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06/03/2024 | FRANCE | N°21/00248

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Ctx protection sociale, 06 mars 2024, 21/00248


MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON

POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :




DÉBATS :

PRONONCE :



AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :









06 MARS 2024

Jérôme WITKOWSKI, président

Miren-Amaya FABREGOULE DECHENAUX, assesseur collège employeur
Bruno ANDRE, assesseur collège salarié

Assistés lors des débats et du prononcé du jugement de Alice GAUTHE, greffièrer>
Tenus en audience publique le 06 décembre 2023

Jugement contradictoire, rendu en premier ressort, dont le délibéré initialement prévu au 07 février 2024 a été prorogé au 06 mars 2024 par le m...

MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON

POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :


DÉBATS :

PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

06 MARS 2024

Jérôme WITKOWSKI, président

Miren-Amaya FABREGOULE DECHENAUX, assesseur collège employeur
Bruno ANDRE, assesseur collège salarié

Assistés lors des débats et du prononcé du jugement de Alice GAUTHE, greffière

Tenus en audience publique le 06 décembre 2023

Jugement contradictoire, rendu en premier ressort, dont le délibéré initialement prévu au 07 février 2024 a été prorogé au 06 mars 2024 par le même magistrat

M. [X] [U] C/ Société [3]

N° RG 21/00248 - N° Portalis DB2H-W-B7F-VSR5

DEMANDEUR

Monsieur [X] [U]
Demeurant [Adresse 2]

Représenté par Maître Cyrielle MARQUILLY-MORVAN, avocate au barreau de VALENCE

DÉFENDERESSE

Société [3]
Située [Adresse 1]

Représentée par Maître Frédéric CARRON, avocat au barreau de LYON

PARTIE INTERVENANTE

CPAM DU RHONE
[Adresse 4]

Représentée par Madame [H] [E], munie d’un pouvoir spécial
Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

M. [X] [U]
Me Cyrielle MARQUILLY-MORVAN
Société [3]
Me Frédéric CARRON (vestiaire : 320)
CPAM DU RHONE
Une copie revêtue de la formule executoire

Me Frédéric CARRON (vestiaire : 320)
Une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [X] [U] a été embauché à compter du 2 novembre 2016 sous contrat à durée indéterminée au sein de la société [3] et occupait, au dernier état de la relation de travail, un emploi de conducteur livreur poids lourds.

Le 16 avril 2019, il a été victime d'un accident du travail dont les circonstances sont décrites en ces termes : " il préparait des colis dans la caisse d'un camion aidé par un intérimaire. En redescendant de la semi, il a pris appui sur un carton qui s'est affaissé, ce qui l'a déséquilibré et il est tombé ".

Le certificat médical initial établi le même jour fait état des constatations suivantes :
" Diagnostic principal : contusion du genou ;
Diagnostic secondaire : rupture coiffe rotateur ;
Observation : gauches ".

Le 30 avril 2019, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle.

L'état de santé de monsieur [X] [U] a été déclaré consolidé le 24 février 2020, avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 17 % (dont 7% au titre du taux socio-professionnel).

Par courrier en date du 21 août 2020, monsieur [X] [U] a saisi la caisse primaire d'assurance maladie d'une demande de conciliation dans le cadre de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

En l'absence de conciliation, monsieur [X] [U] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon par requête réceptionnée le 8 février 2021, afin de solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable de la société la société [3].

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement lors de l'audience, monsieur [X] [U] demande au tribunal de juger que l'accident du travail dont il a été victime le 16 avril 2019 est imputable à la faute inexcusable de la société [3]. En conséquence, il sollicite le bénéfice de la majoration de la rente qui lui est servie au taux maximum. Il demande au tribunal de surseoir à statuer sur l'indemnisation de ses préjudices et sollicite, avant dire droit, que soit ordonnée une expertise médicale afin d'évaluer les préjudices subis, ainsi que le bénéfice d'une provision de 8.000 euros à valoir sur l'indemnisation future de ses préjudices, outre la condamnation de la société [3] à lui verser la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [3], monsieur [X] [U] indique que son travail consistait en la livraison de meubles à des particuliers. Il invoque en premier lieu le manquement aux règles de manutention, de chargement et d'arrimage du camion et expose qu'en principe, les colis livrés en dernier sont chargés en premier, en fond de caisse, et que ceux livrés en premier sont chargés en dernier pour être immédiatement accessibles au déchargement. Il précise cependant que l'employeur procédait à des " rajouts ", consistant à disposer des colis volumineux supplémentaires en bordure de camion, alors qu'ils n'étaient pas nécessairement livrés en premier. Il indique que par manque de place, cette pratique l'obligeait à escalader les colis volumineux rajoutés en bordure de camion afin de retirer ceux qui étaient destinés aux premiers clients et qui se trouvaient derrière, ce qui l'exposait à un risque de chute. Il ajoute que ces colis étaient lourds et excédaient souvent 25 kg, poids maximal préconisé par le médecin du travail.

Il invoque en second lieu le fait que la caisse du camion, située à 1,5 mètres du sol, n'était pas équipée d'un hayon élévateur pour décharger les colis, parfois extrêmement lourds et pesant plus de 25 kg, et qu'il ne disposait pas de la moindre aide technique, en violation des dispositions des articles R.4541-3 et R.4541-4 du code du travail. Il précise que les camions étaient équipés uniquement d'une petite échelle manuelle, qui n'était pas toujours présente.

Monsieur [X] [U] soutient enfin que l'employeur avait connaissance des risques de telles manutentions et qu'il n'a pas mis en œuvre les mesures de prévention préconisées dans le document unique d'évaluation des risques, pas plus que celles proposées par le médecin du travail. Il indique également ne pas avoir bénéficié de la formation au chargement alors que le besoin avait été identifié.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives n°3 déposées et soutenues oralement lors de l'audience, la société [3] demande notamment au tribunal à titre principal de rejeter l'ensemble des demandes de monsieur [X] [U] et, à titre subsidiaire, de débouter monsieur [X] [U] de sa demande de majoration de la rente au taux maximum pour la fixer à de plus justes proportions, de constater que le seul taux d'IPP de 13% lui est opposable dans ses rapports avec la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, de rejeter la demande de provision de monsieur [X] [U], de dire et juger que la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône fera l'avance des sommes allouées par le jugement et, en tout état de cause, de condamner monsieur [X] [U] à lui payer la somme de 3.000 euros, ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Pour s'opposer à la reconnaissance de sa faute inexcusable, la société [3] invoque en premier lieu le fait que les circonstances de l'accident sont floues dans la mesure où le récit de l'accident par le salarié a évolué entre le jour de l'accident et les termes de sa requête. Elle précise que monsieur [X] [U] n'apporte aucun élément de preuve de nature à préciser les circonstances exactes de sa chute, ajoutant qu'au jour de l'accident, la caisse du camion de 50 m3 était chargée à seulement 27 m3, ce qui contredirait le manque de place allégué par le salarié pour circuler. Elle en conclut que les circonstances de l'accident sont indéterminées et que cela fait obstacle à la reconnaissance de sa faute inexcusable.

La société [3] indique en second lieu que monsieur [X] [U] ne verse aux débats aucun élément probant de nature à démontrer la réalité des manquements qu'il lui reproche à l'obligation de sécurité, en particulier qu'il ne démontre pas la réalité de la pratique du " rajout " et conteste tout aveu de sa part quant à l'existence de cette pratique au sein de l'entreprise.

Enfin, la société [3] prétend avoir mis en œuvre toutes les mesures de prévention nécessaires afin de limiter le risque de chutes. Elle affirme notamment que monsieur [X] [U] a bénéficié d'une formation complète et d'une supervision lors de sa promotion récente au poste de conducteur livreur le 1er décembre 2018. Elle ajoute qu'en escaladant un colis, le salarié a enfreint les prescriptions claires de sécurité qui lui avaient été données. S'agissant des modalités de montée et de descente des livreurs lors du déchargement des colis, elle indique que les camions sont équipés d'échelles d'accès et de mains courantes permettant de monter et descendre en assurant trois points d'appui et qu'en s'appuyant sur un colis pour descendre, monsieur [X] [U] n'a pas respecté les consignes de sécurité qui lui étaient données.

Aux termes de ses observations écrites déposées et soutenues oralement lors de l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône s'en remet à l'appréciation du tribunal concernant l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, et le cas échéant, demande de dire et juger que la caisse procèdera au recouvrement directement auprès de la société [3] de l'intégralité des sommes dont elle serait amenée à faire l'avance, à savoir le doublement du capital ou de la rente, l'éventuelle provision sur préjudice ainsi que les frais d'expertise et les sommes allouées au titre des préjudices définitifs déduction faite de l'éventuelle provision.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En vertu des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé envers les travailleurs qu'il emploie.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident subi ou de la maladie déclarée par le salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes, y compris la faute d'imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.

Il incombe au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

En l'espèce, les circonstances exactes de l'accident sont débattues et leur détermination est un préalable nécessaire à l'appréciation d'une éventuelle faute inexcusable de l'employeur.

La déclaration d'accident du travail en date du 16 avril 2019 relate les circonstances de l'accident tel qu'il a été " décrit par la victime " dans les termes suivants : " Il préparait des colis dans la caisse du camion aidé par un intérimaire. En redescendant de la semi, il a pris appui sur un carton qui s'est affaissé, ce qui l'a déséquilibré et il est tombé ", étant précisé que le salarié avait chuté au " sol ".

En dépit de la présence de l'intérimaire qui l'aidait, ladite déclaration ne mentionne aucun témoin de l'accident et vise uniquement la première personne avisée en la personne de monsieur [K] [N].

Il ressort du courrier adressé ultérieurement par monsieur [X] [U] à la caisse primaire d'assurance maladie le 21 août 2020, que les circonstances de l'accident seraient différentes. Ainsi, après avoir expliqué la pratique des " rajouts " qu'il dénonce, monsieur [X] [U] décrit sa chute en ces termes : " (…) le jour de l'accident, pour chercher des colis des premiers clients, j'ai été obligé de monter sur les colis cause pas de place et quand je voulais descendre, mon bras est resté coincé dans un carton ".

Les manquements de l'employeur, qu'il est demandé au tribunal d'apprécier, diffèrent en réalité selon les circonstances de la chute :

- Selon le premier récit figurant sur la déclaration d'accident du travail, M. [X] [U] aurait pris simplement appui sur un colis afin de descendre du semi, ce qui aurait provoqué son déséquilibre et sa chute au sol ; le salarié met ici essentiellement en exergue deux facteurs de risque de chute dont l'employeur aurait dû avoir conscience, tenant à l'absence de haillon permettant de descendre du camion d'une part et le poids important des colis qu'il est amené à décharger d'autre part ;

- Selon le second récit figurant dans son courrier à la caisse en date du 21 août 2020, M. [X] [U] serait " monté " sur des colis pour aller en chercher d'autres situés plus en fond de caisse et c'est en voulant descendre du colis sur lequel il était monté que son bras est resté coincé et qu'il est tombé, sans que soit évoquée une quelconque chute au sol en dehors de la semi-remorque. Le salarié met ici en exergue un autre facteur de risque, tenant à la pratique des " rajouts " de colis et le manque de place pour circuler, l'obligeant à " escalader les colis volumineux ", selon les termes employés dans ses écritures. L'absence de haillon et le poids excessif des colis à décharger apparaissent, dans cette hypothèse, indifférents dans la survenance de l'accident.

S'il n'est pas contesté que monsieur [X] [U] s'est blessé à l'épaule et au genou gauche en chutant le 16 avril 2019 au temps et au lieu de son travail, ce qui suffit à caractériser l'existence d'un accident du travail, aucune des pièces versées aux débats par les parties ne permettent de déterminer les circonstances exactes de sa chute, à l'aune desquelles doivent être appréciées la conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur d'une part, les mesures de prévention nécessaires pour préserver le salarié d'autre part.

Il en résulte que les circonstances indéterminées de l'accident du travail survenu le 16 avril 2019 font obstacle à la reconnaissance d'une éventuelle faute inexcusable de la société [3].

En conséquence, monsieur [X] [U] sera débouté de l'intégralité de ses demandes.

Les dépens de l'instance seront laissés à la charge de monsieur [X] [U].

L'équité commande en revanche de débouter la société [3] de sa demande reconventionnelle formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant publiquement, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort ;

- DÉBOUTE monsieur [X] [U] de l'intégralité de ses demandes ;

- CONDAMNE monsieur [X] [U] aux dépens ;

- DÉBOUTE la société [3] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 06 mars 2024, et signé par le président et la greffière.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 21/00248
Date de la décision : 06/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-06;21.00248 ?
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