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18/04/2024 | FRANCE | N°22/08064

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab3, 18 avril 2024, 22/08064


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°24/185 DU 18 Avril 2024


Enrôlement : N° RG 22/08064 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2GH4

AFFAIRE : Mme [G] [V]( Me Charlotte BALDASSARI)
C/ S.A.R.L. LES EDITIONS AU PLURIEL (la SELARL SELARL MNEMON)


DÉBATS : A l'audience Publique du 15 Février 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente, juge rapporteur

Greffier lors des débats : B

ERARD Béatrice

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/185 DU 18 Avril 2024

Enrôlement : N° RG 22/08064 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2GH4

AFFAIRE : Mme [G] [V]( Me Charlotte BALDASSARI)
C/ S.A.R.L. LES EDITIONS AU PLURIEL (la SELARL SELARL MNEMON)

DÉBATS : A l'audience Publique du 15 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente, juge rapporteur

Greffier lors des débats : BERARD Béatrice

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 18 Avril 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BESANÇON Bénédicte, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Madame [G] [V]
née le 07 Septembre 1963 à [Localité 3]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Charlotte BALDASSARI, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Me Pierre LAUTIER, avocat plaidant au barreau de PARIS

CONTRE

DEFENDERESSE

S.A.R.L. LES EDITIONS AU PLURIEL, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Maître Serge TAVITIAN de la SELARL SELARL MNEMON, avocats postulant au barreau de MARSEILLE et par Me Ilana SOSKIN, avocat plaidant au barreau de PARIS

EXPOSE DU LITIGE :

Madame [G] [V] est auteur d’un premier roman intitulé «D’OR ET D’EXIL», une fiction inspirée par son histoire familiale.

Le 20 avril 2017, Madame [G] [V] a conclu avec la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL un contrat d’édition concernant son roman « D’OR ET D’EXIL ».

Cet ouvrage a été publié et mis en vente à partir du 10 février 2018.

Considérant que la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL avait failli à ses obligations contractuelles, Madame [G] [V] l’a, par acte en date du 21 juillet 2022, assignée devant le tribunal de céans aux fins de demander au juge de la mise en état :
- d’ORDONNER à la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL de communiquer tous justificatifs certifiés et arrêtés par expert-comptable propres à établir l'exactitude des dépenses et recettes relatives à I'exploitation de l'ouvrage « D'OR ET D'EXIL ›› ;
- d’ORDONNER à la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL de communiquer l'état des stocks certifiés et arrêtés par expert-comptable concernant le roman «D'OR ET D'EXIL››
et demande au tribunal :
A titre principal,
- de DÉCLARER que le contrat d'édition en date du 20 avril 2017 entre la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL et Madame [G] [V] est résilié aux torts exclusifs de la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL depuis le 23 juin 2022.
A titre subsidiaire,
- PRONONCER la résiliation du contrat d'édition en date du 20 avril 2017 aux torts exclusifs de la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL à compter de la date de signification de l'assignation ;
En tout état de cause,
- ORDONNER à la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL de cesser toute reproduction, représentation, et exploitation de l'œuvre « D'OR ET D'EXIL ›› que ce soit à des fins commerciales ou promotionnelles, tant en magasin qu'en ligne, sur ses catalogues physiques et en ligne, ainsi que sur les réseaux de communication en ligne et ce, pour le monde entier ;
- ORDONNER à la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL de remettre à Madame [G] [V] l'ensemble des stocks restants de l'ouvrage « D'OR ET D'EXIL ›› sous astreinte de 500 € par jour de retard, prenant effet dix jours à compter de la signification de la présente décision ;
- CONDAMNER la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL au versement des sommes normalement dues au titre de I'exploitation de l'œuvre « D'OR ET D'EXIL ›› ;
- CONDAMNER la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL à lui payer la somme de 5 000 € en réparation du préjudice moral subi ;
- CONDAMNER la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL à lui payer la somme de 5 000 € en réparation du préjudice patrimonial subi ;
- CONDAMNER la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL à lui verser la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 18.10.2023, Madame [G] [V] maintient ses demandes et sollicite en outre que la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL soit déboutée de ses demandes reconventionnelles.

Elle fait valoir que suite à la sortie du roman « D’OR ET D’EXIL » en 2018, la société LES ÉDITIONS PLURIEL lui a réclamé le remboursement de ses frais de participation au salon du livre à hauteur de 800 € ; que dans le cadre du contrat d’édition, elle n’a reçu de la part de son éditeur en tout et pour tout qu’un seul et unique chèque d’un montant de 300 € sans aucun justificatif, relevé de compte ou état d’exploitation de l’ouvrage; que le 5 février 2020, Madame [O] [P], es qualité de gérante de la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL, adressait à l’ensemble de ses auteurs un courriel relatant ses difficultés en tant qu’éditeur ainsi que son bilan de 2019 qu’elle qualifiait de « très mauvais » ; que dans ces conditions, par courriel en date du 10 février 2020, Madame [V] proposait à Madame [O] [P] de rompre le contrat d’édition en date du 20 avril 2017 ; qu’elle suggérait de lui envoyer une lettre officielle accompagnée d’un protocole et de lui restituer la somme de 300 € initialement perçue; que le même jour, Madame [O] [P] acceptait cette proposition et indiquait qu’elle allait se renseigner sur la procédure à suivre ; que dans un courrier en date du 4 mars 2020, elle adressait comme convenu à la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL un protocole d’accord destiné à mettre fin à leur relation contractuelle ; qu’elle lui précisait qu’elle ne manquerait pas de lui rapporter le reste des exemplaires en sa possession ; que ce courrier est resté lettre morte ; que contre toute attente, dans un courriel en date du 13 février 2022, Madame [O] [P] ignorait ses demandes et lui annonçait la sortie de l’édition de poche de son roman « D’OR ET D’EXIL » ; par courriels en date des 14 février 2022 et 09 mars 2022, Madame [V] réitérait sa volonté de résilier le contrat d’édition la liant à la société défenderesse ; que les mises en demeure de son conseil demeuraient cependant vaines.
Elle soutient que la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL a manqué à son obligation de publication ; que le contrat d’édition en date du 20 avril 2017 stipulait clairement, en son article III - C, que la mise en vente de l’ouvrage de Madame [G] [V] devait intervenir au plus tard le 31 janvier 2018 ; que la mise en vente du roman « D’OR ET D’EXIL» n’a finalement eu lieu que le 10 février 2018, soit près de dix jours suivants l’échéance contractuellement prévue, alors que le manuscrit avait été remis à l’éditeur au mois d’août 2016 suivi d’une nouvelle version en septembre 2016 ; que la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL a manqué à son obligation de reddition des comptes ; qu’à compter de la mise en vente de son ouvrage au mois de février 2018, Madame [G] [V] n’a pas reçu la moindre information inhérente à l’exploitation de son ouvrage « D’OR ET D’EXIL » ; qu’en tout et pour tout, elle n’a reçu que deux relevés en quatre ans, sans aucun justificatif ; que toutefois, cet ouvrage continue à être commercialisé, notamment par le biais de plateforme en ligne, générant nécessairement des revenus au profit de la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL ; que les documents qui lui ont été remis au titre d’une prétendue reddition de comptes sont incompréhensibles ; qu’elle a par ailleurs gravement manqué à son obligation de paiement des droits d’auteur ; qu’une rémunération proportionnelle conformément à l’exploitation de l’ouvrage litigieux était prévue au terme de l’article IV-B du contrat d’édition en date du 20 avril 2017 ; qu’en l’absence de communication de redditions de compte claires et explicites, rien ne permet toutefois d’affirmer que la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL a respecté son obligation de paiement des droits à l’autrice, Madame [G] [V] ; que la somme de 300 € perçue sans aucun justificatif ne permet pas d’attester qu’elle a perçu l’intégralité des sommes qui lui revenaient ; qu’elle n’a pas davantage reçu de chèque de 36.78€ daté du 10 janvier 2022 ; que la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL a manqué au respect de son droit moral ; que la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL a souhaité organiser la publication d’une version poche de l’œuvre « D’OR ET D’EXIL », faisant table rase de sa volonté d’autrice de mettre fin à l’exploitation du roman ; que la défenderesse lui a présenté une maquette, l’enjoignant de lui communiquer un curriculum vitae ainsi qu’une photographie ; que cette maquette contenait de grossières fautes d’orthographe et des visuels qui lui déplaisaient ; que Madame [O] [P] n’a pas hésité à la menacer de publier l’édition de poche sans identité visuelle.
Elle indique que si par courrier en date du 14 juin 2022, la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL indique avoir cessé toute action concernant la réalisation d’une édition de poche de l’œuvre «D’OR ET D’EXIL», pour autant, elle n'accorde aucun crédit à cette déclaration.
Elle soutient enfin que la défenderesse a manqué à son obligation d’exploitation permanente et suivie ; que bien qu’elle ait retiré de la vente l’ouvrage « D’OR ET D’EXIL » de Madame [G] [V] de son site internet, la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL précise sur son site la mention « rupture de stock » ce qui est bien éloigné du nombre d’ouvrages déclaré par Madame [O] [P] lors de sa prétendue reddition de comptes ; que cette dernière n’a pas pu écouler l’intégralité du stock ; qu’elle invoque la mauvaise foi de son cocontractant qui avait accepté de résilier le contrat d’édition dès le 10 février 2020 et n’a manifestement pas respecté ses engagements ; qu’en l’état de défaut de réponse correcte de la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL trois mois suivant sa mise en demeure de satisfaire à son obligation de reddition de compte, soit le 21 juin 2022, le contrat d’édition portant sur l’ouvrage «D’OR ET D’EXIL» est résilié de plein droit.

Par conclusions notifiées le 03 octobre 2023, la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL demande au tribunal :
A TITRE PRINCIPAL :
• DIRE ET JUGER que la société les éditions au Pluriel n’a manqué ni à ses obligations de publication, de reddition des comptes, de paiement des droits d’auteur, ni à celle de respect dû au droit moral de l’auteur ;
En conséquence :
• DEBOUTER Madame [G] [V] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions subséquentes.
A TITRE RECONVENTIONNEL :
• CONDAMNER Madame [G] [V] à réparer son préjudice commercial par l’octroi d’une indemnité de 5.000 € ;
• ORDONNER à Madame [G] [V] de lui régler la somme de 3.355,5€ au titre des exemplaires en sa possession ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
• CONDAMNER Madame [G] [V] au paiement de la somme de 10.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle fait valoir que le contrat d’édition conclu le 20 avril 2017 relatif à l’ouvrage “D’or et d’exil” stipulait une date de remise d’un exemplaire du texte « définitif et complet » «soigneusement revu pour impression » le 7 septembre 2017, pour une date de parution du livre prévue le 31 janvier 2018 ; que s’il est vrai qu’une première remise d’un manuscrit par Madame [G] [V] a eu lieu en août 2016 en main propres lors d’un séjour en Ardèche, il ne s’agissait pas de la version définitive et complète du texte prête pour l’impression ; que par mail du 26 septembre 2016, Madame [G] [V] s’interrogeait encore sur le nom avec lequel elle allait signer son ouvrage ; que la version complète et définitive du manuscrit modifié et corrigé ne lui a été remise que par mail le 28 novembre 2017, soit 82 jours après la date prévue contractuellement ; que cependant, jusqu’au 5 décembre 2017, des demandes de modifications lui étaient adressées ; que le livre paraissait finalement le 6 février 2018, et était déposé à la Bibliothèque Nationale de France le 15 février 2018 ; que jusqu’à la mise en demeure du 18 mars 2022, Madame [G] [V] n’a émis aucune contestation ou remarque relativement au retard dans la parution de l’ouvrage ; que dès lors, la société Les Éditions au Pluriel n’a pas commis de manquement à son obligation de publication ; que Madame [V], contrairement à ce qu’elle soutient, a bien reçu des informations sur l’exploitation de son ouvrage “D’or et d’exil” et Madame [O] [P] a respecté son obligation de reddition des comptes ; que le document adressé par Madame [O] [P] à Madame [G] [V] le 14 juin 2022 contenait toutes les informations prévues par l’article 132-17-3°1. Du Code de la Propriété intellectuelle ; que ce document contenait bien les informations relatives au nombre d’exemplaires fabriqués, au nombre d’exemplaires en stock, d’exemplaires vendus et d’exemplaires hors droits ; que le document de reddition des comptes est parfaitement conforme au modèle proposé par le syndicat national de l’édition et le Conseil Permanent des Écrivains ; que si les formules employées par Madame [O] [P] sont plus lapidaires que celles proposées par le modèle du Conseil Permanent des Ecrivains, la plupart des catégories ont été renseignées ; que si un espace vide est laissé pour certaines catégories, ce n’est pas par oubli ou par négligence, mais uniquement parce que l’ouvrage n’a pas été concerné pendant cette période par la catégorie visée ; que si le document de reddition doit contenir une série d’informations précises sur les ventes réalisées de l’ouvrage, il ne doit pas apporter les justificatifs de chaque vente réalisée, mais seulement un état précis des comptes ; que les échanges entre les parties ont été réguliers et ininterrompus ; que Madame [O] [P] informait Madame [G] [V] sur les commandes reçues par les librairies ; que les échanges de mails entre les Éditions au Pluriel et Madame [G] [V] abordaient la question des décomptes et des paiements par chèque ; que les comptes ont été arrêtés de manière régulière par Madame [O] [P] tel que cela ressort du journal complet des ventes de la société les Éditions au Pluriel pour l’année 2018, des extraits des grands livres comptables pour les années 2018, 2019, 2020 et 2021, et de la synthèse relative à l’ouvrage d’Or et d’Exil ; que la société Les Éditions au Pluriel a ensuite arrêté les comptes des ventes de l’ouvrage au 31 décembre 2020, puis au 31 décembre 2021 ; que la gestion des stocks ne posait pas difficulté puisqu’elle avait bien enregistré le nombre de 500 ouvrages en stocks au domicile de Madame [V].
Elle soutient qu’elle s’est également acquittée de son obligation de paiement des droits d’auteur ; qu’en janvier 2020, Madame [O] [P] lui a adressé un premier chèque, d’un montant de 300€, ce que ne conteste nullement la demanderesse ; qu’au cours du mois de janvier 2022, Madame [O] [P] a arrêté les comptes relatifs aux ventes de l’ensemble des auteurs des Éditions au Pluriel, et leur a adressé le chèque en paiement de leurs droits respectifs ; que le décompte et le chèque n°2307940 en date du 10 janvier 2022, d’un montant de 36,78 € adressé à Madame [G] [V], représentait le solde de ses droits d’auteur ; que Madame [O] [P] en a produit une photocopie dans son courrier du 14 juin 2022, en réponse à la mise en demeure qui lui avait été adressée.
Elle indique que dans un souci de conciliation, la société LES ÉDITIONS AU PLURIEL a souhaité organiser la publication d’une version poche de l’ouvrage “d’Or et d’exil” en accord avec Madame [G] [V] ; que Madame [G] [V], qui en avait accepté l’idée, s’était même montrée enthousiaste quant à ce nouveau projet ; que Madame [O] [P] n’a jamais menacé de publier l’édition de poche sans identité visuelle, au mépris du droit moral de l’auteur ; que l’ouvrage est toujours proposé à la vente sur le site des Editions au Pluriel, ainsi que sur les plateformes internet et dans différentes librairies ; qu’il a aussi été inclus dans le catalogue de la maison d’édition 2023 et a fait l’objet d’une exploitation permanente et suivie depuis 2018.
Elle indique que les conditions d’une résiliation du contrat d’édition proposées par Madame [V] sans aucune contrepartie pour l’éditeur sont inacceptables ; que les parties ont d’un commun accord renoncé à signer un protocole relatif à la résiliation du contrat d’édition puisqu’elles avaient entendu se réconcilier autour d’un nouveau projet commun : celui d’une édition 2021 au format « poche » de l’ouvrage “D’or et d’exil” ; que d’ailleurs divers échanges de mails en 2021 attestent l’élaboration des modalités mises en oeuvre pour assurer la sortie de ce livre de poche ; que Madame [V] ne peut justifier d’aucun préjudice matériel ou moral, l’éditeur n’ayant commis aucune faute et ayant fait la promotion de l’ouvrage, par la publication dans son catalogue papier et numérique, par la présence sur les plateformes de ventes des libraires, ainsi que dans les bases de données (Dilicom, Electre, Fnac, Amalivre, Decitre, compte vendeur Amazone etc…), par sa présence au sein de salons, l’envoi systématique du livre à 20 à 50 médias en fonction de la cible, par l’envoi de communiqués de presse, par l’insertion d’encarts publicitaires dans certains journaux, la création d’un site internet ou encore la demande aux libraires de séances de dédicaces ; qu’en conséquence, les demandes de Madame [V] doivent être rejetées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 janvier 2024 et l’affaire a été renvoyée à l’audience de plaidoirie du 15 février 2024.

MOTIFS :

En liminaire, les demandes relevant de la compétence exclusive du juge de la mise en état en application de l’article 789 du code de procédure civile n’ayant pas fait l’objet d’une saisine par voie d’incident, sont sans objet.

Sur la constatation de la résiliation du contrat d’édition au 22.06.2022 :

L'article L.132-17-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que :
« I.- L'éditeur est tenu pour chaque livre de rendre compte à l'auteur du calcul de sa rémunération de façon explicite et transparente.
À cette fin, l'éditeur adresse à l'auteur, ou met à sa disposition par un procédé de communication électronique, un état des comptes mentionnant :
1° Lorsque le livre est édité sous une forme imprimée, le nombre d'exemplaires fabriqués en cours d'exercice, le nombre des exemplaires en stock en début et en fin d'exercice, le nombre des exemplaires vendus par l'éditeur, le nombre des exemplaires hors droits et détruits au cours de l'exercice et, si le contrat d'édition prévoit une provision pour retours d'exemplaires invendus, le montant de la provision constituée et ses modalités de calcul ;
2° Lorsque le livre est édité sous une forme numérique, les revenus issus de la vente à l'unité et de chacun des autres modes d'exploitation du livre ;
3° Dans tous les cas, la liste des cessions de droits réalisées au cours de l'exercice, le montant des redevances correspondantes dues ou versées à l'auteur ainsi que les assiettes et les taux des différentes rémunérations prévues au contrat d'édition.
Une partie spécifique de cet état des comptes est consacrée à l'exploitation du livre sous une forme numérique.
La reddition des comptes est effectuée au moins une fois par an, à la date prévue au contrat ou, en l'absence de date, au plus tard six mois après l'arrêté des comptes.
II.- Si l'éditeur n'a pas satisfait à son obligation de reddition des comptes selon les modalités et dans les délais prévus au I, l'auteur dispose d'un délai de six mois pour mettre en demeure l'éditeur d'y procéder.
Lorsque cette mise en demeure n'est pas suivie d'effet dans un délai de trois mois, le contrat est résilié de plein droit.
III.- Lorsque l'éditeur n'a satisfait, durant deux exercices successifs, à son obligation de reddition des comptes que sur mise en demeure de l'auteur, le contrat est résilié de plein droit trois mois après la seconde mise en demeure.
IV.- L'éditeur reste tenu, même en l'absence de mise en demeure par l'auteur, de respecter ses obligations légales et contractuelles de reddition des comptes. »

En l’espèce, Madame [V] soutient que le défaut de reddition des comptes présente un caractère de gravité suffisant, ce qui justifie une résiliation de plein droit du contrat d’édition depuis le 21 juin 2022.

Or, si le conseil de Madame [V] a mis en demeure la société EDITIONS AU PLURIEL de procéder à la reddition des comptes par courrier du 18 mars 2022, réceptionné le 21 mars 2022, la société EDITIONS AU PLURIEL y a répondu par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 juin 2022, soit dans le délai de 3 mois prévu par la loi, en y joignant la reddition des comptes ainsi que la copie d’un chèque correspondant au solde dû au titre des droits d’auteur pour un montant de 36,78€ tiré sur son compte ouvert dans les livres du Crédit Agricole en date du 10 janvier 2022, que Madame [V] indique ne pas avoir reçu et dont le débit n’est pas justifié.

Cependant, l’éditeur a répondu à la demande de l’auteur dans le délai de 3 mois sur cette question, et Madame [V] ne précise pas en quoi la reddition des comptes serait incomplète ou incorrecte, de sorte qu’il n’y a pas lieu de constater la résiliation de plein droit du contrat d’édition.

Sur la résiliation judiciaire du contrat d’édition :

En application de l’article L.132-11 du Code de la propriété intellectuelle :
“ L'éditeur est tenu d'effectuer ou de faire effectuer la fabrication ou la réalisation sous une forme numérique selon les conditions, dans la forme et suivant les modes d'expression prévus au contrat.
Il ne peut, sans autorisation écrite de l'auteur, apporter à l'oeuvre aucune modification.
Il doit, sauf convention contraire, faire figurer sur chacun des exemplaires ou sur l'œuvre réalisée sous une forme numérique le nom, le pseudonyme ou la marque de l'auteur.
A défaut de convention spéciale, l'éditeur doit réaliser l'édition dans un délai fixé par les usages de la profession.”

L’article L.132-12 du Code de la propriété intellectuelle dispose que :
“ L'éditeur est tenu d'assurer à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession.”

L’article L.132-13 du Code de la propriété intellectuelle dispose que :
« L'éditeur est tenu de rendre compte. L'auteur pourra, à défaut de modalités spéciales prévues au contrat, exiger au moins une fois l'an la production par l'éditeur d'un état mentionnant le nombre d'exemplaires fabriqués en cours d'exercice et précisant la date et l'importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock.
Sauf usage ou conventions contraires, cet état mentionnera également le nombre des exemplaires vendus par l'éditeur, celui des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure, ainsi que le montant des redevances dues ou versées à l'auteur.»

L’article L.132-14 du même Code précise que :
« L’éditeur est tenu de fournir à l'auteur toutes justifications propres à établir l'exactitude de ses comptes. Faute par l'éditeur de fournir les justifications nécessaires, il y sera contraint par le juge.»

En application de l’article L.132-17-2 I du code de la propriété intellectuelle :
“L'éditeur est tenu d'assurer une exploitation permanente et suivie du livre édité sous une forme imprimée ou sous une forme numérique.”

En l’espèce, le contrat d’édition a été signé entre les parties le 20 avril 2017. S’il prévoyait contractuellement une mise en vente de l’ouvrage au plus tard le 31 janvier 2018, cette mise en vente n’a eu lieu que le 10 février 2018, étant observé que Madame [V] a adressé la dernière version corrigée de son roman à la fin du mois de novembre 2017, comme en attestent les échanges de mails entre les parties sur la période du 24 au 28 novembre 2017.

En conséquence, le léger retard dans la publication de l’ouvrage n’est pas imputable à l’éditeur, et aucune faute ne pourra être retenue à son encontre de ce chef.

S’agissant de la reddition des comptes, Madame [V] ne justifie pas avoir adressé à l’éditeur de demande de production d'un état mentionnant le nombre d'exemplaires fabriqués en cours d'exercice et précisant la date et l'importance des tirages, le nombre des exemplaires en stock ni une reddition des comptes avant la mise en demeure adressée le 18 mars 2022 par son conseil à la société LES EDITIONS PLURIELS, à laquelle il a été répondu par courrier du 14 juin 2022, de sorte que ce grief ne peut être retenu à l’encontre de l’éditeur.

S’agissant de l’obligation pour l’éditeur de procéder au paiement des droits d’auteur, cette obligation a été respectée et le paiement des droits a bien eu lieu, Madame [V] ayant reçu un premier chèque de 300€ puis un second chèque de 36,78€ en règlement du solde de ses droits d’auteur lui a été envoyé, ces montants étant parfaitement justifiés par la reddition des comptes portée en annexe 1 du courrier de la défenderesse en date du 14 juin 2022.

En revanche, l’éditeur était tenu contractuellement et légalement d’assurer à l’oeuvre une exploitation et une diffusion commerciale, permanente et suivie.
L’article 5 du contrat d’édition stipule que “l’éditeur est tenu de mettre l’ouvrage à la disposition du public de façon régulière et donc d’avoir toujours des exemplaires en vente (...)”
Or, l’éditeur détenait des ouvrages en stock, il n’a en revanche vendu que 21 ouvrages en 2019, 12 ouvrages en 2020 et 5 ouvrages en 2021 ; il ne justifie d’aucune vente en 2022, ni en 2023 et ne communique aucune pièce de nature à prouver qu’il a entrepris toutes diligences pour assurer la publicité et l’exploitation de l’ouvrage.

En conséquence, le défaut d’exploitation effective de l’ouvrage sera sanctionné par la résiliation judiciaire du contrat d’édition au torts exclusifs de la société LES EDITIONS PLURIELS.

La société LES EDITIONS PLURIELS sera en outre condamnée à restituer l’ensemble des stocks restant de l’ouvrage “D’OR ET D’EXIL”. Il n’y a pas lieu d’assortir à cette obligation une astreinte provisoire à ce stade, le nombre d’ouvrage en stock détenu par l’éditeur étant à la date du jugement inconnu.

Sur les demandes indemnitaires :

- L’indemnisation d’un préjudice moral :

L’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible”.

Madame [V] considère qu’en sa qualité d’éditeur, la société LES EDITIONS AU PLURIEL a abusé de sa bienveillance en lui demandant de trouver seule les contacts presse aux fins d’assurer la promotion de son oeuvre, l’assister pour tenir les comptes ou encore assurer l’exploitation de l’ouvrage ; elle l’aurait en outre menacé de publier le roman en version livre de poche sans identité visuelle alors qu’elle se serait opposée à cette version.

Toutefois, l’examen des mails démontre que Madame [V] et Madame [P], gérante de la société LES EDITIONS AU PLURIEL entretenaient des relations cordiales, voir amicales et travaillaient toutes deux à la commercialisation de l’ouvrage ainsi qu’en attestent les mails qu’elles s’adressaient régulièrement à ce sujet ; par ailleurs, les mails qu’elles échangeaient en mars 2021 et en février 2022 attestent de la volonté de Madame [V] de rééditer son roman en format poche.
Les prétendues menaces de publication de l’éditeur sans identité visuelle ne sont pas justifiées par les pièces versées aux débats, et relèvent de la seule affirmation de Madame [V].

En revanche, force est de constater que l’éditeur n’a vendu que 5 ouvrages en 2021, qu’il ne justifie d’aucune vente en 2022, ni en 2023 et ne communique aucune pièce de nature à prouver qu’il a entrepris toutes diligences pour assurer la publicité et l’exploitation de l’ouvrage. Ce désintérêt manifeste ou l’incapacité de l’éditeur de promouvoir la commercialisation de l’ouvrage a indéniablement causé un préjudice moral à l’auteur.

En conséquence, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, la société LES EDITIONS AU PLURIEL sera condamnée à payer à Madame [V] la somme de 1 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Dès lors, aucune atteinte à son droit moral n’est caractérisée, de sorte que sa demande de dommages et intérêts en raison du préjudice prétenduement subi à ce titre sera rejeté.

- L’indemnisation d’un préjudice patrimonial :

Madame [V] ne justifie pas d’un préjudice patrimonial à défaut d’avoir apporter au tribunal tous éléments utiles de nature à caractériser la réalité d’une perte de gain qu’elle qualifie de considérable, sans pour autant apporter tous éléments de nature à la chiffrer de façon certaine.

Sur les demandes reconventionnelles :

En l’état de la résiliation judiciaire prononcée à ses torts exclusifs, la société LES EDITIONS PLURIELS sera déboutée de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles.

Sur les demandes accessoires :

La société LES EDITIONS PLURIELS, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens.
Il n’est pas inéquitable de la condamner à payer à Madame [V] la somme de 3 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

REJETTE la demande de constatation de la résiliation du contrat d’édition du 20 avril 2027, à la date du 23 juin 2022 ;

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat d’édition au torts exclusifs de la société LES EDITIONS PLURIELS ;

CONDAMNE la société LES EDITIONS PLURIELS à payer à Madame [V] la somme de 1 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral;

DEBOUTE Madame [V] de sa demande de dommages et intérêts au titre d’un préjudice patrimonial ;

CONDAMNE la société LES EDITIONS PLURIELS à restituer l’ensemble des stocks restant de l’ouvrage “D’OR ET D’EXIL” ;

DIT qu’il n’y a pas lieu d’assortir cette obligation d’une astreinte provisoire ;

DEBOUTE la société LES EDITIONS PLURIELS de ses demandes reconventionnelle;

CONDAMNE la société LES EDITIONS PLURIELS à payer à Madame [V] la somme de 3 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société LES EDITIONS PLURIELS aux entiers dépens.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 18 Avril 2024

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab3
Numéro d'arrêt : 22/08064
Date de la décision : 18/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-18;22.08064 ?
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