La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/05/2024 | FRANCE | N°20/01412

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Ctx protection sociale, 13 mai 2024, 20/01412


MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :





DÉBATS :

PRONONCE :



AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :









13 Mai 2024

Jérôme WITKOWSKI, président

Miren-Amaya FABREGOULE DECHENAUX, assesseur collège employeur
Marie-José MARQUES, assesseur collège salarié

assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Anne DESHAYES,

greffiere

tenus en audience publique le 7 Février 2024

jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort, le 13 Mai 2024 par le même magistrat, après prorogation du 4 avril 2024


Monsie...

MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :

DÉBATS :

PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

13 Mai 2024

Jérôme WITKOWSKI, président

Miren-Amaya FABREGOULE DECHENAUX, assesseur collège employeur
Marie-José MARQUES, assesseur collège salarié

assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Anne DESHAYES, greffiere

tenus en audience publique le 7 Février 2024

jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort, le 13 Mai 2024 par le même magistrat, après prorogation du 4 avril 2024

Monsieur [X] [B] C/ Monsieur [T] [C]

20/01412 - N° Portalis DB2H-W-B7E-VBYK

DEMANDEUR

Monsieur [X] [B]
demeurant [Adresse 1]
comparant en personne assisté de Me Lynda LETTAT-OUATAH, avocate au barreau de LYON

DÉFENDEUR

la SELARL Jérôme ALLAIS, liquidateur judiciaire, venant aux droits de monsieur [T] [C]
[né le 13 Décembre 1979 à [Localité 3] (KOSOVO)]
demeurant [Adresse 2]
non comparant, ni représenté

PARTIE INTERVENANTE

CPAM DU RHONE, pris en la personne de son directeur en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 5]
comparante en la personne de Mme [E]

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

[X] [B]
Me Lynda LETTAT-OUATAH - T 189
la SELARL Jérôme ALLAIS
CPAM DU RHONE
Une copie revêtue de la formule exécutoire :

[X] [B]
Me Lynda LETTAT-OUATAH - T 189
Une copie certifiée conforme au dossier
EXPOSE DU LITIGE

Le 27 mai 2014, Monsieur [X] [B], salarié de monsieur [T] [C] en qualité d’ouvrier, a chuté d’une hauteur d’environ dix mètres en effectuant des travaux de couverture.

Cet accident a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.

Par jugement en date du 7 juillet 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a :

Dit que monsieur [T] [C], entrepreneur individuel, a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident dont a été victime monsieur [X] [B] ; Ordonné une majoration de la rente servie à monsieur [X] [B] par la caisse primaire d'assurance maladie ; Fixé à 5 000 euros la provision de monsieur [X] [B] à valoir sur l’indemnisation de son préjudice, dont la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône devra faire l’avance ;
Statuant avant dire droit sur l’indemnisation :

Ordonné l’expertise médicale de monsieur [X] [B] ; Désigné pour y procéder le docteur [G] [O] ; Dit que la caisse primaire d'assurance maladie devra faire l’avance des frais de l’expertise ainsi que de la provision ; Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision ; Condamné monsieur [T] [C] à payer à monsieur [X] [B] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; Débouté monsieur [X] [B] du surplus de ses demandes ; Réservé les dépens ;
Par ordonnance du 20 août 2022, l’expert initialement désigné a été remplacé par le docteur [Y] [S].

L’expert a déposé son rapport d’expertise suite à un examen réalisé le 29 mars 2023.

Sur les postes de préjudices examinés, les conclusions de l’expert sont les suivantes :

Déficit fonctionnel temporaire total : du 28 mai 2014 au 23 mars 2015 ; la journée du 28 mai 2014 ainsi que du 11 mai 2015 et le 12 octobre 2015 ;
Déficit fonctionnel temporaire partiel : 80 % du 24 mars 2015 au 31 décembre 2015 ; 75 % du 01 janvier 2016 au 30 octobre 2019 ;
Déficit fonctionnel permanent : 60%
Assistance tierce personne :Du 24 mars 2015 au 31 décembre 2015 : 6 heures par jour Du 01 janvier 2016 au 30 octobre 2019 : 4 heures par jour Pérenne : deux heures par jours
Frais de logement / aménagement de véhicule :
Véhicule : boite automatique ; coussin de confort ; boule au volant ; bras de chargement/ déchargement du fauteuil roulant ; Domicile : Logement de plein pied en rez-de-chaussée ou avec ascenseur avec adaptation PMR (cuisine, salle de bain, WC et barres d’appui) ;
Perte de chances de promotion professionnelle : Oui, compte tenu de l’impossibilité de poursuivre son activité professionnelle, compte tenu de son niveau d’études antérieur, il aurait pu espérer évoluer dans son activité ; Souffrances endurées : 6/7Préjudice esthétique temporaire : 5,5/7 (soins et immobilisation par fixateurs externes) Préjudice esthétique définitif : 4,5/7 (fauteuil roulant et déformations et cicatrices) Préjudice sexuel : gênes sexuelles alléguées : maintien de la libido mais troubles de l’érection, troubles fonctionnels et perte de confiance en son image avec intolérance aux traitements érectiles. Préjudice d’établissement : Oui, perte de chance de retrouver une compagne et mener une vie de famille ; Préjudice d’agrément : impossibilité de pratiquer les activités antérieures ; Absence de préjudice exceptionnel.
Par conclusions après expertise n°2, déposées et soutenues oralement au cours de l’audience du 7 février 2024, monsieur [X] [B] demande au tribunal de lui allouer les sommes suivantes :

950 euros au titre des frais divers ; 123.112 euros au titre de l’assistance de tierce personne temporaire ; 40.000 euros au titre des préjudices de perte de chance professionnelle ; Réserver l’indemnisation des frais de logement adapté ; 180.761,44 euros au titre des frais de véhicule adapté ; 47.307 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel et total ; 60.000 euros au titre des souffrances endurées ; 20.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ; 30.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ; 282.790,16 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ; 15.000 euros au titre du préjudice d’agrément ; 18.000 euros au titre du préjudice sexuel ; 20.000 euros au titre du préjudice d’établissement ;
Il demande enfin à ce que monsieur [T] [C] soit condamné à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre le bénéfice de l’exécution provisoire de la décision.

Bien que régulièrement citée à personne par acte de commissaire de justice du 22 janvier 2024, la SELARL [4], liquidateur judiciaire de l’entreprise individuelle de monsieur [T] [C], n’a pas comparu et ne s’est pas fait représenter lors de l’audience du 7 février 2014.

Aux termes de ses observations déposées et soutenues oralement lors de l’audience, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône conclut au rejet de la demande de l’assuré au titre de la perte de chance de promotion professionnelle et à la fixation à de plus justes proportions des demandes formulées au titre de l’assistance tierce personne, le déficit fonctionnel temporaire, le préjudice sexuel, les souffrances endurées, le préjudice esthétique définitif ainsi que le préjudice d’agrément.

Elle demande enfin à ce que le déficit fonctionnel permanent soit ramené à 280 500 euros, selon la méthode classique d’indemnisation de ce poste de préjudice.

Elle précise enfin qu’elle s’en remet à l’appréciation du tribunal concernant l’indemnisation des frais divers, du préjudice esthétique temporaire et du préjudice d’établissement.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION

En application de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail ou d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur peut prétendre à l'indemnisation des souffrances physiques et morales, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Par décision n  2010-08 QPC du 18 juin 2010, le conseil constitutionnel a en outre reconnu au salarié victime d'un accident du travail ou d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur, le droit de réclamer devant les juridictions de sécurité sociale, outre la réparation des préjudices susvisés, la réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Monsieur [X] [B], né le 21 septembre 1979, était âgé de 34 ans au moment de l’accident survenu le 27 mai 2014.

Aux termes de son rapport, le docteur [Y] [S] indique que l’accident du travail a entraîné de nombreuses lésions notamment, un traumatisme crânien avec perte de connaissance, un traumatisme abdominal avec hématomes, une fracture complexe du bassin, des fractures des membres, une fracture diaphysaire fémorale gauche traitée par enclouage verrouillé, une fracture tibiale gauche traitée par fixateurs externes ensuite ostéosynthésée avec section du nerf radial et médiant et une fracture du fémur et du tibia avec lenteur de consolidation et formation de pont osseux du fémur sans apparition de cal osseux avec un aspect déminéralisé de l’ensemble des os du membre inférieur gauche.

Après consolidation fixée au 1er novembre 2019, l’expert indique que monsieur [X] [B] conserve pour séquelles une limitation de la pronosupination gauche, un flessum du coude gauche, une limitation d’élévation inférieure à 25° de l’épaule gauche, une limitation avec raideur du poignet gauche avec déficit radial quasi complet à gauche. Des Lasègues à 35° à gauche et 60° à droite, une inégalité de la longueur des membres inférieurs outre une déformation du bassin douloureuse et une amyotrophie de la cuisse avec flexion du genou limitée à 110° et déficit de la flexion dorsale active de la cheville gauche avec raideurs du varus équin gauche.

L’expert relève également un déficit de la marche à la béquille axillaire, un déficit proprioceptif et un état de stress post-traumatique.

Sur les frais divers

Monsieur [X] [B] justifie avoir exposé des frais à hauteur de 950 euros afin d’être assisté par le docteur [R] [M] dans le cadre des opérations d’expertise (pièce n° 5-1).

Ces frais sont indemnisables, dès lors qu’ils ne sont pas couverts par les dispositions du Livre IV du code de la sécurité sociale.

Il y a donc lieu de faire droit à sa demande et de lui allouer la somme de 950 euros.

Sur les frais d'assistance par une tierce personne

Dans le cas où la victime a besoin, du fait de son incapacité temporaire totale ou partielle, d'être assistée avant la consolidation par une tierce personne, elle a le droit à l'indemnisation du coût du recours à cette tierce personne.

Les frais d’assistance tierce personne à titre temporaire ne sont pas couverts au titre du livre IV et doivent être indemnisés sans être pour autant réduits en cas d'assistance d'un membre de la famille, ni subordonnés à la production de justificatifs des dépenses effectives.
L'expert judiciaire a retenu la nécessité d’une tierce personne pour assister monsieur [X] [B] :

- Du 24 mars 2015 au 31 décembre 2015 : 6 heures par jour
- Du 01 janvier 2016 au 30 octobre 2019 : 4 heures par jour

L’appréciation de l’expert ne fait l’objet d’aucune contestation de la part de l’assuré et il convient de retenir cette amplitude horaire pour le calcul de l’indemnisation y afférente.

S’agissant du taux horaire applicable, monsieur [X] [B] déclare avoir reçu l’aide de son ancienne compagne pour la première période et celle de ses amis pour la deuxième période.

Si la quantification de l’amplitude horaire ne saurait être réduite en cas d'assistance familiale et non professionnelle, le taux horaire appliqué ne saurait en revanche être équivalent à celui d’un auxiliaire de vie non spécialisé professionnel, du fait notamment de l’inexistence de rémunération soumise à charges sociales de l’entourage familial ou amical.

Un taux horaire de 16 euros sera en conséquence appliqué, soit :

16 € x 6 heures x 283 jours = 27.168 euros pour la période du 24 mars 2015 au 31 décembre 2015 ; 16 € x 4 heures x 1399 jours = 89.536 euros pour la période du 01 janvier 2016 au 30 octobre 2019 ;
Il sera par conséquent alloué à monsieur [X] [B] la somme de 116.704 euros à titre d’indemnisation de l’assistance d’une tierce personne avant consolidation.

Sur la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle

L'article L.452-3 du code de la sécurité sociale prévoit la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, à condition que la victime démontre que de telles perspectives préexistaient à la date de l’accident.

La perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle est distincte de l'incidence professionnelle, définie comme le dommage touchant à la sphère professionnelle en raison de la dévalorisation de la victime sur le marché du travail du fait, par exemple, de l’impossibilité d’effectuer certains gestes, de la nécessité de travailler sur un poste aménagé ou à temps partiel, ou encore de la nécessité d’abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre en raison de la survenance de son handicap.

Il convient de rappeler que la rente majorée servie à la victime d’un accident du travail en application du Livre IV du code de la sécurité sociale présente un caractère viager et répare, de manière forfaitaire, l'incidence professionnelle définie ci-dessus, ainsi que les pertes de gains professionnels futurs, y compris la perte des droits à la retraite.

En l’espèce, monsieur [X] [B] explique qu’il espérait être promu dans le milieu ouvrier compte tenu du cursus de formation d’ingénieur qu’il avait entamé avant son exil du Kosovo en 2007, mais également de l’expérience professionnelle qu’il y avait acquise en y créant sa propre entreprise. Il indique que son état de santé ne lui permet plus d’envisager quelque emploi manuel que ce soit et qu’il doit désormais trouver une autre voie professionnelle.

Or, les répercussions ainsi exposées de l’accident sur la vie professionnelle du requérant, si elles sont confirmées par l’expert et parfaitement comprises par le tribunal, relèvent davantage de l’incidence professionnelle et éventuellement de la perte de gains professionnels futurs, qui sont des postes de préjudice déjà indemnisés forfaitairement par la rente majorée d’accident du travail servie par la caisse primaire d'assurance maladie à compter de la date de consolidation.

Monsieur [X] [B] ne démontre pas qu'il subit un préjudice professionnel spécifique caractérisé par la privation d’une promotion professionnelle qui lui était acquise au moment de l’accident ou, à tout le moins pour laquelle il était sérieusement pressenti compte tenu de son ancienneté, de sa formation, de ses qualifications et de ses aptitudes professionnelles.

Il ne justifie pas non plus qu’il avait prévu de s’engager dans une formation qualifiante de nature à lui permettre d’accéder à une promotion professionnelle certaine, dont il aurait été privé du fait de la survenance de son accident de travail.

En conséquence, la demande d’indemnisation au titre de la perte ou la diminution de chance de promotion professionnelle ne pourra qu’être rejetée.

Sur les frais de logement adapté 

Il s’agit d’un poste de préjudice non couvert par le Livre IV du code de la sécurité sociale dont l’assuré victime d’un accident du travail imputable à la faute inexcusable de son employeur, peut solliciter indemnisation.

En l’espèce, le docteur [S] a retenu dans son rapport la nécessité pour monsieur [X] [B] de résider dans un logement de plain-pied en rez-de-chaussée ou avec ascenseur avec adaptation aux personnes à mobilité réduite (cuisine, salle de bains, WC et barres d’appui).

Monsieur [X] [B] indique vivre actuellement dans un logement de type studio de 35 m2 à [Localité 6] dont il est locataire, qui se situe certes au rez-de-chaussée, mais qui ne serait pas adapté à son handicap.

Il précise que son auxiliaire de vie l’aide pour l’habillage et l’accès à la douche, qui ne serait pas adaptée. Il indique également que la configuration de la cuisine ne lui permet pas d’être autonome dans la préparation des repas, au risque de se brûler.

Monsieur [X] [B] envisage un déménagement dans un logement adapté à son état de santé, sans être en mesure d’en préciser le coût.

Il convient donc de réserver ce chef de préjudice, qui ne peut être liquidé en l’état.

Sur les frais d’aménagement de véhicule

Il s’agit d’un poste de préjudice non couvert par le Livre IV du code de la sécurité sociale dont l’assuré victime d’un accident du travail imputable à la faute inexcusable de son employeur, peut solliciter indemnisation.

L’indemnisation des frais d’aménagements de véhicule est fondée sur le surcroît de dépenses au niveau de l’achat même du véhicule, par rapport à la valeur de celui dont se satisfaisait ou se serait satisfait la victime avant l’accident, auquel on ajoute le coût de l’adaptation lorsque la conduite est possible.

Il doit également être tenu compte de la valeur de revente du véhicule au moment de son remplacement.

Dans son rapport d’expertise, le docteur [Y] [S] retient une nécessité de l’adaptation du véhicule « boite automatique, coussin de confort, boule au volant et bras de chargement/déchargement du fauteuil roulant ».

Monsieur [X] [B] verse aux débats un devis relatif à un kit de boule au volant pour un montant de 188,40 euros, outre un robot chargeur d’un montant de 15.959,88 euros, montants qui seront retenus dans le cadre de l’évaluation de ce poste de préjudice.

En outre monsieur [X] [B] soutient que le coût d’un véhicule à boîte automatique est d’environ 2.000 euros supérieur à celui d’un véhicule à boîte manuelle. Il décompte selon la méthode des arrérages annuels à compter de la naissance du besoin, soit à compter du 1er novembre 2019 et pour un renouvellement tous les cinq ans.

Toutefois, le tribunal retiendra une périodicité de sept ans s’agissant du changement de véhicule et du remplacement des aménagements précités.

Ainsi, l’investissement de départ valable pour une durée de sept ans, soit jusqu’au 30 octobre 2026, s’élève à (188,40 € + 15.959,88 € + 2.000 €), soit 18.148,28 euros.

Puis l’arrérage annuel s’élève à 18.148,28 / 7, soit 2.592,61 euros.

L’arrérage à échoir au-delà du 30 octobre 2026, date du premier renouvellement, sera capitalisé comme suit : 2.592,61 euros x 41,576 selon barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022 = 107.790,35 euros.

Soit une indemnisation du poste de frais d’aménagement du véhicule d’un montant total de 125.938,63 euros.

Sur le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle jusqu’à sa consolidation. Cette invalidité correspond aux périodes d’hospitalisation de la victime, mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime durant la convalescence, la privation temporaire des activités privées ou d’agrément auxquelles la victime se livrait habituellement et le préjudice sexuel avant consolidation.

Aux termes de son rapport, le docteur [Y] [S] a retenu :

Un déficit fonctionnel temporaire total de 302 jours, correspondant aux périodes d’hospitalisation ;Un déficit fonctionnel temporaire partiel de 80 % durant 283 jours ;Un déficit fonctionnel temporaire partie de 75 % durant 1 399 jours ;
Ces éléments ne font l’objet d’aucune contestation de la part de l’assuré.

Compte tenu des lésions initiales et des soins nécessaires, monsieur [X] [B] a subi une gêne dans l'accomplissement des actes de la vie courante et une perte temporaire de qualité de vie, indemnisable sur une base journalière de 25 euros.

Il convient de majorer cette base journalière de 2 euros du fait du préjudice sexuel retenu par l’expert, qui était nécessairement constitué pendant les périodes de soins antérieures à la consolidation de monsieur [X] [B].

En revanche, monsieur [X] [B] soutient qu’antérieurement à l’accident, il exerçait de nombreuses activités sportives avec ses amis, mais il ne fournit au tribunal aucune attestation ou justificatif de nature à démontrer qu’avant l’accident, il pratiquait les activités d’agrément dont il prétend avoir été privé durant sa convalescence.

En conséquence, aucune majoration ne sera accordée au titre du préjudice d’agrément temporaire allégué.

Ainsi, le déficit fonctionnel temporaire de monsieur [X] [B] sera indemnisé sur la base d’un taux journalier majoré de 27 euros, soit :

- 302 jours x 27 euros = 8.154 euros ;
- 283 jours x (27 euros x 0,8 = euros) = 6.112,80 euros ;
- 1 398 jours x (27 euros x 0,75 = euros) = 28.309,50 euros ;

Soit au total la somme de 42.576,40 euros sur l’ensemble de la période d’incapacité temporaire considérée.

Sur les souffrances endurées

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que les troubles associés que doit endurer la victime par suite de l'atteinte à son intégrité physique jusqu’à la consolidation, étant précisé que les souffrances endurées après la consolidation sont indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

En l’espèce, l’expert a évalué les souffrances endurées à 6/7, tenant compte notamment des lésions initiales, soit la présence d’un traumatisme crânien avec perte de connaissance, d’un hématome rétro-péritonéal, d’une fracture complexe du bassin, d’une fracture fémorale et tibiale et d’une fracture de l’humérus.

L’expert a également tenu compte des différentes opérations et des douleurs post-opératoires, la durée des soins suivie de périodes de rééducation avec traitement et des souffrances psychiques reconnues par la caisse primaire d'assurance maladie.

La consolidation est intervenue le 1er novembre 2019, soit plus de 5 ans après l’accident survenu le 26 mai 2014, la période de convalescence ayant été particulièrement longue.

Il convient donc d’indemniser ce poste de préjudice à hauteur de 45 000 euros.

Sur le préjudice esthétique

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer l’altération de l’apparence physique de la victime avant et après la consolidation. Ainsi, le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent et doit être évalué en considération de son existence avant consolidation de l'état de la victime.

Sur le préjudice esthétique temporaire

Le préjudice esthétique temporaire subi jusqu’à la consolidation, soit durant 4 ans et 6 mois, a été évalué par l’expert à 5,5 sur une échelle de 7, caractérisé par « les soins et l’immobilisation par fixateurs externes ».

Les éléments médicaux relevés lors de l’expertise permettent effectivement de caractériser l’existence d’un préjudice esthétique temporaire induit par la pose d’un fixateur externe ensuite ostéosynthésée sur le tiers inférieur de l’humérus et du radius gauche.

En conséquence, le préjudice esthétique temporaire sera indemnisé à hauteur de 8 000 euros.

Sur le préjudice esthétique permanent

Le préjudice esthétique permanent (après consolidation) a été évalué par l’expert à 4,5 sur une échelle de 7, caractérisé par « l’utilisation d’un fauteuil roulant et les déformations et cicatrices », une quinzaine étant décrites par l’expert, certaines étant situées sur une partie du corps particulièrement exposée à la vue des tiers.

Ce préjudice sera indemnisé à hauteur de 20 000 euros.

Sur le déficit fonctionnel permanent

Aux termes de deux arrêts rendus en assemblée plénière, la Cour de cassation a jugé que le capital ou la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d’une maladie professionnelle en application des articles L.434-1 ou L.434-2 du code de la sécurité sociale, ainsi que la majoration prévue à l’article L.452-2 du même code, ne réparent pas le déficit fonctionnel permanent subi par la victime (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvois n° 21-23.947 et n° 20-23.673, publiés).

En cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime est donc fondée à solliciter l’indemnisation complémentaire du déficit fonctionnel permanent en application des dispositions de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu’interprété par le conseil constitutionnel par décision du 18 juin 2010.

Ce préjudice résulte de la réduction définitive après consolidation du potentiel physique et psychosensoriel ou intellectuel du fait de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales de la victime.

En l’espèce, le docteur [Y] [S] retient un déficit fonctionnel permanent de 60 % qu’il justifie en ces termes :

« Suite aux faits, les doléances portent sur des douleurs et un retentissement psychologique. L’examen clinique, pour sa part, objective : limitation de la pronosupination gauche, flessum du coude gauche, limitation d’élévation antérieure à 25° de l’épaule gauche, limitation avec raideur du poignet gauche avec déficit radial quasi complet gauche, Lasègues à 35° à gauche et 60° à droite, inégalité de longueur des membres inférieurs, une déformation du bassin douloureuse, amyotrophie de la cuisse et une flexion du genou limitée à 110°, déficit de flexion dorsale active de la cheville gauche avec raideur, déficit du releveur et varus équin gauche. Déficit à la marche avec béquille axillaire et déficit proprioceptif. Un état de stress post-traumatique. Ainsi, il convient de retenir que les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales justifient que l’on retienne un taux de déficit fonctionnel permanent de 60 % ».

A la date de consolidation fixée au 1er novembre 2019, monsieur [X] [B] était âgé de 40 ans.

Monsieur [X] [B] demande au tribunal d’appliquer une méthode de calcul alternative de l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent, sur la base d’indemnités journalières décapitalisées appliquées à son espérance de vie à la date de sa consolidation. Il prétend que le taux défini par l’expert a été fixé par application du barème du concours médical de droit commun, lequel évalue exclusivement l’atteinte physiologique sans tenir compte ni des douleurs permanentes ressenties, ni de l’atteinte à la qualité de vie et les troubles des conditions d’existence, qui sont les deux autres composantes du déficit fonctionnel permanent.

Or, l’évaluation réalisée par l’expert tient d’ores et déjà compte expressément, en sus de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, des douleurs physiques et des souffrances psychologiques, ainsi que la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales.

Le déficit fonctionnel permanent sera donc indemnisé par multiplication du taux de déficit fonctionnel permanent à la valeur du point, soit 4.675 euros, soit 280.500 euros.

Sur le préjudice d’agrément

Le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs qu’elle pratiquait antérieurement au dommage et par la limitation ou la difficulté, y compris d’ordre psychologique, à poursuivre la pratique antérieure de ladite activité.

Il est précisé que le préjudice d’agrément temporaire, c’est-à-dire antérieur à la consolidation, est indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire.

Enfin, la prise en compte d’un préjudice d’agrément n’exige pas la démonstration d’une pratique de l’activité en club, une pratique individuelle antérieure étant suffisante à partir du moment où elle est justifiée par tout moyen.

En l’espèce, monsieur [X] [B] fait valoir qu’avant l’accident, il pratiquait avec ses amis la course à pied, du basketball et le tennis et que cette pratique sportive lui permettait d’avoir une vie sociale riche, et que, du fait de son état de santé, il ne peut plus s’adonner à ces activités.

Le docteur [Y] [S] confirme que les séquelles décrites sont de nature à contre-indiquer le type d’activité de loisirs déclaré par le demandeur.

Toutefois, monsieur [X] [B] ne produit aucun justificatif de nature à établir qu’il pratiquait effectivement les activités alléguées avant l’accident. A cet égard, il est précisé que le document dactylographié présenté comme une attestation du docteur [A], médecin généraliste retraité se présentant comme l’ancien médecin traitant du requérant, n’est pas signé et qu’en tout état de cause, celui-ci ne peut confirmer la pratique d’activités sportives qui n’a pas eu lieu en sa compagnie ou en sa présence, mais qui lui aurait simplement été relatée par son patient.

L’assuré sera donc débouté de sa demande d’indemnisation formulée au titre du préjudice d’agrément.

Sur le préjudice sexuel

Le préjudice sexuel s’entend d’une altération partielle ou totale de la fonction sexuelle dans l’une de ses composantes :

Atteinte morphologique des organes sexuels,Perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir), Difficulté ou impossibilité de procréer.
L'évaluation de ce préjudice doit être modulée en fonction du retentissement subjectif de la fonction sexuelle selon l'âge et la situation familiale de la victime.

Il est précisé que le préjudice sexuel temporaire, c’est-à-dire antérieur à la consolidation, est déjà indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire.

En l’espèce, l’expert évoque un maintien de la libido mais des troubles de l’érection, des troubles fonctionnels et une perte de confiance en son image avec intolérance aux traitements érectiles.

Dès lors, le préjudice sexuel après consolidation peut être qualifié d’important compte tenu de l’âge de l’assuré (40 ans au jour de la consolidation) et sera indemnisé à hauteur de 12 000 euros.

Sur le préjudice d’établissement 
Le préjudice d’établissement consiste en la perte d’espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap. L’évaluation est personnalisée notamment en fonction de l’âge.

Dans son rapport, le docteur [Y] [S] retient un préjudice d’établissement caractérisé par la perte de chance de rencontrer une compagne et de mener une vie familiale.

Monsieur [X] [B] précise que sa compagne au moment de l’accident l’a quitté avant qu’il n’ait pu fonder une famille.

Dans ces circonstances, les séquelles fonctionnelles et esthétiques de monsieur [X] [B] diminuent effectivement ses chances de rencontrer une compagne et de fonder une famille.

Cette perte de chance sera indemnisée à hauteur de 10 000 euros au titre du préjudice d’établissement.

Sur l’action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie

Il est constant que l’ancien employeur de monsieur [X] [B], monsieur [T] [C] a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et que la SELARL [I] [K] a été désignée en qualité de liquidateur.

Ainsi la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône sera fondée à exercer son action récursoire à l’encontre de monsieur [T] [C], représenté par son liquidateur, la SELARL [4] sous réserve de la déclaration de sa créance au passif de la liquidation judiciaire.

Sur les dépens, les frais irrépétibles et l’exécution provisoire

Les dépens seront à la charge de Monsieur [T] [C], représenté par son liquidateur, la SELARL [4].

L'équité commande d’allouer à monsieur [X] [B] une indemnité de 1.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, cette somme devant être déclarée par celui-ci au passif de la liquidation judiciaire de monsieur [T] [C].

Enfin, s’agissant des décisions rendues en matière de sécurité sociale, l’exécution provisoire est facultative, en application de l’article R.142-10-6 du code de la sécurité sociale.

En l’espèce, l’exécution provisoire, compatible avec la nature de la décision et l’ancienneté du litige, sera ordonnée à hauteur de la moitié des sommes allouées.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et rendu en premier ressort,

Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lyon du 7 juillet 2021,
Vu le rapport d’expertise du docteur [Y] [S] du 29 mars 2023,

DÉBOUTE monsieur [X] [B] de sa demande d’indemnisation au titre de la perte de chance de promotion professionnelle ;

DÉBOUTE monsieur [X] [B] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice d’agrément ;

FIXE le montant des indemnités revenant à monsieur [X] [B] aux sommes suivantes :

950 euros au titre des frais divers ; 116.704 euros au titre de l’assistance par une tierce personne ;42.567,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;129.996,03 euros au titre des frais d’aménagement de véhicule ; 45.000 euros au titre des souffrances endurées ;28.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et permanent ;280.500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;12.000 euros au titre du préjudice sexuel ; 10.000 euros au titre du préjudice d’établissement ;
RÉSERVE l’indemnisation des frais d’aménagement de logement ;

DIT qu’il convient de déduire la provision allouée à hauteur de 5 000 euros, soit un solde à régler de 660.717,43 euros ;

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône doit faire l'avance du solde des sommes revenant à la victime en réparation de ses préjudices, au titre des frais d’expertise et au titre de la majoration de rente et qu’elle dispose du droit d'en recouvrer le montant auprès de l’employeur, sous condition de déclaration de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de monsieur [T] [C].

ALLOUE à monsieur [X] [B] une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que cette somme devra être déclarée par monsieur [X] [B] au passif de la liquidation judiciaire de monsieur [T] [C] ;

ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement à hauteur de la moitié des sommes allouées.

Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 13 mai 2024, et signé par le président et la greffière.

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 20/01412
Date de la décision : 13/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-13;20.01412 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award