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13/06/2024 | FRANCE | N°22/00858

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab1, 13 juin 2024, 22/00858


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE


PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N° 24/ DU 13 Juin 2024


Enrôlement : N° RG 22/00858 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZPHY

AFFAIRE : S.A.S.U. BREOV (SCP BRAUNSTEIN & ASSOCIES)
C/ Mme [P] [V] [X] (SELARL AVOCATIA)


DÉBATS : A l'audience Publique du 04 Avril 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : A

LLIONE Bernadette, Greffier


Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N° 24/ DU 13 Juin 2024

Enrôlement : N° RG 22/00858 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZPHY

AFFAIRE : S.A.S.U. BREOV (SCP BRAUNSTEIN & ASSOCIES)
C/ Mme [P] [V] [X] (SELARL AVOCATIA)

DÉBATS : A l'audience Publique du 04 Avril 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette, Greffier

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 13 Juin 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Société BREOV
SAS immatriculée au RCS de TARASCON sous le n° 883 204 489, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité

représentée par Maître Julia BRAUNSTEIN de la SCP BRAUNSTEIN & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Jean-François CASILE, avocat plaidant au barreau d’AVIGNON

C O N T R E

DEFENDERESSE

Madame [P] [V] [X]
entrepreneur individuel immatriculé au RCS de BOBIGNY sous le n° [Numéro identifiant 3], de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Maître Alexis REYNE de la SELARL AVOCATIA, avocat au barreau de MARSEILLE

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et procédure :

La SAS BREOV a pour activité la fabrication et la vente de bijoux à base de lait maternel et de mèches de cheveux.

Elle exerce son activité depuis le 24 avril 2020 sous le nom commercial « Ma Parenthèse Lactée », et d'une marque, enregistrée à l'INPI le 16 février 2021 sous le n°4733572 en classe 14 :

Madame [P] [V] [X] a déposé le 10 octobre 2020 la marque semi figurative « [Courriel 7] » enregistrée pour les « bijoux fantaisie » en classe 14, n°018319436 :

En octobre 2020, la SAS BREOV a constaté que plusieurs produits créés et vendus par elle ont été également commercialisés par madame [P] [V] [X] notamment par l’intermédiaire du site internet [05].net et de la page [04] sur le réseau social Instagram.

Par courriel du 7 octobre 2020 puis par lettre recommandée du 8 décembre 2020, la SAS BREOV a mis en demeure madame [V] [X] de cesser la reproduction et l’utilisation non autorisées de modèles, procédés ou argumentaires similaires ou identiques aux siens.

Le 8 juin 2021 un procès verbal de constat d'huissier a été dressé à la demande de la SAS BREOV.

Par acte d'huissier de justice du 20 janvier 2022 la société BREOV a fait assigner madame [V] [X].

Demandes et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 octobre 2023 la société BREOV demande au tribunal de condamner madame [V] [X] à lui payer la somme de 92.350 € de dommages et intérêts à titre principal et 42 447 € à titre subsidiaire pour l’année 2021 au titre de la concurrence déloyale, outre celle de 20.000 €, d'ordonner à madame [V] [X] de cesser d’utiliser les signes distinctifs proches de ceux de la SAS BREOV (logo, nom commercial, nom de domaine, pseudonyme), de créer et commercialiser les produits identiques ou très similaires à ceux de la SAS BREOV, de commercialiser ses produits par le biais d’un site internet identique à celui de la SAS BREOV, c’est à dire en modifiant significativement ou en fermant le site internet litigieux, le tout sous astreinte de 3 500 € par jour où une infraction sera constatée, d'ordonner sous astreinte la publication du présent jugement sur la page d'accueil du site internet [05].net, de débouter madame [V] [X] de ses demandes reconventionnelles et de la condamner à lui payer la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes la société BREOV affirme que madame [V] [X] a commis des actes de concurrence déloyale en choisissant un nom commercial et un logo similaires à ceux qu'elle utilise, en choisissant un nom de domaine proche au sien, en ayant créé un site internet dont le contenu et l'apparence sont similaire au sien, en désignant les bijoux qu'elle vend sous des prénoms, imitant en cela sa pratique commerciale et en proposant à la vente des bijoux semblables à ceux qu'elle propose elle-même.
Ainsi elle expose que madame [V] [X] utilise le nom commercial « [Courriel 7] » et un logo proche du sien, en forme de coeur jaune orné d'une goutte blanche en son centre, l'ensemble étant de nature à créer une confusion avec ceux qu'elle exploite ainsi qu'il résulte du procès verbal de constat. Elle ajoute qu'il importe peu que madame [V] [X] ait déposé sa marque ainsi constituée auprès de l'Office européen, dans la mesure où elle exploitait ces signes auparavant.
La société BREOV ajoute que le nom de domaine qu'elle exploite et celui utilisé par madame [V] [X] sont composés des mêmes mots, ajoutant au risque de confusion lors d'une recherche internet et ce d'autant que le site internet de madame [V] [X] présente un apparence et un contenu semblables au sien ainsi qu'il résulte du procès de verbal de constat, y compris les conditions générales de vente.
Sur la similarité des produits et de leurs appellations, la société BREOV expose vendre les bijoux « Chloé », « Fiole lactée », le cadre souvenir « Eliott », les bijoux « Apollon », « Sara », « Ariane », « Agathe », « Mélia », « Paola », « Lova », « Akna », « Valentine », « Pandora », « Clémentine », « Nuage de lait », dont les caractéristiques se retrouvent dans les bijoux « Stacy », « Fiona », « Alina », « Alexandre », « Luna », « Délina », « Agathange », « Leslie », « Stacy », « Romana », « Inna », « Salomé », « Louisa », « Perla », « Bella », « Ella », « Gloria », et « Mia ».
La société BREOV soutient encore qu'il n'est nullement démontré que le fournisseur de ces bijoux, la société MARY JANE, les aient commercialisés avant qu'elle ne commence elle-même son activité, ajoutant que certains de ces propres bijoux n'ont pas été fabriqués par cette société. La société BREOV formule les mêmes observations s'agissant des bijoux fabriqués par la société ELISE&MOI, et des bijoux vendus sur le site ETSY, indique avoir commercialisé ses bijoux avant les autres sociétés proposant le même genre de produits et expose que le fait que d'autres concurrents vendent des produits semblables n'est pas de nature à exonérer madame [V] [X] de ses fautes.
Sur le risque de confusion, la société BREOV se prévaut du message d'une cliente, et relève que les principales caractéristiques de son industrie ont été reprises par madame [V] [X].
Elle reproche encore à madame [V] [X] d'avoir commis des actes de parasitisme en s'inscrivant délibérément dans son sillage afin de tirer profit de sa notoriété, de son investissement et de ses efforts créatifs, notamment par l'exploitation d'un site internet semblable au sien, en reprenant ses conditions générales de vente, en créant et vendant des produits en tous points similaires, en utilisant un logo et nom commercial similaires aux siens, et en proposant ses produits à des prix inférieurs.
Sur son préjudice, la société BREOV expose avoir subi en 2021 une perte de clientèle et une perte de marge brute par rapport à 2020, à majorer compte tenu de la réduction de l'activité 2020 résultant de la crise sanitaire, résultant des actes de confusion, et un dommage distinct résultant des actes de parasitisme (notamment la reprise des conditions générales de vente) et un dommage moral.
La société BREOV conteste enfin tout comportement dénigrant ou mensonger de sa part faisant valoir que le processus de déshydratation du lait utilisé au cours de son procédé de fabrication est effectivement protégé au moyen du dépôt d'une enveloppe « soleau » à l'INPI. Elle ajoute que l'on ne saurait lui reprocher le dépôt d'une marque « d'amour et de lait » le 2 juin 2022 par un tiers, que les appels au signalement de faits de contrefaçon ne visent pas spécialement madame [V] [X] et qu'elle n'est pas l'auteur des messages reçus en réponse, et que les préjudices invoqués par madame [V] [X] ne sont pas démontrés dès lors que ses gains procèdent eux-mêmes d'actes de concurrence déloyale.

Madame [V] [X], aux termes de ses dernières conclusions en date du 20 novembre 2023, sollicite le rejet des demandes formées à son encontre et à titre reconventionnel demande au tribunal de condamner la société BREOV à lui payer les sommes de 156.310 € en réparation de son préjudice économique et financier, outre 10.000 € au titre de son préjudices moral et 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à cesser tout acte de dénigrement sous astreinte. Elle demande encore la publication sous astreinte du jugement sur les sites [06],com et [04].com.
Madame [V] [X] fait valoir qu'elle a déposé le 10 octobre 2020, la marque européenne semi figurative « [Courriel 7] » enregistrée pour les « bijoux fantaisie » en classe 14, n°018319436, soit antérieurement à la marque de la société BREOV, et créé un compte Instagram pour leur commercialisation.
Elle ajoute qu'en dehors des dates de dépôt des marques respectives des parties, il n'existe pas de preuve d'usage par la société BREOV des signes qu'elle revendique à l'appui de ses demandes, et que le logo et le nom commercial qu'elle utilise ne sont pas de nature à créer un risque de confusion en l'absence de similarité des éléments verbaux ou graphiques.
Sur les noms de domaine, madame [V] [X] fait valoir qu'ils ne sont composés que de termes génériques, que le nom de domaine principal de la société BREOV est « [06] », sans rapport avec son propre nom domaine, et que les termes « bijou », « lait » et « maternel » utilisés aux fins de référencement de son site sur les réseaux sociaux, ne sont pas susceptibles d'appropriation. Elle ajoute que ces termes sont utilisés par d'autres entreprises concurrentes, qu'un procédé de fabrication n'est pas susceptible de protection, qu'il n'existe pas de similarité démontrée entre leurs sites internet respectifs, que les conditions générales de vente ne sont que des clauses habituelles en la matière imposées par le code de la consommation et la loi du 21 juin 2004 dont il n'est pas démontré que la société BREOV en est l'auteur, que la pratique de dénommer des bijoux par des prénoms est habituelle, les prénoms qu'elle a elle-même choisis étant différents de ceux utilisés par la demanderesse. Sur la reproduction des produits, madame [V] [X] soutient qu'une action en concurrence déloyale ne peut pallier l'absence de démonstration d'une contrefaçon, qu'elle vend elle-même une centaine de références dont seulement 19 lui sont reprochés, que ces derniers sont déjà commercialisés par des tiers et que dans ces conditions la concurrence déloyale par confusion n'est pas constituée.
Madame [V] [X] forme les mêmes observations s'agissant du parasitisme, rappelant le principe de la liberté des prix. Elle soutient en outre que plusieurs des bijoux vendus par la société BREOV et par elle-même ou par des tiers proviennent des mêmes fournisseurs.
Madame [V] [X] soutient que la société BREOV ne rapporte pas la preuve de son dommage dès lors qu'elle demande deux fois la réparation du même préjudice, et que le chiffre d'affaires de la société BREOV est en progression.
À titre reconventionnel madame [V] [X] soutient être elle-même victime d'actes de concurrence déloyale par dénigrement, la société BREOV ayant prétendu faussement sur son site internet être titulaire de droits d'auteur et d'un brevet par l'indication « modèle déposé » et « recette brevetée », puis ayant sollicité l'enregistrement de la marque verbale « d'amour et de lait » le 5 avril 2021, par des appels au signalement sur les réseaux sociaux contenant des accusations de plagiat et de contrefaçon à son encontre, la diffusion par le même moyen de propos dénigrants en particulier auprès de ses clients. Elle indique que ces pratiques ont eu pour effet de limiter son activité et provoqué un manque à gagner.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La concurrence déloyale et le parasitisme consacrent des fautes susceptibles, dans les conditions fixées par l’article 1240 du Code civil, d’engager la responsabilité civile de leur auteur.

Ils supposent la démonstration d’une faute et d’un préjudice en lien de causalité direct avec celle-ci.

La faute en matière de concurrence déloyale s’apprécie au regard du principe général de libre concurrence qui est un principe fondamental des rapports commerciaux. Elle implique que tout commerçant a la possibilité d’attirer à lui la clientèle de ses concurrents sans que ceux-ci puissent le lui reprocher, de vendre des produits similaires à ceux d’un concurrent ou même identiques en l’absence de droit privatif dans la mesure où tout produit qui n’est pas l’objet d’un droit privatif est en principe dans le domaine public, et de vendre des produits similaires ou identiques de qualité moindre à un prix inférieur. Ainsi, même si la reprise procure à celui qui la pratique des économies, elle ne saurait à elle seule être tenue pour fautive sauf à vider de toute substance le principe de liberté ci-dessus rappelé.

Il appartient donc au commerçant qui se plaint d’une concurrence déloyale de démontrer le caractère déloyal des méthodes développées par son concurrent.

Il en va de même du parasitisme qui suppose de démontrer l’existence d’actes de captation indue des efforts et investissements du concurrent.

Enfin et surtout, le demandeur doit démontrer l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle.

Sur les actes de concurrence déloyale :

Il résulte du procès-verbal de constat dressé par maître [C], huissier de justice, le 8 juin 2021, et notamment du tableau comparatif figurant en pages 387 et suivantes que les produits proposés à la vente par la société BREOV et par madame [V] [X] sur leurs sites internet respectifs présentent tant par leur apparence, leur matériaux, leur présentation et pour certains leur nom, des caractéristiques extrêmement proches.

Il en est ainsi en particulier des bijoux « Chloé », « Fiole lactée », le cadre souvenir « Eliott », les bijoux « Apollon », « Sara », « Ariane », « Agathe », « Mélia », « Paola », « Lova », « Akna », « Valentine », « Pandora », « Clémentine », « Nuage de lait », commercialisés par la société BREOV et dont les caractéristiques se retrouvent dans les bijoux « Stacy », « Fiona », « Alina », « Alexandre », « Luna », « Délina », « Agathange », « Leslie », « Stacy », « Romana », « Inna », « Salomé », « Louisa », « Perla », « Bella », « Ella », « Gloria », et « Mia » commercialisés par madame [V] [X].

La société BREOV, selon ce constat, exploite pour la commercialisation de ses produits le site internet www.[04].com. Madame [V] [X] exploite pour sa part le site www.[05].net.

Ces deux sites internet présentent donc des dénominations très semblables, étant composés des mêmes mots assemblés à l'exception, non déterminante dans l'esprit de celui qui les consulte, du suffixe .com ou .net, et de la présence ou non d'espaces entre les mots.

Cet ensemble de similarités portant sur la désignation des sites marchands, la présentation des produits, l'apparence de ceux-ci, et leur dénomination est de nature à créer dans l'esprit d'un public non particulièrement averti un risque de confusion dès lors qu'il est possible de croire que les produits proposés tant par la société BREOV que par madame [V] [X] proviennent du même acteur économique.

De même l'huissier a constaté, en pages 402 et suivantes de son procès-verbal, que la société BREOV exploite un compte Instagram « [06] » proposant à la vente divers bijoux. Sur ce compte apparaissent divers bijoux présentés en écrins, posés sur des fleurs et autres supports variés ou portés, ainsi que la marque n°4733572, accompagnés de clichés montrant des bébés, des jeunes adultes censés être leurs parents et des jouets, notamment.

Madame [V]-[X] exploite pour sa part un compte « [Courriel 7] » dont la présentation et les thématiques exploitées apparaissent, selon les clichés figurant au procès-verbal de constat, en tout point semblable à celui de la société BREOV, faisant là encore naître un très fort risque de confusion dans l'esprit du consommateur moyen.

Si l'intitulé des deux comptes Instagram est effectivement différent, cette circonstance n'est pas de nature à écarter ou diminuer le risque de confusion ainsi créé, dès lors que les bijoux proposés sont semblables, que le concept exploité (des bijoux fantaisie incluant du lait de femme et des cheveux) est le même, que la mise en scène utilisée est identique, de sorte que l'utilisateur de ces comptes peut parfaitement penser qu'il ne s'agit que de deux collections proposées par le même commerçant, mais ne sera pas immédiatement mis en mesure de saisir qu'il a affaire à deux acteurs économiques concurrents.

Ainsi, et s'il ne peut être reproché à madame [V] [X] le simple fait de commercialiser des produits semblables à ceux proposés à la vente par la société BREOV, l'emploi de méthodes de présentation et de vente tels que caractérisés ci-dessus, conduisant à créer un risque de confusion, relève en revanche de faits de concurrence déloyale de sa part.

Le fait que madame [V] [X] a enregistré une marque européenne antérieurement à la société BREOV demeure indifférent à la caractérisation des faits de concurrence déloyale, qui ne résultent pas de la comparaison de ces marques et de l'existence ou non d'une contrefaçon, non alléguée en l'espèce.

Sur les faits de parasitisme :

Il est reproché à ce titre à madame [V] [X] de s'être inscrite dans le sillage de la société BREOV afin de tirer profit de sa notoriété, de son investissement et de ses efforts créatifs, notamment par l'exploitation d'un site internet semblable au sien, en reprenant ses conditions générales de vente, en créant et vendant des produits en tous points similaires, en utilisant un logo et nom commercial similaires aux siens, et en proposant ses produits à des prix inférieurs.

Le procès-verbal de constat précité établit l'identité ou au moins la similarité des sites internet respectifs des parties, la similarité des produits et la pratique de prix légèrement inférieurs par madame [V] [X]. En outre les deux éléments figuratifs des marques décrites plus haut reprennent tous deux la thématique de la goutte de lait et du cœur, associés ensemble. Néanmoins ces faits ayant déjà état sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, ils ne peuvent l'être à nouveau au titre du parasitisme.

La société BREOV se plaint encore de faits distincts, résultant de la reprise de ses conditions générales de vente par madame [V] [X], conduisant ainsi cette dernière à réaliser des économies d'investissement. Or la simple lecture de ces conditions, telles qu'elles sont reproduites dans le procès-verbal de constat, permet de démontrer que certaines clauses figurant dans le site de la société BREOV ont été reproduites sur le site de madame [V] [X].

En outre les constatations de l'huissier montrent que les articles proposés à la vente par madame [V] [X], bien que similaires à ceux vendus par la société BREOV, le sont à des prix identiques ou intérieurs, montrant ainsi une volonté d'éviction du marché de la demanderesse.

Les faits de parasitisme sont ainsi également établis.

Sur l'indemnisation du préjudice :

La société BREOV demande au tribunal d'ordonner à madame [V] [X] de cesser d’utiliser les signes distinctifs proches de ceux de la SAS BREOV (logo, nom commercial, nom de domaine, pseudonyme), de créer et commercialiser les produits identiques ou très similaires à ceux de la SAS BREOV, de commercialiser ses produits par le biais d’un site internet identique à celui de la SAS BREOV, c’est à dire en modifiant significativement ou en fermant le site internet litigieux.

Les modifications sollicitées du site internet, des signes commerciaux, et des produits en cause sont exprimées en termes trop généraux ne sont pas suffisamment précises pour pouvoir être ordonnées, sauf à interdire à madame [V] [X] d'exercer son commerce. Or il ne saurait être question, sous couvert d'une action en concurrence déloyale, d'éliminer totalement du marché un concurrent, mais seulement de faire cesser les actes déloyaux. Il ne pourra donc pas y être fait droit.

En revanche la mesure de publication sollicitée apparaît fondée et de nature à avertir le public de l'existence des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, et il y sera fait droit dans les termes du dispositif.

Il a déjà été jugé (Cass.Com. 12 février 2020) qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale.

Selon les éléments de comptabilité produits aux débats, la société BREOV justifie avoir réalisé en 2020 une marge brute de 249.515 € sur huit mois, et en 2021 une marge brute de 207.068 € sur la même période, soit une diminution de 42.447 €.

Le calcul proposé par la société BREOV consistant à augmenter ces chiffres de 20 %, reposant sur l'hypothèse qu'ils auraient pu être augmentés si l'épidémie de COVID n'avait pas perturbé le développement global de la vie économique ne peut être retenu, dès lors qu'il ne s'agit que de chiffres théoriques reposant sur un scénario qui ne s'est pas réalisé et où ces faits ne sauraient être reprochés à madame [V] [X].

Madame [V] [X] sera donc condamnée à payer à titre de dommages et intérêts à la société BREOV la somme correspondant à la perte de marge brute résultant effectivement des actes de concurrence déloyale, soit 42.447 €.

En outre, les actes de parasitisme ci-dessus caractérisés ont permis à madame [V] [X] de réaliser indûment des économies, au détriment de la société BREOV dont elle a capté les efforts créatifs et les investissements. Elle sera en conséquence condamnée à lui payer à ce titre la somme de 10.000 € de dommages et intérêts.

Sur les demandes reconventionnelles :

A l'appui de ses demande reconventionnelles madame [V] [X] produit deux attestations émanant de deux clientes faisant état d'une part de dénigrement public et appels aux signalements, d'autre parts de menaces proférées sur un compte Instagram par une dénommée [B] ou par l'entreprise « ma parenthèse lactée », c'est à dire la société BREOV.

Toutefois ces affirmations ne sont étayées par la production d'aucun extrait ou capture d'écran du compte concerné, elles ne sont pas datées, ni précisées quant à la nature des propos qualifiés de dénigrants ou menaçants.

Les copies d'écran de SMS produits par madame [V] [X], ne sont pas datés et ne font aucune référence explicite aux parties à l'instance dont le nom n'est même pas cité.

Par ailleurs l'indication « modèle déposé » figurant sur le site internet de la société BREOV ne résulte pas d'une affirmation inexacte dès lors que le procédé de fabrication de ses bijoux, et particulièrement de déshydratation du lait, a fait l'objet d'un dépôt à l'INPI au moyen d'une enveloppe Soleau. Madame [V] [X] n'indique en outre pas en quoi cette affirmation aurait pu lui causer un dommage quelconque.

S'agissant de la marque « D'amour et de lait », déposée le 5 avril 2021, il résulte de l'extrait du registre de l'INPI produit aux débats que celle-ci a été déposée par madame [B] [I], qui n'est pas partie à l'instance, pour des produits ou services de classe 25 (vêtements, chaussettes, sous-vêtements), et qu'elle a fait l'objet d'une décision de rejet pour des motifs non précisés dans la pièce produite.

Une autre marque verbale « D'amour et de lait » a été déposée le 2 juin 2022 par madame [I], pour des produits et services de classe 14 (joaillerie, bijouterie, objets d'art en métaux précieux), publiée le 24 juin 2022 et modifiée le 14 octobre 2022, sous le n°4873936.

Ces dépôts, réalisés par un tiers, ne résultent donc pas d'un comportement imputable à la société BREOV et ne peuvent lui être reprochés si tant est qu'ils résulteraient d'un comportement fautif.

Les faits de dénigrement allégués, et le préjudice d'image qui aurait pu en résulter, en particulier une perte de clientèle, ne sont pas suffisamment démontrés, et madame [V] [X] sera déboutée de ses demandes reconventionnelles.

Sur les autres demandes :

Madame [V] [X], qui succombe à l'instance, en supportera les dépens, qui comprendront le coût du procès-verbal de constat dressé par maître [C], huissier de justice, le 8 juin 2021.

Elle sera encore condamnée à payer à la société BREOV la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :

Dit que madame [P] [V] [X] a commis des faits de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la SAS BREOV ;

Condamne madame [P] [V] [X] à payer à la SAS BREOV la somme de 42.447 € de dommages et intérêts en réparation des faits de concurrence déloyale, et celle de 10.000 € de dommages et intérêts en réparation des faits de parasitisme ;

Ordonne la publication pendant soixante jours du dispositif du présent jugement en page d'accueil du site www.[05].net dans un encart représentant au moins un quart de la surface de l'écran, le tout sous astreinte de 500 € par jour de retard passé le huitième jour suivant la signification du présent jugement et ce pendant douze mois ;

Déboute la SAS BREOV de ses autres demandes ;

Déboute madame [P] [V] [X] de ses demandes reconventionnelles ;

Condamne madame [P] [V] [X] à payer à la SAS BREOV la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne madame [P] [V] [X] aux dépens, qui comprendront le coût du procès-verbal de constat dressé par maître [C], huissier de justice, le 8 juin 2021.

AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE TREIZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab1
Numéro d'arrêt : 22/00858
Date de la décision : 13/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-13;22.00858 ?
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