TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 02 Juillet 2024
Enrôlement : N° RG 21/11196 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZQQI
AFFAIRE : M. [I] [N] et autre (SARL ATORI AVOCATS)
C/ M. [B] [L] (SCP MIRABEAU AVOCATS)
DÉBATS : A l'audience Publique du 07 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette, Greffier
Vu le rapport fait à l’audience
A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 02 Juillet 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDEURS
Monsieur [I] [N]
né le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
Madame [H] [O] épouse [N]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]
représentés par Maître Yves SOULAS de la SARL ATORI AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE
C O N T R E
DEFENDEUR
Monsieur [B] [L]
né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 12]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 7]
représenté par Maître Alain BADUEL de la SCP MIRABEAU AVOCATS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
EXPOSÉ DU LITIGE :
[Y] [X] est décédée le [Date décès 6] 2011, en l'état d'un testament aux termes duquel elle a institué en qualité de légataires universels madame [M] [N] et son époux monsieur [E] [N].
Monsieur [E] [N] est décédé, laissant pour lui succéder ses enfants madame [H] [O] et monsieur [I] [N].
Par ailleurs le 5 octobre 2011 avait fait donation à monsieur [B] [L] d'un bien immobilier situé [Adresse 5] à [Localité 10]) composé d'un appartement avec cave et garage.
Monsieur [L] a été mis en examen pour abus de faiblesse, falsification de chèques et usage, faux et usage de faux. Le 10 octobre 2013 le juge d'instruction a dans ce cadre ordonné la saisie des biens immobiliers objets de la donation. Main-levée de cette mesure a été ordonnée par le même magistrat le 13 juin 2014.
Par acte en date du 28 février 2013, madame [H] [O] née [N] et monsieur [I] [N], ayant droits des époux [E] [N], ont fait assigner monsieur [B] [L] en nullité de la donation et en paiement de la somme de 111.844 € au titre des frais d’enregistrement réglés par la défunte, outre 5.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile. Selon jugement du 17 mars 2015 ce tribunal a ordonné le sursis à statuer dans l’attente de la décision prise par les juridictions pénales concernant la mise en examen de monsieur [B] [L] des chefs d’abus de faiblesse, falsification de chèques et usages, faux et usage de faux, et ordonné dans l'attente la radiation de l'affaire.
Par arrêt du 24 novembre 2020 la cour d'appel d'Aix en Provence a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Marseille en date du 1er juin 2018 en ce qu'il a déclaré monsieur [L] coupable des faits d'abus frauduleux d'ignorance ou de faiblesse d'une personne vulnérable, contrefaçon ou falsification de chèque et usage de chèque contrefait ou falsifié, et le réformant pour le surplus, a condamné monsieur [L] à une peine de trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis probatoire pendant deux ans, outre une interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale en lien avec la gestion des biens d'autrui.
Par arrêt du 24 novembre 2021 la Cour de cassation a cassé cet arrêt en ses dispositions concernant les peines infligées à monsieur [L] et renvoyé sur ce point devant la cour d'appel d'Aix en Provence, autrement composée.
Le 20 décembre 2021 monsieur et madame [N] ont sollicité la remise au rôle de l'affaire, laquelle est intervenue le 28 décembre 2021.
Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 18 décembre 2023 monsieur et madame [N] demandent au tribunal d'annuler la donation du 5 octobre 2011, de dire que le testament du 12 novembre 2009 retrouvera son effet, et de condamner monsieur [L] à leur restituer sous astreinte les clés de l'appartement, de la cave et du garage objets de la donation ainsi qu'à leur payer la somme de 59.740 € au titre des loyers indûment perçus, outre 12.300 € en réparation du préjudice subi résultant de sommes détournées du compte de [Y] [X] et 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes ils font valoir que la preuve de l'insanité d'esprit de la disposante résulte des décisions pénales prises à l'encontre de monsieur [L], et qu'en conséquence de l'annulation de la donation consentie à son profit, celui-ci doit restituer les fruits produits par les biens objets de la donation annulée. Ils ajoutent que monsieur [L] ne justifie pas des charges qu'il allègue, dès lors qu'il s'est indûment approprié cet appartement pour ses besoins personnels, et que les factures produites ne sont pas relatives à l'appartement en cause, soulignant que monsieur [L] est propriétaire d'un autre bien immobilier. Ils font enfin valoir que deux virements d'un montant total de 12.300 € ont été faits les 27 septembre et [Date décès 6] 2011, jour du décès de [Y] [X], vers un compte ouvert au nom de monsieur [L].
Monsieur [L] a conclu le 19 septembre 2022 en ne s'opposant pas à l'annulation de la donation du 5 octobre 2011. Il sollicite le rejet des autres demandes de monsieur et madame [N], aux motifs qu'il résulte du compte de gestion des biens donnés que celui-ci est déficitaire en raison des importants travaux de rénovation qu'il a engagés.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'annulation de la donation :
Le demande tendant à l'annulation de la donation du 5 octobre 2011 n'est pas discutée et il y a donc lieu d'y faire droit.
Cette annulation a pour conséquence de remettre les parties en l'état où elles se seraient trouvées si cette donation n'avait jamais été consentie. Monsieur [L] devra donc, sous astreinte comme il sera dit au dispositif, restituer les clés de l'appartement, du garage et de la cave aux consorts [N], ainsi que les fruits et revenus du bien objet de la donation.
Il résulte du tableau dressé par monsieur [L] lui-même que ces revenus, constitués des loyers de l'appartement et du garage, s'élèvent à la somme totale de 73.421 € pour la période 2011-2022.
Monsieur [L] justifie également, au moyen des appels de fonds correspondant, et des avis d'imposition, s'être acquitté des charges de copropriété, des taxes foncières, des impôts sur les revenus fonciers, charges de ravalement de façade, ainsi que des cotisations d'assurance des biens en cause.
S'agissant des travaux d'amélioration exposés en 2015, il produit diverses factures de magasins de bricolage et d'artisans, dont seules une partie sont relatives à l'immeuble objet de la donation dont l'adresse apparaît sur ces documents. Les factures relatives à un bien situé dans le 12ème arrondissement apparaissent pour leur part sans rapport avec le bien en cause et ne pourront pas être prises en considération.
La somme forfaitaire de 8.000 € demandée par monsieur [L] au titre de la main d'œuvre qu'il aurait lui-même déployée ne pourra être retenue en l'absence d'élément permettant de façon certaine d'apprécier la nature et l'ampleur des travaux qu'il aurait réalisés de ses propres mains. Les clichés photographiques produits à l'appui de ce chef de demande ne sont en effet pas datés et rien ne permet de les rattacher de façon objective à l'appartement objet de la donation annulée. Ils sont donc dénués de valeur probante.
Il s'ensuit, en considération des seules factures utilement produites, que les dépenses de monsieur [L] relatives à cet appartement s'élèvent à 403,07 € pour l'année 2015.
La somme de 142,06 € exposée en 2012 pour faire face à une invasion de fourmis n'apparaît pas, par sa nature, être une charge liée à l'entretien de l'immeuble et sera écartée.
Ainsi et compte non tenu des sommes non justifiées ou mentionnées inutilement, monsieur [L] justifie avoir exposé à titre de charges la somme totale de 62.969,73 €.
Monsieur [L] devra donc restituer aux consorts [N] la somme de 73.421 € - 62.969,73 € = 10.451,27 €.
Sur la demande de dommages et intérêts :
Il résulte d'un relevés des comptes de madame [Y] [X] qu'elle a effectué les 27 septembre et [Date décès 6] 2011 deux virements vers un compte d'assurance vie pour un total de 12.300 €.
Or il résulte des comptes rendu d'hospitalisation qu'à la première de ces dates elle était hospitalisée dans un service de soins palliatifs. [Y] [X] est décédée le jour où le second de ces versements a été fait.
Cette même somme de 12.300 € se retrouve sur la déclaration partielle de succession souscrite par monsieur [L].
Selon l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 24 novembre 2020, « l'enquête a permis d'établir que le 5 septembre 2011, [B] [L] a bénéficié d'un contrat d'assurance-vie sur lequel a été versée la somme de 12500 €, dont 11300 € le jour du décès de [Y] [X], [B] [L] s'occupant de la totalité des formalités.
Enfin, il ressort des déclarations de [B] [L] et de [W] [Z] que le 5 octobre 2011, ces derniers se sont rendus dans l'établissement [11] spécialisé dans les soins palliatifs et dans la fin de vie, afin de faire signer un acte de donation de douze pages à [Y] [X].
Ils indiquent qu'ils ont été dans l'obligation de réveiller [Y] [X] afin qu'elle signe l'acte de donation qu'ils lui auraient lu pendant une heure alors même qu'une amie qui était venue le jour même n'a pu obtenir qu'une visite de quinze minutes et que la souffrance de la défunte, établie par le médecin du service des soins palliatifs et par les experts, ne lui permettait pas d'avoir une réelle conscience de ce qu'elle signait. Elle décédait d'ailleurs le [Date décès 6] 2011 à 9 heures 35.
Bien plus, la chronologie des faits démontre que [B] [L] a commencé à utiliser à son profit les fonds de [Y] [X] après qu'elle ait été hospitalisée et a donc ainsi profité de sa vulnérabilité caractérisée par son âge et sa maladie pour la conduire à des actes qui lui étaient gravement préjudiciables, et particulièrement le fait de consentir à une donation de son appartement qu'elle avait légué par testament en 2009 à des amis de longue date ».
Pour ces motifs, monsieur [L] a été reconnu coupable des faits d'abus de vulnérabilité.
Il résulte de ces constatations que [Y] [X] n'était pas saine d'esprit au moment où elle a souscrit ce contrat d'assurance-vie au profit de monsieur [L]. Ce contrat étant donc nul en application de l'article 414-1 du code civil, monsieur [L] devra restitution aux consorts [N] de la somme reçue en application de celui-ci, soit 12.300 €.
Sur les autres demandes :
Monsieur [L], qui succombe à l'instance, en supportera les dépens.
Il sera en outre condamné à payer à monsieur et madame [N] la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
Annule l'acte de donation consenti le 5 octobre 2011 par [Y] [X] au profit de monsieur [B] [L] ;
Condamne monsieur [B] [L] à restituer à madame [H] [O] née [N] et monsieur [I] [N] les clés, badge d'accès et télécommande d'ouverture des portes automatiques de l'appartement, de la cave et du garage situés dans un ensemble immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 10]) objets de la donation, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la signification du présent jugement, et ce pendant vingt-quatre mois ;
Condamne monsieur [B] [L] à payer à madame [H] [O] née [N] et monsieur [I] [N] la somme de 10.451,27 € au titre des fruits et revenus des biens objets de la donation annulée ;
Condamne monsieur [B] [L] à payer à madame [H] [O] née [N] et monsieur [I] [N] la somme de 12.300 € au titre du contrat d'assurance-vie du 5 septembre 2011 ;
Condamne monsieur [B] [L] à payer à madame [H] [O] née [N] et monsieur [I] [N] la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne monsieur [B] [L] aux dépens.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE DEUX JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,