TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
30Z
Minute n° 24/732
N° RG 24/01636 - N° Portalis DBX6-W-B7I-ZNR6
3 copies
GROSSE délivrée
le 03/09/2024
à la SELAS DS AVOCATS
Me Jean-Marc PEYRON
la SCP TMV
Rendue le TROIS SEPTEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE
Après débats à l’audience publique du 26 Août 2024
Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Par Sandra HIGELIN, Vice-Présidente au tribunal judiciaire de BORDEAUX, assistée de David PENICHON, greffier lors des débats et de Karine PAPPAKOSTAS, Greffière lors du délibéré.
DEMANDERESSE
S.C.I. IMMO SPORT
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée par Maître Isabelle CARTON DE GRAMMONT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX, Me Jean-Marc PEYRON, avocat au barreau de PARIS
DÉFENDERESSES
Société IONISIMO, société par actions simplifiée identifiée sous le numéro SIREN 399 346 519
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Pierrick CHOLLET de la SCP TMV, avocats au barreau de BORDEAUX
Société ESME, société anonyme identifiée sous le numéro SIREN 852 107 648
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Maître Pierrick CHOLLET de la SCP TMV, avocats au barreau de BORDEAUX
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Par actes de commissaire de justice délivrés le 24 juillet 2024, la SCI IMMO SPORT a fait assigner la SAS IONISIMO et la SA ESME devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, afin de voir:
- ordonner à la SAS IONISIMO et à tous occupants de son chef, en ce compris la société ESME, de la laisser, et de laisser ses entreprises, accéder aux lieux loués, afin de réaliser les travaux de modernisation et remplacement des réseaux et des appareils de production de chaud et de froid
- à défaut d’y déférer dans un délai de quinze jours suivant la décision à intervenir, condamner la SAS IONISIMO à lui verser la somme de 1 000 euros par jour de retard à titre d’astreinte à compter de l’ordonnance à intervenir, jusqu’à ce que la SAS IONISIMO et les occupants de son chef, la laissent accéder aux locaux loués pour réaliser lesdits travaux
- condamner la SAS IONISIMO au paiement d’une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SAS IONISIMO aux entiers dépens de l’instance, qui pourront être recouvrés directement par son Conseil dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Elle expose au soutien de ses demandes être propriétaire d’un immeuble de bureaux situé [Adresse 3] à [Localité 8], loué aux sociétés GAZ DE [Localité 8] et IONISIMO, cette dernière étant titulaire d’un bail commercial consenti le 1er février 2017 pour une durée de 9 ans à compter du 19 juillet 2017, moyennant un loyer annuel principal initial de 276 000 euros HT, portant sur les rez-de-chaussée et le 3ème étage, exploités dans le cadre d’une activité de formation professionnelle et d’enseignement supérieur. Elle reproche à la société bailleresse et à la société ESME, dont elle précise qu’elle exploite les locaux dans le cadre d’une sous-location non autorisée par le contrat de bail, de faire obstacle aux travaux de modernisation et remplacement des réseaux, en violation des termes de l’article 24 du contrat de bail, obligeant le preneur à supporter la gêne que lui causeraient les travaux réalisés dans l’immeuble, sans pouvoir solliciter aucune indemnité ni diminution de loyer, quels qu’en soient l’importance et la durée, par dérogation à l’article 1724 du Code civil.
La SAS IONISIMO et la SA ESME ont demandé à la présente juridiction:
- à titre principal, de débouter la SCI IMMO SPORT de ses demandes en ce qu’elles se heurtent à une contestation sérieuse, et de la condamner au paiement d’une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que des entiers dépens de l’instance
- à titre subsidiaire, s’il devait être fait droit à ses demandes, de réduire le montant de l’astreinte à de plus justes proportions, ede condamner la SCI IMMO SPORT à leur verser une provision de 30 000 euros au titre du trouble de jouissance et de la gêne occasionnée, et de la condamner au paiement d’une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que des entiers dépens de l’instance.
- à titre infiniment subsidiaire, de débouter la SCI IMMO SPORT de sa demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, et de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Elles font valoir que les travaux de rénovation engagés depuis 2023 par la SCI IMMOSPORT ont occasionné d’importantes nuisances, dont se sont plaint les membres du personnel et les étudiants de la société ESME, et ont désorganisé les cours dispensés dans les locaux loués, troubles les ayant conduit à solliciter du Juge des référés la suspension des travaux durant les périodes d’examen. Elles indiquent s’être désistées de cette instance, la bailleresse s’étant engagée à décaler le démarrage des travaux à réaliser dans les locaux loués après la période d’examen en juin 2024. Elles font valoir que les dispositions de l’article 24 du bail, dérogatoires à l’article 1724 du Code civil, sont inapplicables en ce que la gêne occasionnée par les travaux envisagés les priverait de la disposition et de la jouissance des locaux loués. Elles ajoutent que les travaux envisagés ne revêtent aucun caractère urgent, et pourront être réalisés à compter de janvier 2025, date à laquelle elles quitteront les lieux.
L’affaire, évoquée à l’audience du 26 août 2024, a été mise en délibéré au 3 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 11 décembre 2019, le juge des référés peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire toute mesure conservatoire ou de remise en état qui s’impose, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Il peut également, lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, allouer une provision au créancier ou ordonner son exécution, même s’il s’agit d’une obligation de faire.
La SCI IMMO SPORT argue en l’espèce du manquement de la société IONISIMO à ses obligations telles qu’elles résultent de l’article 24 du contrat de bail, ainsi libellé: “le preneur devra supporter la gêne que lui causeraient les réparations, reconstructions, surélévations et autres travaux qui pourront être exécutés dans l’immeuble ou à l’extérieur de celui-ci, sans pouvoir demander au bailleur aucune indemnité ni diminution de loyer, quelles qu’en soient l’importance et la durée, et ce par dérogation à l’article 1724 du Code civil, alors même que cette durée excéderait 21 jours.”
Il est cependant constant que ce type de clauses, dites “de souffrance”, s’il est licite, ne peut conduire à exonérer le bailleur de son obligation de délivrance, ni à justifier une gêne trop importante apportée à la jouissance du preneur.
En l’espèce, le planning de travaux établi par la société UFA, en charge de la réalisation des travaux, fait état d’une durée prévisible d’intervention d’environ 6 mois, impliquant à certains moments de fortes nuisances sonores et de manutention, et l’absence de chauffage et de climatisation pendant la durée des travaux, successivement aux rez-de-chaussée et 3ème étage, loués par la société IONISIMO et occupés par la société ESME.
Il résulte du bail commercial que les locaux ont été loués à destination d’”activité de formation professionnelle et d’enseignement supérieur”.
Il s’ensuit que les travaux tels que décrits par la société UFA peuvent, du fait de leur durée et de leur ampleur, être de nature à apporter une gêne conséquente, voire empêcher la jouissance des locaux loués.
Il en résulte que l’applicabilité de l’article 24 du contrat du bail est discutable s’agissant des travaux envisagés par la bailleresse.
L’obligation de la société preneuse d’avoir à laisser la bailleresse accéder aux lieux loués, afin de réaliser les travaux de modernisation et remplacement des réseaux et des appareils de production de chaud et de froid, ne pouvant en conséquence être considérée comme dépourvue de contestation sérieuse, les demandes formées en référé par la SAS IMMOSPORT ne peuvent prospérer sur le fondement de l’article 835 alinéa 2 précité.
Elles ne peuvent davantage prospérer sur le fondement de l’alinéa 1 de ce même article, en l’absence de justification par la SCI IMMOSPORT d’un risque imminent, ou de l’illicéité manifeste du trouble qu’elle subirait du fait du refus opposé par les défenderesses de laisser réaliser les travaux objet du litige, étant au surplus observé que les locaux seront libérés à compter de janvier 2025.
La SAS IMMOSPORT, partie perdante, supportera la charge des entiers dépens de l’instance.
L’équité imposant de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, la SAS IONISIMO et la SA ESME seront déboutées de leur demande sur ce fondement.
DÉCISION
Le Juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, statuant par décision contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe, et à charge d’appel,
Déboute la SCI IMMOSPORT de l’intégralité de ses demandes,
Déboute la SAS IONISIMO et la SA ESME de leur demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la SCI IMMOSPORT aux entiers dépens de l’instance.
La présente décision a été signée par Sandra HIGELIN, Vice-Présidente, et par Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.
Le Greffier, Le Président,