TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON
Quatrième Chambre
N° RG 20/03999 - N° Portalis DB2H-W-B7E-VAH5
Jugement du 09 Juillet 2024
Minute Numéro :
Notifié le :
1 Grosse et 1 Copie à
Me Jean-Christophe BESSY, vestiaire : 1575
Me Julie CARNEIRO,
Barreau de l’Ain
Me Bertrand DE BELVAL de la SELARL DE BELVAL,
vestiaire : 654
Copie Dossier
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu par mise à disposition au greffe, en son audience de la Quatrième chambre du 09 Juillet 2024 le jugement contradictoire suivant,
Le dossier initialement mis en délibéré au 18 Juin 2024 a été prorogé au 09 Juillet 2024
Après que l’instruction eut été clôturée le 22 Janvier 2024, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 26 Mars 2024 devant :
Président : Véronique OLIVIERO, Vice-Président
Siégeant en formation Juge Unique
Greffier : Karine ORTI,
Et après qu’il en eut été délibéré par le magistrat ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :
DEMANDEURS
Monsieur [P] [X]
né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 12] (71)
[Adresse 3]
[Localité 8]
représenté par Maître Julie CARNEIRO, avocat au barreau de l’AIN
Madame [I] [G]
née le [Date naissance 2] 1989 à [Localité 9] (38)
[Adresse 3]
[Localité 8]
représentée par Maître Julie CARNEIRO, avocat au barreau d’AIN
DEFENDERESSES
La BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES, SA coopérative de banque, au capital variable, prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège social est
[Adresse 4]
[Localité 7]
représentée par Maître Bertrand DE BELVAL de la SELARL DE BELVAL, avocats au barreau de LYON
La société CASAFEEL, société à responsabilité limitée, prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège social est
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée par Maître Jean-Christophe BESSY, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, Maître Benjamin PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant
EXPOSE DU LITIGE
En 2019, Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] ont entrepris un projet d’achat immobilier. A cette fin, ils se sont rapprochés de la SARL CASAFEEL, courtier en prêt immobilier exerçant sous le nom commercial ACECREDIT.
Suivant offre du 29 juillet 2019 acceptée le 12 août suivant, Monsieur [X] et Madame [G] ont souscrit auprès de la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES un emprunt immobilier de 413 840 euros, remboursable en 300 mensualités, au taux de 1,25%.
Le 14 janvier 2020, le courtier a informé Monsieur [X] des refus opposés à sa demande de regroupement de ses précédents crédits.
Par ordonnance de référé du 17 juillet 2020, le juge des contentieux de la protection de Lyon a suspendu pendant 18 mois les obligations de Monsieur [X] dans le cadre des contrats suivants :
Prêt immobilier souscrit le 23 octobre 2015 auprès de la SAS BANQUE POPULAIRE BOURGOGNE FRANCHE COMTE, d’un montant initial de 105 404,51 euros, pour l’acquisition d’une maison à [Localité 10] (69)Crédit à la consommation souscrit suivant offre du 23 septembre 2016 acceptée le 4 octobre 2016 auprès de la SAS BANQUE POPULAIRE BOURGOGNE FRANCHE COMTE, d’un montant initial de 15 000 eurosCrédit à la consommation- prêt travaux souscrit le 2 novembre 2018 auprès du CREDIT AGRICOLE CENTRE EST, d’un montant initial de 10 000 euros.
Par acte d'huissier signifié les 26 et 29 juin 2020, Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] ont fait assigner en responsabilité la SA BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES et la SARL CASAFEEL devant le tribunal judiciaire de Lyon.
Par exploit du 28 juillet 2021, la SARL CASAFEEL a fait assigner en intervention forcée la SASU A2C CONSEIL. La jonction a été ordonnée par le juge de la mise en état le 18 août 2021.
Par ordonnance du 9 janvier 2024, le juge de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance entre la SARL CASAFEEL et la SASU A2C CONSEIL.
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Dans leurs dernières conclusions notifiées le 5 août 2022, Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] sollicitent du tribunal de :
CONDAMNER solidairement la société CASAFEEL et la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES à les indemniser de leur perte de chance de ne pas contracter à hauteur de 50% du montant principal du prêt accordé soit la somme de 206 500€,
CONDAMNER solidairement la société CASAFEEL et la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES à leur verser la somme de 894,23€ au titre des frais bancaires engendrés par les découverts et impayés depuis le début du remboursement du prêt souscrit auprès de la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES,
PRONONCER la déchéance totale des intérêts contractuels dus au titre du prêt n°05870102 de 413 840 € octroyé par la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES
En l’absence de transmission de la fiche d’information standardisée européenne, tant par la société CASAFEEL que par la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPESA défaut de réalisation d’une enquête de solvabilité rigoureuse par la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES
CONDAMNER la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES à leur restituer l’ensemble des intérêts perçus, soit au 5 mai 2020, la somme de 2 994,40€, outre intérêts au taux légal à compter de chaque versement, somme à parfaire au jour de la condamnation,
Subsidiairement, dans l’hypothèse où il ne serait pas fait droit à la déchéance totale des intérêts,
PRONONCER LA DECHEANCE de 30% des intérêts contractuels du prêt accordé par la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES, soit 21 115,07€ au titre du manquement de la société CASAFEEL à son devoir d’explications adéquates,
PRONONCER LA DECHEANCE de 30% des intérêts contractuels du prêt accordé par la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES, soit 21 115,07€ au titre du manquement de la société CASAFEEL à son devoir de mise en garde,
Très subsidiairement,
CONDAMNER la société CASAFEEL, qui a manqué à son devoir d’explications adéquates et à son devoir de mise en garde à leur payer la somme de 42 230,14€ représentant 60% des intérêts du prêt octroyé,
En tout état de cause,
CONDAMNER solidairement les sociétés CASAFEEL et BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNER solidairement la société CASAFEEL et la BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES aux entiers dépens,
DEBOUTER les sociétés CASAFEEL et BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES de l’intégralité de leurs demandes.
Au visa des articles 1103, 1231-1, 1984 et 1998 du code civil, les consorts [X] [G] recherchent en premier lieu la responsabilité de la société CASAFEEL dans le cadre des deux mandats régularisés les 19 juin et 17 juillet 2019. Ils lui reprochent un manquement à son devoir de conseil, en ce qu’elle a n’a pas intégré dans le projet le refinancement des crédits précédemment souscrits par Monsieur [X] alors que cela constituait pour eux une condition préalable à l’emprunt immobilier commun, outre celle de conserver un niveau de vie confortable. Ils contestent avoir été informés du refus de ce refinancement avant la levée de la condition suspensive d’obtention du prêt immobilier fixée au compromis de vente.
Subsidiairement, ils font grief à la société CASAFEEL de ne pas avoir respecté son obligation générale d’information pré-contractuelle, en ce qu’elle n’a pas communiqué les éléments permettant de comparer les offres, devant comprendre le lissage des crédits précédents de Monsieur [X]. Ils estiment avoir perdu une chance de ne pas contracter l’emprunt immobilier du 12 août 2019 et de voir lisser les anciens crédits de Monsieur [X].
En second lieu, les demandeurs concluent à la responsabilité de la BANQUE POPULAIRE, pour un manquement à son devoir de mise en garde. Ils considèrent que l’établissement a accepté de financer leur acquisition en dépit d’un endettement excédant largement les 33%, sur lequel leur attention n’a pas été attirée.
Les consorts [X]-[G] évaluent la perte de chance subie à 50% du capital emprunté, soit 206 500 euros, outre la somme de 894,23 euros au titre des frais bancaires générés par les découverts et impayés depuis le début du remboursement du prêt immobilier.
Par ailleurs, sur le fondement des articles L. 313-6, L. 313-11, L. 341-26 à L. 341-28 et D. 111-8 du code de la consommation, les consorts [X]-[G] réclament la déchéance du droit aux intérêts. Au soutien d’une déchéance totale, ils font valoir d’une part que la fiche d’information standardisée européenne (FISE) ne leur a pas été transmise par la banque, d’autre part qu’aucune vérification de leur solvabilité n’a été menée. Subsidiairement, pour réclamer une déchéance partielle, ils invoquent un manquement du courtier à son devoir de mise en garde, ainsi qu’un manquement à son obligation de fournir à l’emprunteur des explications adéquates.
***
Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2023, la SARL CASAFEEL sollicite du tribunal de :
A titre principal,
DEBOUTER les consorts [X] [G] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions
A titre subsidiaire,
RAMENER le montant du préjudice à de plus justes proportions
En tout état de cause,
CONDAMNER la société A2C CONSEILS à la garantir et relever indemne
DEBOUTER les consorts [X]-[G] de leurs demandes de condamnation solidaire
ECARTER l’exécution provisoire du jugement à intervenir
DEBOUTER les consorts [X]-[G] de leur demande de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile
CONDAMNER les consorts [X]-[G] ainsi que tout succombant à lui régler une somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
CONDAMNER les consorts [X]-[G] ainsi que tout succombant aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître BESSY conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société CASAFEEL rappelle que le courtier agit dans la limite du mandat qui lui est confié et n’est tenu que d’une obligation de moyens, les établissements bancaires étant seuls à décider de l’octroi d’un prêt.
Elle conteste tout manquement au devoir de conseil, observant que Monsieur [X] n’a pas d’emblée fourni toutes les informations sur sa situation (versement d’une pension alimentaire, remboursement d’un crédit Natixis et d’un crédit à la consommation). Elle ajoute qu’une demande de lissage a bien été déposée concomitamment à la demande de prêt immobilier auprès de la CAISSE D’EPARGNE, qui l’a refusée. Dans ce contexte, un second mandat a été conclu le 16 septembre 2019, aux seules fins de rachat (et non de lissage) du crédit immobilier de Monsieur [X] conclu pour l’acquisition de sa maison à [Localité 10], avec pour condition de la mettre en location.
La société CASAFEEL réfute également tout manquement à l’obligation d’information précontractuelle, en soulignant qu’aucun contrat n’a été conclu en vue du lissage, du regroupement ou du rachat des crédits antérieurement souscrits par Monsieur [X].
Concernant le préjudice, la défenderesse critique le taux d’endettement allégué par les demandeurs, soulignant que ceux-ci disposent encore d’un reste-à-vivre confortable, ainsi que la perte de chance, qui ne peut correspondre à une fraction du capital emprunté. Par ailleurs, la société CASAFEEL estime que la déchéance du droit aux intérêts ne peut concerner que la banque, tout comme le remboursement des frais bancaires.
En tout état de cause, la société CASAFEEL considère que les consorts [X]-[G] n’auraient pas renoncé à leur acquisition, même mieux informés.
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Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 décembre 2022, la SA BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES sollicite du tribunal de :
DEBOUTER Monsieur [X] et Madame [G] de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions à son égard
CONDAMNER Monsieur [X] et Madame [G] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
CONDAMNER Monsieur [X] et Madame [G] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que tous les entiers dépens.
Au visa des articles 1102, 1103 et 1128 du code civil, et des articles L. 313-7 et L. 313-16 du code de la consommation, la BANQUE POPULAIRE affirme avoir bien remis aux consorts [X]-[G] la fiche d’information standardisée européenne (FISE), laquelle a été signée le 12 août 2019. Elle ajoute avoir évalué leur solvabilité à partir des déclarations signées des emprunteurs et des renseignements qu’ils avaient fournis au courtier. Elle conclut qu’aucune déchéance du droit aux intérêts n’est encourue.
La banque conteste tout manquement à son devoir de mise en garde, observant que les données chiffrées avancées par les demandeurs ne sont pas exactes ou n’étaient pas connues de l’établissement au moment de la conclusion du contrat. Elle rappelle que le taux d’endettement de 33% n’est pas un seuil impératif et n’a pas été dépassé au cas particulier. A supposer qu’elle ait été tenue d’une mise en garde, elle note que celle-ci figurait dans la FISE.
Par ailleurs, elle observe qu’elle n’avait pas à accepter le refinancement des crédits de Monsieur [X], et n’a pas à assumer la position tenue par le courtier.
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Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Une ordonnance de clôture a été rendue le 22 janvier 2024.
MOTIFS
Sur la prétention dirigée par la SARL CASAFEEL contre la société A2C CONSEIL
Par ordonnance du 9 janvier 2024, le juge de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance entre la SARL CASAFEEL et la SASU A2C CONSEIL, par suite du désistement de la première envers la seconde. Dès lors la prétention de la SARL CASAFEEL tendant à être relevée et garantie par la société A2C CONSEIL est irrecevable.
Sur la responsabilité des sociétés CASAFEEL et BANQUE POPULAIRE
Sur la responsabilité de la société CASAFEEL
Vu les articles 1103, 1231-1, 1984 et 1998 du code civil
Les pièces versées au débat mettent en évidence les faits suivants, par ordre chronologique :
Février 2019 : début des discussions orales et par mail entre Monsieur [F] pour la société CASAFEEL et les consorts [X]-[G] sur l’enveloppe du projetLe 21 février 2019, Monsieur [F] adresse deux simulations de financement pour des prix d’acquisition distincts, lesquelles ne font état que de deux crédits souscrits par Monsieur [X] (en 2015 et 2016) et ne mentionnent aucune personne à charge ; elles proposent un « prêt lissage TF-25 ans » avec une mensualité totale tenant compte des deux emprunts précédents de Monsieur MERROUCHELe 21 février 2019, Madame [G] répond que la première proposition, avec un endettement de 33-34% lui fait peur ; elle admet que la seconde proposition avec un endettement de 31% lui convient Dans un courriel du 25 mars 2019, Monsieur [X] demande le lissage de deux de ses crédits, mais n’évoque pas son troisième emprunt (conclu en 2018)Le 7 mai 2019, les consorts [X]-[G] signent le compromis de vente de l’appartement de [Localité 11], avec une condition suspensive d’obtention du prêt ayant pour terme le 9 juillet 2019, et une réitération fixée au 26 juillet 2019Le 13 mai 2019, Madame [G] rappelle la nécessité de « lisser » le crédit immobilier de son concubin, souscrit pour acquérir la maison de [Localité 10], et celle de ne pas dépasser une mensualité totale de 2 000 euros, répartie à concurrence de 1 500 euros pour Monsieur (au titre de son premier crédit immobilier et du nouveau) et de 500 euros pour elle Le 17 mai 2019, Monsieur [F] évoque dans un courriel un prêt Natixis avec une mensualité de 150 euros, qui ne figure pas dans les documents produits ; l’étude de financement jointe ne mentionne toujours que deux des trois crédits de Monsieur [X], ne précise pas de personne à charge et envisage un « prêt lissage TF-25 ans » avec un taux d’endettement de 29 %Le 11 juin 2019, Madame [G] écrit : « Du coup on part sur le crédit que tu nous as trouvé vu qu’on a pas le choix ! Celui à 1,4% et 2108€ de mensualités qui me faisait peur »Le 19 juin 2019, un contrat de mandat est régularisé entre les consorts [X]-[G] et la SARL CASAFEEL, pour la recherche du financement bancaire de l’acquisition d’une résidence principale à [Localité 11] ; il est fait état de trois crédits existants ; les revenus de Monsieur [X] sont indiqués comme étant composés uniquement de son salaire de 6 014 euros ; aucune pension alimentaire n’est préciséeLe 9 juillet 2019, la CAISSE d’EPARGNE informe Monsieur [F] de son refus de financementLe 9 juillet 2019 également, Monsieur [X] obtient une estimation locative de son bien à Julienas, dont le tribunal note qu’elle est émise par une personne portant le même nom que son ex-compagneLe 16 juillet 2019, Monsieur [X] confirme son souhait de rembourser un crédit BPCE FINANCEMENT, jamais évoqué par écrit jusqu’à présent, qui comporte une mensualité de 150 euros et un restant dû de 1700 euros, Le 17 juillet 2019, Monsieur [X] conclut seul un second mandat avec la SARL CASAFEEL ayant pour objet le financement bancaire d’une opération intitulée « Julienas » portant sur 68 694 euros, soit un crédit sollicité de 70 804 euros ; à cette occasion, ses ressources sont ventilées entre un salaire de 5 147 euros et un revenu locatif de 1 000 euros ; la pension alimentaire est préciséeLe 18 juillet 2019, Monsieur [X] indique avoir obtenu une modulation de son prêt immobilier concernant l’acquisition de la maison située à [Localité 10], avec « 24 mois supplémentaires »Le 24 juillet 2019, les consorts [X]-[G] signent électroniquement une déclaration de situation patrimoniale pour la BANQUE POPULAIRE, sur laquelle l’existence de l’enfant de Monsieur est mentionnée, ses ressources sont ventilées entre un salaire de 5 147 euros et un revenu locatif de 1 000 euros et seuls deux de ses précédents emprunts sont rapportésLe 29 juillet 2019, la BANQUE POPULAIRE émet une offre de crédit pour l’acquisition en commun de l’appartement de LyonLe 16 septembre 2019, Monsieur [X] conclut un nouveau mandat avec la SARL CASAFEEL, pour le financement bancaire d’une opération intitulée « RL » portant sur 74 927 euros, soit un crédit sollicité de 77 048 eurosLe 12 novembre 2019, Monsieur [F] soumet une proposition de regroupement des crédits de Monsieur [X] comprenant « la reprise des prêts immobiliers », « la reprise des prêts à la consommation », « la trésorerie », sur 15 ans, à raison d’une mensualité de 658,30 euros Dans un mail du 13 novembre 2019, Monsieur [F] réclame à Monsieur [X] plusieurs pièces manquantes, ainsi qu’une fiche descriptive de la maison de [Localité 10] ; il indique : « Avec la prise en compte de la pension, c’est la seule solution que je peux te proposer avec une mensualité à 570 euros par mois assurances incluses sur 20 ans. On a les 10 000 euros de trésorerie aussi. Pour la maison, il faut considérer qu’elle est louée depuis le 1 novembre 2019, 1000 euros par mois, et il va falloir leur fournir un bail et une quittance de loyer pour le justifier (…) ».Le 14 janvier 2020, Monsieur [F] attend la réponse d’une banque de restructuration de crédits ; il évoque les 3 refus de financements bancaires concernant le prêt immobilier de l’appartement de [Localité 11].
Il est effectivement établi que Monsieur [X] et Madame [G] souhaitaient acquérir un appartement commun avec un financement exclusivement par emprunt bancaire devant comprendre le « lissage » de deux précédents crédits contractés par Monsieur [X], sans excéder une mensualité globale de 2 000 euros, tout en conservant un confortable niveau de vie, ce dernier n’ayant toutefois pas été chiffré.
Cependant, ces conditions n’ont manifestement pas été acceptées par les établissements bancaires prospectés, puisqu’il est fait état de trois refus. Seul celui de la CAISSE D’EPARGNE est documenté. Il en ressort que l’organisme de caution SACCEF a refusé d’intervenir au motif, entre autres, de la présence d’un lissage de crédit ralentissant l’amortissement de l’emprunt immobilier à garantir. Il est notable que ce refus a été communiqué à Monsieur [F] le 9 juillet 2019, qui correspond au terme de la condition suspensive d’obtention d’un prêt fixée au compromis de vente. Monsieur [X] et Madame [G] ne peuvent donc valablement soutenir avoir ignoré que leurs conditions n’étaient pas acceptées par les banques.
Et c’est précisément dans ce contexte contraint qu’entre le 9 juillet 2019, date à laquelle la CAISSE D’EPARGNE refuse son financement, et le 29 juillet 2019, date d’émission de l’offre de la BANQUE POPULAIRE, Monsieur [X] s’est engagé à solder un crédit BPCE FINANCEMENT qui n’était jusqu’alors jamais mentionné, et a indiqué avoir obtenu une modulation de son prêt immobilier portant sur la maison de [Localité 10]. De plus, il a sollicité une estimation locative de sa maison et indiqué à la BANQUE POPULAIRE un revenu locatif, qu’il savait inexistant. Surtout, le 17 juillet 2019, il a signé seul un mandat avec la SARL CASAFEEL, portant uniquement sur son crédit immobilier souscrit en 2015, ce qui signifiait que la restructuration de cet emprunt ne serait plus intégrée dans le prêt conclu en commun avec sa compagne. Par ailleurs, l’information selon laquelle cette restructuration était acquise concomitamment à l’émission de l’offre de la BANQUE POPULAIRE, mais dépendait seulement d’un autre service de l’établissement, n’est établie par aucune pièce.
Dès lors, le 29 juillet 2019, date d’émission de l’offre de la BANQUE POPULAIRE, les demandeurs savaient pertinemment que le financement de leur acquisition commune et la restructuration des emprunts souscrits précédemment par le seul Monsieur [X] étaient scindés, sans aucune certitude que ladite restructuration était validée puisqu’aucun accord de principe n’avait été émis.
Par suite, Monsieur [X] et Madame [G] ne peuvent imputer l’échec du plan de financement qu’ils avaient imaginé à un manquement au devoir de conseil ou à l’obligation générale d’information pré-contractuelle de la part de la SARL CASAFEEL.
Sur la responsabilité de la BANQUE POPULAIRE
Vu l’article 1231-1 du code civil
Le banquier est tenu à l'égard de son client, emprunteur non averti, d'un devoir de mise en garde, lequel n'existe qu'en cas de risque d'endettement excessif. Il oblige le banquier, avant d'apporter son concours, à vérifier les capacités financières de son client, lesquelles comprennent ses biens et revenus.
Il appartient à l'emprunteur de rapporter la preuve qu'à l'époque de la souscription du crédit litigieux, sa situation financière imposait l'accomplissement par la banque de son devoir de mise en garde. Puis il incombe à la banque de rapporter la preuve qu'elle y a satisfait.
Le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter.
Il ressort du contrat de prêt accordé le 12 août 2019 par la BANQUE POPULAIRE que Monsieur [X] et Madame [G] ont emprunté, sans apport, la somme de 413 840 euros, sur 25 ans, au taux de 1,25%. Le tableau d’amortissement inclus dans l’offre prévoit une mensualité fixe de 1 764,98 euros. Dans les premiers échanges avec Monsieur [F], les demandeurs ont rapporté un revenu mensuel net de 7 000 euros. Dans la déclaration de situation patrimoniale, signée électroniquement le 24 juillet 2019, ils ont indiqué (5147+2381=) 7 528 euros de revenus salariaux, outre 1 000 euros de revenus locatifs. Il est notable que cette déclaration signale les deux échéances de prêt de Monsieur [X] pour (770+259=) 1 029 euros, en contrepartie d’un patrimoine immobilier détenu par celui-ci à concurrence de 270 000 euros. Cela signifie que, sur la base de ces données et hors charges courantes, il reste au couple (8528-1764,98-1029=) 5 734,02 euros. Le poids des trois emprunts représente 32,76% des revenus déclarés.
Les bulletins de salaire des consorts [X]-[G] contemporains à l’offre émise par la BANQUE POPULAIRE le 29 juillet 2019 ne sont pas versés au débat. En revanche ceux de la période septembre-décembre 2019 mettent en évidence des revenus salariaux inférieurs à ceux évoqués, la moyenne s’établissant à 6100 euros mensuels. Le poids des emprunts pèse alors 45,80% des revenus, mais il reste à vivre, hors charges courantes, 3306 euros.
Dans leurs écritures, Monsieur [X]-[G] indiquent que l’addition des mensualités des crédits représente 3301,18 euros par mois, soit un endettement de 54%. Toutefois, ils prennent en considération des revenus mensuels moyens de 6100 euros, un troisième emprunt, souscrit par Monsieur [X] comportant une mensualité de 226,30 euros jamais mentionné jusque-là, et ils retiennent une échéance du crédit immobilier pour la maison de [Localité 10] de 986,27 euros et non 770 euros.
A supposer que les revenus du couple étaient déjà, début 2019, en moyenne de 6100 euros mensuels, il résulte de ce qui précède que les ressources et les charges déclarés à la BANQUE POPULAIRE par les candidats emprunteurs n’étaient pas conformes à la réalité, ce qu’ils ne pouvaient ignorer. En outre, au regard des données transmises, le taux d’endettement et le reste à vivre pour le couple n’imposaient pas à la banque un devoir spécifique de mise en garde.
En définitive, la SARL CASAFFEL et la BANQUE POPULAIRE n’engagent pas leur responsabilité.
Sur la demande de déchéance des intérêts
Sur la déchéance totale du droit aux intérêts
*Vu l’article L. 341-26 du code de la consommation
Les consorts [X]-[G] affirment n’avoir pas reçu la fiche d’information standardisée européenne (FISE). La BANQUE POPULAIRE objecte l’avoir délivrée.
De fait, la partie défenderesse produit ladite fiche signée électroniquement par Monsieur [X] et Madame [G]. Le moyen doit être écarté.
*Vu les articles L. 313-16 et L. 341-28 du code de la consommation
Les consorts [X]-[G] soutiennent que la BANQUE POPULAIRE n’a pas procédé à une enquête rigoureuse de leur solvabilité avant de leur accorder le prêt immobilier conclu le 12 août 2019.
Il a été précédemment mis en évidence que les demandeurs ont rapporté au courtier puis à la banque des revenus d’au moins 7000 euros, dont ils n’établissent pas l’inexactitude, les seuls bulletins de paie produits étant postérieurs à la conclusion du prêt. De plus, ils ont manifestement éludé certaines charges tant auprès du courtier qu’à l’égard de la banque : troisième crédit souscrit en 2018 par Monsieur [X], pension alimentaire, frais de scolarité (au demeurant non démontrés dans le cadre de la présente instance). De plus, il est observé qu’en dépit d’un endettement important, il reste à vivre au moins 1265 euros selon les propres écritures du couple. Dans ce contexte, il n’est pas suffisamment établi que la BANQUE POPULAIRE n’a pas procédé à une analyse précise et rigoureuse de leur solvabilité. Le moyen doit être écarté.
Sur la déchéance partielle du droit aux intérêts
*Vu l’article L. 313-12 du code de la consommation
Les consorts [X]-[G] considèrent que la SARL CASAFEEL a manqué à son devoir de mise en garde sur le risque d’endettement et sur la promesse d’une prise en compte des anciens crédits de Monsieur [X].
Il a été précédemment mis en évidence que les consorts [X]-[G] savaient, au moment de l’émission de l’offre de prêt de la BANQUE POPULAIRE le 29 juillet 2019, que leur souhait de financement incluant le lissage des précédents crédits de Monsieur [X] et le maintien d’un certain niveau de vie n’était pas accepté par les banques. De plus, Monsieur [X] a signé un contrat de mandat avec la SARL CASAFEEL le 17 juillet 2019 portant seulement sur son emprunt immobilier concernant la maison de [Localité 10]. Les demandeurs ne rapportent pas la preuve qui leur incombe que le courtier leur a garanti, dès cette date, le lissage ou la restructuration de ce prêt. Aucun engagement de principe contemporain à la date du 29 juillet 2019 n’est versé au débat. Dès lors le manquement reproché n’est pas suffisamment caractérisé pour emporter une déchéance du droit aux intérêts.
*Vu l’article L. 313-11 du code de la consommation
Les demandeurs reprochent au courtier d’avoir manqué à son obligation de fournir à l’emprunteur des explication adéquates, en ce qu’il leur a proposé un emprunt de plus de 400 000 euros sur 25 ans qui ne tenait pas compte de l’endettement pré-existant, et ce, dans le but de percevoir sa commission.
A nouveau, il doit être rappelé que, lorsqu’ils ont reçu l’offre de la BANQUE POPULAIRE, les consorts [X]-[G] étaient informés que leur plan initial de financement n’était pas admis par les banques. De plus, le terme fixé pour la condition suspensive d’obtention d’un prêt était passée. Dès lors, il ne peut être considéré avec évidence que le courtier a insisté pour les faire accepter cette offre uniquement dans l’intention de percevoir sa commission. En outre, il a déjà été retenu que la preuve d’un engagement d’une banque sur le rachat ou le regroupement des crédits antérieurs n’était pas rapportée. Par suite, le moyen doit être écarté.
Il résulte de ce qui précède que la demande de déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts n’est pas fondée.
Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive
Vu l'article 32-1 du code de procédure civile
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équivalente au dol.
Il ne ressort pas des fondements, ni des moyens soulevés que l’action des consorts [X]-[G] à l’égard de la BANQUE POPULAIRE soit abusive au sens du principe susvisé. La prétention indemnitaire formée par la BANQUE POPULAIRE est rejetée.
Sur les demandes accessoires
Il convient de condamner Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] aux dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] seront également condamnés à payer au titre des frais de procédure non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
A la SARL CASAFEEL la somme de 2000 eurosA la SA BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES la somme de 2000 euros.
L'article 514 du code de procédure civile applicable aux instances introduites depuis le 1er janvier 2020 dispose que les décisions de première instance sont, de droit, exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
En application de l'article 514-1 alinéas 1 et 2 du même code le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.
En l'espèce, il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, et en premier ressort
DECLARE irrecevable la prétention de la SARL CASAFEEL tendant à être relevée et garantie par la société A2C CONSEIL
DEBOUTE Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] de leurs prétentions indemnitaires
DEBOUTE Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] de leurs demandes en déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts, et de restitution subséquente
CONDAMNE Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] aux dépens
ADMET les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
CONDAMNE Monsieur [P] [X] et Madame [I] [G] à payer au titre des frais non répétibles de l'instance :
A la SARL CASAFEEL la somme de 2000 eurosA la SA BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES la somme de 2000 euros
DIT n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire
REJETTE toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.
Prononcé à la date de mise à disposition au greffe par Véronique OLIVIERO, vice-président,
En foi de quoi, le présent jugement a été signé par le Président, Véronique OLIVIERO, et Karine ORTI, Greffier, présent lors du prononcé.
LE GREFFIER LE PRESIDENT