TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 14 Mars 2024
Enrôlement : N° RG 22/12593 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2RM6
AFFAIRE : Mme [E] [S] divorcée [T] (Me Petra LAVIE)
C/ M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE
DÉBATS : A l'audience Publique du 11 Janvier 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte
En présence de Emmanuelle PORELLI, Vice-Procureure, Procureur de la République
Vu le rapport fait à l’audience
A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 14 Mars 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Madame [E] [S] divorcée [T]
née en 1953 à [Localité 1] (MAROC), demeurant et domiciliée [Adresse 4]
représentée par Maître Petra LAVIE, avocat au barreau de GRASSE
C O N T R E
DEFENDEUR
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE PRES LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE
en son Parquet sis [Adresse 3]
dispensé du ministère d’avocat
EXPOSÉ DU LITIGE :
Madame [E] [S] est née en 1953 à [Localité 1] (Maroc).
Le 23 novembre 2020 elle a souscrit une déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-13-1 du code civil auprès du préfet des Alpes Maritimes. Par décision du 29 mars 2022 le ministre de l'Intérieur a refusé l'enregistrement de cette déclaration.
Par acte d'huissier du 13 octobre 2022 madame [S] a fait assigner le procureur de la République.
Le récépissé prévu par l'article 1040 du code civil a été délivré le 4 janvier 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 12 mai 2023 madame [S] demande au tribunal d'annuler la décision de refus d'enregistrement de sa déclaration de nationalité et de dire qu'elle est de nationalité française.
Elle expose remplir les conditions de l'article 21-13-1 du code civil en ce qu'elle est mère de trois enfants français, a plus de 65 ans et vivre en France depuis plus de 25 ans au moment de sa déclaration. Elle produit les actes de naissance de ses trois filles, portant mention en marge de leur nationalité française acquise par déclaration, ses avis d'impositions et fiches de paye depuis 1995.
Le procureur de la République a conclu le 21 juillet 2023 au rejet des demandes de madame [S] et à la constatation de son extranéité aux motifs que celle-ci ne rapporte pas la preuve de son état civil, l'acte de naissance produit n'étant pas conforme aux dahirs marocains du 8 mars 1950 et du 4 septembre 1915 en ce qu'il ne mentionne pas l'heure où il a été dressé, qu'il n'a pas été dressé dans le mois suivant l'accouchement, qu'il ne mentionne pas le nom du père, ni sa date de naissance, ni le nom de la mère. Il ajoute que ne sont pas produites les décisions de justice en vertu desquelles ont été apposées les mentions marginales de cet acte, en particulier celle concernant l'apposition de son patronyme.
Il fait valoir qu'en conséquence le lien de filiation avec ses filles ne peut être établi, d'autant que n'est pas produit l'acte de mariage avec le père de celles-ci, et que madame [S] ne justifie dont pas être la mère d'enfants français. Il soutient encore que les pièces produites ne prouvent pas suffisamment la résidence en France entre le 12 novembre 1995 et le 12 novembre 2020, le fait que madame [S] dispose d'une adresse à [Localité 2] ne démontrant pas une résidence effective.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Aux termes de l’article 30 du code civil la charge de la preuve, en matière de nationalité, incombe à celui dont la nationalité est en cause.
Madame [E] [S] n’étant pas titulaire d’un certificat de nationalité française, elle doit donc rapporter la preuve de sa qualité de française.
Le requérant doit en premier lieu produire des pièces d’état civil fiables au sens de l’article 47 du code civil selon lequel tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
L'article 4 du dahir marocain du 4 septembre 1915 régissant l'établissement des actes de l'état civil en vigueur en 1953 dispose que « les actes de l'état civil sont écrits en français ; ils énonceront, d'après le calendrier grégorien, l'année, le jour et l'heure où ils seront reçus, les noms, âge, professions, domiciles et nationalité de ceux qui y seront dénommés ».
L'article 21 de la même loi dispose que « les déclarations de naissance seront faites dans le mois de l'accouchement à l'officier de l'état civil du lieu ou de la circonscription ».
Enfin l'article 23 de ce dahir dispose que « l'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, professions, domicile et nationalité des père et mère, les prénoms, noms, professions, domiciles et nationalité des témoins ».
Or la copie intégrale de l'acte de naissance de madame [S] mentionne que la naissance, survenue en 1953 a été déclarée le 19 juillet 1961, soit au delà du délai légal d'un mois. Elle ne fait pas mention en marge d'une décision autorisant une déclaration tardive, ou d'un jugement supplétif d'acte de naissance. Par ailleurs le père et la mère ne sont désignés que sous leur prénoms et les prénoms de leurs pères et grand-pères, sans indication de nom de famille. Elle n'indique pas la date de naissance du père, mais seulement qu'il est décédé. Cet acte ne respecte donc pas les dispositions susvisées.
En outre cet acte fait mention en marge de deux décisions rectificatives des 20 et 21 juillet 2010 qui sont censées faire corps avec lui dès lors qu'elles y sont mentionnées, dont l'une relative à l'adjonction du nom de famille, mais qui ne sont pas produites.
Il s'ensuit que cet acte de naissance est à la fois irrégulier au regard des dispositions de la loi marocaine et incomplet. Il ne peut donc faire foi de l'état civil de madame [S].
Madame [S], qui ne justifie donc pas de façon certaine de son état civil, ne peut donc se voir reconnaître la nationalité française.
Elle sera donc déboutée de ses demandes et son extranéité constatée.
Succombant à l'instance, elle en supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
Constate qu'il a été satisfait aux formalités de l'article 1040 du code de procédure civile ;
Déboute madame [E] [S] de ses demandes ;
Constate l'extranéité de madame [E] [S], née en 1953 à [Localité 1] (Maroc) ;
Ordonne la mention prévue à l'article 28 du code de procédure civile ;
Condamne madame [E] [S] aux dépens.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,