MINUTE N° :
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON
POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
JUGEMENT DU :
MAGISTRAT :
ASSESSEURS :
DÉBATS :
PRONONCE :
NUMÉRO RG :
AFFAIRE :
14 Juin 2024
Jérôme WITKOWSKI, président
Didier NICVERT, assesseur collège employeur
Fouzia MOHAMED ROKBI, assesseur collège salarié
assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Florence ROZIER, greffière
tenus en audience publique le 10 Avril 2024
jugement réputé contradictoire, rendu en dernier ressort, le 14 Juin 2024 par le même magistrat
N° RG 19/01651 - N° Portalis DB2H-W-B7D-T3OK
Monsieur [W] [R] C/ CPAM DU RHONE
DEMANDEUR
Monsieur [W] [R]
né le 18 Août 1954 à [Localité 2] (MAROC ), demeurant [Adresse 1]
non comparant, ni représenté
DÉFENDERESSE
CPAM DU RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 3]
comparante en personne
Notification le :
Une copie certifiée conforme à :
[W] [R]
CPAM DU RHONE
Une copie certifiée conforme au dossier
EXPOSE DU LITIGE
Par lettre réceptionnée par le greffe le 9 mai 2019, monsieur [W] [R] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Lyon, devenu tribunal judiciaire de Lyon, d'un recours formé à l'encontre d'une mise en demeure émise par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône le 29 mars 2019, lui enjoignant de payer la pénalité financière de 800 euros qui a été prononcée à son encontre par la caisse le 10 avril 2018.
Les parties ont été régulièrement convoquées et l'affaire a été évoquée une première fois à l'audience du 29 novembre 2023.
Aux termes de son recours et par observations orales lors de l'audience, monsieur [W] [R] a contesté la pénalité financière infligée pour fraude.
Il a réitèré sa demande de remise de dette formulée auprès de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, à laquelle aucune suite favorable n'a été donnée. Au soutien de celle-ci, il a argué d'une situation financière précaire et l'impossibilité de s'acquitter de la totalité du montant réclamé.
Par conclusions déposées et soutenues lors de l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône demandait quant à elle au tribunal de dire et juger que monsieur [W] [R] est redevable de la somme de 800 euros au titre de la pénalité financière et sollicite, à titre reconventionnel, la condamnation de monsieur [W] [R] au paiement de cette somme, outre le rejet de la demande de remise formulée par monsieur [W] [R].
La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône exposait que monsieur [W] [R] était titulaire d'une pension d'invalidité de deuxième catégorie depuis le 1er janvier 2010 et qu'il avait bénéficié de l'allocation supplémentaire d'invalidité depuis le 1er février 2010. Elle indiquait qu'après vérifications et enquête, il était apparu que monsieur [W] [R] avait omis de déclarer, au titre de ses ressources, la rente d'inaptitude versée par l'IPRIAC. Elle expliquait que les ressources du foyer avaient ainsi été sous estimées pour le calcul de l'allocation supplémentaire d'invalidité, de sorte qu'après recalcul des droits de monsieur [W] [R] au titre de cette prestation, celui-ci avait indument perçu la somme de 17.354,53 euros entre le 1er janvier 2012 et le 31 mars 2016.
Outre l'action en restitution de l'indu, elle indiquait avoir mis en œuvre la procédure de pénalité financière prévue aux articles L.114-17-1 et R.147-11 du code de la sécurité sociale en cas de fraude, qu'elle avait ainsi adressé à l'assuré une lettre de notification des griefs le 26 janvier 2018. A défaut d'observations de l'assuré, elle avait prononcé à son encontre une pénalité financière fixée à 800 euros, notifiée par courrier du 10 avril 2018.
Elle indiquait que monsieur [W] [R] avait formulé une réclamation écrite le 18 avril 2018, sollicitant une demande de remise gracieuse en précisant son incapacité à régler sa dette et que le 29 mars 2019, le service de lutte contre les fraudes avait néanmoins adressé à celui-ci une mise en demeure de procéder au règlement de la pénalité financière, objet du recours de l'assuré.
Enfin, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône indiquait s'opposer, en l'état, à la demande de remise de dette formulée par monsieur [W] [R], en l'absence de justificatifs récents relatifs à la situation de précarité alléguée.
Par jugement du 31 janvier 2024, le tribunal a ordonné la réouverture des débats, afin de permettre aux parties de s'expliquer sur l'application de l'article L.114-17-1 et des articles R.147-11 et suivants du code de la sécurité sociale, tant sur la caractérisation de la fraude que sur la procédure applicable pour prononcer la pénalité financière notifiée le 10 avril 2018 à l'encontre de monsieur [W] [R] ;
Lors de l'audience du 10 avril 2024, seule la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône a comparu.
Aux termes de ses observations écrites déposées et soutenues oralement lors de l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône a maintenu ses demandes et réitéré l'argumentation initialement développée. Elle a précisé que selon elle, le fait de ne pas mentionner une partie de ses ressources sur un formulaire de déclaration sur l'honneur dédié afin d'obtenir le bénéfice d'une prestation injustifiée, constitue une fraude au sens de l'article R.147-11 1° du code de la sécurité sociale. Sur la procédure, elle confirme que la commission des pénalités n'a pas été saisie, l'article L.114-17-1 VII, 1° dispensant l'organisme de cette saisine en cas de fraude.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon l'article L. 114-17-1, I, 1°, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2016 applicable au litige, le directeur d'un organisme local d'assurance maladie peut infliger une pénalité financière aux bénéficiaires des régimes obligatoires des assurances maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles, de la protection complémentaire en matière de santé mentionnée a l'article L. 861-1, de l'aide au paiement d'une assurance complémentaire de santé mentionnée à l'article L. 863-1 ou de l'aide médicale de l'Etat mentionnée au premier alinéa de l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles.
Selon les V et VII du même texte, la pénalité doit, sauf cas de fraude établie dans des cas définis par voie réglementaire, être prononcée après l'avis de la commission des pénalités, composée et constituée au sein du conseil ou du conseil d'administration de l'organisme local d'assurance maladie.
Selon l'article R. 147-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, peuvent faire l'objet de pénalités les personnes susmentionnées notamment lorsque, dans le but d'obtenir, de faire obtenir ou de majorer un droit aux prestations d'assurance maladie, d'invalidité, d'accident de travail, de maternité, de maladie professionnelle ou de décès ou un droit à la protection complémentaire en matière de santé, à l'aide au paiement d'une assurance complémentaire de santé ou à l'aide médicale de l'Etat, elles fournissent de fausses déclarations relatives à l'état civil, la résidence, la qualité d'assuré ou d'ayant droit, les ressources.
Selon l'article R. 147-11, 1°, du même code, dans sa rédaction applicable au litige, sont qualifiés de fraude les faits commis, dans le but d'obtenir le bénéfice d'une prestation injustifiée au préjudice d'un organisme d'assurance maladie, ou au préjudice d'un organisme mentionné à l'article L. 861-4 s'agissant de la protection complémentaire en matière de santé, lorsque a été constaté l'établissement ou l'usage de faux, la notion de faux étant caractérisée par toute altération de la vérité sur toute pièce justificative, ordonnance, feuille de soins ou autre support de facturation, attestation ou certificat, déclaration d'accident du travail ou de trajet, sous forme écrite ou électronique.
Il résulte de la combinaison de ces textes que, pour être constitutive d'une fraude au sens du troisième, la fausse déclaration mentionnée au deuxième doit être précédée, accompagnée ou suivie de la production d'un document faux ou falsifié aux fins d'établir la preuve de faits corroborant la fausse déclaration (Cass, 2ème civ., 12 novembre 2020, 19-17749, publié au bulletin).
*
En l'espèce, le tribunal est saisi par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône d'une demande reconventionnelle tendant à confirmer la pénalité financière de 800 euros notifiée à monsieur [W] [R], outre la condamnation de celui-ci à lui payer la somme de 800 euros.
Il appartient donc au tribunal de vérifier la légalité de cette pénalité financière au regard des dispositions précitées.
Le tribunal constate, à l'analyse des pièces et des écritures de la caisse, que celle-ci se prévaut du régime spécifique applicable en cas de fraude, prévu à l'article L.114-17-1 VII. du code de la sécurité sociale.
Or, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône ne démontre pas, ni même n'allègue, que les fausses déclarations de ressources effectuées par monsieur [W] [R] ont été précédées, accompagnées ou suivies de la production d'un document faux ou falsifié aux fins d'établir la preuve de faits corroborant ces fausses déclarations.
En conséquence, et en application des dispositions précitées, si monsieur [W] [R] a bien commis une faute définie à l'article R.147-6 du code de la sécurité sociale susceptible de justifier une pénalité financière, il n'est pas établi qu'il ait commis une fraude définie à l'article R.147-11 du même code.
Il en résulte que la pénalité financière infligée à monsieur [W] [R] ne pouvait être prononcée qu'après saisine pour avis de la commission des pénalités, s'agissant d'une formalité procédurale substantielle, dont l'objet est d'apprécier la gravité de la faute reprochée et de pondérer le montant de la pénalité envisagée.
La caisse confirme qu'en l'espèce, la commission des pénalités n'a pas été saisie, de sorte que la procédure de pénalité mise en œuvre à l'encontre de monsieur [W] [R] est irrégulière.
En conséquence, il y a lieu d'annuler la pénalité financière de 800 euros notifiée à l'assuré le 10 avril 2018.
PAR CES MOTIFS
Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant par jugement contradictoire et en dernier ressort :
Annule la pénalité financière de 800 euros notifiée à monsieur [W] [R] le 10 avril 2018 ;
Déboute la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône de ses demandes ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône aux dépens de l'instance ;
Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 14 juin 2024, et signé par le président et la greffière.
LA GREFFIERELE PRESIDENT
Florence ROZIERJérôme WITKOWSKI