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08/07/2024 | FRANCE | N°21/01312

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab3, 08 juillet 2024, 21/01312


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°24/289 DU 08 Juillet 2024


Enrôlement : N° RG 21/01312 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YMWB

AFFAIRE : Mme [D] [J] ( la SELAS SF AVOCAT)
C/ M. [F] [S] (Me Marivonne MELIA)


DÉBATS : A l'audience Publique du 13 Mai 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte, Greffier

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été av

isées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 08 Juillet 2024

Jugement signé par BERGER-GENTIL Blan...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/289 DU 08 Juillet 2024

Enrôlement : N° RG 21/01312 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YMWB

AFFAIRE : Mme [D] [J] ( la SELAS SF AVOCAT)
C/ M. [F] [S] (Me Marivonne MELIA)

DÉBATS : A l'audience Publique du 13 Mai 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte, Greffier

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 08 Juillet 2024

Jugement signé par BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente et par BESANÇON Bénédicte, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Madame [D] [J]
née le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 7]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]

représentée par Maître Sandra FIORENTINI-GATTI de la SELAS SF AVOCAT, avocats au barreau de MARSEILLE

CONTRE

DEFENDEUR

Monsieur [F] [S]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 10]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]

représenté par Me Marivonne MELIA, avocat au barreau de MARSEILLE

EXPOSE DU LITIGE :

Madame [D] [J] est la fille unique de Monsieur [L] [E] [J] et de Madame [R] [X] [T] épouse [J].

Monsieur [L] [E] [J] est décédé le [Date décès 2] 1995 et son épouse Madame [R] [X] [J] est décédée le [Date décès 5] 2019 à l’âge de 94 ans.

Aux termes d’un testament olographe en date du 1er mars 2018, Madame [R] [J] a gratifié Monsieur [F] [S] d’un legs à titre particulier, à savoir la jouissance du rez-de-chaussée de la maison qu’elle occupait et dont elle était propriétaire sis à [Adresse 8], et les pièces attenantes, à savoir une chambre, une salle de bains, un garage ainsi que deux cabanons dans le jardin faisant office de cuisine et de buanderie, moyennant paiement de la somme de 150 € et précisant qu’il pouvait occuper ce bien après sa mort.

Aux termes d’un second testament olographe en date du 15 janvier 2019 Madame [R] [J] a gratifié Monsieur [F] [S] d’un legs à titre particulier, à savoir la jouissance à titre gratuit de son logement sis [Adresse 8] « autant qu’il le souhaite pour tous les services rendus ou qu’il rendra depuis des années. Ceci est ma volonté même après ma mort. »

Au mois de janvier 2020, Madame [D] [J] a reçu de Maître [W], notaire à [Localité 7], copie authentique d’un procès-verbal de dépôt de testament dans lequel sont consignés les deux testaments olographes.

Par ordonnance en date du 20 novembre 2020, le juge des référés a ordonné une expertise médicale sur pièces de feu Madame [R] [J] et commis pour y procéder le Docteur [A] [O] ; il a par ailleurs ordonné la restitution par Monsieur [F] [S], en présence d’un huissier de justice, des biens meubles et de l’ensemble des documents administratifs et médicaux ayant appartenu à Madame [R] [J] et se trouvant au dernier domicile de celle-ci.

Le docteur [A] [O] a déposé son rapport le 15 mars 2022.

Considérant que sa mère avait été victime d’un abus de faiblesse, Madame [D] [J] a déposé plainte entre les mains du procureur de la république du tribunal judiciaire de Marseille par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 1er mars 2023 à l’encontre de Monsieur [F] [S].

Suivant exploit en date du 21 janvier 2021, Madame [D] [J] a assigné devant le tribunal de céans Monsieur [F] [S] aux fins de :
– la déclarer recevable et bien fondée en sa demande de contestation de legs et en sa demande aux fins de voir prononcer la nullité des legs en date des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019 au profit de Monsieur [S] ;
– le condamner au paiement d’une somme de 6337,50 €au titre des droits de jouissance et d’habitation à hauteur des 3/8èmes dont elle est privée du fait de l’occupation des lieux par le requis, qui est ainsi tenu de lui verser une indemnité d’occupation correspondante à hauteur de 487,50 €par mois à compter du départ de feu Madame [J] en août 2019.
– Le condamner au paiement d’une somme de 487,50 € par mois à titre d’indemnité d’occupation sur le bien sis [Adresse 8] et ce, jusqu’à la libération spontanée ou forcée du bien ;
– le condamner au paiement des charges afférentes à l’usage du bien, outre à la taxe d’habitation.
Avant dire droit :
– ordonner le sursis à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction des référés saisie d’une demande d’expertise neurologique sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, et dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise.
Sur le fond :
– voir ordonner la nullité des testaments olographes et legs consentis à Monsieur [S] en date des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019, l’état psychique de feu Madame [J] étant altéré par une adultération des fonctions cognitives évoluant dans la chronicité depuis des années et une annihilation de l’exercice de sa volonté la privant de toute volonté.
– Le condamner au paiement des arriérés de charges à compter de son occupation des lieux, et au paiement d’une indemnité d’occupation à hauteur de 1300 € par mois, ce dernier s’étant maintenu dans les lieux sans droit ni titre durant tout le temps de son occupation irrégulière, laquelle sera à parfaire à l’issue de la procédure ou à compter de sa libération spontanée.
– Le condamner au paiement d’une somme de 15 000 €à titre de dommages et intérêts pour privation de son bien par Madame [J] laquelle n’a pu en user librement postérieurement au décès de feu Madame [J], faire tout acte de disposition et dont l’état se dégrade faute de justification par Monsieur [S] d’un usage normal et paisible du bien.
– Le condamner au paiement d’une somme de 5000 € pour la rétention injustifiée des biens meubles de la requérante qui en a sollicité restitution par voie amiable, puis a dû user des voies judiciaires du fait de l’opposition du requis.
– Le condamner au paiement d’une somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 et des dépens et ordonner l’exécution provisoire.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2024 auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, Madame [D] [J] demande au tribunal de :
- Juger que le rapport du Dr [O] ne pourra être homologué en l’état ;
- Débouter Monsieur [S] de l’ensemble de ses demandes, demandes reconventionnelles, fins et prétentions ;
- EN CONSEQUENCE ET A TITRE PRINCIPAL,
- Déclarer Madame [D] [J] recevable et bien fondée en sa demande de contestation de legs sur le fondement de l’insanité d’esprit et en vertu des dispositions des articles 901 et 412-2 du code civil et en sa demande de voir prononcer la nullité desdits legs en date des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019 au profit de Monsieur [S] ;
- Voir ordonner la révocation du fait de la nullité des testaments olographes et legs ainsi consentis à Monsieur [S] en date des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019, l’état psychique de Madame feue [J] étant altéré par une adultération des fonctions cognitives évoluant dans la chronicité depuis des années et une annihilation de l’exercice de sa volonté la privant de toute volonté ;
- Condamner Monsieur [S] à restituer le bien, fruit des legs successifs et ordonner son départ immédiat et sans préavis ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement des arriérés des charges à compter de son occupation des lieux, de même que le condamner au paiement d’une indemnité d’occupation à hauteur de 1300 euros par mois soit 53.300 euros ce dernier s’étant maintenu dans les lieux sans droit ni titre durant tout le temps de son occupation irrégulière laquelle sera à parfaire à l’issue de la procédure ou à compter de sa libération spontanée ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de son bien par Madame [J] laquelle n’a pu en user librement postérieurement au décès de Madame feue [J], faire tout acte de disposition et dont l’état se dégrade faute de justification par Monsieur [S] d’une usage normal et paisible du bien ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 5.000 euros pour la rétention injustifiée des biens meubles de la requérante lesquels en a sollicité restitution par voie amiable puis a du user des voies judiciaires du fait de l’opposition du requis ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens ;
- Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
- Déclarer Madame [D] [J] recevable et bien fondée en sa demande de contestation de leg sur le fondement de l’abus de dépendance en vertu des dispositions des articles 1143 et suivants du code civil et en sa demande de voir prononcer la nullité desdits legs en date des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019 au profit de Monsieur [S] ;
- Voir ordonner la révocation du fait de la nullité des testaments olographes et legs ainsi consentis à Monsieur [S] en date des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019, Monsieur [J] ayant bénéficié d’un profit manifestement excessif par abus de dépendance sur Madame feue [J] [R] ;
- Condamner Monsieur [S] à restituer le bien, fruit des legs successifs et ordonner son départ immédiat et sans préavis ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement des arriérés des charges à compter de son occupation des lieux, de même que le condamner au paiement d’une indemnité d’occupation à hauteur de 1300 euros par mois soit 53.300 euros ce dernier s’étant maintenu dans les lieux sans droit ni titre durant tout le temps de son occupation irrégulière laquelle sera à parfaire à l’issue de la procédure ou à compter de sa libération spontanée ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de son bien par Madame [J] laquelle n’a pu en user librement postérieurement au décès de Madame feue [J], faire tout acte de disposition et dont l’état se dégrade faute de justification par Monsieur [S] d’un usage normal et paisible du bien ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 5.000 euros pour la rétention injustifiée des biens meubles de la requérante lesquels en a sollicité restitution par voie amiable puis a dû user des voies judiciaires du fait de l’opposition du requis ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens ;
- Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE, sur le fondement de l’article 1046 du code civil,
- Débouter Monsieur [S] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- Ordonner la révocation des deux legs consentis pour non respect des charges et disparition de leurs causes ;
- Condamner Monsieur [S] à restituer le bien, fruit des legs successifs et ordonner son départ immédiat et sans préavis ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement des arriérés des charges à compter de son occupation des lieux, de même que le condamner au paiement d’une indemnité d’occupation à hauteur de 1300 euros par mois soit 53.300 euros ce dernier s’étant maintenu dans les lieux sans droit ni titre durant tout le temps de son occupation irrégulière laquelle sera à parfaire à l’issue de la procédure ou à compter de sa libération spontanée ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de son bien par Madame [J] laquelle n’a pu en user librement postérieurement au décès de Madame feue [J], faire tout acte de disposition et dont l’état se dégrade faute de justification par Monsieur [S] d’un usage normal et paisible du bien ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 5.000 euros pour la rétention injustifiée des biens meubles de la requérante lesquels en a sollicité restitution par voie amiable puis a du user des voies judiciaires du fait de l’opposition du requis ;
- Condamner Monsieur [S] au paiement d’une somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens ;
- Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Au terme de ses dernières conclusions signifiées le 8 mars 2024 auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, Monsieur [F] [S] demande au tribunal de :
- Rejeter des débats les pièces adverses n°11 et 12,
Subsidiairement et au cas où le Tribunal ne rejetterait pas la pièce 12,
- Procéder à la vérification d’écriture de Madame [U], (Pièce adverse 12)
- Homologuer le rapport d’expertise du docteur [O] du 15 mars 2022,
Vu les articles 901 et suivants du code civil,
Vu le rapport d’expertise du Docteur [O] du 15 mars 2022,
- Débouter Madame [D] [J] de ses demandes en nullité des testaments des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019, formées tant à titre principal qu’à titre subsidiaire et infiniment subsidiaire.
En l’état de la procédure,
- Débouter Madame [D] [J] de sa demande de condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation, tant à titre principal qu’à titre subsidiaire.
- Débouter Madame [D] [J] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 15 000 € pour privation de son bien situé [Adresse 8] du fait de son occupation illicite par Monsieur [F] [S],
- Débouter Madame [D] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour rétention injustifiée de ses biens meubles,
- Débouter Madame [D] [J] de sa demande de condamnation au paiement d’une somme de 5000 € au titre de l’article 700 du CPC;
- Accueillir ses demandes reconventionnelles,
En conséquence,
Vu les articles 1004 et suivants du code civil,
Vu les testaments des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019,
Vu la demande de délivrance de legs de Monsieur [F] [S] du 11 août 2020,
- Ordonner la délivrance à Monsieur [F] [S] des legs particuliers que lui a consenti Madame [R] [T] veuve [J] suivant testaments des 1er mars 2018 et 15 janvier 2019, à compter du [Date décès 5] 2019, aux frais de la succession,
Vu l’absence de délivrance des legs,
Vu la sommation en date du 6 avril 2023, délivrée par M° [C], Huissier de Justice à [Localité 7] en application de l’article 771 du code civil,
- Constater que Monsieur [F] [S], n’a pas la qualité d’héritier à la date de la délivrance de la sommation et ne peut en conséquence y répondre,
- Condamner Madame [D] [J] à payer à Monsieur [F] [S] une somme de 30.000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive atteinte à la vie privée et propos injurieux,
- Condamner Madame [D] [J] à payer à Monsieur [F] [S] une somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du CPC,
- Condamner Madame [D] [J] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 mars 2024 et l’affaire renvoyée à l’audience du 13 mai 2024.

MOTIFS :

Sur la nullité des testaments et ses conséquences :

En application de l’article 414-1 du code civil, pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.

En application de l’article 901 du Code civil, pour faire une libéralité il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence.

L’article 1143 du même code dispose qu’il y a violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.

En l’espèce, constatant le déclin psychique de sa mère, Madame [D] [J] avait fait procéder, en vue de l’ouverture d’une procédure d’habilitation familiale, à une expertise confiée au Docteur [B] [I], psychiatre inscrit sur les listes prévues par l’article 431 du Code civil et établies par le Procureur de la République près les TGI d’Aix-en-Provence et de Marseille.

Il ressort du certificat médical circonstancié du Docteur [B] [I] établi le 16 août 2019 que :
« L’abord la montre encore capable de dialoguer, en dépit de ses carences mnésiques.(...)
En 1995, succombe au veuvage. (...) avec le temps, un insidieux décrescendo commence à l’affecter, voici déjà plus de deux ans. Des chutes récurrentes s’ensuivent. Lui occasionnant une fracture du fémur. Tout en précipitant davantage sa régression, l’engageant dans la nécessité de recourir à des soutiens à domicile...
Aussi, cette évolution inexorablement péjorative requise est-elle, maintenant, l’instauration inéluctable de l’étançonnement palliatif pressenti à bon escient dans la démarche susvisée.
Sa santé altéréé, à l’âge de 93 ans – par une adultération des fonctions cognitives, une cardiopathie ... donnent lieu à une sévère dépendance et ainsi à une impuissance à pourvoir à ses intérêts (...)
Cette dénaturation de ses moyens évoluant dans la chronicité depuis quelques années, dorénavant enkystée – avec mobilité très compromise, syndrome amnésique, oublie au fur et à mesure, perte des acquis et compris de la pratique du calcul, désorientation, confusions, déni des troubles, inhabilité quasi généralisée, exigence de soutien pour les actes du quotidien, vulnérabilité – Annihile l’exercice de sa volonté.
La formule avancée répond à un indispensable besoin de représentation de manière continue pour tous les actes de la vie civile et doit pouvoir s’inscrire dans la durée du fait de son impossible rémission selon les données actuelles de la science.
Inapte à communiquer de manière réfléchie, la personne n’est pas à même d’accéder à la connaissance des buts poursuivis par la procédure instruite à son égard et ne peut pas être entendue par le juge. »

Madame [R] [J] a été admise à la clinique [9] à [Localité 7] le 6 août 2019 suite à une fracture per trochantérienne opérée le 1er août 2019 par le Docteur [M].
Elle est sortie de cet établissement le 2 septembre 2019.
Le rapport de la clinique mentionne une « légère DTS », soit une légère désorientation temporospatiale.
Sur le plan locomoteur, il indique que la rééducation a été difficile “compte tenu des troubles cognitifs de la patiente et d’un refus de coopération assez fréquent”.
Sur le plan neurologique il précise que « la patiente a été vu par l’orthophoniste du service qui a réalisé un bilan cognitif, celui-ci retrouve un MMSE à 19/30, un test des 5 mots de Dubois à 10/10, atteste du cadrant de l’horloge à 3/7, une BREF à 8/18. Il existe tout de même des troubles mnésiques au niveau des processus de récupération et l’ensemble des fonctions exécutives est altéré. Au total, un profil de maladie d’Alzheimer. »

Or, à cette date, et de son propre aveu, le docteur [Z] [Y] n’était plus son médecin traitant puisqu’il précise dans le courriel adressé au Docteur [A] [O] le 3 février 2022, donner son avis « sur l’état cognitif de Madame [J] [R], du temps où j’étais son médecin traitant et jusqu’à son entrée à la Timone pour fracture du col fémur halle en août 2019. »
S’il précise que sa patiente n’avait jamais montré le moindre signe de troubles cognitifs malgré son grand âge, il n’indique cependant pas la date de sa dernière visite, ce qui aurait eu une importance certaine, compte-tenu de la contradiction flagrante entre ses déclarations et les constatations claires et circonstanciées faites en août 2019 notamment par le Dr [I], psychiatre, dans le cadre d’une procédure d’habilitation familiale requise par sa fille, et qui précise que l’altération des facultés mentales de feu Mme [J] remontait à deux années.

En tout état de cause, le rapport du docteur [I] comme celui de la clinique [9] établis moins de deux ans après la rédaction du premier testament olographe, et moins de sept mois après le second testament olographe auraient dû inciter le docteur [O] à plus de prudence dans ses conclusions, alors d’autant que les rapports susvisés, qui sont les seuls rédigés du vivant de feu Madame [R] [J] sur son état neurologique, et qu’ils ne font aucun doute sur la dégradation avancée de ses facultés mentales et sur son état de vulnérabilité.

Surtout, aucun rapport émanant d’un second psychiatre ayant des compétences similaires à celles du Docteur [I], ne vient mettre en échec ses constatations claires et précises quant à la gravité des troubles neurologiques de Madame [J] de son vivant, de sorte que les conclusions du docteur [A] [O] aux termes desquelles Madame [R] [J] “était en capacité de prendre pleinement conscience des conséquences de ses actes” sont contestables en ce qu’elle semblent pour le moins éloignées des constatations cliniques susvisées.

Ainsi, en l’état de l’altération de ses facultés physiques et mentales avérées, Madame [R] [J] ne pouvait donner un consentement éclairé lors de la rédaction le 1er mars 2018 puis le 15 janvier 2019 des deux testaments olographes octroyant à Monsieur [S] un droit de jouissance à durée indéterminée sur le bien immobilier dont seule sa fille deviendrait héritière sis [Adresse 8] étant observé que ce bien dépendait de la communauté légale des biens existant entre feu Monsieur [L] [E] [J] et feu Madame [R] [J], de sorte que Madame [D] [J] avait sans aucun doute d’ores et déjà acquis pour partie des droits sur cette maison suite au décès de son père.
Ainsi, le droit de jouissance à durée indéterminée consenti à Monsieur [S] sur la maison constitue un avantage manifestement excessif, et ce d’autant plus que Monsieur [S] ne pouvait ignorer la dégradation de l’état de santé de Mme [J] dont il occupait déjà une partie de la maison depuis 2014, et qu’il occuppe aujourd’hui en totalité sans payer les charges et taxes y afférentes.

En conséquence, il y a lieu de prononcer la nullité des testaments olographes rédigés par Mme [R] [J] le 1er mars 2018 et le 15 janvier 2019, et d’ordonner la restitution immédiate de la maison objet des legs à titre particulier sis [Adresse 8] et la libération de l’ensemble des dépendances par Monsieur [F] [S].

Cette obligation sera assortie d’une astreinte provisoire de 1 000€ par mois passé le délai d’un mois suivant la signification du présent jugement, le tribunal se réservant la liquidation de l’astreinte.

Sur la demande d’indemnité d’occupation :

S’agissant de la demande d’indemnité d’occupation réclamée par la demanderesse à hauteur de la somme de 53 300 €, sur la base d’un loyer mensuel de 1300 €, force est de constater que Madame [D] [J] ne verse aux débats qu’un avis de valeur de la société [6] datant du 29 juillet 2020 du bien à la vente estimé entre 650 000 € et 700 000 €, cet avis de valeur ayant été donné sans que l’agent immobilier n’ait pu avoir accès au bien à défaut pour Monsieur [S] de l’avoir autorisé.

Toutefois, compte tenu de la superficie de la maison dont l’appartement du premier étage est d’une superficie d’environ 80 m², sur un terrain d’environ 500 m², dans un quartier prisé de [Localité 7], il y a lieu de condamner Monsieur [F] [S], occupant sans droit ni titre, à payer à Madame [D] [J] une indemnité d’occupation de 1000 € par mois à compter du mois de décembre 2019, et ce, jusqu’à parfaite libération des lieux.

Sur la demande de dommages et intérêts pour privation du bien :

Madame [D] [J] considère qu’elle n’a pu user librement de son bien postérieurement au décès de sa mère, et faire tout acte de disposition ; elle considère en outre que l’état de son bien se dégrade faute pour Monsieur [S] d’avoir justifié en avoir fait un usage normal et paisible.
Compte-tenu de l’existence des deux testaments annulés, Madame [D] [J] a été privée de la jouissance de la pleine propriété du bien immobilier sis [Adresse 8] à [Localité 7] depuis le décès de sa mère, soit depuis plus de 4 ans sans que l’on sache si Monsieur [S], qui l’occuppe, l’utilise en bon père de famille et fait face aux dépenses courantes d’entretien qui s’imposent et aux charges inhérentes à son utilisation.
Elle a donc été privée de pouvoir en disposer selon sa volonté, l’occuper, la louer ou même la vendre.
En conséquence, elle est bien fondée à obtenir l’indemnisation du préjudice qui en découle.
Par une appréciation souveraine des éléments de la cause, il sera alloué à Madame [D] [J] la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts.

Elle sera en revanche déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour rétention injustifiée des biens meubles à défaut de justifier du préjudice né du retard dans la remise effective des effets dont l’inventaire a été communiqué, et sera en outre déboutée de sa demande au paiement d’arriérés de charges à défaut d’en justifier.

Sur les demandes reconventionnelles :

En l’état de ce qui précède, Monsieur [F] [S] sera débouté de sa demande en délivrance de legs, étant observé que, dans les faits, il est entré en possession du bien immobilier pour partie avant le décès, et en totalité à compter du décès de Mme [R] [J].
Il sera en outre débouté de sa demande de voir rejeter les pièces advereses N°11 et 12 en ce qu’elles ne portent pas atteinte à sa vie privée mais relèvent d’une procédure qui a donné lieu à une ordonnance de référé rendue en audience publique le 12 décembre 2013.
Il sera débouté de sa demande en dommages et intérêts pour “résistance abusive, atteinte à la vie privée et propos injurieux”, ces faits fautifs n’étant pas caractérisés.

Sur les demandes accessoires :

Monsieur [F] [S], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens.
Il n’est pas inéquitable de le condamner à payer à Madame [D] [J] la somme de 3500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

PRONONCE la nullité des testaments olographes rédigés par Mme [R] [J] le 1er mars 2018 et le 15 janvier 2019, et déposés en l’étude de Me [N] [W], notaire à [Localité 7], le 29 janvier 2020 ;

ORDONNE la restitution et la libération immédiate de la maison objet des legs à titre particulier sis [Adresse 8], et celles de l’ensemble des dépendances situées sur la propriété, par Monsieur [F] [S] ;

DIT que cette obligation sera assortie d’une astreinte provisoire de 1 000€ par mois passé le délai d’un mois suivant la signification du présent jugement, le tribunal se réservant la liquidation de l’astreinte ;

CONDAMNE Monsieur [F] [S], occupant sans droit ni titre, à payer à Madame [D] [J] une indemnité d’occupation de 1000 € par mois à compter du mois de décembre 2019, et ce, jusqu’à parfaite libération des lieux ;

CONDAMNE Monsieur [F] [S] à payer à Madame [D] [J] la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;

DEBOUTE Madame [D] [J] du surplus de ses demandes ;

DEBOUTE Monsieur [F] [S] de ses demandes reconventionnelles ;

CONDAMNE Monsieur [F] [S] à payer à Madame [D] [J] la somme de 3500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur [F] [S] aux entiers dépens.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 08 Juillet 2024

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab3
Numéro d'arrêt : 21/01312
Date de la décision : 08/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-08;21.01312 ?
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