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10/07/2024 | FRANCE | N°20/00902

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Ctx protection sociale, 10 juillet 2024, 20/00902


MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :




DÉBATS :
PRONONCE :


AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :









10 Juillet 2024

Monsieur Jérôme WITKOWSKI, président

Madame Flore MAUNIER, assesseur collège employeur
Madame Emmanuelle GIRAUD, assesseur collège salarié
assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Madame Isabelle BELACCHI,

greffiere

tenus en audience publique le 07 Mai 2024
jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 10 Juillet 2024 par le même magistrat

Monsieur [P] [O] C/ Monsieur [F] ...

MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :

DÉBATS :
PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

10 Juillet 2024

Monsieur Jérôme WITKOWSKI, président

Madame Flore MAUNIER, assesseur collège employeur
Madame Emmanuelle GIRAUD, assesseur collège salarié
assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Madame Isabelle BELACCHI, greffiere

tenus en audience publique le 07 Mai 2024
jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 10 Juillet 2024 par le même magistrat

Monsieur [P] [O] C/ Monsieur [F] [U]

N° RG 20/00902 - N° Portalis DB2H-W-B7E-U3PB ; N° RG 23/00027

DEMANDEUR
Monsieur [P] [O], demeurant [Adresse 1] (RHÔNE)
représenté par la SELARL CONTE-JANSEN & FAUCONNET AVOCATS, avocats au barreau de LYON, vestiaire : 2309

DÉFENDEUR
Monsieur [F] [U], demeurant [Adresse 3]
représenté par la SELARL AMH AVOCAT, avocats au barreau de LYON, vestiaire : 2508

PARTIES INTERVENANTES

CPAM DU RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 7]
non comparante, ni représentée,
SELARL [T] [J] es qualité de mandataire ad’hoc de l’entreprise [F] [U], dont le siège social est sis [Adresse 2] représentée par la SELARL AMH AVOCAT, avocats au barreau de LYON, vestiaire : 2508,
Société [5], dont le siège social est sis [Adresse 4] représentée par la SELARL AMH AVOCAT, avocats au barreau de LYON, vestiaire : 2508
Notification le :
Une copie certifiée conforme à : [P] [O] ; [F] [U] ; CPAM DU RHONE ; Me [T] [J] es qualité de mandataire ad’hoc de l’entreprise [F] [U] ; Société [5] ; la SELARL AMH AVOCAT, vestiaire : 2508 ; la SELARL CONTE-JANSEN & FAUCONNET AVOCATS, vestiaire : 2309
Une copie revêtue de la formule exécutoire : [P] [O] ; la SELARL CONTE-JANSEN & FAUCONNET AVOCATS, vestiaire : 2309
une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [P] [O] a été embauché par monsieur [F] [U], artisan, en qualité d’aide charpentier couvreur sous contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 2010, puis en qualité de couvreur zingueur à compter du 1er septembre 2014.

Le 11 septembre 2019 à 14 heures, alors qu’il effectuait des travaux sur le toit chez un client, il a été victime d'un accident du travail déclaré comme suit : « le salarié a voulu prendre la mesure du bois à remplacer, il s’est appuyé sur un bois pourri et celui-ci s’est cassé. (Illisible) chute d’une hauteur de 3,50 mètres ».

Le certificat médical initial établi le jour-même par le docteur [A] fait état des lésions suivantes : « fracture instable de L2, fracture stable de T4 et T11, luxation épaule gauche, luxation du 2ème doigt gauche ».

Le 11 octobre 2019, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle.

L'état de santé de monsieur [P] [O] n’est pas consolidé au jour de la clôture des débats.

Monsieur [P] [O] a saisi la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône d’une demande amiable aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de l’entreprise individuelle [F] [U].

A défaut de conciliation, monsieur [P] [O] a saisi le pôle social du Tribunal judiciaire de Lyon d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable à l’encontre de l’entreprise [F] [U] par requête du 24 avril 2020, réceptionnée par le greffe le 11 mai 2020.

Ce recours a été enregistré sous les références RG n° 20/00902.

Suite à la radiation de l’entreprise individuelle de monsieur [F] [U] du répertoire des métiers à compter du 29 février 2020, la SELARL [J] [T] a été désignée en qualité de mandataire ad hoc par ordonnance du tribunal de commerce de Lyon du 15 décembre 2021.

Par courrier du 24 juin 2022 émanant de son conseil, monsieur [P] [O] a saisi une seconde fois la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône d’une demande amiable aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de monsieur [F] [U] à titre d’entrepreneur individuel et à titre personnel.

A défaut de conciliation, monsieur [P] [O] a saisi le pôle social du Tribunal judiciaire de Lyon d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable à l’encontre de monsieur [F] [U], à titre d’entrepreneur individuel et à titre personnel, par requête réceptionnée par le greffe le 3 janvier 2023.

Ce recours a été enregistré sous les références RG n° 23/00027.

Parallèlement et aux termes d’un jugement du 1er avril 2022, la cinquième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Lyon a déclaré monsieur [F] [U] coupable des faits suivants, commis le 11 septembre 2019 à Mions :

Blessures involontaires avec incapacité temporaire de travail supérieure à trois mois, dans le cadre du travail ;Emploi de travailleurs sur toiture sur chantier de bâtiment et travaux publics sans respect des règles de sécurité.
La septième chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Lyon a, aux termes d’un arrêt du 1er avril 2022, constaté le désistement d’appel principal de monsieur [F] [U] ainsi que ceux, incidents, du ministère public et de la partie civile.

La compagnie d’assurance [5] est intervenue volontairement à la présente instance, en sa qualité d’assureur de monsieur [F] [U].

Aux termes de ses conclusions n°3 déposées et soutenues oralement lors de l’audience, monsieur [P] [O] demande au tribunal de juger que l’accident du travail dont il a été victime le 11 septembre 2019 est imputable à la faute inexcusable de monsieur [F] [U]. En conséquence, il sollicite le bénéfice de la majoration du capital ou de la rente d’incapacité permanente partielle éventuelle au taux maximum. Avant dire droit sur l’indemnisation de ses préjudices, il demande au tribunal d’ordonner une expertise médicale et de lui allouer une provision de 5.000 euros à valoir sur l’indemnisation future, outre la condamnation de monsieur [F] [U] à lui verser la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de monsieur [F] [U], monsieur [P] [O] fait valoir qu’un procès-verbal a été dressé le 20 février 2020 par l’inspection du travail suite aux constatations effectuées suite à son accident ; que le ministère public a exercé l’action publique et que monsieur [F] [U] a été condamné définitivement par la 5ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Lyon selon jugement définitif du 1er avril 2022, pour blessures involontaires avec incapacité supérieure à 3 mois dans le cadre du travail, outre l’emploi de travailleurs sur toiture sur chantier de bâtiment et travaux publics sans respect des règles de sécurité. Cette condamnation pénale définitive a autorité de la chose jugée et implique selon lui que monsieur [F] [U] avait conscience du danger auquel il était exposé et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il précise au surplus que le risque de chute inhérent au travail en hauteur a été identifié dans le document unique d’évaluation des risques professionnels de sorte que monsieur [F] [U] avait nécessairement conscience du risque.

Il fait grief à monsieur [F] [U] de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir le risque de chute en hauteur, et plus précisément de l’avoir affecté sur le chantier en urgence, sans s’être préalablement déplacé sur place afin de vérifier l’état de la partie du toit à réparer et d’évaluer le matériel de sécurité nécessaire ; de n’avoir mis à sa disposition ni échafaudage, ni dispositif de protection collective, ni système d’arrêt de chute de type harnais afin de réaliser les travaux sur la toiture, en violation des dispositions de l’article R.4534-86 du Code du travail. Il précise que ces manquements ont été constatés par l’inspection du travail, qui en a dressé procès-verbal. Il ajoute que l’inspection du travail, constatant que son collègue travaillait dans les mêmes conditions dès le lendemain, a notifié l’arrêt du chantier, qui n’a pu reprendre qu’après montage d’un échafaudage.

Il conteste en outre avoir commis une quelconque faute et précise qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir utilisé les harnais de l’entreprise, ceux-ci étant par ailleurs obsolètes. Il précise qu’il est ouvrier, qu’il n’a bénéficié d’aucune formation à la sécurité, ni d’aucune promotion lui conférant des responsabilités en matière de sécurité sur les chantiers, y compris depuis la démission du chef de chantier en février 2018. Il ajoute enfin que les fautes de l’employeur condamné pénalement pour blessures involontaires et infractions aux règles de sécurité absorbent ses imprudences éventuelles, qui seraient demeurées sans conséquence si les dispositifs de protection adaptés avaient été mis en place.

Aux termes de leurs conclusions n°5 communes, déposées et soutenues oralement lors de l’audience, monsieur [F] [U], la SELARL [J] [T] et la société [5] demandent au tribunal de débouter monsieur [P] [O] de l’intégralité de ses demandes, de mettre hors de cause la SELARL [J] [T] et de le condamner à payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour conclure à l’absence de faute inexcusable en dépit de la condamnation pénale définitive de monsieur [F] [U], les défendeurs invoquent le non-respect, par monsieur [P] [O], des règles de sécurité les plus élémentaires et d’une omission volontaire, malgré sa conscience du danger, d’utiliser les équipements de sécurité mis à sa disposition.

Ils exposent en substance :

Qu’à l’issue d’une première intervention sur le chantier [Y] au début du mois de septembre 2019, le client a de nouveau sollicité l’entreprise afin de réaliser des travaux complémentaires de remplacement d’un chevron abimé sur une autre partie de la toiture ;Que [F] [U] a affecté monsieur [P] [O] et son collègue monsieur [I], aide couvreur, sur le chantier ;Que le chantier se trouvait encore en phase préparatoire lorsque monsieur [P] [O] a pris l’initiative de monter sur la toiture sans passer préalablement au siège de l’entreprise afin d’y récupérer l’échafaudage ou le garde-corps mis à sa disposition, ni utiliser le harnais et le stop-chute à sa disposition dans le camion de l’entreprise ;Qu’en sa qualité de couvreur zingueur exerçant sous la qualification d’ouvrier qualifié – compagnon professionnel, mais aussi au regard de son expérience professionnelle d’une dizaine d’années, il avait acquis des responsabilités dans l’entreprise, notamment l’encadrement de son collègue monsieur [I] et la représentation de l’entreprise sur les chantiers, impliquant la charge de veiller au respect par le personnel des consignes d’hygiène et de sécurité sur le chantier ;Que le jour de l’accident, monsieur [P] [O] avait pour mission d’organiser la mise en œuvre des travaux supplémentaires à réaliser sur le chantier et avait la qualité de substitué de l’employeur ;Que monsieur [P] [O] ayant bénéficié tout au long des années passées dans l’entreprise de l’accompagnement de chefs de chantiers, il disposait des qualifications requises et de la formation et l’accompagnement nécessaires pour endosser la responsabilité de petits chantiers, en l’absence de monsieur [F] [U] ;Que le caractère abimé de la toiture était clairement visible et que monsieur [P] [O] ne pouvait ignorer la nécessité d’intervenir au moyen de l’un des équipements de sécurité mis à sa disposition par l’entreprise, s’agissant d’une règle élémentaire de sécurité ;
Aux termes de ses observations soutenues oralement lors de l’audience du 4 avril 2024, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône s’en remet à l’appréciation du tribunal concernant l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, et le cas échéant, demande de dire et juger que la caisse procèdera au recouvrement directement auprès de monsieur [F] [U] de l’intégralité des sommes dont elle serait amenée à faire l’avance, à savoir le doublement du capital ou de la rente, l’éventuelle provision sur préjudice ainsi que les frais d’expertise et les sommes allouées au titre des préjudices définitifs déduction faite de l’éventuelle provision.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la jonction d’instances
L’article 367 du code de procédure civile dispose que « le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble ».

En l’espèce, monsieur [P] [O] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon de 2 requêtes distinctes pendantes aux mêmes fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, dirigé en premier lieu à l’encontre de l’entreprise [F] [U], représentée par son mandataire ad hoc, la SELARL [J] [T], puis dirigé en second lieu à l’encontre de [F] [U] en sa qualité d’entrepreneur individuel et à titre personnel.

En conséquence, il est de l’intérêt d’une bonne administration de la justice de les faire instruire et juger ensemble de sortes que le tribunal ordonne la jonction des instances enregistrées sous le RG n° 20/00902 et RG n° 23/00027, l’instance se poursuivant sous le RG n° 20/00902.

2. Sur la faute inexcusable de l’employeur

En vertu des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé envers les travailleurs qu’il emploie.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l'accident subi par le salarié. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes, y compris la faute d'imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.

Il incombe au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont, au civil, autorité absolue à l’égard de tous en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de celui auquel le fait est imputé. L’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

Ainsi, l’existence d’une condamnation pénale de l’employeur pour non-respect des règles relatives à la sécurité implique nécessairement que l’employeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel le salarié était exposé et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Enfin, il convient de rappeler les dispositions règlementaires particulières pertinentes régissant le travail sur toitures, issues du code du travail :

R.4534-85 :

Lorsque des travailleurs sont appelés à intervenir sur un toit présentant des dangers de chute de personnes ou de matériaux d'une hauteur de plus de trois mètres, des mesures appropriées sont prises pour éviter toute chute.

R.4534-86 :

Les échafaudages utilisés pour exécuter des travaux sur les toitures sont munis de garde-corps constitués par des éléments jointifs ou écartés de sorte qu'ils ne puissent permettre le passage d'un corps humain. Ces garde-corps ont une solidité suffisante pour s'opposer efficacement à la chute dans le vide d'une personne ayant perdu l'équilibre.
A défaut d'échafaudages appropriés, des dispositifs de protection collective d'une efficacité au moins équivalente sont mis en place.
Lorsque l'utilisation de ces dispositifs de protection est reconnue impossible, le port d'un système d'arrêt de chute est obligatoire.

R.4534-88 :

Les travailleurs intervenant sur des toitures en matériaux d'une résistance insuffisante, tels que vitres, plaques en agglomérés à base de ciment, tôles, ou vétustes, travaillent sur des échafaudages, plates-formes de travail, planches ou échelles leur permettant de ne pas prendre directement appui sur ces matériaux.
Les dispositifs ainsi interposés entre ces travailleurs et la toiture portent sur une étendue de toiture comprenant plusieurs éléments de charpente, dont un à chaque extrémité des dispositifs, et sont agencés de manière à prévenir tout effet de bascule.
Au fur et à mesure de l'avancement des travaux, ces dispositifs doivent pouvoir, le cas échéant, être déplacés sans que les travailleurs aient à prendre directement appui sur la couverture.

R.4534-89 :

Lorsque le respect des dispositions de l'article R. 4534-88 est impossible, des dispositifs propres à prévenir efficacement les conséquences d'une chute sont installés en dessous de la toiture.
Lorsque la mise en place de ces dispositifs est impossible, le port d'un système d'arrêt de chute est obligatoire.

R.4534-93 :

Lorsque des travailleurs réalisent fréquemment, pendant plus d'une journée, sur des chéneaux, chemins de marche ou tous autres lieux de passage, des déplacements comportant des risques de chute sur une toiture en matériaux d'une résistance insuffisante, cette toiture, à défaut de garde-corps ou d'un dispositif permanent de protection, est recouverte de planches ou de tous autres dispositifs capables d'arrêter une personne ayant perdu l'équilibre.

En l’espèce, monsieur [F] [U] a été déclaré coupable et condamné par un jugement définitif de la 5e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Lyon du 1er avril 2022, des faits suivants :

Blessures involontaires avec incapacité temporaire de travail supérieure à trois mois, dans le cadre du travail ;Emploi de travailleurs sur toiture sur chantier de bâtiment et travaux publics sans respect des règles de sécurité.
Pour tenter de s’exonérer de sa responsabilité, monsieur [F] [U] développe dans le cadre de la présente instance les mêmes arguments que ceux développés lors de l’enquête pénale, puis en défense devant la juridiction pénale.

Pour autant, il apparaît parfaitement établi en premier lieu, au regard des éléments recueillis lors de l’enquête et aux termes des motifs de la décision définitive du tribunal correctionnel, auxquels l’autorité de la chose jugée est étendue, que l’utilisation d’un échafaudage était possible pour l’exécution des travaux qu’était en train de réaliser monsieur [P] [O] lors de son accident.

Le tribunal de ce siège fait observer en deuxième lieu que les règles relatives aux travaux sur toiture citées ci-dessus imposent une hiérarchie entre les moyens de prévention contre le risque de chutes, conférant notamment une priorité à l’utilisation d’un échafaudage approprié puis, à défaut, privilégient les dispositifs de protection collective d’une efficacité au moins équivalente contre le risque de chute, puis, subsidiairement, admettent l’emploi d’un système individuel d’arrêt de chute lorsque l’utilisation des dispositifs de protection collective s’avère impossible (R.4534-86 du code du travail).

Monsieur [F] [U] n’a pas davantage respecté les dispositions précitées de l’article R.4534-88 du code du travail, prévoyant expressément que lorsque le travailleur intervient sur une toiture en matériaux vétustes, celui-ci doit travailler sur échafaudages ou plates-formes de travail, planches ou échelles leur permettant de ne pas prendre directement appui sur ces matériaux. Le tribunal constate que la mise à disposition de telles plates-formes, planches ou échelles n’est pas démontrée, ni même alléguée par l’employeur.

Le tribunal relève également que les dispositions de l’article R.4534-89 du code du travail, prévoient qu’en cas d’impossibilité de respecter les dispositions de l’article R.4534-88 du code du travail, l’employeur doit prévoir des dispositifs propres à prévenir efficacement les conséquences d’une chute, installés en dessous de la toiture. Ainsi, un dispositif d’amortissement doit être privilégié et ce n’est que de manière infiniment subsidiaire, en cas d’impossibilité de mettre en œuvre cette solution alternative, que le port d’un système d’arrêt de chute est obligatoire.

Il est établi par les déclarations initiales de monsieur [F] [U] auprès des services de police qu’il considérait que les dispositifs de protection collective, notamment l’échafaudage, devaient être réservés aux travaux portant sur les chantiers les plus hauts ou les plus pentus et que, pour le chantier de [Localité 6], il a cru suffisant de mettre des harnais à la disposition des salariés dans le véhicule de société, sans s’être assuré au surplus de l’effectivité de leur utilisation par les salariés.

En sa qualité d’employeur, il incombait à monsieur [F] [U] de d’assurer le respect effectif par ses salariés des règles de sécurité susvisées et notamment l’emploi des dispositifs de protection selon l’ordre de priorité établi par les dispositions réglementaires précitées.

Il est particulièrement regrettable que monsieur [F] [U] persiste à affirmer que monsieur [P] [O] aurait lui-même commis une faute exclusive de sa propre responsabilité en n’utilisant pas le harnais à sa disposition dans le camion, alors qu’il résulte des développements qui précèdent que la mise à disposition par l’employeur d’un harnais de sécurité, à la supposer avérée, aurait dû être considérée comme une mesure de prévention subsidiaire et non principale, les textes précités ne distinguant au demeurant pas selon la nature et la taille du chantier.

Enfin, ainsi que l’a constaté le juge pénal, « la délégation de pouvoir tacite à monsieur [P] [O] allégué par [F] [U] ne peut être retenu en l’absence d’éléments démontrant son acceptation par le délégataire », étant ajouté que si monsieur [P] [O] était certes le salarié le plus ancien et le plus expérimenté sur le chantier, ses bulletins de paye révèlent qu’il n’en demeurait pas moins compagnon professionnel de niveau III, ce qui implique certes un certain degré de technicité et d’initiative, mais ne présume nullement d’un transfert ou d’une délégation du pouvoir de direction de l’employeur en matière de sécurité sur le chantier, dont peut éventuellement disposer un chef de chantier classifié au niveau supérieur. Cette délégation de pouvoir aurait en tout état de cause supposé une formation sérieuse et spécifique du salarié en matière de sécurité sur les chantiers, dont [F] [U] ne justifie pas.

En conséquence, outre la conscience du danger que l’employeur aurait dû avoir, il est établi que celui-ci n’a pas respecté, ni fait respecter l’ordre de priorité des mesures de prévention en matière de travaux sur toitures, et que les mesures de prévention sur le chantier de [Localité 6] étaient insuffisantes au regard des prescriptions règlementaires du code du travail.

Compte tenu de ces éléments, le tribunal juge que l’accident du travail dont monsieur [P] [O] a été victime le 11 septembre 2019 est imputable à la faute inexcusable de monsieur [F] [U].

3. Sur les conséquences de la faute inexcusable de l’employeur

Sur la majoration du capital ou de la rente servi(e) au titre de l’incapacité permanente partielle
En l’absence de consolidation de l’assuré et a fortiori en l’absence de fixation du taux de l’éventuelle incapacité permanente partielle de l’assuré, le droit de celui-ci au bénéfice d’un capital ou d’une rente d’accident du travail demeure hypothétique, bien que très probable compte tenu des lésions de l’assuré.

Il y a donc lieu de surseoir à statuer sur la demande de majoration du capital ou de la rente formée sur le fondement de l’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale dans l’attente de la guérison ou la consolidation de monsieur [P] [O] et, en cas de consolidation, dans l’attente de la notification éventuelle de ses droits à capital ou rente d’incapacité permanente après fixation d’un taux d’incapacité permanente partielle.

Il appartiendra à la partie la plus diligence de saisir le tribunal afin qu’il soit statué de ce chef après notification des droits de l’assuré par la Caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Sur l’indemnisation complémentaire des préjudices personnels
Aux termes de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, « indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ».

Il est précisé que la fixation de la date de consolidation relève de la prérogative du médecin conseil de l'organisme social, et que lorsqu'elle est devenue définitive, elle doit être considérée comme acquise, l'expert éventuellement saisi n’ayant pas à se prononcer sur ce point.

En l’espèce, la notification de la guérison ou de la consolidation de monsieur [P] [O] par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône n’étant pas intervenue au jour du présent jugement, il y a lieu de surseoir à statuer sur la demande d’expertise médicale.

Sur la demande de provision
L’état de santé de monsieur [P] [O] n’est toujours pas guéri, ni consolidé au jour du présent jugement, soit presque cinq ans après l’accident.

Le certificat médical initial fait état des lésions suivantes : « fracture instable de L2, fracture stable de T4 et T11, luxation épaule gauche, luxation du 2ème doigt gauche ».

Le requérant verse aux débats de très nombreux documents médicaux justifiant notamment d’une ostéosynthèse thoraco-lombaire assure fracture vertébrale de L2, de douleurs neuropathiques chronicisées dans les suites de cette ostéosynthèse, d’une perte de force et une dolorisation des membres supérieurs sans solution chirurgicale évidente selon le docteur [C] [X].

Il est justifié également d’une hospitalisation en hôpital de jour pour rééducation en 2023, dans un contexte douloureux avec traitement antalgique en cours de stabilisation.

Il est également justifié d’un suivi pour un syndrome dépressif important.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de fixer à 5.000 euros la provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices, dont la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône devra faire l'avance.

Sur l'action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie
Selon l'article L. 452-3, alinéa 3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices résultant de la faute inexcusable de l’employeur est versée directement à la victime et le cas échéant, aux ayants droits, par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur.

En l’espèce, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône versera directement à monsieur [P] [O] la provision allouée et sera fondée à recouvrer à l’encontre de monsieur [F] [U] le montant de la somme avancée.

Sur l’opposabilité du jugement
La société [5] se présente comme l’assureur de monsieur [F] [U]. Elle est intervenue volontairement à l’instance et le présent jugement lui sera déclaré opposable.

Le tribunal observe par ailleurs qu’aucun recours n’a été formé à l’encontre de l’ordonnance du président du tribunal de commerce du 15 décembre 2021, désignant la SELARL [J] [T] en qualité de mandataire ad hoc.

Il n’appartient pas au tribunal de ce siège d’apprécier le bien-fondé de cette désignation et ce d’autant qu’aucun fondement n’est invoqué au soutien de la demande de mise hors de cause du mandataire ad hoc, précisant qu’il ne pourrait pas être désigné pour représenter une personne physique ayant exercé une activité d’artisan sous le statut d’entrepreneur individuel.

En conséquence, le présent jugement sera également déclaré opposable à la SELARL [J] [T].

3. Les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens seront réservés.

L'équité commande de condamner monsieur [F] [U], dont la faute inexcusable a été reconnue, à verser à monsieur [P] [O] une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande formulée par monsieur [F] [U] à ce titre sera rejetée.

4. Sur l’exécution provisoire

S’agissant des décisions rendues en matière de sécurité sociale, l’exécution provisoire est facultative, en application de l’article R.142-10-6 du code de la sécurité sociale.

Compte tenu des circonstances de l’espèce, de la gravité des lésions subies par monsieur [P] [O] et de l’ancienneté du litige, le tribunal ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant publiquement, par jugement mixte, contradictoire et rendu en premier ressort,

Ordonne la jonction des instances enregistrées sous le RG n° 20/00902 et le RG n° 23/00027, l’instance se poursuivant sous le RG n° 20/00902 ;

Déclare monsieur [P] [O] recevable en son action ;

Dit que l'accident du travail dont monsieur [P] [O] a été victime le 11 septembre 2019 est imputable à la faute inexcusable de monsieur [F] [U], son employeur ;

Sursoit à statuer sur la demande de majoration du capital ou de la rente formée sur le fondement de l’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale, ainsi que sur la demande d’expertise médicale, dans l’attente de la décision de guérison ou de consolidation qui sera notifiée par la caisse primaire d'assurance maladie à monsieur [P] [O] et, en cas de consolidation, dans l’attente de la notification éventuelle de ses droits à un capital ou à une rente après fixation d’un taux d’incapacité permanente partielle ;

Dit qu’il appartient à la partie la plus diligence de saisir le tribunal afin qu’il soit statué de ces chefs, après notification des droits de l’assuré par la Caisse primaire d'assurance maladie du Rhône suite à la guérison ou la consolidation de ce dernier ;

Alloue à monsieur [P] [O] une provision d’un montant de 5.000 euros (cinq mille euros) ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône fera l’avance à monsieur [P] [O] des sommes dues au titre de la provision ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône pourra recouvrer à l'encontre de monsieur [F] [U] le montant des sommes avancées à monsieur [P] [O] ;

Condamne monsieur [F] [U] à verser à monsieur [P] [O] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute monsieur [F] [U], la SELARL [J] [T] et la société [5] de leurs demandes à ce titre ;

Réserve les dépens ;

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision ;

Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 10 juillet 2024, et signé par le président et la greffière.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 20/00902
Date de la décision : 10/07/2024
Sens de l'arrêt : Sursis à statuer

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-10;20.00902 ?
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