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11/03/2024 | FRANCE | N°21/03728

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab3, 11 mars 2024, 21/03728


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°24/104 DU 11 Mars 2024


Enrôlement : N° RG 21/03728 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YVPQ

AFFAIRE : M. [H] [C] ( Me Marie-Adélaide BOIRON)
C/ S.A. EXCO OMNICONSEILS (Me Lionel MOATTI)


DÉBATS : A l'audience Publique du 08 Janvier 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte, Greffier

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les par

ties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 11 Mars 2024

Jugement signé par BERGE...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/104 DU 11 Mars 2024

Enrôlement : N° RG 21/03728 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YVPQ

AFFAIRE : M. [H] [C] ( Me Marie-Adélaide BOIRON)
C/ S.A. EXCO OMNICONSEILS (Me Lionel MOATTI)

DÉBATS : A l'audience Publique du 08 Janvier 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte, Greffier

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 11 Mars 2024

Jugement signé par BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente et par BESANÇON Bénédicte, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEURS

Monsieur [H] [C]
né le [Date naissance 1] 1943 à [Localité 6]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

Madame [N] [K] épouse [C]
née le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 5]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

représentés tous deux par Me Marie-Adélaide BOIRON, avocat au barreau de MARSEILLE

CONTRE

DEFENDERESSE

S.A. EXCO OMNICONSEILS, dont le siège social est sis [Adresse 4]

représentée par Me Lionel MOATTI, avocat au barreau de MARSEILLE

EXPOSE DU LITIGE :

Les époux [C] étaient les associés de la SARL dénommée AMIELPARFUMERIE HELENE ESHETIQUE CONSEIL - A.P.H.E.C sis à [Localité 5], qui exploitait un fonds de commerce d'esthétique, de vente de parfumerie et articles de fantaisie.
La Société EXO OMNICONSEILS était leur expert-comptable et avait une mission générale pour établir les comptes et l'ensemble des déclarations tant sur le plan social que fiscal.

Ayant décidé de vendre les parts sociales de la Société A.P.H.E.C ainsi que leurs comptes-courants d'associés, Monsieur et Madame [C] ont confié au Cabinet EXCO
OMNICONSEILS le soin de rédiger les actes de cessions au profit de Monsieur [Y] [X], acquéreur.

Au terme d'un protocole d'accord de cession et d'acquisition des parts sociales en date du 28 janvier 2011, rédigé par le cabinet EXO OMNICONSEILS, les époux [C] se sont engagés à céder à Monsieur [Y] [X], agissant tant à titre personnel qu'en sa qualité de fondateur de la Société [X], l'intégralité des parts sociales détenues dans la Société A.P.H.E.C pour un montant total de 480.000 €, sous la condition suspensive de l’obtention par le cessionnaire d’un prêt de 450.000€ au taux de 4% maximum sur une durée de 7 ans ; le cessionnaire s'engageait de plus à rembourser les comptes-courants des cédants pour un montant total de 149.900,04 €.
Les conditions suspensives devaient être levées au plus tard le 30 avril 2011.
Un avenant au protocole était conclu en vue de proroger au 21 mai 2011 la date de réitération.

Par acte sous seing privé en date du 9 novembre 2011, l'acte de cession de parts sociales a été signé avec la SARL SOCIETE NOUVELLE [X] et enregistré le 15.11.2011 au Service des Impôts de [Localité 7].

Au terme de cet acte, le prix de cession de 480.000 € devait être réglé selon les modalités suivantes :
- 400.000 € réglé comptant le jour de l'acte ;
- Le solde, soit 80.000 € payable dans le cadre d'un crédit vendeur sur une durée sept ans, au taux de 4 %, remboursable mensuellement le 5 de chaque mois à compter du 5 novembre 2011.

L’acte stipulait de plus que la SARL SOCIETE NOUVELLE GENCELs'engageait à rembourser aux cédants la somme de 124.441,74 € au titre du compte courant, également par un crédit-vendeur, aux mêmes conditions que le solde du paiement du prix des actions, soit sur sept ans, au taux d'intérêts de 4% remboursable mensuellement le 5 de chaque mois à compter du 5 novembre 2011.

Une convention de garantie d’actif et de passif était régularisée avec la SARL SOCIETE NOUVELLE [X] le 9 novembre 2011 aux termes de laquelle les époux [C] se portaient garants de l'exactitude des comptes de la Société dont ils cédaient 100 % des parts tant à l'actif qu'au passif, de l'existence et de la teneur des engagements de leur Société.

La Société NOUVELLE [X] SNG ne respectait pas les modalités de remboursement du crédit vendeur et était placé sous mandat ad hoc, Maître [T] étant désigné en qualité de mandataire ad hoc.

La SARL SOCIETE NOUVELLE [X] était déclarée en procédure de sauvegarde de justice par Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE le 22 janvier 2015 et Maître [F] désigné en qualité de Mandataire Judiciaire.

Les époux [C] déclaraient leur créance pour la somme de 151.993 € et acceptaient le 14 décembre 2015 une proposition d'apurement du passif de la SARL SOCIETE NOUVELLE [X] portant sur un règlement échelonné sur une période de dix ans.

Suivant Jugement en date du 21 janvier 2016, le Tribunal de Commerce adoptait le plan de sauvegarde présenté par l’Entreprise, et désignait la SCP [F]-LAGEAT en qualité de Commissaire à l’exécution du Plan.

Par Jugement du 26 juillet 2017, le Tribunal de Commerce de Marseille prononçait la résolution du plan de sauvegarde et ordonnait l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif le 21 mars 2018.

La Société [C] PARFUMERIE HELENE ESTHETIQUE CONSEIL – APHEC - a
parallèlement fait l'objet de l’ouverture d'une procédure de sauvegarde ouverte par jugement du 22 janvier 2015, de l’adoption d’un plan de sauvegarde le 21 janvier 2016 et d’une conversion en liquidation judiciaire par jugement du 26 juillet 2017.

Considérant que la Société EXO OMNICONSEILS n'avait pas assuré l'efficacité de l'acte de cession de parts du 9 novembre 2011 qu'elle avait rédigé, et qu’elle leur avait fait signer cet acte sans obtenir de Monsieur [X] une garantie personnelle comme cela était pourtant prévu au protocole d'accord sous conditions suspensives du 28.01.2011 aux fins de garantir le bon remboursement des crédits-vendeur consentis, Monsieur [H] [C] et Madame [N] [C] née [K] ont, suivant exploit en date du 08 avril 2021, assigné devant le tribunal de céans la SA EXCO OMNICONSEILS aux fins de :
- la CONDAMNER à leur payer la somme de 111.000 € au titre de la réparation de la perte de chance par eux subie d'obtenir le paiement de leurs créances contenues dans I'acte de cession de parts sous seing privé du 9 novembre 2011,
- la CONDAMNER à leur payer la somme de 10.000 € en réparation de leur préjudice moral,
- la CONDAMNER à leur payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile .

Par ordonnance d’incident en date du 23 mai 2022, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société EXCO OMNICONSEILS au motif que les époux [C] n’ont eu connaissance du dommage consistant en l’impossibilité ou la perte de chance de recouvrer les sommes restant dues du fait des manquements reprochés qu’à la date à laquelle la liquidation judiciaire de l’acquéreur a été clôturée pour insuffisance d’actif soit le 21 mars 2018, le premier acte interruptif de prescription étant l’assignation délivrée le 8 avril 2021 pendant le délai quinquennal de prescription.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 12 juin 2023, Monsieur [H] [C] et Madame [N] [C] née [K] maintiennent leurs demandes ; y ajoutant ils demandent que la S.A. EXCO OMNICONSEILS soit déboutée de ses demandes.

Ils soutiennent que dans le cadre du plan de sauvegarde dont a bénéficié la Société NOUVELLE [X] SNG, ils ont perçu en règlement de leur créance les 17 et 20 février 2017, la somme de 3.673,27 €, les laissant créanciers de la somme de 147.819,73 € ; qu’en ne prévoyant pas dans l’acte réitératif portant sur la cession de 100 % des parts sociales de la SARL A.P.H.E.C, la caution personnelle de Monsieur [X], acquéreur initial auquel s’est substituée la SARL « SOCIETE NOUVELLE [X] – SNG » représentée par Monsieur [X], bénéficiaire d’un crédit vendeur de 80.000 € pour l’acquisition des dites parts sociales et d’un autre crédit vendeur d’un montant de 124.441,74 € pour le remboursement des comptes courants d’associés de Monsieur et Madame [C], la SA EXCO OMNICONSEILS a privé d’efficacité l’acte de cession des parts sociales de la SARL A.P.H.E.C en ne prévoyant pas de garantie suffisante pour le remboursement des deux crédits vendeurs accordés ; qu’elle n’a pas non plus informé et éclairé de manière complète les cédants sur les effets et la portée de l’opération projetée et notamment sur les risques encourus en cas de défaillance de l’emprunteur.
Ils indiquent qu’ils n’ont jamais donné leur accord pour consentir un crédit vendeur sans garantie de remboursement ; que l’absence de conseils et de mise en garde par l’expert-comptable rédacteur d’actes et la rédaction d’un contrat de cession de parts sociales et de remboursement de comptes courants d’associés comportant le paiement d’une fraction importante du prix au moyen de crédits vendeurs sans garantie de remboursement efficaces au profit des vendeurs caractérisent un comportement fautif.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 10 mars 2023, la société EXCO OMNICONSEILS demande au tribunal de :
A titre principal,
- DIRE ET JUGER qu’elle n’a commis aucune faute dans l’accomplissement de ses missions ;
- DEBOUTER les époux [C] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;
A titre subsidiaire,
- RAMENER les demandes formulées par les époux [C] à de plus justes proportions;
Au principal comme au subsidiaire,
- CONDAMNER les époux [C] à payer à la Société EXCO OMNICONSEILS la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle fait valoir que par lettre recommandée avec avis de réception en date du 29 juin 2018, les époux [C] lui ont réclamé « l'engagement de caution personnelle du cessionnaire» prévu à l'article 7 du protocole sous condition suspensive du 28.01.2011; que par lettre recommandée avec avis de réception en date du 24 juillet 2018, elle leur répondait qu'il y avait eu une modification des garanties que leur avait accordées Monsieur [X] entre le protocole de cession sous conditions suspensives et la cession, de sorte qu'aucune garantie personnelle n'avait été consentie par Monsieur [X].
Elle considère que s’il n’est pas sérieusement contestable qu’une garantie était prévue aux articles 3 et 7 du protocole de cession sous conditions suspensives du 28 janvier 2011, l’opération a subi de nombreux “atermoiements” ; qu’à défaut de réitération de l’acte au 31 mai 2011, l’acte est devenu caduc en l’absence de réalisation des conditions suspensives conformément aux termes de l’article 9.1 dudit protocole ; que ce n’est que le 9 novembre 2011, que la cession de parts sociales intervenait à des conditions différentes de celles initialement convenues ; que l’acte de cession de parts du 9 novembre 2011 ne fait aucune référence au protocole sous conditions suspensives et à son avenant de prorogation ; que la suppression de la garantie personnelle de Monsieur [X] entre le protocole de cession devenu caduc au 31 mai 2011 et l'acte de cession résulte des échanges et des négociations que les deux parties avaient menées durant la période intermédiaire ; que l’acte de cession emporte novation des conditions initialement convenues tenant notamment aux garanties consenties aux cédants ; que les époux [C] avaient une parfaite connaissance des difficultés du cessionnaire pour obtenir son financement, et ont consenti un crédit vendeur sur le prix de cession en parfaite connaissance des risques encourus en renonçant à la garantie personnelle sur le remboursement du compte courant ; que c’est en toute connaissance de cause qu’ils ont accepté de limiter la garantie du paiement des sommes dues à une inscription de nantissement en 2ème rang sur les parts sociales.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux écritures susvisées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 novembre 2022, et l’affaire envoyée à l’audience de plaidoirie du 08 janvier 2024.

MOTIFS :

Sur les demandes principales :

En application des dispositions de l’article 22 du décret N°45-2138 du 19 septembre 1945, les experts-comptables peuvent “donner des consultations et effectuer des études théoriques et pratiques d'ordre juridique, administratif ou fiscal et apporter leur avis devant toute autorité ou organisme public qui les y autorise, mais sans pouvoir en faire l'objet principal de leur activité et seulement s'il s'agit d'entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d'ordre comptable de caractère permanent ou habituel, ou dans la mesure où lesdites consultations, études ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés.”

L’article 59 de la loi N°71-1130 du 31 décembre 1971 dispose que les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée peuvent, dans les limites autorisées par la réglementation qui leur est applicable, donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire direct de la prestation fournie.

En application de l'article 1147 ancien, devenu l’article 1231-1 du Code Civil, l'expert-comptable répond des fautes qu'il commet dans le cadre de l'exécution de la mission qui lui a été confiée de sorte que sa responsabilité s'apprécie eu égard à la mission confiée par son client.

L’expert-comptable qui accepte dans l’exercice de ses activités juridiques accessoires, d’établir un acte de cession de droits sociaux pour le compte d’autrui, est tenu, en sa qualité de rédacteur, d’informer et d’éclairer de manière complète les parties sur les effets et la portée de l’opération projetée.

En application de l’article 155 du Décret N°2012-432 du 30 mars 2012 relatif à la déontologie des experts-comptables, dans la mise en œuvre de chacune de leurs missions, les experts-comptables sont tenus vis-à-vis de leur client ou adhérent à un devoir d'information et de conseil, qu'ils remplissent dans le respect des textes en vigueur.

En l’espèce, la défenderesse était l’expert-comptable de la Société [C] PARFUMERIE HELENE ESTHETIQUE CONSEIL – A.P.H.E.C. détenue à 100 % par les époux [C]. Il n’est pas contesté qu’un contrat de prestations de services comptables existait entre eux.
C’est donc sur le terrain contractuel que se situent les obligations la SA EXCO OMNICONSEILS vis-à-vis des époux [C], ses clients, et la mise en cause de sa responsabilité.

Le protocole d’accord de cession et d’acquisition des parts sociales en date du 28 janvier 2011 rédigé par l’expert-comptable ayant fait l’objet d’un avenant de prorogation fixant la date d’expiration de la promesse initialement fixée au 30 avril 2011, au 31 mai 2011, stipulait en son article 3 relatif à la garantie du paiement du reliquat des comptes courants : « A titre de garantie du bon paiement du solde des comptes courants, le cessionnaire fournira au jour de la signature de l’acte constatant la réalisation définitive de la cession une garantie personnelle assortie éventuellement d’un nantissement de deuxième rang des parts sociales, objet des présentes. »

L’article 7 dudit protocole relatif aux cautions et garanties personnelles stipulait quant à lui que : « le cessionnaire se porte caution personnelle, dans le cadre de la réalisation définitive de cette opération, du paiement du solde des comptes courants. ».

La sanction prévue à défaut de réalisation des conditions suspensives dans le délai contractuellement prévu n’était pas la caducité comme le soutient la défenderesse mais la nullité de la promesse de vente. En tout état de cause, force est de constater qu’aucune des parties n’a entendu se prévaloir de la nullité du protocole, la cession de parts sociales ayant été signée entre les parties le 9 novembre 2011 au prix convenu entre les parties.
En outre, la défenderesse, tiers au contrat, n’a pas qualité à se prévaloir de la nullité, voir de la caducité d’un acte auquel elle n’est pas partie.

Lors de la réitération de la cession de parts sociales, l’acte signé entre les parties le 9 novembre 2011 stipulait que :
« La présente cession est consentie et acceptée moyennant le prix principal de 480 000 € (…) la somme de 400 000 € a été payée ce jour comptant par le cessionnaire aux cédants qui le reconnaissent et leur en donnent quittance d’autant.
Le solde du prix, soit la somme de 80 000 € est payable à terme dans les conditions suivantes : crédit vendeur sur 7 ans avec un taux d’intérêt de 4 %, remboursable mensuellement le 5 de chaque mois, à compter du 5 novembre 2011.
En dehors du paiement de ce prix de cession, l’acquéreur reconnaît que la société doit le compte courant de Monsieur et Madame [C] à ces derniers. À titre indicatif et avant affectation du résultat au 30 septembre 2011, le solde de ce compte courant s’élève à la somme de 124 44,74 €.
Les parties ont convenu que cette somme serait remboursée de la même manière que le solde du prix de cession.
Dès que la situation définitive au 30 septembre 2011 sera établie, les parties ont convenu qu’un tableau de remboursement de ces deux sommes serait rédigé.
Les parties conviennent qu’un remboursement total ou partiel pourra être réalisé à la demande du cessionnaire. Cet éventuel remboursement anticipé ne donnera pas lieu au versement d’une indemnité.
A titre de bonne garantie du règlement échelonné de ces sommes, le cessionnaire consent aux cédants une garantie de deuxième rang sur les parts sociales de la société APHEC ».

Ainsi, aucune caution personnelle de Monsieur [X] n’était prévue au contrat.

La défenderesse explique l’absence de caution personnelle dans l’acte de cession, dans son courrier du 24 juillet 2018, dans les termes suivants : « la modification des garanties qui vous ont été accordées par Monsieur [X] entre le protocole de cession et l’acte réitératif résulte de vos échanges et des négociations que vous avez menées pendant la période intercalaire. »

Or, contrairement à ce qu’elle soutient, il ressort de l’examen de l’ensemble des pièces versées aux débats par les parties, qu’il n’est justifié d’aucun échange entre les cédants et le cessionnaire relatif à la modification consentie des garanties initialement accordées par Monsieur [X], et plus précisément sur la suppression d’une garantie personnelle du cessionnaire.

La société EXCO OMNICONSEILS, en sa qualité d’expert-comptable rédacteur de l’acte, ne communique en outre aucun courrier adressé aux époux [C] afin de les mettre en garde sur l’absence de garantie personnelle donnée par Monsieur [X] et sur les conséquences de l’octroi d’une seule garantie de deuxième rang consentie sur les parts sociales de la société APHEC.

Elle ne justifie pas les avoir expressément informés et éclairés de manière complète sur les effets et la portée de l’opération projetée et notamment sur les risques encourus en cas de défaillance du cessionnaire.

Dès lors, la société EXCO OMNICONSEILS a failli à son obligation de mise en garde et de conseil à l’égard des époux [C] qui étaient leurs clients habituels avec lesquels ils avaient une relation de confiance, l’expert-comptable ne pouvant ignorer l’importance pour eux d’obtenir toutes les garanties de paiement du prix de cession et du solde du compte-courant, s’agissant de leur départ à la retraite.

Il existe un lien de causalité entre la faute commise par l’expert-comptable et le préjudice financier des époux [C], puisqu’en l’absence de stipulation d’une caution personnelle de Monsieur [X] dans l’acte de cession, et compte-tenu de la liquidation judiciaire de la SARL SOCIETE NOUVELLE [X] – SNG, les époux [C] ont perdu toute chance de recouvrer leurs fonds.

Or, constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.

Les époux [C] sollicitent en réparation de leur préjudice financier la condamnation de la SA EXCO OMNICONSEILS au paiement de la somme de 111.000 € à titre de dommages et intérêts à hauteur de 75% du préjudice financier qu’ils estiment avoir subi.

Toutefois, la garantie personnelle initialement consentie par Monsieur [X] aux termes du protocole du 29 janvier 2021 « agissant tant à titre personnel qu’en qualité de fondateur de la société [X], SARL en cours de constitution… avec faculté de se substituer toute personne physique ou morale de son choix dans l’exécution des présentes » portait sur le bon paiement du solde des comptes courants d’associés et non sur le prix de cession.

Or, l’acte de cession en date du 9 novembre 2011 rédigé par l’expert-comptable mentionne un solde de compte courant s’élevant à la somme de 124 441,74 €.
Les époux [C] reconnaissent avoir perçu dans le cadre de la procédure collective ouverte à l’égard de la société cessionnaire la somme totale de 3 673,27 €.

Ainsi, si l’on considère que leur préjudice financier au titre du solde de compte courant s’élève à la somme de 120 768,47 €, il convient toutefois de considérer que la perte de chance indemnisable s’analyse comme la privation d’une probabilité raisonnable et non certaine d’obtenir le paiement intégral de cette somme.

En conséquence et par une appréciation souveraine des éléments de la cause, il y a lieu d’évaluer la perte de chance subie dans une proportion de 60 % du préjudice financier lié au défaut de paiement du solde de compte courant et de condamner la société EXCO OMNICONSEILS à payer aux époux [C] la somme de 72 500€ à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice financier.

Par ailleurs, il est incontestable que les cédants, compte tenu de leur situation, de leur âge, des efforts consentis pour obtenir un paiement échelonné de la dette, de leur déception et de leur impuissance eu égard à l’inexécution du plan de sauvegarde de la société Nouvelle [X], ont incontestablement subi un préjudice moral, la société d’expertise comptable ayant géré la cession de leurs parts sociales de la SARL APHEC a fait preuve à leur égard d’une légèreté blâmable et fautive.

En conséquence, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, la société EXCO OMNICONSEILS sera condamnée à payer aux époux [C] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral.

Sur les demandes accessoires :

La société EXCO OMNICONSEILS, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile.

Il n’est pas inéquitable de la condamner à payer à Monsieur [H] [C] et à Madame [N] [C] née [K] la somme de 3500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNALstatuant après débats publics par mise à disposition au grffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

CONDAMNE la société EXCO OMNICONSEILS à payer aux époux [C] la somme de 72 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice financier ;

CONDAMNE la société EXCO OMNICONSEILS à payer aux époux [C] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral;

CONDAMNE la société EXCO OMNICONSEILS à payer aux époux [C] la somme de 3 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société EXCO OMNICONSEILS aux entiers dépens.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 11 Mars 2024

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab3
Numéro d'arrêt : 21/03728
Date de la décision : 11/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-11;21.03728 ?
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