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06/03/2024 | FRANCE | N°18/00624

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Ctx protection sociale, 06 mars 2024, 18/00624


MINUTE N° :
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON
POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :




DÉBATS :

PRONONCE :


NUMÉRO RG :

06 MARS 2024

Jérôme WITKOWSKI, président

Miren-Amaya FABREGOULE DECHENAUX, assesseur collège employeur
Bruno ANDRE, assesseur collège salarié

Assistés lors des débats et du prononcé du jugement de Alice GAUTHÉ, greffiere

Tenus en audience publique le 06 décembre 2023

Jugeme

nt contradictoire, rendu en premier ressort, dont le délibéré initialement prévu au 07 février 2024 a été prorogé au 06 mars 2024 par le même magistrat

N° RG 18/0...

MINUTE N° :
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON
POLE SOCIAL - CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :

DÉBATS :

PRONONCE :

NUMÉRO RG :

06 MARS 2024

Jérôme WITKOWSKI, président

Miren-Amaya FABREGOULE DECHENAUX, assesseur collège employeur
Bruno ANDRE, assesseur collège salarié

Assistés lors des débats et du prononcé du jugement de Alice GAUTHÉ, greffiere

Tenus en audience publique le 06 décembre 2023

Jugement contradictoire, rendu en premier ressort, dont le délibéré initialement prévu au 07 février 2024 a été prorogé au 06 mars 2024 par le même magistrat

N° RG 18/00624 - N° Portalis DB2H-W-B7C-SG53

DEMANDEUR

Monsieur [Z] [T] [M]
Demeurant [Adresse 3]

Représentée par Maître Agnès BOUQUIN, avocate au barreau de LYON

DÉFENDERESSE

Société [4]
Située [Adresse 1]

Représentée par Maître Fabien ROUMEAS, avocat au barreau de LYON

PARTIE MISE EN CAUSE

CPAM DE L’ISERE
Située [Adresse 2]

Non comparante, ni représentée

Notification le :

Une copie certifiée conforme à :

M. [Z] [T] [M]
Me Agnès BOUQUIN, vestiaire : 1459
Société [4]
Me Fabien ROUMEAS, vestiaire : 414
CPAM DE L’ISERE

Une copie revêtue de la formule executoire :

Me Agnès BOUQUIN, vestiaire : 1459

Une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 10 mai 2021, le Pôle Social du tribunal judiciaire de Lyon a notamment jugé que l'accident du travail dont a été victime monsieur [Z] [T] [M] le 8 juin 2015 est imputable à la faute inexcusable de l'employeur, la société [4] et, en conséquence, a ordonné la majoration de la rente servie à l'assuré au taux maximum, alloué à celui-ci une provision de 5 .000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et, avant dire droit sur cette indemnisation, a ordonné une expertise médicale confiée au docteur [G] [V].

Par ordonnance du 3 septembre 2021, l'expert initialement désigné a été remplacé par le docteur [I] [R].

Par jugement du 4 avril 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a ordonné un complément d'expertise afin que le déficit fonctionnel permanent éventuellement subi par monsieur [Z] [T] [M] soit évalué.

Le docteur [I] [R] a déposé ses rapports d'expertise établis le 26 janvier 2022 s'agissant de la mission initiale et le 25 septembre 2023, s'agissant du complément d'expertise.

Sur les postes de préjudice examinés, les conclusions de l'expert sont les suivantes :

- Incapacité totale de travail : du 8 juin 2015 au 2 mai 2016 ;
- Déficit fonctionnel temporaire total : du 8 au 16 juin 2015, puis du 25 juin au 22 juillet 2015 ;
- Déficit fonctionnel temporaire partiel :
o 70 % du 17 juin au 24 juin 2015 ;
o 50 % du 23 juillet 2015 au 11 septembre 2015 ;
o 30 % du 12 septembre 2015 au 2 mai 2016 ;
- Assistance par une tierce personne : 3 heures par semaine du 17 juin 2015 au 24 juin 2015 et du 23 juillet 2015 au 11 septembre 2015 ;
- Aménagement du véhicule : installation d'une boîte de vitesse automatique ;
- Aménagement du logement : installation d'un mitigeur dans la douche ;
- Pas de perte d'une chance de promotion professionnelle ;
- Souffrances endurées : 4/7 ;
- Préjudice esthétique temporaire : 4/7 du 8 juin 2015 au 2 mai 2016 ;
- Préjudice esthétique permanent : 4/7 ;
- Préjudice d'agrément caractérisé par une gêne au jardinage ;
- Absence de préjudice sexuel ;
- Absence de perte de chance de réaliser un projet de vie familiale ;
- Absence de préjudice exceptionnel.

Par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience du 6 décembre 2023, monsieur [Z] [T] [M] demande au tribunal de lui allouer les sommes suivantes :

- 25.000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 5.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
- 15.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
- 2.000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
- 10.000 euros au titre de la perte de chance de promotion professionnelle ;
- 3.457,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- 7.394,61 euros au titre des frais de véhicule adapté ;
- 167.475 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.

Il demande enfin que la société [4] soit condamnée à lui payer la somme de 2.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience du 6 décembre 2023, la société [4] demande au tribunal de débouter monsieur [Z] [T] [M] de ses demandes formulées au titre de la perte de chance de promotion professionnelle, du préjudice d'agrément et des frais de véhicule adapté.

Elle demande en outre au tribunal de fixer l'indemnisation des autres postes de préjudice aux montants suivants :

- 2.766 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- 8.000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et, subsidiairement, à 1.500 euros ;
- 3.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent et, subsidiairement, à 8.000 euros ;
- 60.600 euros au titre du déficit fonctionnel permanent sur la base d'un taux de 30 % et, subsidiairement, ordonner une nouvelle expertise médicale exclusivement sur ce point ;

Elle précise enfin qu'il conviendra de déduire de l'indemnité totale allouée la provision de 5.000 euros versée en exécution du jugement du 10 mai 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Par courrier réceptionné le 06 décembre 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère s’en remet à l’appreciation du tribunal sur le quantum des sommes allouées et sollicite la condamnation de la société [4] à lui rembourser l’intégralité des sommes dont elle sera condamnée à faire l’avance au titre de l’indemnisation des préjudices personnels de l’assuré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article L 452 3 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur peut prétendre à l'indemnisation des souffrances physiques et morales, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Par décision n °2010 08 QPC du 18 juin 2010, le conseil constitutionnel a en outre reconnu au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur, le droit de réclamer devant les juridictions de sécurité sociale, outre la réparation des préjudices susvisés, la réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Monsieur [Z] [T] [M], né le 29 novembre 1963, était âgé de 51 ans au jour de l'accident survenu le 8 juin 2015.

Aux termes de son rapport, le docteur [I] [R] indique que l'accident du travail a provoqué un écrasement de la main gauche par une barre de fer, nécessitant d'opérer en urgence monsieur [Z] [T] [M] d'une amputation trans métacarpienne des 2ème, 3ème, 4ème et 5ème doigts, une amputation de la 1ère phalange du pouce de la main gauche. Il ajoute que l'évolution a été caractérisée par des complications infectieuses ayant nécessité trois opérations chirurgicales supplémentaires et un traitement par antibiothérapie pendant trois mois.

Après consolidation fixée au 2 mai 2016, l'expert indique que monsieur [Z] [T] [M] a complètement perdu l'usage de sa main gauche, précisant que l'incapacité fonctionnelle de sa main gauche est totale.

1. Sur le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle jusqu'à sa consolidation. Cette invalidité correspond aux périodes d'hospitalisation de la victime, mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime durant la convalescence, la privation temporaire des activités privées ou d'agrément auxquelles la victime se livrait habituellement et le préjudice sexuel avant consolidation.

Aux termes de son rapport, le docteur [I] [R] a retenu :

- Un déficit fonctionnel temporaire total du 8 juin 2015 au 16 juin 2015, puis du 25 juin au 22 juillet 2016, soit 37 jours, correspondant aux périodes d'hospitalisation ;

- Un déficit fonctionnel temporaire partiel de :
o 70 % du 17 juin au 24 juin 2015, soit 8 jours ;
o 50 % du 23 juillet 2015 au 11 septembre 2015, soit 51 jours ;
o 30 % du 12 septembre 2015 au 2 mai 2016, soit 234 jours ;

Ces éléments ne font l'objet d'aucune contestation, seul le taux journalier applicable étant débattu.

Compte tenu des lésions initiales et des soins nécessaires, monsieur [Z] [T] [M] a indéniablement subi une gêne dans l'accomplissement des actes de la vie courante et une perte temporaire de qualité de vie, qui seront indemnisées à hauteur de 25 € par jour d'incapacité temporaire totale, soit :

- 925 € au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire total ;
- 2.532,50 € au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel.

Soit au total la somme de 3.457,50 € sur l'ensemble de la période d'incapacité temporaire considérée.

2. Sur les souffrances endurées

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que les troubles associés que doit endurer la victime par suite de l'atteinte à son intégrité physique jusqu'à la consolidation, étant précisé que les souffrances endurées après la consolidation sont indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

En l'espèce, l'expert a évalué les souffrances endurées à 4/7.

Il convient de tenir compte notamment des douleurs causées par les lésions initiales, mais également par les complications infectieuses, les quatre opérations chirurgicales, les soins et enfin la rééducation nécessaire à partir du 22 septembre 2015, à raison d'une à deux séances par semaine.

L'expert évoque également le retentissement psychologique consécutif à l'accident, précisant que monsieur [Z] [T] [M] a bénéficié d'un traitement anti-dépresseur à partir du 22 septembre 2015 et d'un suivi par le centre médico-psychologique du 11 décembre 2015 au 22 janvier 2016.

La consolidation est intervenue un peu plus de dix mois après l'accident.

Vu l'ensemble de ces éléments, les souffrances endurées seront indemnisées à hauteur de 12.000 euros.

3. Sur le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs qu'elle pratiquait antérieurement au dommage et par la limitation ou la difficulté, y compris d'ordre psychologique, à poursuivre la pratique antérieure de ladite activité.

Il est précisé que le préjudice d'agrément temporaire, c'est-à-dire antérieur à la consolidation, est indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire.

Enfin, la prise en compte d'un préjudice d'agrément n'exige pas la démonstration d'une pratique de l'activité en club, une pratique individuelle antérieure étant suffisante à partir du moment où elle est justifiée par tout moyen.

En l'espèce, monsieur [Z] [T] [M] fonde sa demande sur une impossibilité de poursuivre une activité de jardinage, prétendument régulière avant son accident.

Le docteur [I] [R] confirme que les séquelles décrites sont de nature à induire une " gêne au jardinage " et non une impossibilité totale.

Toutefois, monsieur [Z] [T] [M] ne produit aucun justificatif de nature à établir qu'il pratiquait effectivement cette activité régulièrement avant l'accident.

La demande d'indemnisation formée de ce chef sera par conséquent rejetée.

4. Sur le préjudice esthétique

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer l'altération de l'apparence physique de la victime avant et après la consolidation. Ainsi, le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent et doit être évalué en considération de son existence avant consolidation de l'état de la victime.

Il est relevé à titre liminaire que la consultation du médecin conseil de la société [4], visée en pièce n°1 dans ses écritures, comporte une discussion exclusivement centrée sur le déficit fonctionnel permanent et ne mentionne aucun élément susceptible de remettre valablement en question l'évaluation faite par le docteur [I] [R] s'agissant du préjudice esthétique.

Sur le préjudice esthétique temporaire
Le préjudice esthétique temporaire subi entre la date de l'accident et la date de consolidation, soit durant plus de dix mois, a été évalué par l'expert à 4 sur une échelle de 7, caractérisé par " une modification de l'apparence physique très préjudiciable au regard des tiers ".

Les éléments médicaux relevés lors de l'expertise permettent effectivement de caractériser l'existence d'un préjudice esthétique temporaire induit par les multiples opérations chirurgicales aux fins d'amputation, les points de suture à fils non résorbables, les pansements, les épisodes de nécroses et d'infection sur une partie du corps particulièrement exposée à la vue des tiers.

En conséquence, le préjudice esthétique temporaire, sera indemnisé à hauteur de 4.000 euros.

Sur le préjudice esthétique permanent
Le préjudice esthétique permanent (après consolidation) a été évalué par l'expert à 4 sur une échelle de 7, caractérisé par " l'amputation de la main gauche ", qui est une partie du corps particulièrement exposée à la vue des tiers et dont la substitution par une prothèse demeure aléatoire et en tout état de cause visible.

Ce préjudice esthétique sera indemnisé à hauteur de 15.000 euros.

5. Sur le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle

L'article L.452-3 du code de la sécurité sociale prévoit la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, à condition que la victime démontre que de telles perspectives préexistaient à la date de l'accident.

La perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle est distincte de l'incidence professionnelle, définie comme un dommage touchant à la sphère professionnelle en raison de la dévalorisation de la victime sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, de la nécessité d'abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre en raison de la survenance de son handicap.

Il convient de rappeler que la rente majorée servie à la victime d'un accident du travail présente un caractère viager et répare, de manière forfaitaire, l'incidence professionnelle définie ci-dessus, ainsi que les pertes de gains professionnels futurs, y compris la perte des droits à la retraite.

En l'espèce, il résulte de la lettre de licenciement en date du 18 juillet 2016 que monsieur [Z] [T] [M] a été licencié suite à un avis d'inaptitude du 18 mai 2016 comportant les indications suivantes: " définitivement inapte au poste d'agent technique poseur. Reclassement envisageable à tout poste réalisable avec la seule main droite ". Il est donc établi qu'il n'a pas pu poursuivre l'activité professionnelle qu'il exerçait au moment de l'accident.

Pour autant, sous couvert d'une demande d'indemnisation de la perte de possibilités de promotion professionnelle, monsieur [Z] [T] [M] sollicite en réalité l'indemnisation de l'incidence professionnelle imputable aux séquelles résultant de l'accident, qui est certes établie, mais déjà indemnisée forfaitairement par la rente majorée dont il bénéficie en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale.

Dès lors, monsieur [Z] [T] [M] ne démontre pas qu'il subit un préjudice professionnel spécifique caractérisé par la privation d'une promotion qui lui était acquise ou, à tout le moins qui était pressentie, de sorte que la demande d'indemnisation au titre de la perte ou la diminution de chance de promotion professionnelle ne pourra qu'être rejetée.

6. Sur le déficit fonctionnel permanent

Aux termes de deux arrêts rendus en assemblée plénière, la Cour de cassation a jugé que le capital ou la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle en application des articles L.434-1 ou L.434-2 du code de la sécurité sociale, ainsi que la majoration prévue à l'article L.452-2 du même code, ne réparent pas le déficit fonctionnel permanent subi par la victime (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvois n° 21-23.947 et n° 20-23.673, publiés).

En cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime est donc fondée à solliciter l'indemnisation complémentaire du déficit fonctionnel permanent en application des dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le conseil constitutionnel par décision du 18 juin 2010.

Ce préjudice résulte de la réduction définitive après consolidation du potentiel physique et psychosensoriel ou intellectuel du fait de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales de la victime.

En l'espèce, docteur [I] [R] indique que monsieur [Z] [T] [M] a complètement perdu l'usage de sa main gauche et que l'incapacité fonctionnelle de la main gauche est totale, précisant que monsieur [Z] [T] [M] présente des douleurs séquellaires associées à des troubles neurologiques au niveau du moignon de la main gauche et fixe le déficit fonctionnel permanent à 55% " d'après le barème du concours médical ", étant précisé que le requérant est droitier.

Cependant, la société [4] verse aux débats une consultation du docteur [O], selon lequel le taux de 55% retenu serait manifestement surévalué au regard du barème du concours médical visé par l'expert, qui préconise une évaluation comprise entre 30 et 40% pour une amputation de la main non dominante.

Le tribunal constate qu'il existe donc un litige d'ordre médical entre les parties, mais considère toutefois disposer des éléments nécessaires et suffisants pour statuer en l'état sur la demande formulée par monsieur [Z] [T] [M] au titre du déficit fonctionnel permanent, sans qu'il soit utile d'ordonner préalablement une nouvelle mesure d'instruction.

En effet, il est établi - et par ailleurs non formellement contesté - que le barème du concours médical visé par l'expert préconise une évaluation comprise entre 30 et 40% pour une amputation de la main non dominante.

Ainsi que l'indique le médecin consultant sollicité par la société [4], ni le rapport d'expertise, ni les autres pièces du dossier ne mentionnent un suivi de la douleur au-delà d'une dernière consultation du docteur [K], praticien au centre anti-douleur de la Clinique [5], qui a eu lieu le 18 avril 2017, soit moins d'un an après la date de consolidation.

Cependant, au-delà des seules séquelles anatomo-fonctionnelles, le docteur [I] [R] évoque des douleurs séquellaires persistantes associées à des troubles neurologiques au niveau du moignon de la main gauche, dites douleurs fantômes, qu'il convient de prendre en compte.

S'agissant enfin des répercussions psychologiques de l'accident, le tribunal relève qu'aucun suivi spécifique n'est évoqué auprès de l'expert au-delà du 22 janvier 2016, date antérieure à la date de consolidation.

En conséquence, il y a lieu de retenir un taux d'incapacité permanente partielle de 40 %, intégrant les phénomènes douloureux décrits par la victime.

Compte tenu de son âge lors de la consolidation (52 ans), la valeur du point sera fixée à 2.550 euros.

Le déficit fonctionnel permanent sera donc indemnisé à hauteur de 102.000 euros.

7. Sur les frais d'aménagement du véhicule

Le docteur [I] [R] précise que l'état de monsieur [Z] [T] [M] nécessite un aménagement de son véhicule par l'installation de la boîte automatique.

La demande formulée par monsieur [Z] [T] [M] est motivée, non par l'installation d'une boîte automatique ainsi que le préconise l'expert, mais par l'installation d'une commande multifonctions spécifique, sans davantage d'explications quant à la nécessité d'un tel équipement, ni production d'aucun devis permettant d'en estimer le coût parmi les seize pièces remises au tribunal, contrairement à ce qui a été indiqué oralement lors de l'audience. Les seuls devis versés aux débats en pièces 9 et 16 sont des devis de prothèses orthopédiques sans lien avec la demande formulée.

En conséquence, il ne peut être fait droit à cette demande.

8. Sur l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère devra assurer l'avance des indemnisations ci-dessus allouées à monsieur [Z] [T] [M], sous déduction de la provision de 5.000 € précédemment accordée, et pourra en poursuivre le recouvrement à l'encontre de la société [4] sur le fondement de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Il en est de même de la rente majorée due en application de l'article L.452 2 du code de la sécurité sociale.

Les frais d'expertise avancés par la caisse seront aussi mis à la charge de la société [4].

9. Sur les dépens, les frais irrépétibles et l'exécution provisoire

La société [4] est condamnée au paiement des entiers dépens.

En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de monsieur [Z] [T] [M] les frais irrépétibles engagés pour les besoins de la présente procédure et la société [4] sera condamnée à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, s'agissant des décisions rendues en matière de sécurité sociale, l'exécution provisoire est facultative, en application de l'article R.142-10-6 du code de la sécurité sociale.

L'exécution provisoire, qui est nécessaire vu l'ancienneté de l'accident et compatible avec la nature de la décision, sera ordonnée à hauteur des deux tiers des sommes allouées.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant par jugement contradictoire et rendu en premier ressort ;

Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lyon du 10 mai 2021
Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lyon du 4 avril 2023,
Vu le rapport d'expertise du docteur [I] [R] du 26 janvier 2022, complété le 25 septembre 2023,

- REJETTE les demandes indemnitaires de monsieur [Z] [T] [M] aux titres du préjudice d'agrément, de la perte de chance de promotion professionnelle et des frais d'aménagement du véhicule;

- FIXE le montant des indemnités revenant à monsieur [Z] [T] [M] aux sommes suivantes :

- 3.457,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- 12.000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 4.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
- 15.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
- 102.000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

- DIT qu'il convient de déduire la provision allouée aux termes du jugement du 10 mai 2021, à hauteur de 5.000 euros ;

- RAPPELLE que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère doit faire l'avance du solde des sommes revenant à la victime en réparation de ses préjudices et au titre de la majoration de rente, outre des frais d'expertise et qu'elle dispose du droit d'en recouvrer le montant sur la société [4];

- CONDAMNE la société [4] aux dépens ;

- CONDAMNE la société [4] à payer à monsieur [Z] [T] [M] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ORDONNE l'exécution provisoire à hauteur des deux tiers des sommes allouées.

Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 06 mars 2024, et signé par le président et la greffière.

LA GREFFIERE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 18/00624
Date de la décision : 06/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-06;18.00624 ?
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