TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 11 Juillet 2024
Enrôlement : N° RG 23/05700 - N° Portalis DBW3-W-B7H-3P3J
AFFAIRE : Monsieur le Comptable Public du Pôle de Recouvrement spécialisé de [Localité 8] (AARPI LOMBARD-SEMELAIGNE-DUPUY-DELCROIX)
C/ M. [U] [W] (Me Isabelle LAVIGNAC)
DÉBATS : A l'audience Publique du 04 Juin 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette, Greffier
Vu le rapport fait à l’audience
A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 11 Juillet 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Monsieur le Comptable Public du Pôle de Recouvrement spécialisé de [Localité 8]
dont les bureaux sont situés [Adresse 2], agissant sous l’autorité de la directrice régionale des Finances publiques de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du département des Bouches-du-Rhône
représenté par Maître Eric SEMELAIGNE de l’AARPI LOMBARD-SEMELAIGNE-DUPUY-DELCROIX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Maître Alexandre VIGOUROUX
C O N T R E
DEFENDEUR
Monsieur [U] [W]
né le 22 Avril 1970 à [Localité 11] (CAMEROUN)
de nationalité camerounaise, demeurant et domicilié [Adresse 1]
représenté par Maître Isabelle LAVIGNAC, avocat au barreau de MARSEILLE
EXPOSÉ DU LITIGE :
Faits et procédure :
Monsieur [W] était l'associé unique de la SARLU [9].
Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 18 septembre au 25 novembre 2020 portant sur la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018 pour la TVA et l'impôt sur les sociétés et jusqu'au 31 décembre 2019 pour la TVA seule.
Le 31 mars 2021 l'administration fiscale a adressé à la SARLU [9] une proposition de rectification à hauteur de 55.432 € au titre de l'impôt sur les sociétés de 2018 et 25.847 € au titre de la TVA de 2018 et 2019.
Par jugement du 27 septembre 2021 le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [9].
Le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] a déclaré sa créance le 19 octobre 2021 pour un total de 179.420,88 € constituée de l'impôt sur les sociétés 2017 et 2018, la TVA 2018, la contribution foncière des entreprises 2019 et 2020, la TVA issue des acomptes de juillet et décembre 2020 et juillet 2021. Le 3 février 2022 le comptable public a sollicité l'admission à titre définitif de ses créances pour la TVA 218 et 2019 pour la somme de 25.236 €. Le 11 février 2022 il a encore sollicité l'admission à titre définitif de sa créance pour la CFE 2021 pour 975 €.
Par jugement du 21 mars 2022 la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif.
Selon autorisation donnée par ordonnance du 17 mai 2023, le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] a fait assigner à jour fixe, selon exploit du 24 mai 2023, monsieur [W] pour l'audience du 4 juillet 2023.
L'affaire a fait l'objet, avec l'accord des parties, de renvois successifs.
Demandes et moyens des parties :
Aux termes de son exploit introductif d'instance le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] demande en application de l'article L267 du livre des procédures fiscales, la condamnation de monsieur [W] à lui payer la somme de 205.631,88 € correspondant au montant des impositions dues par la société [9], outre 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes qu'en sa qualité de dirigeant social monsieur [W] a commis plusieurs manquements graves et répétés aux obligations fiscales déclaratives et de paiement qui lui incombaient, soit en minorant à tort la base du bénéfice imposable par la déclaration de charges déductibles non justifiées ou non fondées, soit en déclarant à tort ou sans justificatif de la TVA déductible en 2018 et 2019, soit en ne reversant pas la TVA en 2018 et les acomptes de TVA en juillet et décembre 2020 et juillet 2021, soit en ne se conformant pas à l'article 302 septies A du code général des impôts, soit en ne réglant pas la CFE en 2019, 2020 et 2021.
Il ajoute que la responsabilité de monsieur [W] est engagée dès lors qu'il avait seul pouvoir pour administrer et gérer la société, et qu'il a donc délibérément procédé aux manquements aux règles fiscales.
Il soutient encore que ces manquements ont directement été à l'origine de recouvrer les impôts en cause, soulignant que l'absence de paiement de la TVA a permis de préserver la trésorerie de la société et d'en poursuivre l'activité en camouflant son aspect déficitaire, et que monsieur [W] a prélevé de façon significatives des sommes sur les disponibilités de la société à des fins étrangères à son objet, et fait valoir que plusieurs tentatives de recouvrement se sont avérées infructueuses, la procédure de liquidation judiciaire ayant enfin rendu impossible toute possibilité de nouvelle poursuite contre la société.
Monsieur [W] a conclu le 22 février 2024 au rejet des demandes formées à son encontre, subsidiairement à la limitation à 58.714 € des sommes dont il pourrait être tenu, et à la condamnation du comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] à lui payer la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs que la condamnation du dirigeant social ne saurait résulter du seul constat du défaut de paiement des impôts et taxes, qu'il a déjà payé une somme de 75.665 €, que le montant de la créance du Trésor Public n'est pas justifié dès lors qu'il n'a pas fait l'objet d'une procédure de vérification dans le cadre de la liquidation judiciaire mais résulte d'une simple déclaration, soulignant qu'il se trouvait en Afrique au moment où les opérations de vérification comptable ont eu lieu.
Subsidiairement il demande à n'être tenu qu'au montant des impositions restant dues, hors majorations et pénalités de retard et taxations d'office.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'article L267 du livre des procédures fiscales dispose que « Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manœuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal judiciaire du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement.
Les voies de recours qui peuvent être exercées contre la décision du président du tribunal judiciaire ne font pas obstacle à ce que le comptable prenne à leur encontre des mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance du Trésor. »
Il résulte de l'extrait K-bis de la société [9], ayant pour objet l'activité de consultant en entreprise, et de ses statuts que monsieur [W] en était le seul associé et le gérant. Il disposait donc seul de tous les pouvoirs de contrôle et de direction et à ce titre assumait seul toutes les obligations fiscales de la société, que ce soit à titre de déclaration ou de paiement des impôts et taxes.
Le 31 mars 2021 l'administration fiscale a adressé à la SARLU [9] une proposition de rectification à hauteur de 55.432 € au titre de l'impôt sur les sociétés de 2018 et 25.847 € au titre de la TVA de 2018 et 2019. Il n'est ni montré ni soutenu que cette proposition de rectification ait fait l'objet d'une réclamation ou d'un recours.
Selon cette proposition, ont été observés des manquements déclaratifs en matière d'IS pour les années 2018 et 2019, le gérant ayant minoré la base du bénéfice imposable en déclarant à tort comme charges déductibles pour un montant total de 154.799 € et consistant en :
- soit des frais et charges qui n'ont pas été engagés dans l'intérêt de la société, à savoir des dépenses ayant profité personnellement au dirigeant ou au parti politique qu'il dirige (l'UNDP, Union National pour la Démocratie et le Progrès) :
o facture de l'entreprise [7] pour l'impression de 2 millions de cartes d'adhérents à l'UNDP pour un montant de 15.689 € ;
o facture pour la formation, auprès de l'[3], de personnes non-rattachées à la société pour un montant de 8.439,38 € ;
o factures relatives à des frais de déplacement et de résidence hôtelière en Afrique pendant 135 jours engagés dans l'intérêt du dirigeant à des fins non-professionnelles pour un montant de 44.671 € ;
- soit des frais et achats non justifiés en comptabilité :
o achats de navires non comptabilisés aux stocks pour un montant de 72.099,52 € ;
o frais sans justificatif de télécommunication pour un montant de 1.285 € ;
o frais divers sans justificatif pour un montant de 8.643 € ;
o frais de formation auprès de [4] et [5] sans justificatif de facture pour un montant de 4.798 €.
De même ont été observés des manquements déclaratifs en matière de TVA pour les années 2018 et 2019, le gérant ayant déclaré à tort ou sans justificatif comptable de la TVA déductible :
- en 2018, la déclaration de TVA déductible pour un montant total de 4.096 € relativement aux prestations précitées, souscrites auprès de l'entreprise [7] et des organismes de formation [4], [5], qui sont sans lien direct et immédiat avec l'intérêt de l'entreprise ;
- en 2019, la déclaration de TVA déductible pour un montant total de 13.930 €, relativement à des opérations souscrites auprès des fournisseurs [10] et [6], que le redevable n'est pas en mesure de justifier à l'appui de factures probantes.
L'administration fiscale reproche en outre à la société [9], sans être contredite sur ce point, l'absence de reversement de la TVA pour un montant total de 122.486 € (hors pénalités et majorations de retard) au titre de la TVA de 2018, des acomptes de TVA de juillet 2020, décembre 2020 et juillet 2021, le défaut de conformité à l'article 302 septies A du CGI exigeant le dépôt de déclarations mensuelles de TVA à compter de l'exercice 2019 puisque le seuil de chiffre d'affaires pour bénéficier du régime simplifié d'imposition (autorisant de déclarer annuellement la TVA) avait été dépassé, le fait que les dernières déclarations de TVA et de résultats n'ont pas été déposées, ce qui a permis à la société d'éluder les droits de TVA et d'IS réellement dus, et l'absence de règlement des CFE 2019, 2020 et 2021.
Le nombre et la gravité des manquements exigées par les dispositions précitées de l'article L267 du livre des procédures fiscales sont ainsi caractérisés, eu égard notamment à leur répétition et à leur caractère systématique sur plusieurs années entre 2018 et 2021 et à l'importance des droits éludés.
Monsieur [W] ne peut à cet égard se prévaloir utilement du paiement de la somme de 73.665 € qu'il a fait l 18 juillet 2022, et qui correspond à l'impôt sur les revenus et prélèvements sociaux de l'année 2018 dont il est tenu personnellement et non aux impositions et taxes dus par la société [9].
Ces irrégularités de déclaration et défauts de paiement caractérisent en outre une faute personnelle du dirigeant de la société [9], dès lors qu'il a déjà été souligné que monsieur [W] disposait de la totalité des pouvoirs de gestion de celle-ci, et qu'il ne pouvait en cette qualité ignorer le caractère privé des prestations déclarées à tort, l'absence de paiement mensuel des acomptes de TVA et du paiement de la CFE et de l'IS.
Ces manquements ont, de façon objective, rendu impossible le recouvrement des créances fiscales poursuivi, ainsi qu'il est justifié par la production aux débats de cinq avis à tiers détenteurs pratiqués les 16 octobre 2019, 28 janvier 2020, 7 février 2020 et 17 décembre 2020 n'ayant permis le recouvrement que de la somme de 182,12 €, et d'une tentative infructueuse de saisie vente pratiquée au siège social de la société [9]. Par la suite aucune somme n'a été recouvrée dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire.
Les conditions de l'article L267 du livre des procédures fiscales sont donc réunies, et il conviendra de condamner monsieur [W] à payer le solde des impôts restant dus par la société [9].
Monsieur [W] n'indique pas en quoi les sommes résultant de taxation d'office, majorations et pénalités de retard ne seraient pas dues comme il se contente de l'affirmer. Il sera donc condamné à payer la somme de 205.631,88 € conformément au décompte produit par le comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8].
Monsieur [W], qui succombe à l'instance, en supportera les dépens.
Il sera en outre condamné à payer au comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Le président du tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
Condamne monsieur [U] [W] à payer au comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] la somme de 205.631,88 € ;
Condamne monsieur [U] [W] à payer au comptable public du Pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 8] la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne monsieur [U] [W] aux dépens.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE ONZE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,