MINUTE N° :
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON
POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
JUGEMENT DU :
MAGISTRAT :
ASSESSEURS:
DÉBATS :
PRONONCE :
AFFAIRE :
NUMÉRO R.G :
16 AVRIL 2024
Martin JACOB, président
Dominique DALBIES, assesseur collège employeur
Fabienne PERRET, assesseur collège salarié
Assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Alice GAUTHÉ, greffière
Tenus en audience publique le 16 février 2024
Jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 16 avril 2024 par le même magistrat
Monsieur [I] [E] C/ CAF DU RHONE
N° RG 22/00687 - N° Portalis DB2H-W-B7G-WXXT
DEMANDEUR
Monsieur [I] [E]
Demeurant [Adresse 1]
Comparant, assisté de Maître Christèle HARRY, avocate au barreau de LYON
DÉFENDERESSE
CAF DU RHONE
Située [Adresse 2]
Représentée par Madame [M] [S], munie d’un pouvoir spécial
Notification le :
Une copie certifiée conforme à :
M. [I] [E]
Me Christèle HARRY, vestiaire : 1462
CAF DU RHONE
Une copie revêtue de la formule exécutoire à :
M. [I] [E]
Une copie certifiée conforme au dossier
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par décision du juge des enfants, [I] [E], né le 4 janvier 2004, a été confié à [Z] [U], en tant que tiers digne de confiance.
Par une ordonnance en date du 9 septembre 2019, le juge des enfants de Bourg-en-Bresse a ordonné que les prestations familiales relatives à [I] [E] seraient perçues par [Z] [U], tiers digne de confiance.
Par ordonnance du 3 juin 2020, le juge aux affaires familiales statuant en qualité de juge des tutelles du tribunal judiciaire de Lyon a prononcé l'émancipation de [I] [E].
Par une décision du 17 mars 2021, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a reconnu à [I] [E] un taux d'incapacité d'au moins 50% et inférieur à 80%, du 1er décembre 2020 au 31 janvier 2024, justifiant l'attribution de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH).
Par une décision du 26 mai 2021, la CDAPH a reconnu à [I] [E] un taux d'incapacité d'au moins 50% et inférieur à 80%, du 1er décembre 2020 au 30 novembre 2022, justifiant l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Par courriers datés du 15 juin 2021 et du 22 septembre 2021, la CAF du Rhône a informé [I] [E] du rejet de sa demande d'octroi de l'AAH car il n'était pas âgé de plus de 20 ans et il ne pouvait pas être considéré comme n'étant plus à la charge de ses parents.
Le 28 septembre 2021, [I] [E] a saisi la commission de recours amiable de la CAF du Rhône en précisant avoir été émancipé depuis le 3 juin 2020 et n'être à la charge de personne.
Par un courrier recommandé daté du 8 février 2022 et reçu le 25 février 2022, la CAF du Rhône a informé [I] [E] du rejet de son recours gracieux.
* * * *
Par un courrier recommandé reçu au greffe le 7 avril 2022, [I] [E] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon aux fins d'octroi de l'AAH.
L'affaire a été appelée à l'audience du 8 décembre 2023 et a été renvoyée à l'audience du 16 février 2024.
À cette dernière audience, [I] [E] et la CAF du Rhône ont comparu, de sorte que le jugement sera contradictoire.
* * * *
[I] [E], assisté de son conseil, a déposé ses conclusions écrites auxquelles il se réfère et a demandé au tribunal de :
- Condamner la CAF du Rhône à lui verser l'AAH sur la période du 1er décembre 2020 au 31 juillet 2022 ;
- Condamner la CAF du Rhône aux entiers dépens de l'instance.
La CAF du Rhône, dûment représentée, a déposé ses conclusions auxquelles elle se réfère et a sollicité ce qui suit :
- Rejeter la requête formée par [I] [E].
L'affaire a été mise en délibéré au 16 avril 2024.
MOTIFS
Sur l'octroi de l'AAH
Il résulte de l'article 371-1 du code civil que l'autorité parentale appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant.
Aux termes de l'article 413-6 du code civil, le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile. Il doit néanmoins, pour se marier ou se donner en adoption, observer les mêmes règles que s'il n'était point émancipé.
Aux termes de l'article 413-7 du code civil, le mineur émancipé cesse d'être sous l'autorité de ses père et mère. Ceux-ci ne sont pas responsables de plein droit, en leur seule qualité de père ou de mère, du dommage qu'il pourra causer à autrui postérieurement à son émancipation.
Il résulte de l'article 429 du code civil qu'une mesure de protection judiciaire peut être ouverte pour un mineur émancipé comme pour un majeur.
Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, toute personne résidant sur le territoire métropolitain ou dans les collectivités mentionnées à l'article L. 751-1 ou à Saint-Pierre-et-Miquelon ayant dépassé l'âge d'ouverture du droit à l'allocation prévue à l'article L. 541-1 et dont l'incapacité permanente est au moins égale à un pourcentage fixé par décret perçoit, dans les conditions prévues au présent titre, une allocation aux adultes handicapés.
Aux termes de l'article R. 821-1 du code de la sécurité sociale, est regardé comme ayant dépassé l'âge d'ouverture du droit à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé pour l'application des articles L. 821-1 et suivants tout enfant âgé d'au moins seize ans qui cesse de réunir les conditions exigées pour ouvrir droit aux allocations familiales.
En l'espèce, [I] [E] explique avoir été émancipé par décision de justice. Même s'il est resté vivre à titre gratuit au domicile de [Z] [U], il n'était plus à la charge de celle-ci.
[I] [E] précise avoir effectué une déclaration de ses revenus 2020 auprès du service des impôts, en 2021. Il a également créé un compte personnel auprès de la CAF.
Dans ces conditions, le bénéfice des allocations familiales avait cessé pour [Z] [U], celle-ci ne pouvant plus être considérée comme tiers digne de confiance suite à la décision d'émancipation.
Il ajoute que [Z] [U] est consciente de la nécessité pour elle de rembourser les sommes perçues au titre de l'AEEH si le tribunal venait à faire droit à sa demande.
Pour sa part, la CAF du Rhône soutient que le juge des enfants a prévu le versement des prestations familiales à [Z] [U], raison pour laquelle cette dernière a perçu l'AEEH relative à [I] [E], depuis le 1er décembre 2020.
La caisse ajoute que l'émancipation d'un mineur ne signifie pas qu'il soit totalement indépendant de ses parents, l'obligation des parents de contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants ne cessant pas à compter d'une telle émancipation.
De plus, la CAF du Rhône estime que l'article L. 512-1 du code de la sécurité sociale prévoit la perception des prestations familiales par toute personne ayant la charge d'un enfant, y compris sans lien de parenté.
La caisse a uniquement octroyé le bénéfice de l'AAH à [I] [E] dès lors qu'il a déclaré être étudiant et qu'il a demandé à percevoir l'aide au logement.
À cet égard, l'émancipation de [I] [E] a eu pour effet de lui permettre d'effectuer tous les actes de la vie civile.
Si des restrictions existent dans la législation, elles sont peu nombreuses. La principale restriction est visée à l'article 413-6 du code civil, s'agissant du mariage et de l'adoption du mineur émancipé. Ces textes ne sont pas applicables au présent litige.
Par son émancipation, [I] [E] devait être considéré comme un quasi-majeur.
Dans ces conditions, la décision du juge des enfants confiant l'intéressé à [Z] [U] en tant que tiers digne de confiance ne pouvait plus être maintenue. [Z] [U] est ainsi devenue un tiers à l'égard de [I] [E] et la décision de lui verser les prestations familiales a cessé de présenter un caractère obligatoire.
Si [I] [E] est resté vivre au domicile de [Z] [E], cela n'intervenait qu'à titre gratuit. La CAF du Rhône ne démontre pas que [Z] [U] ait entendu vouloir garder [I] [E] à sa charge alors que ce dernier démontre avoir entrepris toutes les démarches nécessaires pour accéder à l'autonomie et l'indépendance.
Même si [I] [E] ne percevait pas de revenus en 2020, comme cela ressort de son avis d'imposition 2021, il n'en demeure pas moins qu'il ne devait plus être considéré comme à la charge de [Z] [U].
L'absence de ressources pouvait justement être compensé par l'octroi de l'AAH.
En conséquence, il sera fait droit à la demande formée par [I] [E]. La CAF du Rhône sera condamnée à lui verser l'AAH à compter du 1er décembre 2020
Sur les dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, la CAF du Rhône sera condamnée aux dépens de l'instance.
Sur l'exécution provisoire
Aux termes du premier alinéa de l'article R. 142-10-6 du code de procédure civile, le tribunal peut ordonner l'exécution par provision de toutes ses décisions.
En l'espèce, l'ancienneté du litige justifie que l'exécution provisoire soit ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
- CONDAMNE la CAF du Rhône à verser à [I] [E] l'allocation aux adultes handicapés, à compter du 1er décembre 2020 ;
- CONDAMNE la CAF du Rhône aux dépens de l'instance ;
- ORDONNE l'exécution provisoire.
LA GREFFIERELE PRÉSIDENT
A. GAUTHÉM. JACOB