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12/03/2024 | FRANCE | N°21/01153

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Ctx protection sociale, 12 mars 2024, 21/01153


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON
POLE SOCIAL

Jugement du 12 MARS 2024


Minute n° :

Audience du :12 janvier 2024
Salarié :Madame [L] [G]

Requête n° : N° RG 21/01153 - N° Portalis DB2H-W-B7F-V4CA

PARTIES EN CAUSE



partie demanderesse


SAS [3]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]

Représentée par Maître Guy DE FORESTA, substitué par Maître Laurent SAUTEREL, avocats au barreau de LYON

partie défenderesse


CPAM DU RHONE
[Adresse 5]
[Localité 2]

Rep

résentée par Monsieur [B] [P], muni d’un pouvoir spécial





COMPOSITION DU TRIBUNAL


Lors des débats tenus en audience publique et du délibéré :
Présidente : Justi...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON
POLE SOCIAL

Jugement du 12 MARS 2024

Minute n° :

Audience du :12 janvier 2024
Salarié :Madame [L] [G]

Requête n° : N° RG 21/01153 - N° Portalis DB2H-W-B7F-V4CA

PARTIES EN CAUSE

partie demanderesse

SAS [3]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]

Représentée par Maître Guy DE FORESTA, substitué par Maître Laurent SAUTEREL, avocats au barreau de LYON

partie défenderesse

CPAM DU RHONE
[Adresse 5]
[Localité 2]

Représentée par Monsieur [B] [P], muni d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats tenus en audience publique et du délibéré :
Présidente : Justine AUBRIOT
Assesseur collège employeur : Caroline LAMANDE
Assesseur collège salarié : Guy PARISOT

Assistés lors des débats et du délibéré de : Alice GAUTHÉ, greffière

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

SAS [3]
Me Guy DE FORESTA, vestiaire : 653
CPAM DU RHONE
Une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSÉ DU LITIGE

Par requête adressée en lettre recommandée avec accusé de réception le 21/05/2021, la société [3] a formé un recours à l'encontre d'une décision de la CMRA du 04/03/2021 confirmant la décision de la CPAM du RHONE notifiée le 28/09/2020 et qui attribue un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 10% (dont 5% de taux socio-professionnel) au profit de Madame [L] [G] à compter de la date de consolidation fixée le 31/08/2020, en raison d'un accident de travail déclaré le 14/02/2019, dont les séquelles sont décrites de la manière suivante : "douleur et limitation fonctionnelle du poignet droit côté dominant sur état antérieur.".

Le tribunal du contentieux de l'incapacité de Rhône-Alpes ayant été supprimé au 31/12/2018, le tribunal judiciaire de Lyon (pôle social - contentieux technique) est devenu la juridiction compétente pour connaître de ce litige depuis le 01/01/2019. Le greffe de cette juridiction a donc convoqué les parties, conformément à l'article R142-10-3 du Code de la sécurité sociale, pour l'audience du 12/01/2024.

À cette date, en audience publique :

- La société [3] représentée par Me DE FORESTA substitué par Me SAUTEREL conclut oralement à titre principal à l'inopposabilité du taux compte tenu du défaut de communication du rapport d'évaluation des séquelles par la CMRA au stade du recours administratif préalable, subsidiairement à l'annulation du taux d'IP au vu de l'absence de preuve d'un préjudice professionnel alors que la rente n'indemnise plus que celui-ci, et à titre infiniment subsidiaire à la diminution du taux d'IPP global à 8% maximum compte tenu des observations du Docteur [R] qui estime que la salariée ne présente que des douleurs sans limitations des amplitudes du poignet et que le taux socio-professionnel a plutôt été attribué pour l'état antérieur que pour l'accident du travail.

- La CPAM du RHONE a comparu représentée par Monsieur [P] qui a fait observer que le rapport d'évaluation des séquelles du médecin conseil a été transmis le 18/12/2023 soit avant l'audience contentieuse, de sorte que la demande d'inopposabilité doit être rejetée, le médecin employeur ayant pu discuter les conclusions du médecin CPAM. Sur la demande de voir ramener le taux d'IP à 0%, la caisse remarque que la jurisprudence invoquée a été rendue dans le cadre de la reconnaissance d'une faute inexcusable et ne remet pas en question les dispositions législatives qui prévoient les modalités d'attribution du taux d'IP, et qu'en l'espèce le préjudice professionnel est au surplus établi puisque la salariée a été licenciée pour inaptitude. La caisse sollicite le maintien du taux.

En raison de la nature du litige, le tribunal a ordonné une consultation médicale sur pièces confiée au Docteur [C] [O], mesure qui a été exécutée sur-le-champ.

A l'issue de cette consultation, le médecin consultant, commis conformément aux dispositions des articles R 142-16 et suivants du Code de la sécurité sociale, après avoir pris connaissance du dossier médical de Mme [G] a exposé oralement la synthèse de ses constatations médicales.

Les conclusions écrites du médecin consultant du tribunal sont jointes à la minute du présent jugement.

Puis, le tribunal s'est retiré et a délibéré de l'affaire conformément à la loi, avant de rendre son jugement par mise à la disposition au greffe le 12/03/2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la recevabilité du recours

La recevabilité du recours n'est pas discutée par la caisse. Il appartient néanmoins au juge de la vérifier d'office, l'exercice d'un recours administratif préalable conditionnant le recours contentieux en vertu de l'article 125 du code de procédure civile et de l'article L142-4 du Code de la sécurité sociale (visant les litiges relatifs à l'incapacité permanente résultant d'accident du travail ou maladie professionnelle), applicable aux décisions notifiées à compter du 1er janvier 2020.

En l'espèce il ressort des pièces communiquées que l'employeur a bien contesté la décision de la CPAM devant la CMRA, laquelle a confirmé la décision de la caisse le 04/03/2021. Il a introduit son recours le 21/05/2021.

Le recours est par conséquent recevable.

- Sur l'inopposabilité pour défaut de transmission du rapport d'évaluation des séquelles par la CMRA

En application de l'article L.434-2 du Code de la Sécurité Sociale, le taux d'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime, d'après ses aptitudes et qualifications professionnelles, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.

Il résulte de l'article L. 142-6 du Code de la sécurité sociale applicable au moment du recours formé par l'employeur que :" Pour les contestations d'ordre médical, hors celles formées au titre de 8° de l'article L. 142-1, le praticien-conseil du contrôle médical du régime de sécurité sociale concerné transmet, sans que puissent lui être opposées les dispositions de l'article 226-13 du code pénal, à l'attention du médecin expert ou du médecin consultant désigné par la juridiction compétente, l'entier rapport médical ayant contribué à la fixation du taux d'incapacité de travail permanente. A la demande de l'employeur, ce rapport est notifié au médecin qu'il mandate à cet effet. La victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle est informée de cette notification ".

Afin de concilier les exigences liées au respect du principe du contradictoire et au secret médical dans le cadre des contestations portant sur l'état d'incapacité, la communication de l'intégralité du rapport médical ayant fondé la décision de la caisse au médecin mandaté par l'employeur est prévue à deux stades de la procédure :

- en vertu de l'article R142-8-3 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que le secrétariat de la commission médicale de recours amiable notifie, dans un délai de dix jours à compter de l'introduction du recours, par tout moyen conférant date certaine, le rapport mentionné à l'article L. 142-6 accompagné de l'avis au médecin mandaté par l'employeur à cet effet ;

- en vertu de l'article R142-16-3 du code de la sécurité sociale qui prévoit que dans le délai de dix jours à compter de la notification à l'employeur de la décision du tribunal désignant l'expert, celui-ci peut demander, par tous moyens conférant date certaine, à l'organisme de sécurité sociale, de notifier au médecin, qu'il mandate à cet effet, l'intégralité du rapport médical mentionné à l'article L. 142-6 et du rapport mentionné au premier alinéa de l'article L. 142-10 ou l'ensemble des éléments ou informations à caractère secret au sens du deuxième alinéa de l'article L. 142-10 ayant fondé sa décision. S'il n'a pas déjà notifié ces rapports au médecin ainsi mandaté, l'organisme de sécurité sociale procède à cette notification, dans le délai de vingt jours à compter de la réception de la demande de l'employeur.

Il résulte de l'avis de la Cour de cassation du 17/06/2021 que les délais impartis par les articles R. 142-8-2, alinéa 2 et R. 142-8-3, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction résultant du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, applicables au litige, pour la transmission à la commission médicale de recours amiable par le praticien-conseil du rapport mentionné à l'article L. 142-6 du même code et pour la notification de ce rapport par le secrétariat de la commission au médecin mandaté par l'employeur, lorsque ce dernier a formé un recours préalable, qui ne sont assortis d'aucune sanction, sont indicatifs de la célérité de la procédure.

Ainsi, leur inobservation n'entraîne pas l'inopposabilité à l'égard de l'employeur de la décision attributive du taux d'incapacité dès lors :

- que celui-ci dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l'expiration du délai de rejet implicite de quatre mois prévu à l'article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale et d'obtenir, à l'occasion de ce recours, la communication du rapport mentionné ci-dessus en application des articles L. 142-10 et R. 142-16-3 du même code,

- que la CPAM ne peut pas être sanctionnée pour la violation d'une obligation dont elle n'est pas débitrice.

En l'espèce la société requérante ne conteste pas que ledit rapport ait bien été produit et communiqué au médecin qu'elle a désigné dans le cadre de l'instance contentieuse, le Dr [R], qui a d'ailleurs fourni un rapport circonstancié le 18/11/2022, contestant les conclusions du rapport d'évaluation des séquelles du médecin conseil CPAM.

Ainsi il résulte de ce qui précède que l'absence de communication à l'employeur du rapport prévu à l'article L142-6 du code de la sécurité sociale à l'occasion de l'exercice d'un recours médical préalable est sans incidence sur la décision prise antérieurement par la caisse et son opposabilité à l'employeur.

C'est d'ailleurs ce que la Cour de Cassation est venue confirmer dans un arrêt du 11/01/2024, rappelant que le défaut de communication du rapport d'évaluation des séquelles au stade du recours administratif ne pouvait être sanctionné par une inopposabilité de la décision de prise en charge des soins et arrêts prescrits (et par extension du taux d'incapacité notifié par la caisse), dès lors que l'employeur conservait la possibilité de porter son recours devant le tribunal judiciaire et ainsi d'obtenir communication du rapport du service médical de la caisse.

Il convient en conséquence de rejeter le moyen soulevé et de dire la décision de la CPAM opposable à l'employeur.

- Sur la demande d'annulation du taux d'IPP faute de préjudice professionnel démontré

Selon l'article L.434-1 du code de la sécurité sociale " Une indemnité en capital est attribuée à la victime d'un accident du travail atteinte d'une incapacité permanente inférieure à un pourcentage déterminé. Son montant est fonction du taux d'incapacité de la victime et déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret dont les montants sont revalorisés au 1er avril de chaque année par application du coefficient mentionné à l'article L. 161-25. Il est révisé lorsque le taux d'incapacité de la victime augmente tout en restant inférieur à un pourcentage déterminé. Cette indemnité est versée lorsque la décision est devenue définitive. Elle est incessible et insaisissable.".

Aux termes de l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale "le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.

Lorsque l'incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum, la victime a droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci."

L'article R.434-32 prévoit qu'au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l'existence d'une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants-droits.
Les barèmes indicatifs d'invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d'incapacité permanente d'une part en matière d'accidents du travail et d'autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au présent livre. Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail.

Les annexes I et II au code de la sécurité sociale prises en application de cet article définissent les barèmes indicatifs d'invalidité applicables en matière d'accidents du travail et de maladie professionnelle.

L'annexe I du barème indicatif d'invalidité accidents du travail (application de l'article R434-32 du CSS) définit précisément les éléments constitutifs du taux d'IPP :
"... l'incapacité permanente est déterminée d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime, ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle.
Les quatre premiers éléments de l'appréciation concernent donc l'état du sujet considéré, du strict point de vue médical.
Le dernier élément concernant les aptitudes et la qualification professionnelle est un élément médico-social ; il appartient au médecin chargé de l'évaluation, lorsque les séquelles de l'accident ou de la maladie professionnelle lui paraissent devoir entraîner une modification dans la situation professionnelle de l'intéressé, ou un changement d'emploi, de bien mettre en relief ce point susceptible d'influer sur l'estimation globale.
Les éléments dont le médecin doit tenir compte, avant de proposer le taux médical d'incapacité permanente, sont donc :
1° La nature de l'infirmité. Cet élément doit être considéré comme la donnée de base d'où l'on partira, en y apportant les correctifs, en plus ou en moins, résultant des autres éléments. Cette première donnée représente l'atteinte physique ou mentale de la victime, la diminution de validité qui résulte de la perte ou de l'altération des organes ou des fonctions du corps humain. Le présent barème doit servir à cette évaluation.
2° L'état général. Il s'agit là d'une notion classique qui fait entrer en jeu un certain nombre de facteurs permettant d'estimer l'état de santé du sujet. Il appartient au médecin chargé de l'évaluation d'adapter en fonction de l'état général, le taux résultant de la nature de l'infirmité. Dans ce cas, il en exprimera clairement les raisons. L'estimation de l'état général n'inclut pas les infirmités antérieures - qu'elles résultent d'accident ou de maladie - ; il en sera tenu compte lors de la fixation du taux médical.
3° L'âge. Cet élément, qui souvent peut rejoindre le précédent, doit être pris en considération sans se référer exclusivement à l'indication tirée de l'état civil, mais en fonction de l'âge organique de l'intéressé. Il convient ici de distinguer les conséquences de l'involution physiologique, de celles résultant d'un état pathologique individualisé. Ces dernières conséquences relèvent de l'état antérieur et doivent être estimées dans le cadre de celui-ci. On peut ainsi être amené à majorer le taux théorique affecté à l'infirmité, en raison des obstacles que les conséquences de l'âge apportent à la réadaptation et au reclassement professionnel.
4° Facultés physiques et mentales. Il devra être tenu compte des possibilités de l'individu et de l'incidence que peuvent avoir sur elles les séquelles constatées. Les chiffres proposés l'étant pour un sujet normal, il y a lieu de majorer le taux moyen du barème, si l'état physique ou mental de l'intéressé paraît devoir être affecté plus fortement par les séquelles que celui d'un individu normal.

5° Aptitudes et qualification professionnelles. La notion de qualification professionnelle se rapporte aux possibilités d'exercice d'une profession déterminée. Quant aux aptitudes, il s'agit là des facultés que peut avoir une victime d'accident du travail ou de maladie professionnelle de se reclasser ou de réapprendre un métier compatible avec son état de santé.
Lorsqu'un accident du travail ou une maladie professionnelle paraît avoir des répercussions particulières sur la pratique du métier, et, à plus forte raison, lorsque l'assuré ne paraît pas en mesure de reprendre son activité professionnelle antérieure, le médecin conseil peut demander, en accord avec l'intéressé, des renseignements complémentaires au médecin du travail. La possibilité pour l'assuré de continuer à occuper son poste de travail - au besoin en se réadaptant - ou au contraire, l'obligation d'un changement d'emploi ou de profession et les facultés que peut avoir la victime de se reclasser ou de réapprendre un métier, devront être précisées en particulier du fait de dispositions de la réglementation, comme celles concernant l'aptitude médicale aux divers permis de conduire.".

Les annexes sus-visées rappellent également que le barème n'a qu'un caractère indicatif. Les taux d'incapacité proposés sont des taux moyens, et le médecin chargé de l'évaluation garde, lorsqu'il se trouve devant un cas dont le caractère lui paraît particulier, l'entière liberté de s'écarter des chiffres du barème ; il doit alors exposer clairement les raisons qui l'y ont conduit.
[Ce] barème indicatif a pour but de fournir les bases d'estimation du préjudice consécutif aux séquelles des accidents du travail et, éventuellement, des maladies professionnelles dans le cadre de l'article L. 434-2 applicable aux salariés du régime général et du régime agricole. Il ne saurait se référer en aucune manière aux règles d'évaluation suivies par les tribunaux dans l'appréciation des dommages au titre du droit commun.

La Cour de cassation, par deux arrêts (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947 et n°21-23.673) a décidé que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent en sorte que la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées.

Le déficit fonctionnel permanent se définit ainsi : " Il s'agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime. Il convient d'indemniser, à ce titre, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu'elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après sa consolidation. Ce poste de préjudice cherche à indemniser un préjudice extra-patrimonial découlant d'une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi a une incidence sur les fonctions du corps humain de la victime […] Il s'agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime ".

La société requérante en conclut que l'objet de la rente d'incapacité permanente, les modalités d'évaluation et d'attribution du taux s'y rapportant sont désormais circonscrites à la seule détermination de l'incidence professionnelle et des pertes de gains éventuels. Elle considère que le taux d'incapacité permanente devra indemniser exclusivement les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle.

La Caisse primaire d'assurance maladie du RHONE rétorque que c'est faire une interprétation erronée de cette jurisprudence qui ne s'applique en fait qu'en matière de faute inexcusable de l'employeur en ce qu'elle ouvre la possibilité pour la victime de solliciter la réparation des préjudices en raison des souffrances physiques et morales endurées.

En effet l'assuré dans ce cadre peut solliciter une indemnisation de ces préjudices sans bénéficier d'une double indemnisation précisément car la rente accident du travail n'est pas fixée au regard du montant des préjudices mais de manière forfaitaire.

En effet il résulte de l'article L451-1 du code de la sécurité sociale qu'" […] aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants-droit ", ce qui a pour contrepartie une réparation forfaitaire versée par l'assurance-maladie.

Ainsi, en cas d'AT/MP sans reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur, le principe demeure celui de l'exclusion de la responsabilité de l'employeur et de l'indemnisation forfaitaire de la victime par l'organisme de sécurité sociale, telle que prévue par l'article L434-2 et le barème indicatif auquel il renvoie.

A cet égard en tout état de cause il convient d'observer que l'article L434-2 du code de la sécurité social n'a pas été abrogé, et que le barème indicatif d'incapacité demeure en vigueur.

Il s'ensuit que l'argumentaire développée par la société requérante ne peut prospérer et que le moyen d'inopposabilité invoqué sera donc rejeté.

Au surplus en l'espèce, la société [3] soutient que la preuve d'une incidence professionnelle n'est pas rapportée. Or la CPAM du RHONE fournit la lettre de convocation de la salariée du 13/03/2020 en vue d'un licenciement pour inaptitude, cette inaptitude ayant été prononcée le 17/02/2020 par le médecin du travail, en suite de la consolidation de son accident du travail. L'employeur ne produit aucun élément de nature à contredire cet état de fait ni à démontrer que l'inaptitude proviendrait d'une autre cause.

Il en résulte que c'est à bon droit que le médecin conseil, a pu estimer qu'une incidence professionnelle devait être retenue.

Dès lors il n'y pas lieu à annulation du taux d'IPP attribuée à la salariée.

- Sur l'évaluation du taux d'IPP

La juridiction saisie du recours, doit vérifier l'application du barème et des dispositions de l'article L 434-2 du Code de la Sécurité Sociale, l'employeur soutenant une réduction du taux notifié et la CPAM le maintien du taux de 10%.

En application de l'article L.434-2 du Code de la Sécurité Sociale, le taux d'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime, d'après ses aptitudes et qualifications professionnelles, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.

En l'espèce, le Docteur [O], médecin consultant, observe que l'examen clinique effectué par le médecin conseil est normal, sans caractérisation de limitations du poignet. Il propose dès lors de ramener le taux médical d'IP à 3% en application du barème indicatif

Ainsi en l'état des éléments médicaux objectifs, spécialement ceux retenus lors de l'examen clinique et figurant dans le rapport du médecin conseil de la caisse, dans l'avis du médecin désigné par l'employeur et dans le rapport de l'expert consulté par la juridiction, les séquelles qualifiées dans la décision attaquée et en rapport avec l'accident du travail justifient un taux médical de 3% à compter de la date de consolidation, en application du barème indicatif et des dispositions de l'article L 434-2 du Code la Sécurité Sociale.

- Sur le taux socio-professionnel

L'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale dispose que le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.

L'annexe I à l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale précise que la notion de qualification professionnelle se rapporte aux possibilités d'exercice d'une profession déterminée.

Quant aux aptitudes, il s'agit là des facultés que peut avoir une victime d'accident du travail ou de maladie professionnelle de se reclasser ou de réapprendre un métier compatible avec son état de santé.

La majoration du taux d'incapacité au titre du retentissement professionnel suppose que soit rapportée la preuve d'une perte d'emploi ou d'un préjudice économique en lien direct et certain avec l'accident du travail ou la maladie professionnelle.

La composante patrimoniale de l'incidence professionnelle comprend la dévalorisation sur le marché du travail et la perte de chance professionnelle, à distinguer des composantes extra-patrimoniales qui s'entendent de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi, de l'atteinte porté à l'intérêt porté aux tâches professionnelles.

En l'espèce il résulte des pièces produites par la CPAM que la salariée, âgé de 53 ans à la date de consolidation et serveuse au sein de la société, après avoir été déclaré inapte à son poste (et à tout poste dans l'entreprise) le 17/02/2020, a été licenciée pour inaptitude à son poste.

Il se déduit de son âge et des fonctions qu'elle occupait dans l'entreprise, que son licenciement a nécessairement entraîné un préjudice économique, en lien direct et certain avec l'accident du travail subi puisqu'elle a été déclarée inapte et n'a pu être reclassée dans l'entreprise, et a donc perdu son emploi.

La société demanderesse ne rapportant pas d'éléments qui seraient de nature à remettre en cause le taux socioprofessionnel attribué à Madame [G], il convient de le confirmer.

En conséquence, le tribunal considère qu'il dispose de suffisamment d'éléments pour déclarer que le taux d'incapacité permanente partielle opposable à l'employeur doit être abaissé à 8% (dont 5% de taux socio-professionnel). La décision contestée est donc réformée en ce sens.

Il convient par ailleurs d'ordonner l'exécution provisoire compte tenu de l'ancienneté du litige.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire en premier ressort,

- DÉCLARE recevable en la forme le recours formé par la société [3];

- REJETTE la demande d'inopposabilité de la société [3] ;

- RÉFORME la décision de la CMRA du 04/03/2021 confirmant la décision de la CPAM du RHONE notifiée le 28/09/2020 et FIXE à 8% (dont 5% de taux socio-professionnel) le taux opposable à l'employeur au titre de l'incapacité permanente partielle de Madame [L] [G] à compter de la date de consolidation fixée le 31/08/2020, en raison d'un accident de travail déclaré le 14/02/2019 ;

- REJETTE les autres demandes ;

- RAPPELLE, en application de l'article L142-11 du Code de la Sécurité Sociale introduit par l'article 61 (VII) de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, que les frais de consultation médicale ordonnée au cours de l'audience sont à la charge de la caisse nationale d'assurance maladie ;

- ORDONNE l'exécution provisoire de la décision ;

- CONDAMNE la CPAM du RHONE aux dépens exposés à compter du 1er janvier 2019 ;

Jugement rendu par mise à la disposition au greffe le 12 mars 2024 dont la minute a été signée par la présidente et la greffière.

LA GREFFIERELA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 21/01153
Date de la décision : 12/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-12;21.01153 ?
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