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18/06/2024 | FRANCE | N°22/01301

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 3ème chbre cab a1, 18 juin 2024, 22/01301


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A1

JUGEMENT N°
du 18 Juin 2024


Enrôlement : N° RG 22/01301 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZQMA


AFFAIRE : Mme [Z] [V] ( Me Jocelyne PUVENEL)
C/ SDC DE L’IMMEUBLE [Adresse 1] (l’AARPI ESCLAPEZ-SINELLE-PILLIARD) ET AUTRES



DÉBATS : A l'audience Publique du 07 Mai 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats :


Président : Madame Aurore TAILLEPIERRE,


Greffier : Madame Sylvie HOBESSERIAN,


A l'issue de laquelle, la date du

délibéré a été fixée au 18 Juin 2024


PRONONCE : Par mise à disposition au greffe le 18 Juin 2024

Par Madame Aurore TAILLEPIERRE, Juge

Assisté...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A1

JUGEMENT N°
du 18 Juin 2024

Enrôlement : N° RG 22/01301 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZQMA

AFFAIRE : Mme [Z] [V] ( Me Jocelyne PUVENEL)
C/ SDC DE L’IMMEUBLE [Adresse 1] (l’AARPI ESCLAPEZ-SINELLE-PILLIARD) ET AUTRES

DÉBATS : A l'audience Publique du 07 Mai 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats :

Président : Madame Aurore TAILLEPIERRE,


Greffier : Madame Sylvie HOBESSERIAN,

A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au 18 Juin 2024

PRONONCE : Par mise à disposition au greffe le 18 Juin 2024

Par Madame Aurore TAILLEPIERRE, Juge

Assistée de Madame Sylvie HOBESSERIAN, Greffier

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Madame [Z] [V]
née le 09 Mai 1943 à [Localité 10] (TUNISIE), de nationalité française, domiciliée et demeurant [Adresse 5]

représentée par Maître Jocelyne PUVENEL, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDEURS

Le Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 1], représenté par son syndic en exercice, la SAS GESTION MEDITERRANEE, Agence de la Comtesse, inscrite au RCS de [Localité 12] sous le numéro B410 765 895 et dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice

représenté par Maître Olivier SINELLE de l’AARPI ESCLAPEZ-SINELLE-PILLIARD, avocats au barreau de TOULON, [Adresse 7]

Madame [M] [D] épouse [U], domiciliée et demeurant [Adresse 4]
et
Monsieur [L] [D], domicilié et demeurant [Adresse 4]

tous deux représentés par Maître Philippe HAGE de la SCP CABINET ROBERT & ASSOCIES, avocats au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, Les Patios de Forbin, [Adresse 8]

Madame [J] [B], née le 1er septembre 1963 à [Localité 13] (Ardèche), de nationalité française, domiciliée et demeurant [Adresse 2]

représentée par Maître Isabelle BERNI-HERVOIS de l’ASSOCIATION GARNIER-COURTY BERNI-HERVOIS, avocats au barreau de TOULON, [Adresse 6]

***

EXPOSE DU LITIGE

Madame [Z] [V] est propriétaire d’un appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble situé au [Adresse 1].

L'ensemble immobilier est soumis au statut de la copropriété et a fait l'objet d'un état descriptif de division en date du 15 mars 2016. La copropriété est divisée en trois bâtiments : le bâtiment principal, un bâtiment secondaire et des dépendances constitutives d’une partie du lot 7.

Madame [Z] [V] est propriétaire des lots 5 et 6, Madame [J] [B] est propriétaire du lot 2 et Monsieur et Madame [D] sont quant à eux propriétaires du lot 7.

L’immeuble a été frappé d’un arrêté de péril le 23 mars 2015 suite à l’affaissement du plancher du premier étage et à la flexion des poutres bois le supportant.
L'assemblée générale des copropriétaires a voté, le 29 mai 2017, la réfection de la toiture et la consolidation du plancher du premier étage. Les travaux ont été réalisés sous la maîtrise d'œuvre de la société LES ARCHITECTES FG, assurée auprès de la MAF, et par la société BATI-STAN suivant devis en date du 08 avril 2017, assurée auprès de la société MIC INSURANCE.

Les travaux réalisés au premier étage ont consisté à retirer la sur-épaisseur de chape cimentée et de carrelage existant et en un renforcement de la poutraison du plancher haut du rez-de-chaussée par la mise en place de profilés métalliques en renfort des poutres en bois existantes et le moisage d’une poutre bois. Ils ont été réceptionnés sans réserve le 06 octobre 2017.

Madame [V] a ensuite contacté différentes entreprises afin de rénover son appartement du rez-de-chaussée et d'installer un faux plafond puis a sollicité un cabinet de maitrise d'œuvre qui a établi un rapport établissant que la conception et la mise en œuvre des travaux de reprise n’ont pas été réalisées dans les règles de l’art.

***

Madame [V] a sollicité la désignation d’un expert judiciaire au contradictoire du syndicat des copropriétaires, de la société LES ARCHITECTES FG et de la société BATI STAN.

Suivant ordonnance en date du 06 juillet 2018, le juge des référés a désigné Monsieur [A] [N] en qualité d’expert judiciaire.

Suite à la deuxième réunion d’expertise et compte tenu des conclusions du sapiteur, Madame [V] a assigné en référé Madame [B], propriétaire du premier étage. Suivant ordonnance de référé du 18 octobre 2019, la mesure d’expertise a été étendue à Madame [B], et aux sociétés MAF et à MILLENIUM.

L'expert a déposé son rapport le le 27 janvier 2021.

Madame [V] a ensuite assigné en référé le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], la société les ARCHITECTES FG, la société BATI-STAN et leurs assureurs réciproques aux fins d'exécution des travaux de confortement du plancher haut de son logement sous astreinte et de condamnation solidaire de l’ensemble des défendeurs à lui payer la somme de 33 500 euros à titre de provision sur le préjudice subi.

Par ordonnance du 27 août 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille a condamné le syndicat des copropriétaires sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé le délai de 15 mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à effectuer les travaux de confortement du plancher haut du logement et condamné solidairement la société LES ARCHITECTES FG et son assureur, la MAF, à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 40 000 euros à titre provisionnel.

Par arrêt du 28 juillet 2022, le président de la cour d’appel d'[Localité 9] a infirmé l'ordonnance 27 août 2021, excepté en ce qu'elle a condamné le syndicat des copropriétaires à effectuer les travaux de confortement du plancher haut du logement de Madame [V] sous astreinte, et a rejeté les demandes de provision et les appels en garantie formés par le syndicat.

Par ordonnance du 23 juin 2021, le tribunal administratif de Marseille a désigné Monsieur [H] en qualité d’expert dans le cadre d’une procédure de péril imminent.

Le rapport d’expertise a été rendu le 26 juin 2021.

L’immeuble a de nouveau été frappé d’un arrêté de péril imminent le 28 juin 2021 suite à la visite du service de l’hygiène et de prévention de la ville.

Par arrêté du 4 octobre 2021, la ville de [Localité 11] a ordonné la réalisation d’office des travaux de levée du péril.

Par arrêté du 3 février 2023, la ville de [Localité 11] a constaté l’achèvement des travaux de confortement de l’immeuble et ordonné la mainlevée du péril imminent prononcé le 28 juin 2021.

Suivant exploit introductif d’instance du 3 février 2022, Madame [V] a assigné devant le tribunal judiciaire de Marseille le syndicat des copropriétaires, Monsieur et Madame [D] et Madame [B] aux fins d'indemnisation de son trouble de jouissance.

***

Dans ses conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 18 décembre 2023, Mme [V] demande au Tribunal de :

VU l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965,
VU le rapport d'expertise de Monsieur [N], expert Judiciaire,
VU le rapport d’expertise de Monsieur [H],

A TITRE PRINCIPAL, CONDAMNER le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] à la somme de 46 970,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du trouble de jouissance, créance arrêtée au 31 Janvier 2023,
CONDAMNER le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] à la somme de 1540,00 euros correspondant au trouble de jouissance pendant la durée des travaux,
CONDAMNER le syndicat des copropriétaires à la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du CPC,
LE CONDAMNER aux entiers dépens de la présente procédure et de la procédure de référé en ce compris les dépens d’expertise judiciaire,
DIRE ET JUGER qu’au visa de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 la requérante sera dispensée de toute contribution aux condamnations à l’article 700 et aux dépens,
CONDAMNER le syndicat des copropriétaires à relever et garantir Madame [V] de toute condamnation au titre de l’article 700 du CPC qui serait prononcée à son encontre,
A TITRE SUBSIDIAIRE, VU l’article 1242 du Code Civil, CONDAMNER Madame [J] [B] à la somme de 21 136,50 euros à titre de dommages et intérêts en raison du trouble de jouissance, créance arrêtée au 31 janvier 2023,
LA CONDAMNER à la somme de 693,00 euros correspondant au trouble de jouissance pendant la durée des travaux,
CONDAMNER in solidum Madame [M] [D] et Monsieur [L] [D] à la somme de 6 575,10 euros créance arrêtée au 31 Janvier 2023,
LES CONDAMNER in solidum à la somme de 215,60 euros au titre du préjudice de jouissance pendant la durée des travaux,
DEBOUTER Madame [J] [B] de l’ensemble de ses demandes,
CONDAMNER in solidum Madame [J] [B], Madame [M] [D] et Monsieur [L] [D] à la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du CPC,
CONDAMNER in solidum Madame [J] [B], Madame [M] [D] et Monsieur [L] [D] aux entiers dépens de la présente procédure et de la procédure de référé en ce compris les dépens d’expertise judiciaire.

Elle soutient que les désordres affectent les parties communes suite à la conception et à la réalisation des travaux qui étaient destinés à obtenir la mainlevée de l’arrêté de péril frappant l’immeuble, procédant d’une grave altération du plancher haut, et que si les millièmes de cette partie commune spéciale ne sont répartis qu’entre les propriétaires des lots 2, 5, 6 et 7, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une partie commune dont le syndicat est gardien, et non d’une partie privative. Elle ajoute que le syndicat des copropriétaires confond les notions de parties communes spéciales bâtiment qui bénéficient à l’ensemble d’un bâtiment et les parties spéciales copropriétaires qui bénéficient à certains copropriétaires seulement, aussi la question de la charge finale des travaux pour chacun des copropriétaires relève de la seule mission du syndic et n’intéresse en rien le litige qui est soumis à la présente juridiction.
Elle indique que son appartement n’était pas en état d’être occupé en raison d'une première série de travaux subis pour le confortement du plancher puis de l’impossibilité de réaliser des travaux de second œuvre, aussi elle a subi un trouble de jouissance qui a perduré jusqu’au 3 février 2023.
Elle précise que le local a été étayé à la demande de l’expert judiciaire du fait des insuffisances de la poutraison et des risques d’affaissement du plancher haut, ce jusqu’à la mainlevée du dernier arrêté de péril soit le 03 février 2023. Elle fait état de la valeur locative de son appartement.
A titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation de chacun des copropriétaires au regard du tableau de répartition des charges résultant du règlement de copropriété.
Elle conteste par ailleurs avoir supprimé les supports du plancher R+1, l’expert judiciaire ayant directement incriminé les travaux réalisés en 2017.

***

Dans ses conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 15 octobre 2023, le syndicat des copropriétaires demande au Tribunal de :

A TITRE PRINCIPAL : Débouter Madame [Z] [V] et Madame [J] [B] de leurs demandes, fins et prétentions formulées à l’encontre du Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 1] ;
SUBSIDIAIREMENT : Dire et juger que le préjudice de Madame [Z] [V] ne saurait excéder 25% de la somme de 767 euros par mois du mois de juillet 2021 jusqu’au début des travaux, puis la somme de 767 euros par mois pendant la durée des travaux dans son lot jusqu’à la fin du mois de janvier 2023 ;
PLUS SUBSIDIAIREMENT : Dire et juger que le préjudice de Madame [Z] [V] ne saurait excéder 767 euros par mois du mois de juillet 2021 au mois de janvier 2023, soit 19 mois, pour un total de 14.573 euros ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE : Condamner in solidum Madame [Z] [V] et Madame [J] [B] à payer au Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 1], la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier SINELLE, Avocat, sous son offre de droits et conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.

Il soutient que les désordres trouvent leur origine dans un défaut de conception, de suivi des travaux, et dans des défauts d’exécution et que le gros œuvre de chacun des trois bâtiments est constitutif de parties communes spéciales, or le syndicat des copropriétaires est responsable des dommages causés par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes exclusivement s'il s’agit des parties communes générales. Dès lors, l’action en réparation doit être dirigée à l’encontre des propriétaires titulaires de droits sur ces espaces communs spéciaux.
Selon lui, le bien de Madame [V] n’était pas en état d’être occupé en janvier 2018 et elle ne démontre pas le préjudice dont elle demande réparation. En outre, Madame [V] s’est trouvée, en droit, dans l’impossibilité d’occuper son appartement entre l’arrêté de péril du 28 juin 2021 et la mainlevée du 3 février 2023.
Il ajoute que les travaux ont été votés en assemblée générale, qu'aucun copropriétaire opposant ou défaillant n’a attaqué l’assemblée et que ce vote de ces travaux n’a pas d’effet sur le régime juridique applicable à ces parties communes spéciales. En sus, la décision de répartition du coût des travaux de reprise en charges générales issue de l'assemblée générale du 14 décembre 2022 a été annulée le 27 septembre 2023.
Enfin, Madame [B] ne démontre pas avoir eu des propositions de location sur cette période qu’elle aurait été contrainte de refuser ou de différer du fait de l’arrêté de péril et de la réalisation des travaux.

***
Dans ses conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 3 juillet 2023, Madame [B] demande au Tribunal de :

Vu l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965,
Vu l’article 1242 du code civil,
Vu l’état descriptif de division du 15 mars 2016,
Vu l’arrêt au fond du 28 juillet 2022,

Au principal, sur les demandes subsidiaires formées par Madame [V] à l’encontre de Madame [B] : DEBOUTER Madame [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme étant infondées et injustifiées,
JUGER que l’immeuble du [Adresse 1] est un immeuble soumis au régime de la copropriété et des dispositions de la loi du 10 juillet 1965,
JUGER que Madame [B] n’est pas copropriétaire indivis de l’immeuble du [Adresse 1],
JUGER que le plancher R+1 de l’immeuble en copropriété du [Adresse 1] est une partie commune générale conformément à l’état descriptif de division du 15.03.2016,
JUGER que Madame [B] n’est pas responsable au sens des dispositions de l’article 1242 du code civil des désordres présentés par le plancher R+1 de l’immeuble, partie commune générale du [Adresse 1],
Reconventionnellement : CONDAMNER Madame [V] à régler la somme de 12.750 euros, arrêtée au 31 mars 2023, à titre de dommages et intérêts en raison du trouble de jouissance subi par Madame [B] depuis le 1er février 2022,
Très subsidiairement : CONDAMNER le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] à régler la somme de 12.750 euros, arrêtée au 31 mars 2023, à titre de dommages et intérêts en raison du trouble de jouissance subi par Madame [B] depuis le 1er février 2022,
EN TOUT ETAT DE CAUSE : ECARTER l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
CONDAMNER Madame [V] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNER Madame [V] aux entiers dépens d’instance et de référé en ce compris les frais d’expertise judiciaire avec distraction au profit de Maître BERNI-HERVOIS, Avocat sur son affirmation de droit.

Elle expose qu'elle n’est pas « copropriétaire indivis », l'immeuble étant soumis au statut de la copropriété, elle ne peut donc être soumise aux dispositions de l’article 1242 du code civil puisqu'elle ne peut être gardienne des parties communes. Elle affirme que l'état descriptif de division de l'immeuble stipule très clairement en page 9 que les parties communes générales comprennent notamment le gros œuvre du bâtiment et des planchers, aussi l’assemblée des copropriétaires du 17 mai 2021 a voté le principe des travaux de confortement du plancher R+1.
En outre, elle soutient que dès 2013/2014, Madame [V] a transformé en profondeur son local sans informer les copropriétaires de l’immeuble de la démolition de l’ensemble des cloisons. Elle fait état de son propre préjudice de jouissance, ses locataires ayant donné congé le 31 janvier 2022 suite à l’arrêt de péril imminent délivré par la ville de [Localité 11] et n’ayant pu remettre en location son appartement compte tenu de l’arrêté municipal de mise en péril du 28 juin 2021.

***

Dans leurs conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 12 décembre 2022, Monsieur et Madame [D] demandent au Tribunal de :

DEBOUTER Madame [V] de ses demandes dirigées contre Monsieur et Madame [D],
CONDAMNER Madame [V] à payer à Monsieur et Madame [D] la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner tout succombant aux dépens,
Dire que l’avocat ci-dessus constitué pourra se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Ils exposent que le fait qu’il s’agisse de parties communes spéciales ne leur fait pas perdre leur qualité de parties communes, aussi les travaux relatifs à ces parties communes, qu’elles soient spéciales ou générales, incombent au syndicat, seule la responsabilité de ce dernier pouvant être engagée sur le fondement des dispositions de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965.

***

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2024.

L'audience de plaidoiries s'est tenue le 7 mai 2024 et la décision a été mise en délibéré au 18 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il sera rappelé aux parties que les demandes présentées sous la forme de « dire et juger » et « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du Code civil.

I/ Sur la responsabilité du syndicat des copropriétaires

En application de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat des copropriétaires a pour objet la conservation et l'amélioration de l'immeuble ainsi que l'administration des parties communes. Il est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires.

Il s'agit d'une responsabilité objective, sans faute du syndicat des copropriétaires, pour les dommages ayant leur origine dans les parties communes.

Il doit être rappelé que seul le syndicat des copropriétaires est doté de la personnalité juridique et est chargé de l'administration et de l'entretien des parties communes générales mais également spéciales, dans la mesure où l'article 14 précité ne distingue nullement la nature des parties communes. La notion d'imputabilité des désordres à un bâtiment est inopérante, puisque le syndicat des copropriétaires n'est pas dispensé de conserver et d'entretenir les parties communes spéciales. Aussi, les désordres causés par les communes spéciales engagent sa responsabilité de plein droit et seule la contribution à la dette sera le cas échéant répartie entre les lots ayant l'usage exclusif de ces parties communes spéciales.

En l'espèce, il résulte de l'article 6 de l'état descriptif de division de la copropriété sise [Adresse 1] en date du 15 mars 2016 que le gros oeuvre, la toiture et toutes les parties communes particulières au bâtiment principal constituent des parties communes spéciales aux lots n°2, 5 à 7 inclus. L'article 7 répartit ainsi les charges communes spéciales du bâtiment principal entre les propriétaires des lots n°2, 5, 6 et 7 au prorata des quotes-parts indiquées dans la colonne du tableau de répartition des charges annexé.

L'immeuble dont il s'agit a été frappé d'un arrêté de péril le 23 mars 2015 en raison de l'affaissement du plancher du premier étage et de la flexion de ses poutres bois.

Des travaux de consolidation du plancher du premier étage ont été confiés par le syndicat des copropriétaires à la société BATI-STAN, sous la maîtrise d'œuvre de la société LES ARCHITECTES FG, consistant au retrait de la sur-épaisseur de chape cimentée et de carrelage existant ayant provoqué un surpoids et l'affaissement du plancher, et un renforcement de la poutraison. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve par procès-verbal du 6 octobre 2017.

Néanmoins, le cabinet ACROPOLE, mandaté par Mme [V], propriétaire des lots n°5 et 6, a constaté dans son rapport du 26 janvier 2018, plusieurs non-conformité aux règles de l'art suite au travaux de reprise réalisés :

- les profilés métalliques sont ancrés directement dans les murs en moellons sans sommiers ferraillés de répartition des charges,
- les planches d'enfustage ont été déposées sans être remplacées sur une surface d'environ 2 m², laissant la sous-face de chape en béton visible,
- l'ouvrage n'a pas été purgé et des morceaux de ciment bloqués dans les interstices du platelage restent suspendus de façon précaire et menacent de tomber à tout moment,
- de nombreuses pièces de bois, notamment des planches d'enfustage, ont été sciées et n'ont pas été retirées, restant retenues par un seul bout dans le vide dans l'attente de leur chute,
- la principale poutre en bois profondément abimée, fendue en diagonale traversante sur 80% de sa hauteur, doublée par un IPE 200, a été laissée en l'état, une rupture étant inévitable dans le temps,
- l'ancrage des UPE est de faible profondeur.

M. [T] conclut que les travaux de second œuvre prévus pour l'aménagement de l'appartement ne peuvent être entrepris avant la levée de ces réserves.

Le sapiteur sollicité par l'expert judiciaire, le BET MEDEX, confirme dans son rapport du 9 mai 2019, après sondage des extrémités des profilés métalliques, des poutres et de la sous-face du plancher que :

- les galettes ne constituent pas un dispositif permettant la répartition des efforts,
- l'appui au niveau du repère B est nettement insuffisant, nécessitant des étaiements urgents,
- les dispositifs d'appuis sont absents sur les files 5 et 7,
- le profilé métallique de renfort est manifestement sous-dimensionné au regard de la portée,
- la poutre située en file 6 présente une fissure profonde à 1,40 m de l'appui constitué du mur Sud,
- les enfustages sont très dégradés voire cassés ou absents au voisinage de la façade sur rue,
- les conditions de contrainte et de flèche ne sont pas satisfaites simultanément pour les files 1 à 8 soit l'ensemble des files de poutre, de même s'agissant des conditions de transmission de charges sur les murs.

Dans son rapport en date du 27 janvier 2021, l'expert judiciaire relève ainsi qu'une poutre bois est fracturée ; les profilés sont ancrés dans la maçonnerie sans la présence de sommiers ou semelles-couteaux ; l'enfustage n'a pas été purgé et les planches sont pendantes, certaines ont été coupées, les enfustages sont très dégradés ; des poutres sont inclinées ; des cales en bois compressibles ont été placées entre profilé et poutre bois ; les ancrages ne sont pas visibles ni dans le mur de la pièce principale ni dans le mur côté couloir où le faux-plafond est encore présent et les profilés IPE en deux parties sont reconstitués par plaques et assemblages soudés, les renforts soudés n'étant pas conformes aux règles de l'art notamment en l'absence de chanfreins de soudage.

Il reprend les conclusions du bureau d'étude sapiteur faisant état de l'insuffisance voire de l'inexistence des longueurs d'ancrage des profilés au niveau des poutres files 1, 3 et 7 ; de l'absence d'ancrage dans le mur porteur des profilés de la file 5 ; de l'absence de scellement et d'assise du profilé de la file 7 ; de la fissure profonde de la file 6 ; des dégradations ou de l'absence des enfustages et de l'absence de conformité des files.

M. [N] mentionne une atteinte à la solidité et une dangerosité de la structure, nécessitant des mesures provisoires de sécurité urgentes.

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que les désordres affectant le plancher sont issus d'un défaut de conception imputable à l'architecte, les documents contractuels étant quasi inexistants, mais également de défauts d'exécution imputables à la société BATI-STAN.

Il doit être observé que la dégradation des poutres et enfustages du plancher haut du rez-de-chaussée, la précarité des appuis et les non-conformités affectant les profilés principaux, également mises en évidence le 26 juin 2021 par un autre expert, M. [H], désigné par le tribunal administratif de Marseille le 23 juin 2021, ont justifié la survenance d'un nouvel arrêté de péril imminent le 28 juin 2021 compte tenu du risque d'effondrement.

Ces désordres trouvant leur origine dans une partie commune du bâtiment, même spéciale, engagent la responsabilité de plein droit du syndicat des copropriétaires qui en a la charge. Ils génèrent au préjudice de Mme [V], copropriétaire, des dommages compte tenu de l'atteinte à la solidité de l'ouvrage empêchant toute occupation ou exploitation du local situé au rez-de-chaussée de l'immeuble.

La responsabilité du syndicat des copropriétaires sera donc engagée sur le fondement de l'article 14 précité, sans que ce dernier ne puisse arguer de l'existence de parties communes spéciales l'exonérant de sa responsabilité. En effet, seul le syndicat défendeur est pourvu de la personnalité morale et les propriétaires des lots n°2, 5, 6 et 7 ne constituent pas une personnalité morale distincte dont la responsabilité peut être engagée.
A ce titre, il doit être observé qu'aucun syndicat secondaire n'existe et que l'assemblée générale des copropriétaires a voté le 17 mai 2021 les travaux portant sur la consolidation du plancher litigieux.

Les travaux de renforcement du plancher ont été réalisés d'office par la ville de [Localité 11] qui a ordonné la mainlevée du péril imminent le 3 février 2023.

S'agissant des préjudices de jouissance invoquées par la demanderesse, M. [N] distingue d'une part ceux courant pendant les travaux de reprise et d'autre part ceux courants à compter de la découverte des malfaçons et désordres issus des travaux effectués fin 2017.

Il ressort effectivement de l'ensemble des éléments précités que Mme [V] a eu connaissance en janvier 2018, suite au rapport du cabinet ACROPOLE, des nombreuses malfaçons et non-conformités affectant le plancher haut du premier étage, l'empêchant de poursuivre les travaux de second oeuvre dans son local du rez-de-chaussée.

Si le local de Mme [V] n'apparaissait effectivement pas en état d'être occupé en janvier 2018, il n'en demeure pas moins que les travaux de second-oeuvre justement destinés à cet effet n'ont pu être engagés par la propriétaire avant la main-levée de l'arrêté de péril imminent le 3 février 2023. M. [N] précise à ce titre que ces désordres ont interdit la poursuite des travaux de second oeuvre et ont nécessité de nouveaux travaux de confortement.

La survenance de l'arrêté de péril imminent du 28 juin 2021 est exclusivement liée aux désordres affectant le plancher et n'exonérait pas le syndicat des copropriétaires de sa responsabilité et obligations, étant précisé que les travaux ont été exécutés d'office par la ville. Le préjudice de Mme [V] s'est poursuivi au cours de cette période, celle-ci étant dans l'impossibilité de réaliser les travaux au sein de son lot et de l'occuper sereinement en raison de l'étaiement réalisé d'urgence dans l'appartement et du risque d'effondrement du plancher.

L'expert judiciaire retient, à titre indicatif, une valeur locative de 13 euros par m² par mois pour le local de 59 m². Mme [V] produit un avis de valeur locative réalisé par une agence immobilière le 30 janvier 2023 chiffrant celle-ci à la somme de 14 euros par m² par mois pour ce local de 55m².

La somme de 770 euros par mois, retenue par l'expert judiciaire et l'agence immobilière, sera donc entérinée.

Le préjudice de jouissance de Madame [V], directement lié aux désordres affectant une partie commune de l'immeuble, s'est poursuivi entre les mois de janvier 2018 et janvier 2023 inclus.

Par conséquent, le syndicat des copropriétaires sera condamné à verser à Madame [V] la somme de 46 970 euros au titre de son préjudice de jouissance jusqu'au 31 janvier 2023.

Par ailleurs, la durée des travaux de reprise a été estimée à deux mois par l'expert judiciaire qui mentionne que Mme [V] ne pourra disposer de son logement pendant cette période. Toutefois, les travaux ont été exécutés avant le mois de février 2023 par la ville et l'indemnisation au titre de cette période est déjà incluse dans les dommages et intérêts précités, qui correspondent à l'impossibilité de jouir de l'appartement entre janvier 2018 et janvier 2023. Mme [V] ne peut donc prétendre à une double indemnisation et sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 1540 euros.

La demande principale de Mme [V] ayant été accueillie, il n'y a pas lieu d'examiner ses demandes formulées à titre subsidiaire.

Par ailleurs, Mme [B] évoque l'existence de son propre préjudice de jouissance du fait de l'absence de réalisation des travaux de confortement du plancher pendant plusieurs mois.

Mme [B] a conclu le 30 octobre 2017 avec l'agence LA COMTESSE un mandat de gestion locative portant sur l'appartement T3 de 60,83 m² situé au premier étage de l'immeuble. Elle démontre avoir conclu un bail d'habitation portant sur l'appartement à compter du 31 janvier 2018 pour un loyer mensuel de 850 euros.

Les locataires ont donné congé par courrier recommandé reçu par le gestionnaire le 30 décembre 2021.

Toutefois, il n'est nullement établi que les locataires ont quitté les lieux en raison des désordres affectant le plancher, de l'étaiement mis en place au rez-de-chaussée ni même en raison de l'arrêté de péril imminent du 28 juin 2021. Ce dernier a imposé la réalisation d'un renforcement du plancher en sous-oeuvre mais n'a ordonné aucune évacuation ou interdiction d'habiter l'appartement du premier étage, étant précisé que M. [H] n'a pas préconisé l'évacuation des locataires du premier étage.
L'expert judiciaire mentionne que Mme [B] n'a pas allégué de préjudice et n'a pas déclaré d'impact financier sur ses loyers du fait de l'interdiction d'utilisation de la baignoire. Il indique en outre que Mme [B] ne subira une privation de jouissance ou une perte de loyers qu'en cas de démolition – reconstruction du plancher en raison du déménagement imposé pendant les travaux, et non dans le cas de travaux de confortement. Or, la ville a fait exécuter des travaux de renforcement du plancher haut du rez-de-chaussée et non de démolition, selon rapport de M. [E] en date du 25 janvier 2023.

Il en résulte que Mme [B] échoue à apporter la preuve d'une perte de loyer causée de façon directe et certaine par les désordres affectant le plancher entre les mois de février 2022 et avril 2023 et doit être déboutée de ses demandes indemnitaires dirigées tant à l'égard du syndicat des copropriétaires que de Mme [V], en l'absence de démonstration d'une faute commise par celle-ci et caractérisée par l'expert judiciaire.

Conformément au deuxième alinéa de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, Madame [Z] [V], sera dispensée de toute participation à la dépense commune des frais de procédure, dont la charge sera répartie entre les autres copropriétaires.
 
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens. 
 
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. 
 
Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], qui succombe in fine, supportera les dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire et les frais de la procédure en référé ayant préparé la présente instance, dont distraction au profit des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre. Il sera condamné à verser à Madame [Z] [V] la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En équité, les autres demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

En application de l'article 514 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu à écarter l'exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort :

CONDAMNE le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] à verser à Madame [Z] [V] la somme de 46 970 euros au titre de son préjudice de jouissance jusqu'au 31 janvier 2023,

DEBOUTE Madame [Z] [V] de sa demande de dommages et intérêts au titre de son trouble de jouissance pendant la durée des travaux,

DEBOUTE Madame [J] [B] de l'intégralité de ses demandes,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

DISPENSE Madame [Z] [V] de toute participation à la dépense commune des frais de procédure, dont la charge sera répartie entre les autres copropriétaires,

CONDAMNE le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire et les frais de la procédure en référé ayant préparé la présente instance, dont distraction au profit des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre,

CONDAMNE le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] à verser à Madame [Z] [V] la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe de la troisième chambre civile section A1 du tribunal judiciaire de Marseille, le 18 juin 2024.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 3ème chbre cab a1
Numéro d'arrêt : 22/01301
Date de la décision : 18/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-18;22.01301 ?
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