MINUTE N° :
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON
POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
JUGEMENT DU :
MAGISTRAT :
ASSESSEURS:
DÉBATS :
PRONONCE :
NUMÉRO R.G :
21 MAI 2024
Florence AUGIER, présidente
Miren-Amaya FABREGOULE DECHENAUX, assesseur collège employeur
Yasmina SEMINARA, assesseur collège salarié
Assistées lors des débats et du prononcé du jugement par Alice GAUTHÉ, greffière
Tenus en audience publique le 20 mars 2024
Jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 21 mai 2024 par le même magistrat
N° RG 19/02123 - N° Portalis DB2H-W-B7D-UBYY
DEMANDERESSE
S.A.S.U. [2] (anciennement dénommée S.A.S.U. [4])
Située [Adresse 1]
Représentée par Maître Gabriel RIGAL, substitué par Maître Hélène HAULET, avocats au barreau de LYON
DÉFENDERESSE
CPAM DU LOIRET
Située [Adresse 3]
Représentée par Madame [H] [X], munie d’un pouvoir
Notification le :
Une copie certifiée conforme à :
S.A.S.U. [2]
Me Gabriel RIGAL, vestiaire : 1406
CPAM DU LOIRET
Une copie revêtue de la formule exécutoire :
Me Gabriel RIGAL, vestiaire : 1406
Une copie certifiée conforme au dossier
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [O] [U] a été embauché au sein de la société [4] devenue [2] le 1er novembre 2016 en qualité d'agent de sécurité.
Un certificat médical initial a été établi au bénéfice de monsieur [O] [U] le 15 novembre 2018 avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 17 novembre 2018.
Le 16 novembre 2018, la société [2] a établi une déclaration d'accident de travail suite à l'accident de monsieur [O] [U] survenu le 14 novembre 2018 à 16h05. Cette déclaration d'accident de travail indique " le salarié était à son poste à l'entrée du magasin, une cliente a heurté le salarié avec son caddie au niveau du talon d'Achille ". A l'occasion de la transmission de ce document à la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret, la société [2] a fait part de réserves en indiquant " Aucun témoin pour corroborer les dires du salarié ".
Par courrier recommandé en date du 16 novembre 2018, la société [2] a adressé un courrier de réserves à la caisse indiquant qu'en raison d'absence de témoin, elle sollicitait la mise en place d'une procédure d'instruction.
Par courrier du 5 décembre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret indiquait à la société [2] que les circonstances de la déclaration du sinistre permettaient une prise en charge de l'accident de monsieur [O] [U] au titre de la législation des risques professionnels.
Par courrier daté du 30 janvier 2019, la société [2] a exercé un recours auprès de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret en contestation de la décision de prise en charge.
Par courrier du 26 avril 2019, la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret a rendu une décision de confirmation de la décision entreprise par la caisse.
Par requête réceptionnée le 25 juin 2019, la société [2] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Lyon devenu pôle social du tribunal judiciaire de Lyon d'une demande d'inopposabilité de la décision de l'organisme à son encontre.
L'affaire a été appelée à l'audience du 20 mars 2024.
Aux termes de ses conclusions en réponse n°1 développées et soutenues oralement au cours de l'audience, la société [2] demande au tribunal de déclarer inopposable la décision de prise en charge au titre de la législation des risques professionnels de l'accident du 14 novembre 2018 déclaré par monsieur [O] [U]. De plus, la société requérante sollicite que la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret soit condamné aux entiers dépens de la présente instance et qu'elle soit déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Au soutien de ses prétentions, la société [2] expose que la caisse est, conformément aux dispositions réglementaires de l'article R.441-11 du code de la sécurité sociale, dans l'obligation de mettre en place une enquête dès lors que l'employeur a assorti la déclaration d'accident de travail de réserves. Elle argue que la mention " aucun témoin sur place pour corroborer les dires du salarié " sur la déclaration d'accident de travail constitue une réserve sur les circonstances de temps et de lieu de l'accident qui doit s'analyser comme une réserve valable devant entrainer l'ouverture d'une enquête de l'organisme.
Elle expose au surplus qu'elle à, concomitamment à l'envoi de la déclaration d'accident de travail, fait parvenir un courrier de réserve à la caisse, qui doit également être analysé comme une réserve motivée devant donner lieu à l'ouverture d'une enquête de l'organisme.
Enfin, la société [2] expose que la matérialité de l'accident de travail du 14 novembre 2018 n'est pas rapportée par la caisse, ce qui implique d'écarter la présomption d'imputabilité de l'accident en raison d'un diagnostic ayant été établi de manière tardive, le lendemain de l'accident.
Aux termes de ses conclusions développées et soutenues oralement au cours de l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret, demande au tribunal de déclarer opposable à la société [2] la prise en charge au titre de la législation des risques professionnels de l'accident du 14 novembre 2018 dont a été victime monsieur [O] [U], ainsi que de condamner la société [2] aux dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret indique que seules constituent des réserves motivées au sens des dispositions législatives de l'article L.441-6 du code de la sécurité sociale les contestations sur le temps et le lieu de l'accident ou l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.
Elle expose que les réserves formulées par la requérante ne sont pas suffisamment précises et se bornent à des formulations générales et univoques sans évocation du contexte dans lequel s'inscrit l'accident et ne constituent donc pas des réserves motivées au sens des dispositions précitées ainsi que de l'analyse prétorienne qui en découle.
Sur la contestation de la matérialité, la caisse fait valoir que le seul fait que le salarié ait continué sa journée de travail n'est pas un élément de nature à écarter la matérialité de l'accident de travail qui peut être constaté dans un temps voisin de la survenance du sinistre.
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions visées pour un exposé plus ample des prétentions et moyens des parties.
L'affaire a été mise en délibéré au 21 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Il résulte de des dispositions réglementaires énoncées à l'article R.441-11 du code de la sécurité sociale en sa version applicable à date du litige que " III. En cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant la décision à l'employeur et la victime de l'accident de travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès".
Il est constant que l'employeur, émettant des réserves n'est pas tenu d'apporter la preuve de leur bien-fondé, il doit uniquement formuler, en temps utiles des réserves quant aux circonstances de temps et de lieu de l'accident ainsi que la matérialité du fait accidentel.
En l'espèce, la société [2] a établi le 16 novembre 2018 à l'occasion de la déclaration d'accident de travail des réserves qui ont été précisées par l'envoi d'une lettre de réserve le même jour en ces termes " Madame, monsieur, nous faisons suite à la déclaration d'un accident de travail le 14 novembre 2018 concernant notre salarié monsieur [U] [O]. En effet nous tenons à attirer votre attention sur ce dossier pour la raison suivante : Aucun témoin sur place pour corroborer les dires du salarié. Par conséquent, nous nous permettons d'émettre les plus vives réserves quant à l'éventuelle prise en charge de cet accident au titre de la législation des risques professionnels et sollicitons de votre part la mise en œuvre d'une instruction qui permettra éventuellement de lever nos doutes (…) ".
En invoquant dans sa lettre de réserves un doute concernant l'absence de témoin, la société a émis des réserves suffisantes sur le fait que l'accident déclaré par monsieur [O] [U] ait pu se produire sur le temps et lieu de travail et a suggéré que le fait accidentel pouvait avoir une cause totalement étrangère au travail.
Ces réserves, portant sur les circonstances de temps et de lieu de l'accident doivent donc être considérées comme suffisamment motivées pour justifier de l'ouverture d'une enquête de la part de la caisse.
Dès lors, et sans qu'il n'y ait lieu de s'interroger sur le bien-fondé de la réserve émise par l'entreprise [2], la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret aurait dû diligenter une enquête conformément aux dispositions réglementaires de l'article R.441-11 du code de la sécurité sociale et ne pouvait donc pas prendre une décision de prise en charge sans procéder à cette instruction préalable.
Par conséquent, la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret n'ayant pas tiré les conséquences des réserves notifiées par la société [2], la décision de prise en charge de l'accident de monsieur [O] [U] du 14 novembre 2018 sera déclarée inopposable à la société.
PAR CES MOTIFS
Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant par jugement contradictoire et rendu publiquement en premier ressort ;
- DÉCLARE inopposable à la société [2] la décision de prise en charge au titre de la législation des risques professionnels de l'accident de travail de monsieur [O] [U] survenu le 14 novembre 2018 ;
- CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret aux dépens.
Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 21 mai 2024 et signé par la présidente et la greffière.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE
A. GAUTHÉ F. AUGIER