TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 02 Juillet 2024
Enrôlement : N° RG 20/11429 - N° Portalis DBW3-W-B7E-YGXN
AFFAIRE : Mme [V] [U] épouse [S] (Me Paul-Victor BONAN)
C/ Mme [B] [T] veuve [U] (Me Carole MAROCHI de la SELARL MAROCHI & ASSOCIÉS) et autres
DÉBATS : A l'audience Publique du 07 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette, Greffier
Vu le rapport fait à l’audience
A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 02 Juillet 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Madame [V] [U] épouse [S]
née le [Date naissance 5] 1959 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représentée par Maître Paul-Victor BONAN, avocat au barreau de MARSEILLE
C O N T R E
DEFENDEURS
Madame [B] [T] veuve [U]
née le [Date naissance 1] 1940 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
Madame [W] [U]
née le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
Monsieur [R] [U]
né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 7]
représentés par Maître Carole MAROCHI de la SELARL MAROCHI & ASSOCIÉS, AVOCAT GLOBAL SOLUTION, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte authentique du 27 avril 2004 monsieur [N] [U] et madame [B] [T] son épouse ont fait donation à leurs trois enfants madame [V] [U] épouse [S], madame [W] [U] et monsieur [R] [U] de la nue-propriété d’un bien immobilier leur appartenant sis à [Localité 8], eux-mêmes se réservant l’usufruit.
[N] [U] est décédé le [Date décès 6] 2005.
Le bien immobilier objet de la donation est composé de trois habitations, dont l’une occupée par madame [B] [T] veuve [U], l’une occupée par madame [V] [U] épouse [S] et l’une occupée par madame [W] [U].
Par acte d'huissier du 30 novembre 2020 madame [V] [U] a fait assigner madame [B] [U], madame [W] [U] et monsieur [R] [U].
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 novembre 2023 elle demande au tribunal de condamner madame [W] [U] à la remise en état des lieux qu’elle occupe en l’état antérieur à toutes les transformations et modifications effectuées et ce sous astreinte, à savoir :
- ORDONNER que madame [W] [U] devra procéder à la remise en état du hangar dans sa configuration ancienne de hangar dans sa partie Ouest, en supprimant notamment toute les cloisons, installation sanitaires et cuisine qui ont permis la transformation d’une partie du hangar en local d’habitation, tel que décrit par maître [X], commissaire de justice, dans son procès-verbal de constat dressé le 16 juillet 2018 pages 11 à 24, et ce, sous astreinte de 2.000 €, par jour de retard passé le délai de 1 mois après la signification de la décision à intervenir ;
- ORDONNER l’interdiction d’utilisation à madame [W] [U] ou à toute personne de son chef, à usage d’habitation de la partie Ouest du hangar, et ce, sous astreinte de 1.000 €, par jour de retard passé le délai de 1 mois après la signification de la décision à intervenir ;
- ORDONNER que madame [W] [U] procède à la remise en état des ouvertures supprimées dans la façade du hangar, sous astreinte de 500€ par jour de retard passé le délai de 1 mois après la signification de la décision à intervenir ;
-ORDONNER que le dépôt de la déclaration préalable n° DP 03 042 22 A0152 afférente à la création d’ouvertures lui est inopposable.
Elle demande encore la condamnation in solidum de madame [B] [U], madame [W] [U] et monsieur [R] [U] à lui payer la somme de 10.000€ de dommages et inétrêts, et 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes madame [V] [U] fait valoir que madame [W] [U] a effectué des travaux de transformation du bâtiment qu'elle occupe, objet de la donation, sans autorisation des autres indivisaires et sans autorisation d'urbanisme, lesdits travaux ayant fait l'objet d'un constat d'huissier le 16 juillet 2018. Elle ajoute que la désignation de cet huissier par voir d'ordonnance sur requête est régulière et qu'elle était fondée à la solliciter en sa qualité de nu-propriétaire, que la déclaration préalable de travaux déposée en mairie de [Localité 8] ne concerne pas la transformation du hangar en habitation, que les travaux en façade n'ont pas fait l'objet d'une déclaration préalable, celle-ci ayant été régularisée a postériori, que ces travaux de transformation nécessitaient l'accord de tous les indivisaires en application de l'article 815-3 du code civil dès lors qu'il s'agit d'un acte de disposition et qu'elle n'a jamais donné un tel accord.
Madame [V] [U] expose encore avoir subi un préjudice du fait de ces travaux, exposant que la création d'ouvertures a créé un préjudice de vue sur son fonds et que la création d'une habitation supplémentaire cause nécessairement un préjudice dans la mesure où elle engendrera des habitants supplémentaires, du bruit, plus de passage.
Madame [B] [U], madame [W] [U] et monsieur [R] [U] ont conclu en dernier lieu le 5 février 2024 au rejet des demandes de madame [V] [S], à ce que le jugement ne soit pas assorti de l'exécution provisoire, et à la condamnation de madame [V] [U] à leur payer la somme de 1.500 € chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile. Ils déclarent en outre ne pas être opposés à une médiation.
Ils exposent que la réalisation des actes conservatoire est de la prérogative de l'usufuitier, en l'espèce madame [B] [T], que la réalisation des travaux de transformation du hangar est un acte lié à la préservation de la chose dès lors qu'elle était nécessaire à madame [W] [U] pour la conservation de son logement et que dans ces conditions l'accord de madame [V] [S] n'était pas nécessaire dès lors que [W] et [R] [U] représentent à eux seuls les deux tiers des indivisaires en nue-propriété. Ils ajoutent que madame [V] [S] a donné son accord à ces travaux ainsi qu'il résulte d'une attestation de monsieur [P] [O], et que son époux a participé à leur réalisation. Ils exposent encore que ces travaux ont fait l'objet des autorisations d'urbanisme nécessaires, que madame [V] [S] ne peut avoir subi aucun préjudice dès lors qu'elle n'est que nue-propriétaire d'un tiers du terrain et qu'aucune nuisance ou dégradation ne sont démontrés, et que madame [V] [S] n'occupe les lieux qu'en vertu d'un prêt à usage dont le terme a été fixé en novembre 2023.
Ils déclarent enfin ne pas s'opposer à une mesure de médiation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
En l'absence d'accord de madame [V] [S] et eu égard au fait qu'il s'agit d'une deuxième instance relative au même bien puisqu'un premier jugement a déjà été rendu le 5 octobre 2021, ce qui démontre le caractère persistant de la mésentente entre les parties, une mesure de méditation apparaît vouée à l'échec et il n'y a pas lieu de l'ordonner, même si le caractère familial du différend aurait pu s'y prêter à son commencement.
L'article 815-3 du code civil dispose que « Le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :
1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ;
2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ;
3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ;
4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers.
Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°.
Si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux. »
En particulier le changement d'affectation d'un bien ne peut pas être considéré comme ressortissant de son exploitation normale, et nécessite de ce fait le consentement de tous les indivisaires.
Ces dispositions ne sont applicables que dans les rapports entre indivisaires et non dans ceux existant entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, qui sont pour leur part régis par les dispositions des articles 578 et suivants du même code.
À ce titre, la charge de conserver et de rendre la chose interdit à l'usufruitier d'en disposer ou d'en modifier la destination, dès lors que ce mode de jouissance ne lui permet pas de respecter son obligation de conserver la chose objet de l'usufruit.
Il s'ensuit que la transformation d'un hangar en maison à usage d'habitation, en ce qu'elle emporte changement de destination de ce bien, exigeait le consentement de tous les indivisaires en nue-propriété et non seulement des deux tiers d'entre eux, et ne ressortait pas non plus des pouvoirs de l'usufruitier.
Il résulte d'une attestation de monsieur [P] [O] en date du 28 août 2023 que « monsieur [S] a même participé à la réorganisation du hangar où il y entreposait du matériel personnel » et que « monsieur et madame [S] étaient informés et ne s'opposaient pas au réaménagement d'une petite partie du hangar en habitation ».
Monsieur [E], dans une attestation du 29 août 2023, indique pour sa part qu'il a constaté que « durant la rénovation du hangar que la famille avait donné son accord verbal et était favorable à la réalisation de ce projet. J'ai pu constater aussi le va et vient ainsi que l'aide physique et et/ou psychologique de tous les membres de la famille durant les travaux et bien après ».
Il résulte donc de ces attestations que les travaux de transformation du hangar en habitation ont fait l'objet d'un accord unanime des indivisaires à l'époque où ils ont été réalisés. Dans ces conditions madame [S] ne pourra qu'être déboutée de sa demande de remise en état des lieux.
Elle devra également être déboutée de sa demande de dommages et intérêts dès lors que les travaux en cause ne résultent pas d'un comportement fautif de ses co-indivisaires et de l'usufruitière.
Succombant à l'instance, madame [S] en supportera les dépens. Elle sera encore condamnée à payer à madame [B] [U], madame [W] [U] et monsieur [R] [U] la somme totale de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
Déboute madame [V] [U] épouse [S] de ses demandes ;
Condamne madame [V] [U] épouse [S] à payer à madame [B] [U], madame [W] [U] et monsieur [R] [U] la somme totale de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne madame [V] [U] épouse [S] aux dépens.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE DEUX JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,