La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/2024 | FRANCE | N°22/08677

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab1, 21 mars 2024, 22/08677


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE



JUGEMENT N° 24/ DU 21 Mars 2024



Enrôlement : N° RG 22/08677 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2MJZ

AFFAIRE : Société OPTA FILAO (Me Aude VAISSIERE)
C/ S.A.R.L. OCTIKA (Me Fabien ORBILLOT)


DÉBATS : A l'audience Publique du 18 Janvier 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des déb

ats : ALLIONE Bernadette


Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décis...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N° 24/ DU 21 Mars 2024

Enrôlement : N° RG 22/08677 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2MJZ

AFFAIRE : Société OPTA FILAO (Me Aude VAISSIERE)
C/ S.A.R.L. OCTIKA (Me Fabien ORBILLOT)

DÉBATS : A l'audience Publique du 18 Janvier 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 21 Mars 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Société OPTA FILAO
dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Maître Aude VAISSIERE, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Pierre GREFFE, avocat plaidant au barreau de PARIS substitué par Maître Flora DONAUD

C O N T R E

DEFENDERESSE

Société OCTIKA
dont le siège social est sis [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Maître Fabien ORBILLOT de la SELARL MBA & ASSOCIES, avocat au barreau de GRASSE

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et procédure :

La société OPTA FILAO a pour activité la création et la commercialisation de montures de lunettes.

En juillet 2020, la société OPTA FILAO a constaté que la société OCTIKA, importatrice, commercialisait notamment sur son site internet https://octika.com des montures de lunettes référencées OSPT029 et OSPT030 reproduisant servilement ses lunettes UFFIE et UMBERTA. Elle a fait constater ces faits selon procès verbal de constat sur internet du 21 juillet 2021.

Afin de déterminer l’origine et l’ampleur de la contrefaçon, la société OPTA FILAO a ensuite fait procéder, le 11 août 2020, à une saisie-contrefaçon au siège social de la société OCTIKA.

Par acte d’huissier du 4 septembre 2020 la société OPTA FILAO a fait assigner la société OCTIKA.

Par jugement du 3 février 2022, rectifié le 19 mai 2022, ce tribunal a :
- Dit qu’en important, en offrant à la vente et en commercialisant deux modèles de lunettes référencés OSPT029 et OSPT030 reproduisant servilement les caractéristiques originales des modèles référencés « UFFIE » et « UMBERTA » de la société OPTA FILAO, la société OCTIKA a commis des actes de contrefaçon ;

- Fait interdiction à la société OCTIKA d’importer, d’offrir à la vente, de promouvoir et/ou de commercialiser, de quelque façon que ce soit, des montures de lunettes OSPT029 et OSPT030 contrefaisant les modèles « UFFIE » et « UMBERTA » et ce sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce pendant 24 mois ;

- Ordonné la publication du dispositif du présent jugement dans trois journaux ou revues au choix de la société OPTA FILAO et aux frais avancés de la société OCTIKA, sans que le coût global de chacune de ces insertions ne puisse excéder la somme de 5.000 € H.T.

- Ordonné à la société OCTIKA de rappeler les montures contrefaisantes des circuits commerciaux et de procéder à leur destruction, à ses frais, sous astreinte de 1.500 € par jour de retard, à compter du 8ème jour suivant la signification du jugement, et ce pendant 24 mois ;

- Condamné la société OCTIKA à payer à la société OPTA FILAO la somme de 35.015,40 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, et celle de 5.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

- Enjoint sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification du présent jugement et pendant 24 mois à la société OCTIKA de communiquer les quantités de produits contrefaisants référencés OSPT029 et OSPT030 qu’elle a acquis et vendus en France, étant précisé que ces éléments devront être certifiés par un expert comptable ou un commissaire aux comptes ;

- Condamné la société OCTIKA à payer à la société OPTA FILAO la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société OCTIKA aux dépens.

Par acte de commissaire de justice du 6 septembre 2022 la société OPTA FILAO a fait assigner la société OCTIKA devant ce tribunal.

Demandes et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions du 3 août 2023 la société OPTA FILAO demande au tribunal de condamner la société OCTIKA à lui payer la somme de 81.025,80 €, subsidiairement celle de 14.820 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel résultant des gains manqués, outre 10.000 € en réparation de son préjudice moral et 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes elle fait valoir que postérieurement au jugement du 3 février 2022 la société OCTIKA n'a pas communiqué spontanément les éléments comptables qui lui étaient réclamés et a poursuivi les actes de contrefaçon en présentant sur son site internet le modèle OSPT 029, ce qui l'a conduit a saisir le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Montpellier afin d'obtenir la liquidation des astreintes.
Elle expose qu'il résulte de l'attestation de l'expert comptable de la défenderesse du 20 septembre 2022, que la masse contrefaisante était supérieure aux quantités déclarées lors de la précédente procédure, soit en réalité 968 paires OSPT029 à raison d'une marge de 60,60 € par paire, et 966 paires OSPT030 à raison d'une marge de 59,40 € par paire. Subsidiairement elle se prévaut d'une autre attestation du 21 juillet 2022 faisant état de 494 montures OSPT029 et 335 montures OSPT030.
La société OPTA FILAO ajoute qu'il résulte d'une attestation de son propre expert comptable qu'elle était en mesure de vendre une quantité de lunettes équivalente à la masse contrefaisante, que les montures en question sont particulièrement originales et que les contrefaçons ne sont que des copies serviles, que la clientèle visée est la même (les opticiens), et que le précédent jugement a déjà retenu le principe de la réparation du gain manqué par les avantages que le titulaire des droits de propriété intellectuelle n’a pu, en raison de la contrefaçon, tirer de l’exploitation de son droit.
Sur le préjudice moral, la société OPTA FILAO expose que postérieurement à la signification du jugement le 10 juin 2022, la société OCTIKA a continué d'offrir à la vente un des modèles contrefaisants, lui occasionnant un nouveau préjudice moral même si aucune vente n'a été réalisée. Elle rappelle à ce titre que la société OCTIKA vend à bas prix des lunettes d'importation chinoise, occasionnant une dévalorisation de ses propres modèles de qualité supérieure.

La société OCTIKA a conclu le 3 juillet 2023 au rejet des demandes formées à son encontre et à la condamnation de la société OPTA FILAO à lui payer la somme de 2.800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile aux motifs qu'elle a correctement exécuté le précédent jugement, remettant les informations comptables le 5 septembre 2022 et cessant la commercialisation des produits contrefaisants. Elle expose que ce n'est qu'à la suite d'une contrainte technique que l'un d'eux se trouvait encore sur son site internet douze jours après la signification du jugement, mais qu'il n'était plus disponible à la vente dès la signification de cette décision.
Elle en déduit qu'aucun nouveau préjudice n'est constitué.
Subsidiairement elle soutient que la société OPTA FILAO ne produit aucun élément relatif à sa propre situation commerciale, qu'elle ne démontre pas sa capacité de production et de commercialisation, ni les parts de marché réalisés par ses modèles, et qu'il existe sur le marché un grand nombre de modèles substituables, qu'en conséquence le taux de marge allégué ne peut être retenu et que le taux de report d'une catégorie de modèles sur les autres est nul et qu'il n'existe aucun préjudice commercial. Elle soutient également que le préjudice moral n'est pas démontré.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

IL n'appartient pas au tribunal, saisi d'un litige relatif à la détermination d'un préjudice résultat de la commission de faits de contrefaçon, de statuer sur la bonne exécution du précédent jugement et des diligences faites pour y parvenir, toutes appréciations relevant des prérogatives du juge de l'exécution chargé de liquider les astreintes prononcées par le jugement des 3 février et 19 mai 2022.

En application de l'article L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Le jugement des 3 février et 19 mai 2022 a été signifié le 10 juin 2022. Il résulte toutefois d'un procès-verbal de constat de commissaire de justice du 22 juin 2022 qu'à cette date la monture OSPT 29 figurait toujours sur le site marchand de la société OCTIKA. Bien qu'il soit indiqué qu'il s'agit d'un site réservé aux professionnels, il est néanmoins accessible au grand public puisque le commissaire de justice y a eu accès depuis l'ordinateur de son étude, sans connexion à un compte ni saisie d'identifiants ou de mot de passe.

Il s'ensuit que les faits de contrefaçon se sont poursuivis postérieurement à la signification du jugement.

Selon l'attestation de monsieur [G], expert comptable, en date du 21 juillet 2022, la société OCTIKA a vendu en France, entre le 23 décembre 2019 et le 30 avril 2022, 494 paires de lunettes OSPT 29 et 335 paires de lunette OSPT 30.
Une autre attestation du même, plus récente puisque datée du 20 septembre 2022, indique à ce jour la société OCTIKA a acquis 992 modèles de lunettes OSPT29, dont 24 encore en stock (soit 968 exemplaires distribués), et 988 modèles OSPT30, dont 22 encore en stock (soit 966 exemplaires distribués).

Les relevés de vente et les factures produites par la société OCTIKA permettent d'établir qu'un certain nombre de montures contrefaisantes étaient offertes à ses clients, dont 29 paires OSPT29 entre le 19 décembre 2019 et le 31 mars 2022, et 17 paires OPST30 entre le 18 décembre 2019 et le 12 février 2021. Ce caractère gratuit est toutefois indifférent quant à la réalisation du délit civil de contrefaçon, caractérisé par l'importation et la distribution des modèles contrefaisants.

Selon l'attestation de monsieur [S], expert-comptable, en date du 16 octobre 2020, la société OPTA FILAO a vendu entre 2016 et 2020, 5780 lunettes de modèle UFFIE, avec une marge brute unitaire de 60,60 € HT et 5530 lunettes de modèle UMBERTA, avec une marge brute unitaire de 59,40 € HT.

La société OPTA FILAO démontre ainsi qu'elle était en capacité de produire et vendre une quantité suffisante de ses propres montures, de sorte que le gain manqué allégué est justifié. Par ailleurs il a déjà été dit par le précédent jugement que les modèles UFFIE et UMBERTA se distinguent des autres modèles présents sur le marché, et que la clientèle visée tant par les modèles originaux que par les contrefaçon est la même, en l'espèce celle des opticiens.

Sur les bases déjà retenues par le précédent jugement, le préjudice de la société OPTA FILAO résultant des gains manqués s'élève donc à 968 x 60,60 = 58.660,80 € en ce qui concerne le modèle UFFIE, et 966 x 59,40 = 57.380,40 € en ce qui concerne le modèle UMBERTA, dont à déduire la somme de 35.015,40 € déjà allouée, soit un total de 81.025,80 € que la société OPTIKA sera condamnée à lui payer.

S'agissant du préjudice moral résultant des nouveaux faits de contrefaçon relevés ci-dessus et résultant de la proposition à la vente du modèle OPST29 postérieurement à la signification du précédent jugement, il apparaît constitué nonobstant le fait qu'un seul exemplaire a été commercialisé.

En effet il a été vu que le site marchand de la société OPTIKA est accessible librement par un non professionnel. En outre, selon l'article L122-4 du code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon ne se limite pas à la vente d'articles contrefaisants, mais est également réalisée par la simple représentation ou reproduction de l'œuvre originale. Enfin la présentation de ce modèle avait été expressément interdite par le jugement du 3 février 2022.

La société OCTIKA ne démontre pas, sinon par une simple affirmation, que la présence sur son site marchand du modèle OSPT29 douze jours après la signification du jugement résulterait d'une contrainte technique qu'elle n'aurait pu surmonter, et ce alors même que le modèle OSPT30 n'y figurait plus à la date où le procès-verbal de constat a été dressé.

La continuation de cette diffusion a d'autant plus causé un préjudice moral à la société OPTA FILAO que les faits de contrefaçon ont été précédemment caractérisés, et qu'ils ont à nouveau contribué, malgré les interdictions faites, à la dévalorisation de ses modèles déjà mise en évidence par le précédent jugement.

La société OCTIKA sera en conséquence condamnée à payer à la société OPTA FILAO la somme de 5.000 € en réparation de son préjudice moral.

La société OCTIKA, qui succombe à l'instance, en supportera les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Aude VAISSIERE, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Elle sera encore condamnée à payer à la société OPTA FILAO la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :

Condamne la société OCTIKA à payer à la société OPTA FILAO la somme de 81.025,80 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, et celle de 5.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

Condamne la société OCTIKA à payer à la société OPTA FILAO la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société OCTIKA aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Aude VAISSIERE, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE VINGT ET UN MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab1
Numéro d'arrêt : 22/08677
Date de la décision : 21/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-21;22.08677 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award