Du 12 juillet 2024
5AG
SCI/
PPP Contentieux général
N° RG 23/00329 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XOLQ
[O] [Y] [E], [W] [X] [G] [Z]
C/
S.A.R.L. CABINET [I], [C] [M]
- Expéditions délivrées à
- FE délivrée à
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION
Pôle protection et proximité
180, rue Lecocq - CS 51029 - 33077 Bordeaux Cedex
JUGEMENT EN DATE DU 12 juillet 2024
JUGE : Monsieur Edouard DE LEIRIS,
GREFFIER : Monsieur Stéphane LAURENT,
DEMANDEURS :
Madame [O] [Y] [E]
née le 22 Mars 1995 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Marion TCHINA (Avocat au barreau de BORDEAUX)
Monsieur [W] [X] [G] [Z]
né le 21 Août 1989 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Marion TCHINA (Avocat au barreau de BORDEAUX)
DEFENDERESSES :
S.A.R.L. CABINET [I]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Catherine LATAPIE-SAYO (Avocat au barreau de BORDEAUX)
Madame [C] [M]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Maître Cécile FROUTE de l’AARPI QUINCONCE
(Avocat au barreau de BORDEAUX)
DÉBATS :
Audience publique en date du 24 Mai 2024
PROCÉDURE :
Articles 480 et suivants du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 20 février 2020, Mme [C] [M], qui a confié un mandat de gestion à la société CABINET [I], a donné à bail à Mme [O] [E] et M. [W] [Z] un bien à usage d’habitation situé à [Adresse 2], pour un loyer mensuel de 700 euros, outre une provision sur charges.
Le 23 décembre 2022, Mme [O] [E] et M. [W] [Z] ont fait assigner Mme [C] [M] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux.
Le 27 mars 2023, Mme [C] [M] a fait assigner la société CABINET [I], en vue de l’appeler en garantie.
Les deux affaires ont été jointes le 17 mai 2023.
Après plusieurs renvois de l'affaire à la demande des parties, l'affaire a été débattue à l'audience du 24 mai 2024, au cours de laquelle les conseils des parties se sont référés à leurs écritures.
Mme [O] [E] et M. [W] [Z] demandent de:
- condamner Mme [C] [M] à leur verser en réparation de leur préjudice de jouissance :
- la somme de 4.398 euros au titre du dédommagement partiel depuis le mois de mai 2020 jusqu'au mois de décembre 2021, avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 juin 2022,
- la somme de 7.839,59 euros au titre du remboursement total des loyers à compter du mois de décembre 2021 et jusqu'à la fin du mois d'octobre 2022, avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 juin 2022,
- la somme de 832,59 euros à titre de dédommagement à hauteur de 33% du montant de la facture d'électricité des locataires du mois de mai 2020 jusqu’en octobre 2022, avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 juin 2022 ;
- condamner Mme [C] [M] à leur verser en réparation de leur préjudice moral la somme de 6.000 euros ;
- ordonner la capitalisation des intérêts ;
- débouter Mme [C] [M] et la société CABINET [I] de leurs demandes à leur encontre ;
- condamner Mme [C] [M] à verser à Me Marion TCHINA la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions des articles 700 2°du code de procédure civile et 37 alinéas 3 et 4 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991, ainsi qu'aux dépens.
Mme [C] [M] demande de :
A titre principal,
- débouter Mme [O] [E] et M. [W] [Z] de leurs demandes ;
- de les condamner à lui verser la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;
A titre subsidiaire,
- de condamner la société CABINET [I] à la relever indemne des éventuelles condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;
La société CABINET [I] demande de :
- débouter Mme [C] [M] de ses demandes ;
- de la condamner, ou tout succombant, à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l’instance.
Il est renvoyé aux conclusions écrites déposées par les parties à l'audience pour l'exposé complet de leurs moyens respectifs.
MOTIFS DE LA DECISION
- SUR LES DEMANDES PRINCIPALES :
Le bailleur est tenu, en application de l’article 6, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, les caractéristiques correspondantes étant définies par décret en Conseil d'Etat pour les locaux à usage de résidence principale. Il résulte des dispositions dès articles 1er et 2 du décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 qu'un logement décent doit notamment satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires :
1. Il assure le clos et le couvert. Le gros œuvre du logement et de ses accès est en bon état d'entretien et de solidité et protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d'eau. Les menuiseries extérieures et la couverture avec ses raccords et accessoires assurent la protection contre les infiltrations d'eau dans l'habitation. Pour les logements situés dans les départements d'outre-mer, il peut être tenu compte, pour l'appréciation des conditions relatives à la protection contre les infiltrations d'eau, des conditions climatiques spécifiques à ces départements ;
4. Les réseaux et branchements d'électricité et de gaz et les équipements de chauffage et de production d'eau chaude sont conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et sont en bon état d'usage et de fonctionnement ;
En outre, l'article 5 du décret précise que le logement qui fait l'objet d'un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l'insalubrité pris en application de l'article L. 511-11 du code de la construction et de l'habitation ne peut être considéré comme un logement décent.
L'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 prévu également que le bailleur est tenu de garantir la jouissance paisible et d’entretenir et réaliser les réparations autres que locatives.
L'article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts à raison, soit de l'inexécution de l'obligation soit du retard dans l'exécution.
En l’occurrence, les demandeurs, se prévalant d’une méconnaissance de ces dispositions, forment deux demandes d’indemnisation au titre d’un préjudice de jouissance, une autre demande d’indemnisation au titre d’un préjudice économique et une dernière au titre d’un préjudice moral.
- Sur les demandes au titre du préjudice de jouissance :
En l’espèce, il est établi par les pièces produites par les demandeurs que le logement loué a subi d’importants dégâts des eaux, consécutifs à des désordres affectant la couverture de l’immeuble.
Par conséquent, l’inexécution par Mme [C] [M] de son obligation contractuelle de garantir la jouissance paisible est caractérisée.
Pour déterminer l’ampleur du préjudice subi, que Mme [C] [M] est tenue de réparer, il doit, d’abord, être relevé la répétition des sinistres subis, dont l’existence n’est pas discutée, ainsi que la durée, à chaque occurrence, nécessaire pour les travaux tendant à la reprise de l’origine des sinistres, voire des conséquences qui en sont résultées :
- un premier sinistre signalé le 10 mai 2020, avec un constat amiable de dégât des eaux, établi le 28 mai 2020, mentionnant une réparation de la cause du sinistre, sans en revanche évoquer les désordres subis dans le logement ;
- un deuxième sinistre signalé le 12 octobre 2020, avec un constat amiable de dégât des eaux, établi le 27 novembre mai 2020, mentionnant une réparation de la cause du sinistre, sans en revanche évoquer les désordres subis dans le logement ;
- un troisième sinistre survenu courant décembre 2020, avec la justification de travaux de reprise de la toiture suivant une facture du 1er février 2021, ne concernant pas l’intérieur du logement ;
- un quatrième sinistre survenu le 17 juin 2021, avec la justification de travaux de reprise de la toiture suivant une facture du 28 juillet 2021, ne concernant pas l’intérieur du logement ;
- un cinquième sinistre survenu courant décembre 2021, suivi d’un arrêté de mise en sécurité pris le 13 janvier 2022, notamment au visa des articles L. 511-19 à L. 511-22 et L. 521-1 à L. 521-4 du code de la construction et de l’habitation, et prescrivant des travaux de remise en état sous quinzaine ; il est justifié d’une facture du 8 juin 2022, relative à des travaux de réparation de la toiture et d’une facture du 2 novembre 2022, relative à des travaux de reprise intérieure du logement.
Quant à l’ampleur du préjudice subi, pour ce qui est du cinquième sinistre ayant conduit à l’arrêté de mise en sécurité, caractérisant un défaut de décence du logement, sa réparation suppose, conformément à la prétention des locataires, en concordance sur ce point avec l’article L. 521-2, I, alinéas 2 et 3, visé par l’arrêté du maire, une indemnisation à hauteur de la totalité des loyers versés au titre du sinistre couvert par cet arrêté. Dès avant ce sinistre, les pièces versées - photographies, courriels, constats amiables faisant état de dommages subis - démontrent un trouble de jouissance sérieux et prolongé, dont la réparation, qui se distingue de la réparation de la cause du sinistre, n’est établie par aucune pièce produite par Mme [C] [M] ou la société CABINET [I].
En outre, au regard des textes susmentionnés régissant les obligations pesant sur le bailleur, celui-ci ne peut, pour écarter sa responsabilité, se prévaloir des délais d’intervention des professionnels auxquels il a fait appel pour procéder aux travaux réparatoires, qui plus est en l’état de travaux ne tendant qu’à remédier aux causes du sinistre.
Enfin, si Mme [C] [M] a procédé, postérieurement à l’introduction de la présente instance, à une indemnisation, à hauteur de 1662,98 euros, qui doit être prise en compte, celle-ci ne suffit pas à réparer intégralement le préjudice subi par les locataires.
En l’état de ces constatations et considérations, le préjudice de jouissance subi par Mme [O] [E] et M. [W] [Z] sera liquidé à la somme de 10000 euros. Après déduction de la somme de 1662,98 euros, il convient de condamner Mme [C] [M] à payer à Mme [O] [E] et M. [W] [Z] la somme de 8337,02 euros. S’agissant de dommages-intérêts, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent jugement.
- Sur la demande au titre du préjudice économique :
Au regard de la nature des sinistres, prenant la forme de dégâts des eaux ayant en particulier entraîné l’effondrement d’un plafond, de son prolongement, y compris sur des périodes hivernales, et du mode de chauffage, par convecteurs électriques, conformément aux indications figurant au bail, il est suffisamment établi que les locataires ont subi un préjudice économique résultant d’un surcroît de consommation d’électricité. Au regard des factures d’électricité fournies, il convient de réparer leur préjudice, en accueillant, en totalité, leur demande d’indemnisation de ce chef.
Par conséquent, il convient de condamner Mme [C] [M] et la société CABINET [I] à payer à Mme [O] [E] et M. [W] [Z] la somme de 832,59 euros de ce chef, qui portera intérêts au taux légal à compter du présent jugement.
- Sur la demande au titre du préjudice moral :
Le préjudice moral prend sa source dans une atteinte au sentiment d'affection, à l'honneur, à la considération ou à la réputation.
A l’appui de leur demande d’indemnisation d’un préjudice moral, Mme [O] [E] et M. [W] [Z] se prévalent d’atteintes apportées à la santé de Mme [O] [E], sans qu’il ne soit toutefois établi de lien de causalité entre les dégradations subies dans le logement et les troubles évoqués dans les pièces médicales produites.
Les locataires se prévalent également d’une anxiété, liée aux fuites dans leur logement, qui, au regard de la nature et de la durée des désordres subis, apparaît en effet caractérisée.
Ils mettent également en avant, à raison, l’atteinte causée par le comportement la société CABINET [I], mandataire de gestion de Mme [C] [M], dont les écrits produits témoignent d’un dénigrement et d’un manque de considération à l’égard des locataires, le gérant de cette société allant même jusqu’à affirmer, dans un courriel adressé à leur avocat, alors que la gravité de la situation avait déjà donné lieu à la prise d’un arrêté de mise en sécurité imposant des travaux immédiats, s’étonner « qu’avec un tel inconfort déclaré, ils n’aient pas eu l’envie de trouver un appartement plus confortable (!!!). Un loyer raisonnable pour un T3 peut-être ? » (sic), propos d’autant plus déplacés qu’il émanait d’un professionnel de l’immobilier mandaté par la bailleresse pour exécuter ses obligations, notamment celle de garantir un logement décent à ses locataires.
En l’état de ces constatations et considérations, le préjudice moral subi par les locataires sera en l’espèce justement réparé par l’allocation d’une somme de 800 euros, au paiement de laquelle sera condamnée Mme [C] [M], notamment responsable du fait de son mandataire. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent jugement.
- SUR L’APPEL EN GARANTIE :
En application de l’article 1991 du code civil, le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
En l’espèce, Mme [C] [M] justifie avoir confié à la société CABINET [I] un mandat de gestion locative du logement. Elle se borne à alléguer, à l’appui de son appel en garantie que « si le tribunal devait retenir l’existence d’une faute dans la gestion des sinistres déclarés par les locataires de Mme [M] et condamner celle-ci, il ne pourrait que condamner le Cabinet [I] à la relever indemne de ces condamnations. »
En dehors du comportement dénigrant susévoqué de la part de la société CABINET [I], la juridiction, pour condamner Mme [C] [M] à indemniser ses locataires, ne se fonde pas sur des fautes dans la gestion des sinistres. Par conséquent, en l’absence de toute allégation concrète par Mme [C] [M] de fautes commises par la société CABINET [I], son appel en garantie ne peut prospérer qu’en tant que la société CABINET [I] a contribué au préjudice moral subi par Mme [O] [E] et M. [W] [Z].
Au regard des précédentes considérations, cette contribution sera fixée à la somme de 500 euros, à hauteur de laquelle la société CABINET [I] sera condamnée à garantir Mme [C] [M]. Cette condamnation produira intérêt au taux légal à compter de la date à laquelle Mme [C] [M] justifiera auprès de la société CABINET [I] du versement de l’indemnité à laquelle elle est condamnée au titre du préjudice moral.
- SUR LES MESURES ACCESSOIRES :
Quant aux intérêts, en application de l’article 1343-2 du code civil, il y a lieu de prévoir que les intérêts échus des condamnations prononcées au profit de Mme [O] [E] et M. [W] [Z], dus au moins pour une année entière, produiront eux-mêmes intérêts.
Quant aux dépens, Mme [C] [M], partie perdante, supportera seule la charge des dépens exposés par Mme [O] [E] et M. [W] [Z]. Mme [C] [M] et la société CABINET [I] conserveront la charge des dépens par eux exposés.
En outre, leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées.
L'équité et la situation économique de Mme [C] [M], ainsi que les dispositions de l’article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, commandent de la condamner à payer à Maître Marion TCHINA, avocate de Mme [O] [E] et M. [W] [Z], la somme de 1200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Au regard des motifs consacrés à l’appel en garantie, il n’y a pas lieu de condamner la société CABINET [I] à garantir Mme [C] [M] de ce chef.
Par ailleurs, l'exécution provisoire dont cette décision est revêtue de plein droit n'est pas incompatible avec la nature de l'affaire, de sorte qu'il n'y a pas lieu de l'écarter, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Le juge des contentieux de la protection, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort :
CONDAMNE Mme [C] [M] à payer à Mme [O] [E] et M. [W] [Z] la somme de 8337,02 euros, en réparation de leur préjudice de jouissance ;
CONDAMNE Mme [C] [M] à payer à Mme [O] [E] et M. [W] [Z] la somme de 832,59 euros, en réparation de leur préjudice économique ;
CONDAMNE Mme [C] [M] à payer à Mme [O] [E] et M. [W] [Z] la somme de 800 euros, en réparation de leur préjudice moral ;
ORDONNE que ces trois précédentes condamnations produisent intérêts au taux légal à compter du présent jugement et que les intérêts échus et dus au moins pour une année entière, soient capitalisés ;
CONDAMNE la société CABINET [I] à relever indemne Mme [C] [M], dans la limite de la somme de 500 euros, de sa condamnation au titre du préjudice moral de Mme [O] [E] et M. [W] [Z] ;
DIT que la société CABINET [I] sera tenue au paiement des intérêts au taux légal sur la somme versée par Mme [C] [M] au titre de ce préjudice moral à compter de la date à laquelle celle-ci justifiera de ce versement auprès de la société CABINET [I] ;
REJETTE les demandes formées par Mme [C] [M] et par la société CABINET [I] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [C] [M] à payer à Maître Marion TCHINA, la somme de 1200 euros en application des articles 700, 2°, du code de procédure civile ;
REJETTE les plus amples demandes ;
CONDAMNE Mme [C] [M] à rembourser à Mme [O] [E] et M. [W] [Z] les dépens exposés par eux ;
LAISSE à Mme [C] [M] et à la société CABINET [I] la charge des dépens par eux exposés ;
DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire dont la présente décision est revêtue de droit ;
Ainsi jugé et mis à disposition, les jour, mois et an susdits.
LE GREFFIER LE JUGE