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16/05/2024 | FRANCE | N°23/12405

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 9ème chambre jex, 16 mai 2024, 23/12405


MINUTE N° :
DOSSIER N° : N° RG 23/12405 - N° Portalis DBW3-W-B7H-4HJG
AFFAIRE : [H] [E], [K] [W] épouse [E] / Société INTRUM INVESTMENT n°2


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE

LE JUGE DE L'EXECUTION

JUGEMENT DU 16 MAI 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL


PRESIDENT : Madame Farouz BENHARKAT, Juge

GREFFIER : Madame Marianne PATENNE,



DEMANDEURS

Monsieur [H] [E], né le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 6], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Jean-David WEILL, avocat au barreau de Marseille

Mada

me [K] [W] épouse [E], née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 6], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Jean-David WEILL, avocat au ba...

MINUTE N° :
DOSSIER N° : N° RG 23/12405 - N° Portalis DBW3-W-B7H-4HJG
AFFAIRE : [H] [E], [K] [W] épouse [E] / Société INTRUM INVESTMENT n°2

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE

LE JUGE DE L'EXECUTION

JUGEMENT DU 16 MAI 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Madame Farouz BENHARKAT, Juge

GREFFIER : Madame Marianne PATENNE,

DEMANDEURS

Monsieur [H] [E], né le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 6], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Jean-David WEILL, avocat au barreau de Marseille

Madame [K] [W] épouse [E], née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 6], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Jean-David WEILL, avocat au barreau de Marseille

DEFENDERESSE

La société INTRUM INVESTMENT n°2, représentée par la société INTRUM CORPORATE, société de droit Irlandais dont le siège social est sis [Adresse 5], en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Walter VALENTINI, avocat au barreau de Grasse

NATURE DE LA DECISION :

Le Tribunal après avoir entendu les parties et leurs avocats en leurs conclusions à l'audience du 21 Mars 2024 a mis l'affaire en délibéré et indiqué que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Mai 2024, date à laquelle a été rendu le jugement dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon jugement en date du 25 octobre 2011 rendu par le tribunal d’instance de Marseille, les époux [E] ont été condamnés à régler à la société FRANFINANCE la somme de 8 481,87 euros à titre principal avec intérêts au taux contractuel de 9,02% à compter du 28 juillet 2010, outre 100 euros d’indemnité contractuelle avec intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2010.

Cette ordonnance lui a été signifiée le 15 novembre 2011.

Par acte du 13 janvier 2023, la société FRANFINANCE a cédé sa créance à la société INTRUM INVESTMENT, signifiée au débiteur le 11 septembre 2023 avec commandement de saisie vente.

Par acte du 3 novembre 2023, procès-verbal de saisie vente a été signifiée aux demandeurs.

Selon acte d’huissier en date du 1er décembre 2023, les époux [E] ont fait assigner la société INTRUM INVESTMENT 2 devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de :
« Annuler la saisie vente du 3 novembre 2023 pratiquée par la société INTRUM INVESTMENT 2 à 1'encontre de Monsieur [H] [E] ;
Ordonner la mainlevée de la saisie vente du 3 novembre 2023 pratiquée par la société INTRUM INVESTMENT 2 à l’encontre de Monsieur [H] [E] ;
Condamner la société INTRUM INVESTMENT 2 au paiement de la somme de 2.000 euros
au titre de 1’artic1e 700 du Code de procédure civile ».

Dans leurs conclusions communiquées à l’audience du 21 mars 2024, les époux [E] ont fait valoir que la cession de créance du 13 janvier 2023 a été signifiée qu’à M. [E], de sorte qu’elle est inopposable à son épouse qui ne peut se voir imposer la saisie de ses biens meubles. Ils ajoutent que l’acte de signification porte sur une cession de créance en date du 5 janvier 2023 et non du 13 janvier 2023, contrevenant aux dispositions de l’article 1324 du code civil. Les époux [E] soutiennent que la société INTRUM France n’a pas de pouvoir pour représenter la société INTRUM INVESTMENT 2 conduisant à la nullité de l’acte de cession et des voies d’exécution qu’elle a pratiqué. Ils indiquent que cette cession constitue une pratique commerciale trompeuse entrainant l’inopposabilité de la cession à leur égard. Ils demandent que la défenderesse soit condamnée à régler la somme de 2000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral, cette dernière ayant pratiqué une saisie se fondant sur des montants d’intérêts indus car prescrits. Ils sollicitent l’octroi de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En défense, par conclusions responsives n°2 remises à l’audience du 21 mars 2024, la société INTRUM INVESTMENT 2 fait valoir que le jugement du 25 octobre 2011 condamnant solidairement les époux [E] et ceux-ci ne produisant pas leur contrat de mariage, elle pouvait parfaitement saisir leurs biens. Elle soutient que la date de cession figurant dans le procès-verbal de signification de cette dernière constitue une erreur matérielle ne portant pas grief et ne pouvant entrainer l’inopposabilité de la cession. La société INTRUM INVESTMENT 2 indique qu’elle est représentée par la société INTRUM CORPORATE qui a pouvoir de le faire. Elle avance que le juge de l’exécution n’est pas compétent pour connaitre de la prescription des intérêts et que les demandeurs ne produisent pas de décompte au soutien de leurs intérêts. Elle rejette l’existence d’un abus de droit n’ayant été détentrice de la créance que depuis 2023, elle soutient n’avoir commis aucune négligence, ni faute dans le recouvrement qu’elle ne pouvait précipiter. Elle ajoute que les difficultés personnelles du débiteur ne suffisent pas à établir l’existence d’un abus de droit. La société INTRUM INVESTMENT 2 sollicite la condamnation des demandeurs à régler la somme de 2000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire. Elle demande leur condamnation au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’audience du 21 mars 2024, les parties ont soutenu le bénéfice de leurs écritures.

L’affaire a été mise en délibéré au 16 mai 2024.

MOTIFS

Sur la qualification de la décision :

En l’espèce, toutes les parties ont comparu. La présente décision sera donc contradictoire, conformément aux dispositions de l’article 467 du code de procédure civile.
Par ailleurs la présente décision est rendue en premier ressort.

Sur la recevabilité de la contestation :

En vertu de l'article R 211-11 du code des procédures civiles d'exécution, à peine d'irrecevabilité, les contestations relatives à la saisie sont formées dans le délai d'un mois à compter de la dénonciation de la saisie au débiteur. Sous la même sanction, elles sont dénoncées le même jour, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à l'huissier qui a procédé à la saisie. L'auteur de la contestation en informe en informe le tiers saisi par lettre simple et en remet une copie, à peine de caducité de l'assignation, au greffe du juge de l'exécution au plus tard le jour de l'audience. 

En l’espèce, les époux [E] ont saisi la présente juridiction de leur contestation dans le mois à compter de la dénonciation de la saisie-vente litigieuse.
Les dispositions du texte précité ont donc été respectées de sorte que la contestation est jugée recevable.

Sur la qualité à agir de la défenderesse :

Aux termes de l’article L2l 1-1 du Code des procédures civiles d`exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations prévue par le code du travail.

En l’espèce, la société INTRUM DEBT INVESTMENT 2 est représentée par la société INTRUM CORPORATE, elle-même représentée par la société INTRUM CORPORATE SASU ayant son siège social en France qui dispose de la qualité à agir.

Sur l’opposabilité de la cession de créances :

Selon les dispositions de l’article L21-1-1 du code des procédures civiles d’exécution, tout créancier muni d`un titre exécutoire constatant une certaine, liquide et exigible peut, pour en
obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent.

Aux termes de l’article 1323 alinéa 2 du Code civil « le transfert de la créance (…) est opposable aux tiers (à la date de l'acte) ».
L’article 1324 du Code civil ajoute que « la cession n'est opposable au débiteur, s'il n'y a déjà
consenti, que si elle lui a été notifiée ou s'il en a pris acte ».

Ainsi, l’opposabilité au débiteur de la cession de créances ne dépend plus d’une signification par acte extrajudiciaire, mais s’opère à présent par une simple notification qui peut intervenir par tout moyen.

Concernant la cession de créance en date du 13 janvier 2023 entre la société FRANFINANCE à la société INTRUM DEBT INVESTMENT 2, il apparait effectivement que le procès-verbal de signification du 13 novembre 2023 vise un acte de cession du 5 janvier 2023 entre les mêmes parties. Toutefois, cette erreur n’entache pas l’opposabilité de cet acte aux débiteurs dans la mesure où l’acte de cession a fait l’objet d’une signification lors de la saisie vente et a été communiqué par voie de conclusions aux débats de la présente instance, peu important que cette communication ait eu lieu postérieurement à la saisie attribution pratiquée.

Dans ces conditions, la cession de créance est déclarée opposable aux époux [E].

Sur la saisie vente des biens de la communauté :
Aux termes de l’article 1413 du code civil, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu.

En l’espèce, à défaut de précision contraire, il apparait que les époux [E] sont mariés sous le régime de la communauté, autorisant le créancier à rechercher le paiement de sa dette sur les biens communs à l’encontre de l’un ou l’autre des autres des époux, condamnés solidairement à la dette. Les époux [E] n’établissent pas que la saisie vente a été effectué sur des biens propres.

Dans ces conditions, ils seront déboutés de leur demande d’inopposabilité à ce titre.

Sur l’existence d’une pratique commerciale trompeuse :

Aux termes de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.

A l'intérieur de l'Union Européenne, en application de la directive 2005/29/CE visant à l'unification des législations prohibant les pratiques commerciales déloyales, trompeuse et agressives contre les consommateurs, ceux-ci sont protégés en effet contre ce genre de pratique.
La directive du 11 mai 2005 interdit les pratiques commerciales déloyales au sens où elles sont contraires à la 'diligence professionnelle' et où elles altèrent ou peuvent altérer 'le comportement économique du consommateur moyen'.

La Cour de justice de l'Union européeenne, dans un arrêt du 20 juillet 2017 (arrêt Gelvora UAB, Jurisdata n°2017-016816), a jugé que la cession spéculative de contrats de crédits à la consommation aux fins de recouvrement forcé contre des débiteurs défaillants doit être considérée comme une pratique commerciale déloyale prohibée au sens de la Directive 2005/29/CE même en dehors de toute relation contractuelle entre le cessionnaire et le consommateur et même si la cession a porté sur un titre exécutoire :
'La directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens que relève de son champ d'application matériel la relation juridique entre une société de recouvrement de créances et le débiteur défaillant d'un contrat de crédit à la consommation dont la dette a été cédée à la société. Relèvent de la notion de 'produit', au sens de l'article 2, sous c), de cette directive les pratiques auxquelles une telle société se livre en vue de procéder au recouvrement de sa créance. A cet égard, est sans incidence la circonstance que la dette a été confirmée par une décision de justice et que cette décision a été transmise à un huissier de justice pour exécution' (arrêt précité).
Cette décision correspond au cas de l'espèce.

En l’espèce, il apparait que le jugement de condamnation des époux [E] date du 25 octobre 2011.

Il ressort des éléments du dossier que les débiteurs n’ont pas été renseignés sur le fait que cette créance pouvait faire l’objet de poursuites plusieurs années après la première tentative de recouvrement, qu’aucune poursuite, ni tentative de recouvrement amiable n’ont été diligentées par la société FRANFINANCE du 5 mars 2023, à la date de sa cession de créance, le 13 janvier 2023, soit plus de 10 ans.

Ce recouvrement diligenté par la société INTRUM DEBT INVESTMENT 2 intervient subitement sans que les époux [E] non informé de la longueur des poursuites, aient pu provisionner des fonds à cette fin. Or, il apparait qu’ils justifient à ce jour de faible revenu de l’ordre de 18 185 euros par ans pour trois personnes.

Dans ces conditions, la cession du 13 janvier 2023 opérée postérieurement au contrat de prêt initial sera considérée comme abusive.

Par conséquent, elle sera déclarée inopposable aux époux [E].

Le commandement de saisie vente du 11 septembre 2023 sera annulé et il sera ordonné main levée de la saisie vente pratiquée.

Les autres moyens développés par les parties deviennent par là sans objet.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

La société INTRUM DEBT INVESTMENT 2, qui succombe dans la présente instance, supportera les dépens de la procédure.

La société INTRUM DEBT INVESTMENT 2, tenue aux dépens, sera condamnée à payer respectivement aux époux [E] une somme, qu’elle paraît équitable d’évaluer à 1300 euros pour chacune au titre des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour la présente procédure.

Sur l’exécution provisoire :

En vertu de l’article R121-21 du code des procédures civiles d’exécution, la décision du juge est exécutoire de plein droit par provision.

PAR CES MOTIFS,

Le juge de l’exécution, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition du public au greffe,

DÉCLARE la contestation de Madame [K] [W] épouse [E] et Monsieur [H] [E] recevable ;

JUGE que la société INTRUM DEBT INVESTMENT 2 justifie de sa qualité à agir ;

JUGE inopposable à Madame [K] [W] épouse [E] et Monsieur [H] [E] la cession de créance opérée entre la société FINAREF et la société INTRUM DEBT INVESTMENT 2 suivant acte du 13 janvier 2023 ;

PRONONCE l’annulation du commandement de saisie vente du 3 novembre 2023 et ordonne sa mainlevée ;

CONDAMNE la société INTRUM DEBT INVESTMENT 2 à payer à Madame [K] [W] épouse [E] et Monsieur [H] [E] la somme de 1300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société INTRUM DEBT INVESTMENT 2 aux dépens de l’instance ;

REJETTE tous autres chefs de demandes ;

RAPPELLE que le présent jugement bénéficie de l’exécution provisoire de droit ;

AINSI JUGE ET PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE AU PALAIS DE JUSTICE DE MARSEILLE L’AN DEUX MIL VINGT QUATRE ET LE SEIZE MAI.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 9ème chambre jex
Numéro d'arrêt : 23/12405
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;23.12405 ?
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