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04/07/2024 | FRANCE | N°23/00923

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab3, 04 juillet 2024, 23/00923


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°24/282 DU 04 Juillet 2024


Enrôlement : N° RG 23/00923 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2TC3

AFFAIRE : M. [B] [I]( la SELARL LELIEVRE SAINT PIERRE)
C/ L’ONIAM (la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS)


DÉBATS : A l'audience Publique du 16 Mai 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente, juge rapporteur

Greffier lors des débats : BE

SANÇON Bénédicte

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/282 DU 04 Juillet 2024

Enrôlement : N° RG 23/00923 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2TC3

AFFAIRE : M. [B] [I]( la SELARL LELIEVRE SAINT PIERRE)
C/ L’ONIAM (la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS)

DÉBATS : A l'audience Publique du 16 Mai 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente, juge rapporteur

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 04 Juillet 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BESANÇON Bénédicte, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

réputé contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEUR

Monsieur [B] [I]
né le [Date naissance 2] 1992 à [Localité 5] (13)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Maître Louis SAINT-PIERRE de la SELARL LELIEVRE SAINT PIERRE, avocats au barreau de MARSEILLE,

CONTRE

DEFENDEURS

L’ONIAM, dont le siège social est sis [Adresse 7]

représentée par Maître Patrick DE LA GRANGE de la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocats au barreau de MARSEILLE,

LA CPAM des Bouches du Rhône, dont le siège social est sis [Adresse 4]

défaillant

EXPOSE DU LITIGE :

Monsieur [B] [I], souffrant de problèmes d’hyperlaxité de la cheville droite, a été opéré le 12 octobre 2018 pour une ligamentoplastie par réfection du ligament fibulo-talien antérieur et du ligament fibulo-calcanéen ainsi qu’un double auto-transfert ligamentaire par le Dr [V], chirurgien-orthopédiste, à la clinique [3] à [Localité 5].
En l’état de complications post-opératoires marquées par une mauvaise cicatrisation avec des saignements puis une phlyctène, le Dr [V] a posé une indication de reprise opératoire en urgence réalisée le 21 octobre 2018.
Par la suite, il a été constaté une zone de nécrose cutanée, nécessitant une nouvelle intervention le 24 octobre 2018 pour parage de la nécrose du pied droit, puis couverture par un lambeau.
Le 29 octobre 2018, une nouvelle reprise a été réalisée pour greffe secondaire.

Se plaignant de séquelles ayant des conséquences importantes sur sa vie professionnelle et personnelle, et notamment d’un œdème persistant à la jambe droite, d’un déficit des articulations, d’une faiblesse musculaire, d’une perte de sensibilité et d’un déficit de stabilité avec une marche rapide difficile, Monsieur [B] [I] a obtenu par ordonnance de référé en date du 30 avril 2019 la désignation du Dr [H], chirurgien-orthopédiste, au contradictoire du Docteur [V] et de la Clinique [3].

L’ordonnance a été rendue opposable à l’ONIAM par une seconde ordonnance, rendue le 3 septembre 2019.

Suivant exploits des 16 et 23 janvier 2023, Monsieur [B] [I] a assigné devant le tribunal de céans l’ONIAM et la CPAM des Bouches du Rhône aux fins de :
- Dire et juger que la survenue de l'hématome per opératoire dont il a souffert le 12 octobre 2018 constitue un accident médical dont les conséquences excèdent les seuils de gravité fixés aux articles L.1142-1-II et D.1142-1 du Code de la santé publique.
- Dire et juger qu'il incombe à l'ONlAM de réparer intégralement les préjudices subis en lien avec cet accident médical.
- Condamner l'ONIAM à lui payer à les sommes suivantes :
- Dépenses de santé restées à charge : réservé
- Frais divers : 621,20 euros
- Assistance par une tierce personne avant consolidation : 400 euros
- Pertes de gains actuels : 18.206,13 euros
- Pertes de gains futurs et incidence professionnelle : 806.636 euros
- Frais de véhicule adapté : réservé
- Déficit fonctionnel temporaire : 5.000 euros
- Souffrances endurées : 20.000 euros
- Préjudice esthétique temporaire : 4.000 euros
- Préjudice esthétique permanent : l.000 euros
- Déficit fonctionnel permanent : 20.000 euros
- Préjudice d'agrément : 50.000 euros
- Condamner l'ONIAM à lui payer la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner tout succombant aux entiers dépens, en ce inclus ceux de la procédure de référé.
- Dire et juger que l'ensemble des condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal des créances dues aux particuliers à compter de la date de l'assignation en référé, et jusqu'au paiement de l'intégralité des condamnations.
- Dire et juger que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts au terme de chaque année civile écoulée.
- Déclarer le jugement à intervenir commun à la CPAM des Bouches du Rhône.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 23 novembre 2023, Monsieur [B] [I] maintient ses demandes à l’exception des postes suivants pour l’indemnisation desquels il réclame :
• Pertes de gains futurs : 1.091.944,80 euros.
• Incidence professionnelle : 200.000 euros.
• Préjudice esthétique permanent : 4.000 euros.

Au soutien de ses demandes, il fait valoir que l’expert judicaire n’a pas retrouvé de manquement du Dr [V] à l’origine de tout ou partie du dommage ; que la survenue de l’hématome per opératoire a été qualifiée d’accident médical non fautif ; qu’il a précisé que le dommage était sans lien avec son état antérieur et son évolution prévisible ; que la condition d’anormalité du dommage est donc remplie ; que le critère de gravité est caractérisé ; qu’il a été en arrêt de travail jusqu’en janvier 2019.
Il indique que la reprise du travail a été faite dans le cadre d’un poste aménagé, avec interdiction de station debout prolongée, de port de charges, et montée et descente d’escaliers répétitifs alors qu’il exerçait un emploi salarié de technicien de maintenance au sein de l’usine de la société Heineken située à [Localité 5] ; que son poste consistait précisément à se rendre dans toute l’usine pour effectuer des opérations de maintenance; qu’il a été déclaré inapte au poste de technicien de maintenance par la médecine du travail en septembre 2021 et licencié pour inaptitude exclusivement en raison des séquelles en lien avec l’accident médical en cause ; que le tribunal justifie d’éléments suffisants pour lui permettre de retenir que le dommage dont il a souffert est d’une gravité suffisante pour lui permettre de prétendre à une réparation en application des dispositions de l’article L.1142-1-II du Code de la santé publique.

En réponse, et aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 1er mars 2024, l’ONIAM demande au tribunal de :
- Lui donner acte de ce qu’il ne conteste pas son obligation indemnitaire au profit de Monsieur [I], au titre de l’accident médical non fautif survenu dans les suites de l’intervention du 12 octobre 2018,
- Réduire les prétentions indemnitaires de Monsieur [I] à de plus justes proportions telles que détaillées comme suit :
- Frais divers : rejet et subsidiairement 535,92 €
- Tierce personne temporaire : rejet et subsidiairement 400 €
- Perte de gains professionnels actuels : 3.136,61 €
- Pertes de gains futurs : 57.446,51 € et subsidiairement 114.893 €, sous déduction de l’indemnité de licenciement perçue, qu’il appartient à Monsieur [I] de communiquer
- Incidence professionnelle 5.000 €
- Déficit fonctionnel temporaire 851,84€
- Souffrances endurées 5.000 €
- Préjudice esthétique temporaire 1.000 €
- Préjudice esthétique permanent 2.126 €
- Déficit fonctionnel permanent 7.464 €
- Préjudice d’agrément rejet et subsidiairement 746 €
- Débouter Monsieur [I] de sa demande de condamnation de l’ONIAM à lui verser la somme de 8.000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
- Débouter Monsieur [I] de sa demande de condamnation de l’ONIAM aux dépens,
- Rejeter toute autre demande.

Il indique qu’il a son propre référentiel d’indemnisation ; que l’application de ce référentiel est légitime dans le cadre de la mise en œuvre d’un devoir de solidarité nationale et alors que l’ONIAM n’intervient ni en exécution d’un contrat d’assurance pour couvrir le risque qui s’est réalisé ni au titre de la responsabilité civile professionnelle d’une partie, mais au titre d’un régime exceptionnel et dérogatoire prévoyant une indemnisation par la solidarité nationale ; qu’il s’oppose à l’application du barème de capitalisation paru en 2022 à la Gazette du Palais qui n’a rien d’officiel, la Gazette du Palais étant une revue d’analyse, de veille juridique et judiciaire, organisée par domaines de spécialisation.

Régulièrement citée la CPAM des Bouches du Rhône n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 mars 2024 et l’affaire a été renvoyée à l’audience du 16 mai 2024.

MOTIFS :

Sur l’obligation indemnitaire de l’ONIAM :

L’article L.1142-1-II du Code de la santé publique dispose que :

« Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme
mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25%, est déterminé par ledit décret. »

Les seuils de gravité en question sont prévus à l’article D.1142-1 du Code de la santé publique :
« Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L.1142-1 est fixé à 24 %.
Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L.1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50%.
A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu :
1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ;
2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. »

En l’espèce, dans son rapport déposé le 17 mars 2022, l’expert a conclu dans les termes suivants :
« l’état de santé actuel de Monsieur [B] [I] n’est pas la conséquence de l’évolution prévisible de la pathologie initiale. Il s’agit donc d’un accident médical non fautif ou aléa thérapeutique » et a précisé que :
• Les interventions, soins post-opératoires et traitements dispensés par le Docteur [T] [V] ont été attentifs et consciencieux et conformes aux données acquises par la science à leur date ;
• L’état de santé actuel de Monsieur [B] [I] n’est pas la conséquence de l’évolution prévisible de la pathologie initiale. Il s’agit donc d’un accident médical non fautif ou aléa thérapeutique (hématome avec nécrose cutanée).

En l’espèce, Monsieur [I] a été déclaré inapte au poste de technicien de maintenance qu’il occupait au sein de l’usine de la société Heineken à [Localité 5] et a été licencié pour inaptitude en raison des séquelles en lien avec l’accident médical en cause, l’expert ayant en outre relevé qu’il existait une impossibilité de porter des chaussures de sécurité montantes exerçant une pression sur la zone cicatricielle externe de la cheville droite.

En l’état, il convient de donner acte à l’ONIAM qu’il n’entend pas, dans le cadre de la présente instance, contester son obligation d’indemniser les conséquences dommageables imputables à l’accident médical non fautif survenu dans les suites de l’intervention chirurgicale le 12 octobre 2018.

Sur l’indemnisation de l’entier préjudice :

L’expert a retenu que les conséquences anormales sont l’apparition d’un hématome avec nécrose cutanée nécessitant une reprise chirurgicale le 21 octobre 2018.
Il a fixé la date de consolidation au 14 novembre 2020.

Les préjudices patrimoniaux temporaires :

Les frais divers restés à la charge de la victime :
Il s’agit des frais autres que les frais médicaux restés à la charge de la victime ; ils sont fixés en fonction des justificatifs produits sauf pour la tierce personne.

En l’espèce, Monsieur [I] réclame au titre des frais restés à sa charge la somme totale de 621,20€.Cette somme correspond aux frais de déplacement pour se rendre aux deux réunions d’expertise sur [Localité 6] et aux frais de péage. Il justifie par les pièces qu’il verse aux débats des frais engagés.
En conséquence, il lui sera alloué à ce titre la somme de 621,20 €.

La tierce personne avant consolidation :
L’expert a retenu une aide humaine suite à l’aléa thérapeutique de :
- deux heures par jour du 3 novembre 2018 au 30 novembre 2018, soit sur 27 jours.
- une heure par jour du 1er décembre 2018 au 31 décembre 2018, soit sur 31 jours.

Monsieur [I] réclame une somme de 400 € ; compte tenu de la modicité de la somme réclamée, il sera fait droit à sa demande.

La perte de gains professionnels actuels :
La perte de gains professionnels actuels concerne le préjudice économique subi par la victime pendant la durée de son incapacité temporaire étant rappelés que celle-ci peut être totale ou partielle ou les deux selon les périodes. Son évaluation doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d’une perte de revenus apportée par la victime jusqu’au jour de la consolidation.

En l’espèce l’expert a retenu une perte de gains professionnels actuels justifiés et en rapport avec l’accident médical sur la période du 21 octobre 2018 au 14 novembre 2020.

Sur la période de janvier à septembre 2018, Monsieur [I] a perçu un revenu net imposable de 30 857,06 €, soit un revenu mensuel net moyen de 3428,56 €.
C’est à bon droit qu’il considère qu’il aurait dû percevoir, sur la base d’un revenu mensuel net moyen de 3428,56 €, un revenu net total de 85 028,29 € pour la période du 21 octobre 2018 au 14 novembre 2020.
Les parties s’accordent à considérer qu’il a perçu de son employeur sur cette même période un revenu net total de 66 822,16 €, les indemnités journalières étant intégrées à cette somme.

En conséquence il y a lieu de lui allouer à ce titre la somme de 18 206,13 € correspondant à la différence entre les sommes auxquelles il pouvait prétendre, et celle qui lui ont été versées sur une même période.

Les préjudices patrimoniaux permanents :

La perte de gains professionnels futurs :
Les pertes de gains professionnels futurs correspondent à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l’incapacité permanente à compter de la date de consolidation.

En l’espèce Monsieur [I] justifie avoir obtenu le 6 juillet 2013 son brevet de technicien supérieur.
Il a été embauché par contrat à durée indéterminée à effet du 12 mai 2014 par la société Heineken à [Localité 5] en qualité d’opérateur conditionnement niveau 1 sur la base d’une rémunération de 1580, 14 € brut.
À compter du 1er juin 2015, il est devenu opérateur conditionnement niveau 2, avec un salaire de base brut de 1 706 €.

Par un avenant de travail en date du 26 novembre 2015 et à compter du 1er décembre 2015, il est devenu technicien de maintenance classe 5 échelon 10 avec un salaire de base de 1932 €.

Le 16 janvier 2019 la médecine du travail a validé une reprise de son poste de technicien de maintenance précisant cependant qu’il ne devait pas y avoir de “port de charges lourdes, pas de travail en hauteur ou en posture contraignante ; éviter la station debout prolongée”; cet avis a été reconduit le 20 février 2019 puis une nouvelle fois le 17 avril 2019.

Son contrat de travail a été une nouvelle fois modifiée à effet du 1er avril 2019 et a été classé technicien de maintenance échelon 5.20, son salaire mensuel brut étend fixé à la somme de 2222,97 €.

La difficulté pour Monsieur [I] d’exercer ses fonctions de technicien de maintenance s’explique notamment par l’obligation pour le personnel d’utiliser des équipements de sécurité, notamment des chaussures de sécurité qui généraient d’intenses douleurs, renforcées par la station debout prolongée inhérente à ce type de poste.

C’est dans ces circonstances qu’un avis d’inaptitude a été rendu le 13 septembre 2021, le médecin du travail précisant : « inapte à son poste, pourrait occuper un poste type administratif, ou un poste sans station debout prolongée, sans travail en hauteur, sans montée et descente d’escaliers répétitive. »

Une proposition de reclassement interne lui a été notifiée le 6 octobre 2021 pour un poste de commercial sédentaire en région parisienne moyennant une rémunération mensuelle de 1800€ brut.

Cette offre de reclassement ayant été refusée, il a été licencié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 octobre 2021.

Il a bénéficié d’une allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) à compter du 1er décembre 2021 et a décidé d’opérer une reconversion professionnelle pour s’orienter vers une activité d’artisan (SASU Massilia Elec)

Sur l’exercice du 24 juin 2021 au 30 septembre 2022 il a réalisé un résultat d’exploitation de 5984 €.
Le résultat d’exploitation s’est élevé à la somme de 14 327 € au 30 septembre 2023, ce qui correspond à un revenu mensuel net arrondi à la somme de 1 194€.

Or, à la lecture du dernier bulletin de paie versé aux débats, soit le bulletin de paie du mois de juin 2021, il percevait un revenu mensuel net moyen arrondi à 3 229€ (moyenne sur 6 mois).

La perte de gains professionnelle passée (date de la consolidation au présent jugement) s’élève à :
(3 229€ - 1 194€) X 12 = 24 420€ pour une année,
Soit au 14 novembre 2020 : 24 420€ X 3,8 = 92 796€.

La perte de gains professionnelle future s’élève à :
24 420€ X 37,214€ (euro de rente viagère) = 908 765,88€ arrondi à 908 877€.

En conséquence, il lui sera alloué au titre de l’indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs la somme totale de 1 001 673€.

L’incidence professionnelle :
Elle correspond aux séquelles qui limitent les possibilités professionnelles ou rendent l’activité professionnelle antérieure plus fatigante ou plus pénible.
Cette incidence professionnelle a pour objet d’indemniser non la perte de revenus liés à l’invalidité, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable aux dommages ou encore du préjudice subi qui a trait à l’obligation de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap.
Ce poste de préjudice permet également d’indemniser le risque de perte d’emploi qui pèse sur une personne atteinte d’un handicap, la perte de chance de bénéficier d’une promotion, la perte de gains espérés à l’issue d’une formation scolaire ou professionnelle, les frais nécessaires à un retour de la victime à la vie professionnelle.

En l’espèce, il est constant que Monsieur [I] a été contraint d’abandonner la profession qu’il exerçait avant le dommage puisqu’il a été licencié pour inaptitude ; ce licenciement est directement imputable à l’accident médical subi ; il a été contraint de créer une nouvelle activité en tant qu’artisan et n’a pas retrouvé le niveau de rémunération qui était le sien auparavant.
Dans son cas, l’incidence professionnelle est d’autant plus importante qu’il avait progressé dans ses fonctions de technicien de maintenance au sein de la société Heineken et qu’il a dû, suite à son accident, affronter non seulement l’arrêt de toute promotion professionnelle dans ses fonctions mais encore une perte d’emploi en l’absence de reclassement à un niveau de salaire identique sur [Localité 5].

En conséquence et par une appréciation souveraine des éléments de la cause, il lui sera alloué à ce titre la somme de 100 000 €.

Les préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

Le déficit fonctionnel temporaire :
Il inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d’agrément, et éventuellement le préjudice sexuel temporaire ; l’évaluation des troubles dans les conditions d’existence tient compte de la durée de l’incapacité temporaire, du taux de cette incapacité totale ou partielle, et des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité.

En l’espèce, l’expert a retenu l’évaluation suivante :
100% du 21/10/18 au 02/11/18, soit sur 12 jours50% du 03/11/18 au 30/11/18, soit sur 28 jours25% du 01.12.18 au 31.12.18, soit sur 31 jours10% du 01/01/19 au 13/11/19, soit sur 317 jours
Sur une base de 30€ par jour, il lui sera alloué la somme de 1 963,50€ selon le calcul suivant :
du 21/10/18 au 02/11/18 : 360€du 03/11/18 au 30/11/18 :420€du 01.12.18 au 31.12.18 : 232,50€du 01/01/19 au 13/11/19 : 951€
Les souffrances endurées : 3,5/7
Il s’agit d’indemniser les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité, mais aussi des traitements, interventions, hospitalisations subis depuis l’accident jusqu’à la consolidation.

En l’espèce, eu égard aux valeurs dégagées par la jurisprudence et à l’évaluation qui en a été faite par l’expert judiciaire, il sera alloué à Monsieur [I] une somme de 5000 € en indemnisation de ce préjudice.

Le préjudice esthétique temporaire : 2/7 pendant 3 mois
En l’espèce, en application de la jurisprudence actuelle, et compte tenu de la durée particulièrement limitée retenue par l’expert, il lui sera alloué à titre forfaitaire la somme de 1000 €.

Les préjudices extrapatrimoniaux permanents :

Le déficit fonctionnel permanent : 7%
Ce poste tend à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo- physiologique, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral ainsi que les troubles dans les conditions d’existence personnelle, familiale et sociale.

En l’espèce, eu égard à l’âge de la victime à la date de consolidation, et tenant compte de la jurisprudence actuelle, il lui sera alloué la somme de :
2 255€ X 7 = 15 785€

Le préjudice esthétique permanent :2 /7
le préjudice esthétique englobe non seulement les cicatrices, les mutilations, mais aussi la boiterie, le fait pour une victime d’être obligée de se présenter en fauteuil roulant, alitée mais également les éléments de nature à altérer son apparence ou son expression.

En l’espèce, en application de la jurisprudence actuelle il lui sera alloué à titre forfaitaire la somme de 2 000 €.

Le préjudice d’agrément :
Ce poste de préjudice répare l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Sont également indemnisées les limitations ou les difficultés à poursuivre ses activités, ainsi que l’impossibilité psychologique de pratiquer l’activité antérieure. L’appréciation se fait in concreto, en fonction des justificatifs, de l’âge, du niveau sportif de la victime.

En l’espèce, Monsieur [I] était avant son accident un jeune homme sportif qui pratiquait régulièrement le football, la course à pied et le ski alpin ainsi que cela ressort des attestations qu’il verse aux débats ; compte tenu des séquelles de l’accident médical, il ne peut reprendre ses activités sportives alors que celles-ci faisaient partie intégrante de sa vie et participaient sans nul doute au développement de sa vie sociale et à son équilibre personnel.

En conséquence, et par une appréciation souveraine des éléments de la cause, il lui sera alloué à ce titre la somme de 10 000 €.

Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la signification du présent jugement.

Les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires.

Sur les demandes accessoires :

L’ONIAM, qui succombe, sera condamné aux entiers dépens.
Il n’est pas inéquitable de le condamner à payer à Monsieur [I] la somme de 3 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort,

DONNE acte à l’ONIAM de ce qu’il ne conteste pas son obligation d’indemniser les conséquences dommageables imputables à l’accident médical non fautif survenu dans les suites de l’intervention chirurgicale le 12 octobre 2018 ;

CONDAMNE l’ONIAM à payer à Monsieur [N] [I] la somme de 1 156 648,83€ en réparation de son entier préjudice ;

DIT que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE l’ONIAM à payer à Monsieur [N] [I] la somme de 3 500€ en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE l’ONIAM aux entiers dépens.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 04 Juillet 2024

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab3
Numéro d'arrêt : 23/00923
Date de la décision : 04/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-04;23.00923 ?
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