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12/06/2024 | FRANCE | N°23/02269

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Ctx protection sociale, 12 juin 2024, 23/02269


MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS:




DÉBATS :


PRONONCE :



AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :









12 Juin 2024

Martin JACOB, président

Caroline LAMANDE, assesseur collège employeur
Fouzia MOHAMED ROKBI, assesseur collège salarié

assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Florence ROZIER, greffière

t

enus en audience publique le 12 Avril 2024

jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 12 Juin 2024 par le même magistrat


Madame [Y] [R] C/ CIPAV

N° RG 23/02269 - N° Portalis DB2H-W-B7H...

MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS:


DÉBATS :

PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

12 Juin 2024

Martin JACOB, président

Caroline LAMANDE, assesseur collège employeur
Fouzia MOHAMED ROKBI, assesseur collège salarié

assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Florence ROZIER, greffière

tenus en audience publique le 12 Avril 2024

jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 12 Juin 2024 par le même magistrat

Madame [Y] [R] C/ CIPAV

N° RG 23/02269 - N° Portalis DB2H-W-B7H-YNWY

DEMANDERESSE
Madame [Y] [R], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Véronique DUMAS-CHAVANE, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 258

DÉFENDERESSE
CIPAV, dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Me Delphine GIORGI, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 2145

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

[Y] [R]
CIPAV
Me Delphine GIORGI, vestiaire : 2145
Me [D] [J], vestiaire :
Une copie revêtue de la formule exécutoire :

Me Dimitri PINCENT
Une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSE DU LITIGE

[Y] [R] a déclaré une activité professionnelle de thérapeute en qualité d'auto-entrepreneur, à compter du 1er juin 2009, et a été affiliée à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV).

Le 8 avril 2020, [Y] [R] a obtenu, à partir du site internet INFO RETRAITE, un relevé de carrière faisant notamment apparaître les points obtenus au titre de la CIPAV.

Par un courrier daté du 7 juillet 2020, [Y] [R] a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV aux fins de rectification de ses points de retraite de base et de retraite complémentaire, pour la période 2014 à 2019.

Par une requête reçue au greffe, [Y] [R] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon aux fins notamment de rectifier ses points de retraites de base et complémentaire de 2014 à 2019.

Par un courrier daté du 8 février 2023, la CIPAV a informé [Y] [R] de la liquidation de sa retraite de base et de sa retraite complémentaire, à compter du 1er janvier 2023.

Par un courrier daté du 6 mars 2023, [Y] [R] a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV pour contester le nombre de points de retraite de base et de retraite complémentaire au titre de la CIPAV, tel que figurant sur la notification de sa pension de retraite de base et complémentaire, pour la période de 2014 à 2022.

Par un courrier daté du 11 mai 2023, la CIPAV a informé [Y] [R] du rejet de son recours amiable.

Par un jugement du 4 août 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a notamment fait droit à la demande de rectification des points de retraite de base et de retraite complémentaire formée par [Y] [R], pour la période de 2014 à 2019.

Par un courrier daté du 14 novembre 2023, la CIPAV a informé [Y] [R] de la rectification de ses pensions de retraite de base et complémentaire.

Par un courrier daté du 17 novembre 2023, la CIPAV a informé [Y] [R] de la modification de son relevé individuel de situation, prenant en compte la décision du tribunal judiciaire de Lyon.

****

Par courrier recommandé avec accusé de réception reçu au greffe le 7 juin 2023, [Y] [R] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon aux fins notamment de voir condamner la CIPAV à rectifier ses points de retraite complémentaire et de retraite de base, sur la période 2014-2022, à revaloriser ses pensions du régime de base et de retraite complémentaire de manière conforme, avec paiement des arrérages à compter du 1er février 2023, dans le délai d'un mois, et, passé ce délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ainsi qu'à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.

L'affaire a été appelée à l'audience du 12 avril 2024 ; [Y] [R] et la CIPAV ont comparu, de sorte que le jugement sera contradictoire.

****

[Y] [R], représentée par son conseil, a déposé ses conclusions auxquelles elle se réfère et a demandé au tribunal de :

- condamner la CIPAV à rectifier ses points de retraite de base selon le détail suivant :
- 365,7 points en 2014,
- 454,0 points en 2015,
- 428,4 points en 2016,
- 375,4 points en 2017,
- 362,7 points en 2018,
- 387,5 points en 2019,
- 388,6 points en 2020,
- 389,0 points en 2021,
- 385,1 points en 2022,
- condamner la CIPAV à rectifier ses points de retraite complémentaire selon le détail suivant :
- 36 points en 2014,
- 72 points en 2015,
- 72 points en 2016,
- 72 points en 2017,
- 72 points en 2018,
- 72 points en 2019,
- 72 points en 2020,
- 72 points en 2021,
- 72 points en 2022,

- condamner la CIPAV à revaloriser les pensions du régime de base et de retraite complémentaire de manière conforme, avec paiement des arrérages à compter du 1er février 2023, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision et, passé ce délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard,
- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La CIPAV, représentée par son conseil, a déposé ses conclusions auxquelles elle se réfère et a sollicité ce qui suit :

- déclarer irrecevable les demandes formées par [Y] [R] pour les années 2014 à 2019,
- attribuer à [Y] [R] les points de retraite de base suivants :
- 259,4 points en 2020,
- 259,9 points en 2021,
- 257,4 points en 2022,
- attribuer à [Y] [R] les points de retraite complémentaire suivants :
- 34 points en 2020,
- 33 points en 2021,
- 31 points en 2022,
- débouter [Y] [R] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner [Y] [R] à lui verser la somme de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'affaire a été mise en délibéré au 12 juin 2024.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes formées pour les années de 2014 à 2019

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Aux termes de l'article 480 du code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4.

Aux termes de l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

En l'espèce, la CIPAV explique que le tribunal judiciaire de Lyon a d'ores et déjà statué sur les demandes formées par [Y] [R] au titre des années 2014 à 2019.

De plus, la caisse précise avoir rectifié les points de retraite de base et de retraite complémentaire de [Y] [R], dans le respect de ce même jugement.

Elle considère ainsi que les demandes relatives aux années de 2014 à 2019 sont irrecevables.

Pour sa part, [Y] [R] ne formule aucune observation sur ce point.

À cet égard, il ressort du jugement du tribunal judiciaire, en date du 4 août 2023, que la juridiction a statué sur les demandes de rectification des points de retraite de base et de retraite complémentaire formées par [Y] [R], pour les années de 2014 à 2019.

Il peut être relevé que le tribunal a fait intégralement droit à ces demandes.

La demande présentée de nouveau par [Y] [R], dans les mêmes termes que ceux figurant dans le jugement du 4 août 2023 du tribunal judiciaire de Lyon, est revêtue de l'autorité de la chose jugée.

En conséquence, le recours formé par [Y] [R] est irrecevable en ce qui concerne les années de 2014 à 2019.

Il ne sera statué que sur les années de 2020 à 2022.

Sur les demandes de rectification des points de retraite de 2020 à 2022

1) Sur l'assiette de cotisations

Il résulte des dispositions de l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, devenu l'article L. 613-7, que les cotisations et les contributions de sécurité sociale dont sont redevables les travailleurs indépendants mentionnés au II du présent article bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts sont calculées mensuellement ou trimestriellement, en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs recettes effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux global fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée aux mêmes articles, de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et des contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants ne relevant pas du régime prévu au présent article.

En l'espèce, cet article prévoit expressément de calculer les cotisations dues par les auto-entrepreneurs sur le chiffre d'affaires.

Il n'y a donc pas lieu de déduire un abattement correspondant au forfait social sur le chiffre d'affaires, tel que pratiqué par la CIPAV.

Retenir le contraire n'est pas cohérent avec le régime de l'auto-entrepreneur, qui est autorisé à régler un impôt sur le revenu calculé sur la base de son chiffre d'affaires.

2) Sur les points de retraite de base

Selon les 3 premiers alinéas de l'article D. 643-1 du code de la sécurité sociale, le versement de la cotisation annuelle correspondant au plafond de revenu fixé au 1° de l'article D. 642-3 ouvre droit à l'attribution de 525 points de retraite. Le versement de la cotisation annuelle correspondant au plafond de la tranche des revenus définie au 2° de l'article D. 642-3 ouvre droit à l'attribution de 25 points de retraite. Le nombre de points acquis est calculé au prorata des cotisations acquittées sur chacune des tranches de revenus définies à l'article D. 642-3, arrondi à la décimale la plus proche.

Les plafonds de revenus définis par l'article D. 642-3 du code de la sécurité sociale correspondent pour la tranche 1 au montant du plafond annuel de sécurité social (PASS) et, pour la tranche 2, à 5 fois le PASS.

La tranche 1 du régime de retraite de base correspond à son maximum au montant du PASS qui permet l'octroi de 525 points de retraite de base et la tranche 2 au maximum à 5 PASS qui permet l'octroi de 25 points de retraite de base.

Il ne saurait être fait application d'un principe de proportionnalité entre les points acquis et les cotisations versées. En outre, le revenu pris en compte résulte du seul chiffre d'affaires.

En l'espèce, [Y] [R] indique que les parties s'accordent sur la formule de calcul expliquée aux pages 2 et 3 de l'annexe de la pièce 1-2. Elle précise que leurs points de vue divergent s'agissant de l'assiette de revenu, la CIPAV pratiquant à tort un abattement de 34 % sur le chiffre d'affaires, sans fondement textuel. Elle fait valoir que la rectification des points de retraite de base doit donc être réalisée conformément au tableau de calcul figurant en pièce 1-2.

Pour sa part, la CIPAV explique que le statut d'auto-entrepreneur est un statut dérogatoire ouvrant droit à un régime de cotisation spécifique, permettant à ses bénéficiaires de valider des trimestres de retraite et d'acquérir des points de retraite complémentaire, en fonction du chiffre d'affaires déclaré et donc du montant cotisé.

Elle expose qu'elle ne procède ni à l'affiliation ni à la radiation des auto-entrepreneurs, et qu'elle ne réalise pas davantage le calcul et l'encaissement des cotisations.

Elle ajoute que son rôle se limite, pour cette catégorie d'adhérents à l'enregistrement des périodes d'affiliation sur la base des informations communiquées par l'ACOSS et au calcul des droits acquis au titre des cotisations qui lui sont reversées par cet organisme.

S'agissant du calcul des cotisations, la CIPAV explique que le montant des cotisations et contributions sociales dû par l'auto-entrepreneur est calculé en appliquant à son chiffre d'affaires mensuel et trimestriel un taux fixé par décret qui varie en fonction du secteur d'activité et qui est fixé pour les professionnels libéraux par l'article D. 131-5-1 du code de la sécurité sociale.

La caisse précise que les auto-entrepreneurs ne cotisent pas directement auprès d'elle mais auprès de l'URSSAF, qui redistribue un pourcentage des cotisations collectées, qu'elle affecte ensuite aux régimes dont elle a la charge.

La CIPAV souligne que le système de retraite français repose sur un système contributif qui exige une stricte proportionnalité entre les droits acquis et les cotisations payées.

Elle décline ensuite le nombre de points acquis par l'assurée auquel il conviendra de se référer. La caisse applique une proportionnalité sur la base du forfait social, soit entre 22 % et 22,2 % du chiffre d'affaires selon les années.

À cet égard, conformément à l'article D. 643-1 du code de la sécurité sociale, le nombre de points acquis résulte du rapport entre le revenu déclaré et la valeur du point issue elle-même directement du rapport entre le plafond applicable à la tranche de revenus et le nombre de points correspondant.

La CIPAV n'est donc pas légitime à appliquer au revenu d'activité une réfaction correspondant au pourcentage du forfait social.

Conformément à la méthode de calcul telle que déclinée en pièce 1-2 de l'assurée, [Y] [R] a acquis les points de retraite de base suivants :

- 388,6 points en 2020,
- 350,3 points en 2021,
- 385,1 points en 2022.

En effet, il peut être constaté une différence avec les nombres de points figurant sur la pièce 1-2 de [Y] [R] et le dispositif de ses conclusions.

Le calcul à retenir pour 2020 est : (30 162 euros (chiffre d'affaires) / 78,35 (PASS/525)) + (30 162 euros / 8 227,20 euros (5 PASS/25)) = 388,6 points.

Le calcul à retenir pour 2021 est : (27 189 euros (chiffre d'affaires) / 78,35 (PASS/525)) + (27 189 euros / 8 227,20 euros (5 PASS/25)) = 350,3 points.

Le calcul à retenir pour 2022 est : (29 893 euros (chiffre d'affaires) / 78,35 (PASS/525)) + (29 893 euros / 8 227,20 euros (5 PASS/25)) = 385,1 points.

En conséquence, la CIPAV sera condamnée à rectifier en ce sens le nombre de points de retraite de base acquis par [Y] [R].

3) Sur les points de retraite complémentaire

Il résulte des dispositions de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 que le régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire, géré par la CIPAV et institué par l'article 1er de ce texte comporte plusieurs classes de cotisations, auxquelles correspondent l'attribution d'un nombre de points de retraite qui procède directement de la classe de cotisation de l'intéressé déterminée en fonction de son revenu d'activité et dont le montant est fixé par décret sur proposition du conseil d'administration de cet organisme.

Le nombre de ces classes a été porté de 6 à 8 par le décret n°2012-1522 du 28 décembre 2012, applicable aux cotisations dues à compter du 1er janvier 2013, auxquelles correspondent l'attribution d'un nombre de points de retraite, pour la première de ces classes, fixé à 40 points jusqu'à l'année 2012, puis à 36 points à compter de 2013.

Ainsi, les dispositions de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 modifié sont seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV. Ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié, déterminée en fonction de son revenu d'activité : 36 points pour la classe A, 72 points pour la classe B, 108 points pour la classe C, 180 points pour la classe D, 252 points pour la classe E, 432 points pour la classe G et 468 points pour la classe H.

En l'espèce, [Y] [R] soutient que selon l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 instituant le régime de retraite complémentaire de la CIPAV, le nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affiliée déterminée en fonction de son revenu d'activité.

Elle considère que la CIPAV ne peut donc allouer des points de retraite complémentaire inférieurs à ceux de la classe à laquelle elle est susceptible de prétendre en fonction de son revenu.

Elle soutient que les relations financières entre l'État et la CIPAV, étrangères à la question de la comptabilisation des droits à la retraite, n'intéressent pas l'adhérent. Elle en déduit que tant la compensation de l'État, qui a pris fin au 31 décembre 2015, que la ventilation du forfait social entre les différents organismes, entrée en vigueur le 13 décembre 2018, ne peuvent influer sur la comptabilisation des droits à la retraite des auto-entrepreneurs.

[Y] [R] indique que l'invocation d'une règle de proportionnalité, au surplus sans fondement textuel ou jurisprudentiel, est incompatible avec ce décret qui vise un octroi de points forfaitaires et non proportionnels. Elle en déduit que l'article 3.12 des statuts de la caisse, qui prévoit l'application d'une règle de proportionnalité, est inopposable au cotisant, en ce que le décret doit primer sur les statuts de la caisse.

Elle considère que la CIPAV doit se référer uniquement au chiffre d'affaires et non au bénéfice pour calculer les points de retraite complémentaire, conformément aux dispositions spécifiques prévues par l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale.

Elle ajoute que, si l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale définit l'assiette de cotisation des professionnels libéraux " classiques " comme étant le revenu retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu, cette disposition n'est pas applicable aux auto-entrepreneurs pour lesquels l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale prévoit une assiette de cotisation différente tout en présumant un niveau de cotisation équivalent.

Elle précise que cet article garantit aux auto-entrepreneurs l'acquisition de droits identiques à ceux des professionnels libéraux " classiques " par référence à un niveau de contribution réputé équivalent et déroge au régime de droit commun. Elle relève que la détermination des trimestres acquis est également réalisée sur la base du chiffre d'affaires, conformément à l'article D. 643-3 alinéas 1 et 2 du code de la sécurité sociale.

[Y] [R] fait valoir qu'aucune contestation n'existe sur le paiement effectif des cotisations spécifiques au régime de l'auto-entreprise et que, dès lors, les points de retraite complémentaire acquis par [Y] [R] s'établissent comme indiqué sur le tableau de calcul figurant en pièce 1-2.

Pour sa part, la CIPAV expose que le décret n° 79-262 du 21 mars 1979 a institué un régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire pour ses adhérents qui prévoit 8 classes de cotisations (classes A à H) correspondant chacune à un montant de cotisation dont le versement permet l'acquisition d'un nombre de points au titre du régime complémentaire.

La CIPAV indique que la compensation par l'État prévue avant 2016 par l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale a pris fin. Elle soutient, en conséquence, que l'article 3.12 bis des statuts de la CIPAV prévoit que le nombre de points attribués au titre du régime complémentaire est proportionnel aux cotisations effectivement réglées. Elle ajoute que, sur ce fondement, est fixée une valeur d'achat du point par une délibération du conseil d'administration de la CIPAV chaque année. Elle considère, par conséquent, que pour chaque année d'affiliation, le nombre de points attribués au titre du régime complémentaire est déterminé par le rapport entre le montant des cotisations payées par l'adhérent et la valeur d'achat du point.

Elle explique que faire bénéficier à [Y] [R] du nombre maximum de points reviendrait à lui attribuer des points à une valeur d'achat moindre ce qui créerait une rupture d'égalité vis-à-vis des adhérents de la CIPAV ne relevant pas du régime de l'auto-entreprise. Elle considère que la détermination du nombre des points acquis ne résulte que de l'application des dispositions réglementaires applicables au régime de l'auto entrepreneur et du principe de proportionnalité des droits aux cotisations versées.

Selon ce mode opératoire, elle décline le nombre de points de retraite complémentaire acquis par l'assurée auquel il conviendra de se référer.

Il s'agit de prendre en considération le principe de proportionnalité.

La CIPAV fait valoir que ce mode de calcul a expressément été validé par le ministère de l'économie et des finances, le ministère des affaires sociales et de la santé et le secrétaire d'état chargé du budget. Elle déclare que le rapport public annuel 2017 de la Cour des comptes reprend la réponse officielle et commune de ces ministères et que c'est sur ce fondement que la CIPAV a calculé les droits de l'auto-entrepreneur au titre de la retraite complémentaire, sur la base de la première classe de cotisation réduite de 75 %. Elle ajoute que, si [Y] [R] le souhaitait, elle pouvait s'acquitter d'un montant forfaitaire de cotisation d'assurance retraite complémentaire supérieur à celui qui était pris en compte par les textes réglementaires.

À cet égard, la CIPAV ne saurait faire état d'un défaut de respect du principe de proportionnalité entre le montant des cotisations acquittées et les droits acquis pour réduire le montant des points de retraite complémentaire de l'assurée.

En ce sens, l'article 3.12 bis des statuts de la CIPAV, qui prévoit que " le nombre de points attribués au bénéficiaire du régime prévu à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale qui est exclu de la compensation de l'État prévue à l'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale est proportionnel aux cotisations effectivement réglées " est inapplicable.

En effet, la CIPAV ne saurait calculer le nombre de points de retraite complémentaire en fonction de la cotisation effectivement versée par l'assurée mais au regard de son chiffre d'affaires.

De plus, contrairement à un professionnel libéral soumis au régime social de droit commun qui peut opter pour la réduction de sa cotisation de retraite complémentaire, le micro-entrepreneur s'acquitte d'une cotisation forfaitaire couvrant l'ensemble des cotisations sociales obligatoires, de sorte qu'il ne dispose pas d'une telle option pour voir opérer une réfaction sur son forfait social qui correspondrait à sa seule cotisation de retraite complémentaire.

La caisse ne saurait en effet se référer aux modalités de calcul de la compensation financière de l'État, qui ne concernent que les rapports financiers entre elle et lui, ni faire dépendre le nombre de points de retraite complémentaire de la somme qui lui est reversée par l'ACOSS au titre de la cotisation de retraite complémentaire.

C'est également en vain que la caisse se prévaut du non-respect du principe de proportionnalité entre le montant des cotisations acquittées et les droits acquis, dès lors que cet éventuel non-respect résulte du dispositif légal mis en place au profit des micro-entrepreneurs.

De même, le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les auto-entrepreneurs et ses autres adhérents est sans portée, dès lors que le régime applicable aux premiers se veut incitatif et répond à la volonté du législateur de favoriser la création d'entreprises par la mise en place, notamment, d'un régime de déclaration et de paiement des cotisations sociales simplifié.

Tout autant, l'argument de l'organisme selon lequel le nombre de points revendiqué par l'assurée conduit à lui attribuer des points pour une valeur d'achat largement inférieure à celle fixée par son conseil d'administration est dénué de pertinence, en ce qu'il se heurte au principe même du forfait social institué par le législateur.

Or, [Y] [R] établit s'être acquittée de ses cotisations telles que déterminées selon les modalités prévues à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale et que son revenu ressort d'un montant compris entre les seuils de la classe B sur la période litigieuse.

Ainsi, elle est fondé à se voir attribuer 72 points de retraite de 2020 à 2022 au titre du régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire géré par la CIPAV.

Il lui sera donc attribué ces points pour les années concernées.

En conséquence, la CIPAV sera condamnée à rectifier en ce sens les points de retraite complémentaire acquis par [Y] [R].

Sur la demande de revalorisation des pensions de retraite sous astreinte

Selon l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.

En l'espèce, [Y] [R] sollicite la condamnation de la CIPAV à revaloriser ses pensions de retraite de base et complémentaire, à compter du 1er février 2023, sous astreinte.

Elle évoque l'obstruction réalisée par la caisse, dans le cadre de sa demande de dommages-intérêts, sans plus de motivation pour la demande de condamnation sous astreinte.

Pour sa part, la CIPAV ne présente aucune observation sur ces demandes.

À cet égard, le présent jugement paraît suffire pour la régularisation de la situation de [Y] [R] sans qu'il soit nécessaire d'ordonner la régularisation sous astreinte, sans préjudice de la faculté de saisir le juge de l'exécution à cette fin en cas de de difficulté relative à l'exécution de la présente décision.

En conséquence, la demande de condamnation sous astreinte formée par [Y] [R] sera rejetée.

En revanche, une erreur ayant été commise par la CIPAV dans le calcul de ses points de retraite et ainsi dans le calcul de ses pensions de retraite, il est légitime de fixer une date d'effet du paiement au 1er février 2023.

Sur la responsabilité de la CIPAV

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, [Y] [R] sollicite des dommages et intérêts au motif d'une obstruction de la CIPAV pour corriger la minoration de ses points de retraite alors même que la Cour de cassation a fixé sa jurisprudence en la matière. La CIPAV a fait preuve d'une déloyauté alors qu'elle est investie d'une mission de service public.

Elle affirme ainsi avoir subi un préjudice moral.

Pour sa part, la CIPAV soutient que [Y] [R] ne justifie pas du caractère fautif de la caisse. Elle relève une divergence d'interprétation et non une faute de sa part.

À cet égard, la divergence d'interprétation opposant la CIPAV à [Y] [R] ne saurait constituer une faute engageant la responsabilité de la caisse, étant rappelé que la caisse a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Lyon.

En conséquence, la demande formée par [Y] [R] sera rejetée.

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l'espèce, la CIPAV succombant, elle sera condamnée aux dépens de l'instance.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

En l'espèce, partie tenue aux dépens, la CIPAV sera condamnée à payer à [Y] [R] une somme qu'il est équitable de fixer à 1 500 euros.

La CIPAV succombant, sa demande sera rejetée.

Sur l'exécution provisoire

Aux termes du premier alinéa de l'article R. 142-10-6 du code de procédure civile, le tribunal peut ordonner l'exécution par provision de toutes ses décisions.

En l'espèce, l'ancienneté du litige justifie que l'exécution provisoire soit ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

Déclare irrecevables les demandes formées par [Y] [R] au titre des années 2014 et 2019 ;

Condamne la CIPAV à rectifier les points de retraite de base acquis par [Y] [R], comme suit :

- 388,6 points en 2020,
- 350,3 points en 2021,
- 385,1 points en 2022 ;

Condamne la CIPAV à rectifier le nombre de points de retraite complémentaire acquis par [Y] [R], selon le détail suivant :

- 72 points en 2020,
- 72 points en 2021,
- 72 points en 2022 ;

Condamne la CIPAV à verser à [Y] [R] les arrérages de pensions de retraite de base et de retraite complémentaire à compter du 1er février 2023 ;

Rejette la demande formée par [Y] [R] tendant à revaloriser les pensions du régime de base et de retraite complémentaire de manière conforme, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision et, passé ce délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;

Rejette la demande formée par [Y] [R] au titre des dommages et intérêts ;

Condamne la CIPAV aux dépens de l'instance ;

Condamne la CIPAV à verser à [Y] [R] la somme de 1 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande formée par la CIPAV au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire.

LA GREFFIERELE PRÉSIDENT

Florence ROZIERMartin JACOB


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 23/02269
Date de la décision : 12/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-12;23.02269 ?
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