux classée sous le code NAF 23.52Z. Dans le cadre de son activité, la Société exploite deux sites industriels: le site d’[Localité 3] et le site de [Localité 5].
Le 6 avril 2018, l’administration des douanes a initié un contrôle au sein de la société CHAUX DE LA TOUR en matière de taxe générale sur les activités polluantes (ci-après TGAP) notamment dans sa composante « émissions polluantes », pour les Poussières Totales en Suspension (ci-après « PTS ») sur la période du 6 avril 2015 au 31 décembre 2019.
Un avis de résultat d’enquête a été adressé à la société CHAUX DE LA TOUR le 23 octobre 2020.
Par procès-verbal du 22 décembre 2020, la société CHAUX DE LA TOUR s’est vue notifier une infraction qualifiée d’irrégularité ayant pour but ou pour résultat d’éluder ou de compromettre le recouvrement d’une taxe, en l’espèce un montant total de TGAP de 23.465 €.
À la suite d’une erreur, un procès-verbal rectificatif était émis le 28 janvier 2021 et notifiait une infraction entraînant un montant à percevoir de 25.308 € en application des articles 266 sexiès ct suivants et 440 bis du code des douanes.
Un avis de mise en recouvrement n° 0898/21-0637, a été émis le 28 mai 2021 pour un montant de 25.308 €.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 juillet 2022, la société CHAUX DE LA TOUR a adressé à la Direction interrégionale des douanes de [Localité 4] une demande de remboursement. Par courrier en date du 13 juillet 2023, l'Administration des douanes a rejeté la demande de remboursement formulée par la société CHAUX DE LA TOUR.
Par acte de commissaire de justice en date du 13 octobre 2023 la société CHAUX DE LA TOUR a fait assigner la Direction interregionale des douanes de [Localité 4].
Demandes et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 12 avril 2024 la société CHAUX DE LA TOUR demande au tribunal d'annuler la décision de rejet de la Direction interrégionale des douanes de [Localité 4] en date du 13 juillet 2023 en ce qu’elle rejette la demande de remboursement de TGAP, de condamner la Direction interrégionale des douanes de Marseille au remboursement de la somme
de 25 308 € au titre de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes composante « émissions polluantes » (TGAP-PTS) portant sur les années 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019 et des intérêts de retards qui a été refusée par décision en date du 13 juillet 2023, et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la demande de remboursement datée du 25 juillet 2022, et de condamner la Direction interrégionale des douanes de [Localité 4] à lui payer la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes la société CHAUX DE LA TOUR fait valoir qu'un arrêté ministériel en date du 31 janvier 2008 met à la charge des exploitants de site d'extraction relevant du code minier des obligations déclaratives en matière d’émissions et de transferts de polluants et des déchets, en application notamment du Règlement européen n°166/2006 du 18 janvier 2006, qu'à cette fin le ministère de l'écologie a publié en 2014 un guide d'aide à l'établissement de ces déclarations selon lequel la déclaration en matière environnementale est ainsi obligatoire dès lors que la quantité annuelle émise est égale ou supérieure à 150 tonnes jusqu’en 2014, puis 100 tonnes à compter de 2015, pour les poussières totales et à 50 tonnes pour les particules PM10 (diamètre inférieur à 10 microns, que néanmoins l'objectif de cette déclaration n'est que de réaliser un registre national des émissions polluantes, sans composante fiscale ou douanière, que selon les articles 266 septies et suivants du code des douanes le fait générateur de la taxe est le poids des poussières totales en suspension et que l'administration des douanes ne peut par voie de circulaire étendre le champ d'application de celle-ci en y incluant les poussières totales. Elle ajoute que la volonté du législateur d'exclure les poussières totales résulte des travaux préparatoires de la loi de finances pour 2009, que les définitions posées par l’article R. 4222-3 du code du travail s'appliquent uniquement pour les dispositions de ce code sur l'aération et l'assainissement et ne distinguent pas entre les poussières totales et les poussières totales en suspension, et qu'en tout état de cause le droit du travail n'a pas vocation à s'appliquer en matière douanière. La société CHAUX DE LA TOUR fait encore valoir qu'il n'y a pas plus lieu de recourir à une définition scientifique des poussières totales en suspension, et qu'il n'existe pas de consensus scientifique sur cette définition, que le Bulletin officiel des finances publiques du 12 janvier 2022 indique que les particules éligibles à la TGAP ne recouvrent pas les poussières totales (particules de taille supérieure à 10 microns), et qu'il existe au moins une carence du législateur et une incertitude sur la définition de la notion de poussières totales en suspension, de sorte qu'en étendant la définition de l'assiette de la taxe, l'administration a porté atteinte au principe de sécurité juridique.
La société CHAUX DE LA TOUR expose en outre que les circulaires de l'administration des douanes ne sont pas compatibles avec la définition européenne des PTS en ce qu'elles assujettissent à la taxe TGAP-PTS des particules non qualifiées de polluantes, dès lors que les poussières supérieures à 10 microns ne restent pas en suspension mais retombent immédiatement au sol, l'annexe II du Règlement (CE) n° 166/2006 du Parlement européen et du Conseil et le « Document d’orientation pour la mise en œuvre du PRTR5 européen » publiée par la Commission européenne le 31 mai 2006 ne faisant pas figurer ces poussières parmi les émissions polluantes. Elle rappelle à ce titre que la méthode GEREP et l’arrêté du 31 janvier 2008, utilisés par l’Administration pour déterminer l’assiette de la TGAP, se fondent sur le règlement (CE) n°166/2006 et qu'il convient en conséquence de reprendre la liste des particules polluantes qui en résulte, et qu'aucun élément n'est rapporté permettant de justifier une taxation des poussières de plus de 10 microns.
La société CHAUX DE LA TOUR soulève encore l'irrégularité de la méthode de mesure des poussières totales retenue par le SRE, dès lors qu'aucun texte ne vient préciser une telle méthode, contrairement au principe de clarté et de prévisibilité de la loi, et soutient que les méthodes GEREP issues du droit de l'environnement ne sont pas applicables en ce qu'elles n'ont été élaborées qu'à des fins statistiques et qu'elles prennent en compte la totalité des poussières émises et non les seules poussières en suspension.
La Direction interrégionale des Douanes de [Localité 4] a conclu le 15 février 2024 au rejet des demandes de la société CHAUX DE LA TOUR et à sa condamnation à lui payer la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile aux motifs que la norme NF EN 481 relative à la définition des fractions de taille pour le mesurage des particules en suspension dans l’air définit les particules totales en suspension dans l’air comme “toutes les particules en suspension dans un volume donné d’air” ; que cette norme, à la fois française et européenne, considère que les particules dont le diamètre est au plus égal à 100 micromètres sont incluses dans la catégorie des PTS ; que la circulaire du 18 avril 2016 reprend à la fois les poussières totales d’une taille supérieure à 10 microns, les PM10 (particules grossières d’un diamètre inférieur à 10 microns) et les PM 2,5 (particules fines d’un diamètre inférieur à 2,5 microns) c’est-à-dire l’ensemble des particules émises dans l’atmosphère quelle que soit leur taille ; que cette définition est équivalente à celle qui figure à l’article R.4222-3 7° du code du travail ; que c’est bien l’ensemble des particules émises dans l’atmosphère, quelle que soit leur taille (supérieure ou inférieure à 10 microns) qui sont à classer comme poussières totales en suspension assujetties à la TGAP ; que le ministère de l’action et des comptes publics a fait une réponse en ce sens le 11 octobre 2018 à une question présentée au Sénat ; que cette définition est d’ailleurs confirmée par le CITEPA dont l’expertise en matière environnementale est reconnue ; qu’en tout état de cause le Conseil d'État a jugé à trois reprises que les circulaires n’ont en rien ajouté à la loi ; qu’elles ne l’ont contredite sur aucun point et se sont contentées de la préciser pour son application ; que le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 266 septies du code des douanes n'était pas contraire à la Constitution ; que les poussières totales, susceptibles de se déposer au sol à la suite d’un rejet dans l’atmosphère, constituent des PTS au sens de la réglementation de la TGAP « émissions polluantes » et demeurent assujetties à cette taxe ; que le droit de l’Union Européenne n’interdit pas l’assujettissement des particules totales de taille supérieure à 10 micromètres ; que l’absence de qualificatif de polluants par les textes européens pour les particules de taille supérieure à 10 µm n’a aucune conséquence sur l’assujettissement de celles-ci à la TGAP composante “émissions polluantes”, le droit français n’étant pas tenu par ce qualificatif ; qu’en effet les États membres sont libres de déterminer certaines dispositions en matière environnementale sans méconnaître le droit de l’Union ; que la circulaire est destinée à exposer l’état du droit résultant de la loi ou du règlement ; que son intervention se justifie afin d’assurer sur l’ensemble du territoire une application aussi uniforme que possible du droit positif ; qu’aucune atteinte au principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique ne peut résulter de la non spécification d’une méthode de calcul ; que le service d’enquête a utilisé les documents d’évaluation des émissions de poussières préparatoires à la déclaration GEREP qui ont été communiqués par la société ; que les méthodes GEREP et US-EPA AP-42 sont deux méthodes reconnues par la DREAL ; qu’elles sont recevables pour le calcul des émissions de PTS devant être assujetties à la TGAP ; que dès lors que la réglementation douanière n’impose aucune méthode de calcul des émissions polluantes dans l’air en vue de la perception de la TGAP, les opérateurs restent libres dans le choix de la méthode de calcul utilisée pour déclarer leurs émissions de substances polluantes dans l’air ; que l’administration des douanes prend appui sur la méthode GEREP qui constitue un socle commun à tous les déclarants sur l’ensemble du territoire national ; que les données qui y sont mentionnées sont établies selon un même cadre permettant d’avoir une base d’information harmonisée ; que si la déclaration annuelle transmise à la DREAL n’a aucune finalité douanière, elle se doit d’être correctement renseignée et doit refléter fidèlement les quantités d’émissions de PTS rejetées par l’installation assujettie ; qu’il est indéniable que l’administration des douanes peut utiliser la déclaration GEREP pour comparer les données mentionnées avec celles présentées dans la déclaration TGAP.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L’article 266 sexties dans sa rédaction en vigueur du 31 décembre 2020 au 1er janvier 2023 dispose que :
“I.-Il est institué une taxe générale sur les activités polluantes qui est due par les personnes physiques ou morales suivantes :
1. a) Toute personne réceptionnant des déchets, dangereux ou non dangereux, et exploitant une installation soumise à autorisation, en application du titre Ier du livre V du code de l'environnement, au titre d'une rubrique de la nomenclature des installations classées relative au stockage ou au traitement thermique de ces déchets ;
b) Toute personne qui transfère ou fait transférer des déchets vers un autre Etat en application du règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets ;
2. Tout exploitant d'une installation soumise à autorisation ou enregistrement au titre du livre V (titre Ier) du code de l'environnement dont la puissance thermique maximale lorsqu'il s'agit d'installations de combustion, la capacité lorsqu'il s'agit d'installations de traitement thermique d'ordures ménagères, ou le poids des substances mentionnées au 2 de l'article 266 septies émises en une année lorsque l'installation n'entre pas dans les catégories précédentes, dépassent certains seuils fixés par décret en Conseil d'Etat (...)”
L’article 266 septies du Code douanier dispose que :
“Le fait générateur de la taxe prévue à l'article 266 sexies intervient et cette taxe est exigible au moment où se produit :
1. La réception des déchets dans une installation mentionnée au 1 du I de l'article 266 sexies ;
1 bis. Le transfert des déchets à la date figurant sur le document de suivi adressé aux autorités compétentes du pays d'expédition en application du règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant les transferts de déchets ou, à défaut de document de suivi, à la date de sortie du territoire ;
2. L'émission dans l'atmosphère par les installations mentionnées au 2 du I de l'article 266 sexies, d'oxydes de soufre et autres composés soufrés, d'oxydes d'azote et autres composés oxygénés de l'azote, d'acide chlorhydrique, d'hydrocarbures non méthaniques, solvants, de benzène et d'hydrocarbures aromatiques polycycliques et autres composés organiques volatils, d'arsenic, de mercure, de sélénium, de plomb, de zinc, de chrome, de cuivre, de nickel, de cadmium, de vanadium ainsi que de poussières totales en suspension (...)”
L’article 266 octies dispose que :
“La taxe mentionnée à l'article 266 sexies est assise sur :
1. Le poids des déchets reçus ou transférés vers un autre Etat par les exploitants ou les personnes mentionnés au 1 du I de l'article 266 sexies ;
2. Le poids des substances émises dans l'atmosphère par les installations mentionnées au 2 du I de l'article 266 sexies. Pour les installations pour lesquelles la puissance thermique ou la capacité n'excède pas les seuils prévus au même 2 du I de l'article 266 sexies, ou pour lesquelles un seuil de puissance thermique ou de capacité n'est pas prévu, il est tenu compte du poids total des substances pour lesquelles le seuil est dépassé, y compris la fraction de ce poids inférieure à ce seuil ;(...)
5. Le poids des préparations pour lessives, y compris des préparations auxiliaires de lavage, ou des produits adoucissants ou assouplissants pour le linge mentionnés au 5 du I de l'article 266 sexies ;
6. Le poids des matériaux d'extraction mentionnés au 6 du I de l'article 266 sexies.”
Le paragraphe 8 de l’article 266 nonies du code des douanes dispose que le seuil d'assujettissement des émissions de poussières totales en suspension mentionnées au 2 de l'article 266 septies est fixé à 5 tonnes par an.
La circulaire du 03 juillet 2018 relative à la Taxe générale sur les activités polluantes dispose que :
“[105] Il s'agit des particules émises dans l'air, de taille et de forme variables. Ces particules recouvrent les poussières totales (particules de taille supérieure à 10 micromètres), ainsi que les PM10 (particules de taille inférieure à 10 micromètres) et les PM2,5 (particules de taille inférieure à 2,5 micromètres) qui sont les particules les plus fines et les plus nocives pour la santé humaine.
- les PM10 : particules essentiellement composées de matériaux terrigènes (oxydes d'aluminium, silice),de carbone, de sulfates, de nitrates et d'ammonium, d'éléments issus de l'érosion (fer, embruns, HCI) ;
- les PM 2,5 : particules composées essentiellement de carbone mais aussi de nitrates, sulfates et de composés organiques comme les HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques), qui sont des substances mutagènes et cancérigènes. Elles sont dites insédimentables car elles ne se déposent pas sur le sol. Elles proviennent essentiellement des moteurs diesel, des installations de combustion et des procédés industriels tels que ceux mis en œuvre dans les cimenteries, les fonderies ou les verreries.
Ces particules sont rejetées dans l'air par des sources très diverses telles que les processus de combustion du charbon, ou l'incinération de déchets. La majorité des émissions de particules proviennent de l'industrie (sidérurgie, cimenterie, incinération). Leur degré de toxicité dépend de leur taille, les plus fines étant les plus nocives, ainsi que de leur composition (substances toxiques allergènes, mutagènes ou cancérigènes).
bb) Assujettissement :
[106] Le seuil d'assujettissement des installations pour les émissions de poussières totales en suspensionest de 5 tonnes par an. Toute installation assujettie au titre des poussières totales en suspension est redevable de la TGAP sur l'ensemble de ses émissions de poussières totales en suspension, ce qui signifie que lorsque le seuil des 5 tonnes est dépassé, toutes les quantités émises de poussières totales en suspension sont assujetties (pas seulement celles supérieures aux 5 tonnes).”
Cette définition est équivalente à celle qui figure au 7° de l’article R. 4222-3 du code du travail et qui, sous le vocable de « poussière totale », donne la définition suivante : «toute particule solide dont le diamètre aérodynamique est au plus égal à 100 micromètres ou dont la vitesse limite de chute, dans les conditions normales de température, est au plus égale à 0,25 mètre par seconde ».
Elle est conforme à la norme EN 481 relative à la définition des fractions de taille pour le mesurage des particules en suspension dans l’air qui définit les particules totales en suspension dans l’air comme “toutes les particules en suspension dans un volume donné d’air”.
Le Centre Interprofessionnel Technique d'Études de la Pollution Atmosphérique (CITEPA) précise que les particules sont différenciées selon leur taille :
• « les Particules Totales en Suspension » (appelées TSP pour Total Suspended Particulates puisque l'acronyme en français (PTS) n'est pas utilisé) regroupent l'ensemble des particules quelle que soit leur taille,
• les PM 10 : particules dont le diamètre est inférieur à 10 µm,
• les PM 2,5 : particules dont le diamètre est inférieur à 2,5 µm,
• les PM 1,0 : particules dont le diamètre est inférieur à 1 µm. »
Dès lors la définition des poussières totales émises et pouvant retomber au sol, basée sur le diamètre aérodynamique et la vitesse de chute, est plus large que les seules PM 10 ; en effet, c’est bien l’ensemble des particules émises dans l’atmosphère, quelle que soit leur taille (supérieure ou inférieure à 10 microns) qui sont à classer comme poussières totales en suspension assujetties à la TGAP.
En visant la notion de « poussières totales en suspension » sans plus de précision, il y a lieu de considérer que le législateur a choisi, en cohérence avec l'objectif environnemental de cette fiscalité, de taxer toutes les poussières en suspension émises dans l'atmosphère par l'installation assujettie, mêmes les poussières sédimentables (c'est à dire de taille supérieure à 10 micromètres) qui avant de retomber au sol et de sédimenter, ont bien été en suspension.
Ainsi, les circulaires expliquent qu'il existe plusieurs catégories de poussières qu'elle classifie selon leur taille. Elles n'ont en rien ajouté à la loi ; elles ne l'ont contredite sur aucun point, se contentant de la préciser pour sa bonne application.
En outre, s’agissant du Règlement (CE) n°166/2006, celui-ci n’a pas vocation à définir les poussières qui sont polluantes de celles qui ne le sont pas.
Il vise uniquement à faciliter l’accès du public à l’information en matière d’environnement par la mise en place d’un registre européen en matière de rejets et de transferts de polluants afin de prévenir et réduire la pollution, en communiquant des données aux décideurs et en facilitant la participation du public au processus décisionnel en matière environnementale.
En effet, en son article premier, le règlement (CE) n°166/2006 précise qu’il a vocation à instaurer « un registre intégré des rejets et des transferts de polluants au niveau communautaire sous la forme d’une base de données électronique accessible au public, et définit les règles relatives à son fonctionnement (…), tout en facilitant la participation du public au processus décisionnel en matière environnementale et en contribuant à la prévention et à la réduction de la pollution de l’environnement ».
L’absence du qualificatif de “polluant” par le texte européen susvisé pour les particules de taille supérieure à 10 micromètres n’a aucune conséquence sur l’assujettissement de celles-ci à la TGAP composante émissions polluantes, le droit français n’étant pas tenu par ce qualificatif.
Il ne résulte en effet aucunement des textes européens que la taxation de poussières de taille supérieure aux PM10 serait impossible ni qu’elles ne pourraient être considérées comme polluantes, alors même que les États membres de l’Union européenne peuvent adopter des mesures renforcées en matière de protection de l’environnement.
Dès lors, il ne peut être soutenu que les dispositions réglementaires de la circulaire de 2016 comme celle de 2018 sont contraires au droit national ou au droit européen.
S’agissant de la mise en œuvre de la TGAP-PTS, l’absence de définition d’une méthode dans la loi ou le règlement fixant les mesures n’est pas un élément préjudiciable aux sociétés exploitantes et ne fait pas obstacle à la détermination de la TGAP applicable à l’activité de la société.
En effet, les circulaires relatives à la TGAP reproduisent en annexe I le formulaire CERFA devant être utilisé pour déclarer la TGAP. Ce formulaire précise que plusieurs méthodes peuvent être retenues pour déterminer les quantités de substances polluantes devant être assujetties à la taxe : mesure des émissions, bilan matières, facteurs d'émission, corrélation ou autre méthode.
S'agissant de la méthode de calcul, issue du guide méthodologique dtaide à la déclaration annuelle des émissions polluantes, et des déchets, à l'attention des exploitants de carrières et d'installations de premier traitement des matériaux (déclaration annuelle des émissions et des transferts de polluants et des déchets, GEREP), rédigée en lien avec les professionnels, celle-ci est recevable pour déterminer l'assiette de la TGAP dans la mesure où elle permet de préciser aussi bien les quantités de PM10 que de poussières totales ayant un diamètre aérodynamique supérieur à dix micromètres.
Au surplus, ces données issues des déclarations GEREP sont publiques et peuvent donc être utilisées par les services douaniers pour asseoir l'assiette de la TGAP.
Si aucune méthode de calcul n’est imposée par la réglementation douanière pour la mesure des émissions polluantes devant être soumises à la TGAP, les services des douanes retiennent la méthode la plus favorable à l’opérateur.
Cette liberté de choix pour l'opérateur n’a pas pour conséquence de contrevenir au principe d’égalité devant la loi et les charges publiques ni de porter atteinte à la sécurité juridique dans la mesure où il demeure libre de mesurer les émissions selon la méthode qu’il choisit, dans la mesure où celle-ci est fiable.
Les méthodes GEREP et US-EPA AP-42 sont deux méthodes reconnues par la DREAL et sont recevables pour le calcul des émissions de PTS devant être assujetties à la TGAP.
En effet, aux termes de la réponse ministérielle du 11 octobre 2018, les données issues des déclarations GEREP sont publiques et peuvent donc être utilisées par les services douaniers en tant que faisceaux d'indices pour asseoir l'assiette de la TGAP.
Il est donc incontestable que les éléments issus de la réglementation environnementale peuvent être utilisés par l'administration des douanes et entraîner des conséquences en matière douanière.
S'agissant de l'assiette des poussières totales en suspension à retenir, il y a lieu de rappeler que les arrêtés préfectoraux d'exploitation imposent aux carrières de la société CHAUX DE LA TOUR la mise en place de mesure pour lutter contre les émissions de poussière, évaluer les poussières émises, limiter et mesurer les envols de poussière, en surveiller et en mesurer les retombées, l'évaluation des PTS devant prendre en compte la circulation des véhicules sur les pistes, l'érosion éolienne des stockages et la manipulation des tas de stocks.
La méthode GEREP précise que les postes suivants d'émissions de poussière doivent être pris en compte dans l'évaluation des PTS : forage, minage, traitements de granulats, transport interne, gestion et érosion des stocks.
Sur la base des informations fournies par l'opérateur, la TGAP est liquidée sur une base déclarative, les installations assujetties devant déposer une déclaration annuelle lorsqu'elles remplissent les conditions de seuil des émissions taxées, telle que prévue par le code des douanes.
Il en résulte qu'il appartient à l'opérateur industriel assujetti à la TGAP non seulement de mettre en œuvre un procédé d'enregistrement et de mesure régulière, fiable et détaillée des poussières totales en suspension émises dans l'atmosphère sur le site d'exploitation mais également de choisir librement l'outil de mesure adapté à chaque modalité de diffusion des poussières totales sur ce site d'exploitation.
L'absence de mise en œuvre d'un tel procédé et l'absence de déclaration ou le dépôt d'une déclaration imprécise ou fondée sur des données seulement estimatives, sont exclusivement imputables à l'opérateur défaillant qui ne peut valablement se soustraire à ses obligations au motif que la loi ne définit pas une méthode particulière de mesure des émissions taxables alors que cela ne relève pas de son domaine.
En l’espèce, le service d’enquête a utilisé les documents d’estimation/évaluation des «émissions de poussières » préparatoires à la déclaration GEREP, communiqués par la société CHAUX DE LA TOUR.
L’estimation des poussières totales en suspension réalisée par la société CHAUX DE LA TOUR a permis de calculer le montant des taxes applicables sans que les données qu’elle a elle-même fournies n’aient été rectifiées voir contestées.
Ainsi l’ensemble des émissions polluantes de la société CHAUX DE LA TOUR au titre des poussières totales, des PM10 et des MP 2,5 a été prise en compte, sur la base de ses seules déclarations, aux fins de mesurer le poids exprimé en tonnes des substances émises dans l’atmosphère, et calculer la TGAP dont elle était redevable.
La société CHAUX DE LA TOUR sera donc déboutée de l’intégralité de ses demandes, et condamnée aux dépens.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de l’administration des douanes l’intégralité des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer ; la société CHAUX DE LA TOUR sera donc condamnée à lui payer la somme de 3.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
Déboute la société CHAUX DE LA TOUR de ses demandes ;
Condamne la société CHAUX DE LA TOUR à payer à la Direction interrégionale des Douanes de [Localité 4] la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société CHAUX DE LA TOUR aux dépens.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE ONZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,