TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 3 cab 03 C
N° RG 24/04112 - N° Portalis DB2H-W-B7I-ZNHF
Jugement du 18 Juillet 2024
Notifié le :
Grosse et copie à :
la SELARL DPG - 1037
la SARL PIVOINE SOCIETE D’AVOCATS - 619
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 18 Juillet 2024 devant la Chambre 3 cab 03 C le jugement contradictoire suivant,
Après que la cause eut été débattue à l’audience publique du 13 Juin 2024 devant :
Delphine SAILLOFEST, Président,
siégeant en formation Juge Unique,
Assistée de Anne BIZOT, Greffier,
Et après qu’il en eut été délibéré par le magistrat ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :
DEMANDERESSES
S.A.S. CRESUS,
prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est sis [Adresse 2] - [Localité 5]
représentée par Maître Ghislaine BETTON de la SARL PIVOINE SOCIETE D’AVOCATS, avocats au barreau de LYON
S.E.L.A.R.L. FHBX, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société CRESUS,
prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est sis [Adresse 1] - [Localité 5]
représentée par Maître Ghislaine BETTON de la SARL PIVOINE SOCIETE D’AVOCATS, avocats au barreau de LYON
DEFENDERESSE
S.N.C. LE VEILLEUR DE PIERRE,
prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est sis [Adresse 3] - [Localité 4]
représentée par Maître Olivier PIQUET-GAUTHIER de la SELARL DPG, avocats au barreau de LYON
EXPOSE DU LITIGE
Selon acte sous-seing privé du 29 octobre 2003, la SCI [Adresse 2], aux droits et obligations de laquelle se trouve la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE, a donné à bail commercial à la société CRESUS des locaux situés au rez-de-chaussée de l’immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5] composés de deux niveaux d’une superficie d’environ 93 m² au rez-de-chaussée et de 70 m² au 1er étage et d’un accès intérieur à deux caves en sous-sol.
Cette location a été consentie et acceptée pour une durée de 9 années, prenant effet le 1er novembre 2003 pour se terminer le 31 octobre 2012, à usage de "horlogerie, bijouterie, joaillerie neuf et occasion" moyennant un loyer annuel principal de 28 000 € hors taxes et hors charges.
Dans le cadre d’un congé donné par le bailleur sans offre de renouvellement et avec offre d’indemnité d’éviction, un conflit s’est fait jour entre les parties à propos du montant de ce loyer et relativement au changement de la chaudière équipant les locaux, le preneur déplorant des dysfonctionnements attribués à la vétusté de cet équipement et un dysfonctionnement corrélatif de la climatisation réversible et considérant qu’il appartient au bailleur de prendre à sa charge le coût de son remplacement.
Selon ordonnance rendue le 25 mars 2024, le juge des référés de Céans a rejeté la demande de la société CRESUS tendant à entendre condamner sa bailleresse, sous astreinte, à réaliser les travaux de remplacement de la chaudière.
Par jugement du 02 avril 2024 rendu par le tribunal de commerce de LYON, la société CRESUS a fait l’objet de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, Maître [X] [W], représentante de la SELARL FHBX, ayant été nommée en qualité d’administrateur judiciaire.
Par requête en date du 21 mai 2024, la SAS CRESUS et la SELARL FHBX, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société CRESUS, ont saisi le président du tribunal judiciaire de LYON aux fins d'être autorisées à assigner à jour fixe la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE en faisant valoir que la SAS CRESUS était contrainte de recevoir sa clientèle, en pleine période estivale, sans climatisation et ce, au risque de connaître une baisse de son chiffre d’affaires incompatible avec les objectifs fixés dans le cadre de la période d’observation.
Par ordonnance du même jour, autorisation leur a été donnée de délivrer assignation pour l'audience du 13 juin 2024.
Par acte d'huissier de justice en date du 23 mai 2024, la SAS CRESUS et la SELARL FHBX, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société CRESUS, ont fait assigner à jour fixe devant le tribunal judiciaire de LYON la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE.
Dans le dernier état de leurs écritures notifiées le 12 juin 2024 et soutenues oralement à l'audience par leur conseil, la SAS CRESUS et la SELARL FHBX, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société CRESUS demandent au tribunal de :
Vu l’article 606 du Code civil,
Vu les articles 1719, 1720 et 1755 du Code civil,
Vu les articles 1100-1, 1101, 1103, 1104, et 1106 du Code civil,
Vu l’article 1231-1 du Code civil,
Vu l’article 1240 du Code civil
Vu l’article L 145-28 du Code de commerce,
Vu l’article 700 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
DIRE ET JUGER la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE astreinte à l’obligation de remplacer la chaudière vétuste du [Adresse 2] à [Localité 5], ceci au profit de la société CRESUS, preneur au sein du bail du 29 octobre 2003 ;
DIRE ET JUGER que la société CRESUS a subi un trouble de jouissance du fait de la vétusté de la chaudière, et de l’inertie de la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE qui avait pourtant l’obligation de la remplacer ;
DIRE ET JUGER que la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE s’est rendue responsable des préjudices de jouissance, économique, et d’image subis par la société CRESUS pendant la période de trouble de jouissance ;
DIRE ET JUGER que la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE a fait preuve de résistance abusive en ne procédant pas au remplacement de la chaudière vétuste des locaux du [Adresse 2] à [Localité 5] ;
En conséquence,
CONDAMNER la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE à réaliser, ou faire réaliser, les travaux de remplacement de la chaudière vétuste du [Adresse 2] à [Localité 5], ceci sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir ;
CONDAMNER la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE au paiement de la somme de 16.800 euros au titre du préjudice de jouissance subi par la société CRESUS ;
CONDAMNER la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE au paiement de la somme de 21.264,3 euros du fait du préjudice économique subi par la société CRESUS ;
CONDAMNER la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE au paiement de la somme de 10.000 euros au titre du préjudice d’image subi par la société CRESUS ;
CONDAMNER la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE à la somme de 5.000 euros au titre de sa résistance abusive ;
CONDAMNER la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE à la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la SNC LE VEILLEUR DE PIERRE aux entiers dépens de l’instance.
Dans le dernier de ses écritures notifiées le 11 juin 2024, la société LE VEILLEUR DE PIERRE demande au tribunal :
Vu les pièces du dossier, notamment le bail liant les parties,
Vu les conditions d’utilisation des locaux, de travaux, d’accession et de restitution des locaux convenues entre les parties,
Vu les articles 606, 1103 et suivants et 1719 du Code Civil,
Débouter la société CRESUS de ses demandes comme injustifiées et non fondées,
Condamner la société CRESUS à verser à la société LE VEILLEUR DE PIERRE une indemnité de 5 000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 13 juin 2024 et mise en délibéré au 18 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Il sera observé à titre liminaire qu'il n'y a pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent jugement, les demandes tendant à entendre « constater » ou « dire et juger », telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lorsqu'elles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire du jugement.
Sur les demandes de condamnation formées par la société CRESUS
Au visa des articles 606, 1719, 1720 et 1755 du code civil, la société CRESUS soutient que la société LE VEILLEUR DE PIERRE est tenue au remplacement de la chaudière vétuste et ce, nonobstant les stipulations contractuelles du bail, qui lui seraient inopposables, sauf à vider de leur substance les obligations de délivrance, d’entretien et de jouissance paisible pesant sur le bailleur.
Elle soutient encore, sur le fondement des articles 1101 et suivants du code civil, qu’à supposer que les stipulations contractuelles contenues au bail puissent s’analyser en des clauses dérogatoires licites, sa bailleresse s’est de toute façon engagée unilatéralement à faire les travaux de remplacement de la chaudière vétuste, ainsi que cela résulte des échanges qu’elle produit au débat.
La société LE VEILLEUR DE PIERRE fait valoir qu’en application des stipulations contractuelles du bail, elle n’est pas propriétaire de la chaudière dont elle pourra réclamer la cession à son profit ou au contraire l’enlèvement, à l’issue des relations contractuelles.
Sur ce
En application des articles 606 et 1755 du code civil, le preneur n’est pas tenu des travaux dus à la vétusté, dont les travaux de remplacement d’une chaudière vétuste, ces travaux incombant au bailleur.
Ces règles n’étant pas d’ordre public, elles sont supplétives lorsque les clauses du bail commercial n’y dérogent pas.
Or, le bail commercial liant les parties contient les clauses suivantes :
- une clause 6.5.22 (chauffage et climatisation) selon laquelle le preneur s’engage « à n’employer dans les lieux loués aucun appareil de chauffage ou de climatisation non conforme aux règles de sécurité ; le preneur ayant à sa charge l’installation, l’entretien et les réparations »,
- une clause 6.5.6 selon laquelle le preneur s’engage « à laisser en fin de bail, à quelque époque et quelque manière qu’elle arrive, tous travaux, embellissements, améliorations, installations et décors qu’il aurait fait dans les lieux loués, même avec l’autorisation du bailleur, y compris tous appareils placés pour l’usage des lieux à l’exception des appareils mobiles ou démontables, et d’une manière générale, toutes installations à demeure. Ces éléments ci-dessus seront la propriété du bailleur par voie d’accession sans indemnité quelconque de sa part, sauf à ce qu’il préfère exiger, même s’il a autorisé les travaux, le rétablissement des lieux dans leur état primitif aux frais exclusifs du preneur. ».
- une clause 14.2 relative à la restitution des locaux qui stipule que le preneur « devra également rendre les lieux loués dans le même état que celui dans lequel il les a reçus et qui a été constaté dans l’état des lieux, même pour ce qui a été détruit ou dégradé par vétusté ou force majeure. ».
Il résulte sans ambiguïté de ces stipulations que les parties ont entendu laisser à la charge du preneur l’installation, l’entretien et les réparations du chauffage ou de la climatisation et donc de la chaudière. Le fait que la pompe à chaleur porte le millésime « 2002 » n’est pas de nature à établir que la chaudière était déjà installée dans les locaux avant l’entrée dans les lieux de la société CRESUS et qu’elle serait donc la propriété de la bailleresse. Cette date correspond visiblement à l’année de fabrication et non à son année d’installation, laquelle est établie par sa facturation, non produite au débat.
Il s’en évince que la société CRESUS apparaît comme la propriétaire de la chaudière litigieuse et à ce titre, comme la seule débitrice de ses travaux de réparation, y compris son remplacement.
En signant ce bail, elle a accepté le principe d’une accession du bailleur différée à la fin des relations contractuelles et s’est ainsi engagée à assumer tous travaux jusque-là sur la chaudière, y compris son remplacement, en ce compris pour cause de vétusté ou de force majeure.
Ces stipulations contractuelles du bail, clause dérogatoires licites, font la loi des parties et doivent donc trouver à s’appliquer sans que le preneur puisse opposer au bailleur un manquement à ses obligations de délivrance et d’entretien, puisqu’il ne pèse sur ce dernier aucune obligation de remplacement de la chaudière vétuste.
Les échanges informels entre la bailleresse et le conseil du preneur dans le cadre desquels la société LE VEILLEUR DE PIERRE a pu répondre positivement à la demande de travaux de la société CRESUS se sont inscrits dans le cadre de négociations plus vastes et alors que la bailleresse était mise en demeure de changer la chaudière. Ils ne sauraient établir en conséquence la preuve d’un engagement unilatéral de la société LE VEILLEUR DE PIERRE à faire procéder au remplacement de la chaudière et de son renoncement corrélatif aux stipulations contractuelles.
Partant, la société CRESUS et son administrateur judiciaire doivent être déboutés de l’intégralité de leurs demandes.
Sur les demandes accessoires
La société FHBX, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société CRESUS, qui succombe, sera condamnée aux dépens et à payer à la société LE VEILLEUR DE PIERRE la somme de 2 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition de la présente décision au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
REJETTE l’intégralité des demandes de la société CRESUS et de son administrateur judiciaire la société FHBX ;
CONDAMNE la société FHBX, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société CRESUS, aux dépens ;
CONDAMNE la société FHBX, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société CRESUS, à payer à la société LE VEILLEUR DE PIERRE la somme de 2 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire ;
REJETTE le surplus des demandes.
Remis au greffe en vue de sa mise à la disposition des parties, le présent jugement a été signé par le Président, Mme SAILLOFEST, et le Greffier, Mme BIZOT.
Le Greffier, Le Président,