N° RG : N° RG 24/03210 - N° Portalis DBX6-W-B7I-ZBEV
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND
30Z
N° RG : N° RG 24/03210 - N° Portalis DBX6-W-B7I-ZBEV
Minute n° 2024/00
AFFAIRE :
S.A.S. [I]
C/
S.A.S. HEXAGONE GROUPE PROMOTION
Grosses délivrées
le
à
Avocats :
Me Brice CHOLLON
l’AARPI GRAVELLIER - LIEF - DE LAGAUSIE - RODRIGUES
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 11 JUILLET 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré
Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente
Pascale BUSATO Greffier, lors des débats et Isabelle SANCHEZ Greffier lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 16 Mai 2024,
Délibéré au 11 juillet 2024
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile
JUGEMENT:
Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile
DEMANDERESSE :
S.A.S. [I] immatriculée au RCS DE BORDEAUX sous le numéro 841 560 196
215 avenue de l’Argonne
33700 MERIGNAC
représentée par Me Brice CHOLLON, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
DEFENDERESSE :
S.A.S. HEXAGONE GROUPE PROMOTION immatriculée au RCS DE BORDEAUX sous le numéro 884 356 494
153 rue de Turenne
33000 BORDEAUX
représentée par Maître Charlotte DE LAGAUSIE de l’AARPI GRAVELLIER - LIEF - DE LAGAUSIE - RODRIGUES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
N° RG : N° RG 24/03210 - N° Portalis DBX6-W-B7I-ZBEV
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FAITS ET PROCEDURE
La société [I], qui exploite un fonds de commerce de salon de coiffure, a conclu le 27 juillet 2018 un bail commercial avec la SCI TPS, pour une durée de 9 ans, à effet du 1er août 2018 jusqu’au 31 juillet 2027, portant sur un local au sein d’un ensemble immobilier sis 215 avenue de l’Argonne à Mérignac.
La société [I] a procédé à des travaux d’aménagement pour exploiter ce local.
Par acte notarié du 11 décembre 2020, la SCI TPS a cédé à l’ensemble immobilier, comprenant trois locaux commerciaux, la S.A.S HEXAGONE GROUPE PROMOTION, et notamment les locaux objets du bail commercial. Au début de l’année 2022, la société HEXAGONE a présenté à la société [I] un projet de construction d’un nouvel immeuble commercial impliquant la destruction de l’ensemble immobilier au sein duquel elle exploitait son fonds de commerce.
Après de nombreux échanges, les parties ont finalement signé, le 14 février 2023, un « protocole d’accord et de résiliation amiable de bail commercial, emportant suspension de l’exploitation du preneur ». Ce protocole prévoyait notamment le versement d’une indemnité mensuelle au preneur, en compensation de son obligation de suspendre son activité le temps de travaux, avec une date butoir fixée au 30 octobre 2023.
Le même jour, les parties ont signé un bail commercial en l’état futur d’achèvement (ci-après « BEFA ») portant sur le local commercial à réaliser, avec la même date butoir.
Ce bail mettait à la charge du preneur la réalisation des travaux d’aménagement.
La société HEXAGONE a cessé de verser les indemnités prévues au protocole d’accord à compter du mois de juillet 2023. En réponse aux réclamations faites par la société [I], elle s’est prévalue d’une exception d’inexécution au motif que la société [I] serait à l’origine du retard pris dans les travaux.
Par ordonnance du 4 avril 2024, le président du tribunal judiciaire de Bordeaux a, sur sa requête et au vu de l’urgence, autorisé la société [I] à assigner devant ce tribunal, à jour fixe, la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION.
L’affaire a été plaidée à l’audience collégiale du 16 mai 2024.
A l’audience, à l’issue des plaidoiries, le conseil de la société HEXAGONE a indiqué ne pas être opposé à un règlement amiable, par la voie d’une médiation ou d’une audience de règlement amiable, ce qui a été refusé par le conseil de la société [I].
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 mai 2024, la société [I] demande au tribunal, outre le rejet des demandes du défendeur, de condamner la Société HEXAGONE GROUPE PROMOTION à lui payer les sommes suivantes :
108 000 euros au titre des indemnités mensuelles impayées stipulées au protocole d’accord transactionnel du 14 février 2023, outre les pénalités de retard telles que prévues par l’article L. 441-10 II du code de commerce à compter du 6 octobre 2023,360 euros au titre des frais de recouvrement en application des articles L. 441-10 II et D. 441-5 du code de commerce,19 800 euros TTC à titre de dommages et intérêts liées aux frais avancés pour les travaux d’aménagement du local,17 727 euros TTC à titre de dommages et intérêts liées au remboursement du mobilier déjà acheté,30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécutions contractuelles,10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle demande en outre au tribunal de prononcer la résiliation aux torts exclusifs de la Société HEXAGONE GROUPE PROMOTION du protocole d’accord transactionnel et du bail en l’état futur d’achèvement,
En conséquence :
-de prononcer la résiliation du bail commercial du 27 juillet 2018 aux torts exclusifs de la société HEXAGONE,
-de la condamner à lui verser une somme de 291 411 euros à titre de dommages et intérêts,
-de rejeter les demandes de cette de la société HEXAGONE.
Elle demande en outre la condamnation de la société HEXAGONE à lui verser 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens, y compris les frais du constat du commissaire de justice.
Au soutien de ses demandes elles au visa des articles 1103 et 1104 du code civil que la société HEXAGONE n’a pas respecté ses engagements issus du protocole d’accord en ce qu’elle a cessé de verser les indemnités mensuelles à compter du 1er juillet 2023. Elle conteste le bienfondé de l’exception d’inexécution qui lui est opposée en défense dès lors qu’elle n’était pas en mesure de communiquer les documents relatifs à l’aménagement des locaux sollicités par la société HEXAGONE du fait des changements de plans à deux reprises par cette dernière. Elle en déduit que le délai de 3 mois prévu à l’article 1.5.1 du BEFA était devenu caduque en raison de ces modifications ultérieures. Elle ajoute que si la société HEXAGONE lui reproche de ne pas avoir communiqué le plan des réseaux, entraînant un soi disant blocage du chantier, elle n’avait pas à réaliser ou à financer ces travaux qui sont à la charge du bailleur. Elle souligne qu’en tout état de cause, les plans du salon, des réseaux et les devis émis ont été communiqués à la société HEXAGONE par courriel du 6 septembre 2023, émanant de l’entrepreneur qu’elle avait mandaté. Elle fait également valoir qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir retourné le devis des travaux de sous-dallage des réseaux, qu’elle n’a pas reçu, travaux qui ne lui incombent pas non plus en application du BEFA. Elle ajoute que les autorisations administratives liées à l’exploitation du local ont été transmises à la société HEXAGONE le 16 janvier 2024, soit dans le délai du commandement d’avoir à fournir une attestation des travaux visant la clause résolutoire du 9 janvier 2024.
Elle sollicite en conséquence l’exécution du protocole et le paiement des indemnités non versées.
Au visa de l’article 1217 du code civil, elle demande la condamnation de la société HEXAGONE à lui verser des dommages et intérêts pour manquements dans l’exécution du protocole d’accord transactionnel et du bail en l’état futur d’achèvement, le manquement étant le non-respect de la date butoir pour la réalisation des travaux, comme en atteste le constat du commissaire de justice qu’elle a mandatée en date du 26 octobre 2023, constant l’abandon du chantier. Elle souligne avoir engagé des frais importants, à perte, pour réaliser l’aménagement intérieur du local commercial. Elle ajoute n’avoir aucune activité à ce jour puisque son local a été détruit. Elle s’oppose en conséquence à la demande de restitution des indemnités versées en exécution du protocole d’accord.
Elle demande par ailleurs la résiliation du protocole et du bail commercial en l’état futur d’achèvement, au visa de l’article 1229 du code civil, rappelant que le cumul de la demande de résiliation et de la demande d’exécution du protocole n’est pas incompatible et permise par l’article 1217 du code civil, dès lors que la résiliation ne s’oppose pas à la demande de paiement de prestations qui ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat : or en l’espèce, le paiement des indemnités mensuelles avait son utilité pour la société [I] puisqu’elles avaient pour objet de l’indemniser de la perte temporaire de son fonds de commerce pendant la réalisation des travaux. Elle ajoute que la société HEXAGONE n’a pas respecté son engagement de livrer le nouveau local avant le délai butoir.
La résiliation du bail initial étant liée à la signature du protocole d’accord et la signature du nouveau bail, elle soutient que leur résiliation fait revivre le bail initial. Toutefois, dès lors que la chose louée a été détruite, le bailleur ne peut plus délivrer la chose louée en raison de son propre fait. Elle demande, en application des articles 1722 et 1741 du code civil, une indemnisation pour la perte de son fonds de commerce.
En réplique, aux termes de ses uniques conclusions du 14 mai 2024, complétées par la production d’une pièce n°5 communiquée par RPVA le 16 mai 2024, la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION demande au tribunal :
A titre principal, de prononcer l’irrecevabilité des demandes cumulatives d’exécution forcée du protocole et de résiliation du protocole, et de débouter la société [I] de ses demandes,
A titre subsidiaire :
-de prononcer la résolution du protocole d’accord et du BEFA aux torts exclusifs de la société [I]
-de la condamner en conséquence à lui restituer les indemnités versées en exécution du protocole d’accord,
A titre infiniment subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires
En tout état de cause, elle demande la condamnation de la société [I] à lui verser 10 000 euros au titre de l’article 700 et à supporter les dépens.
A titre liminaire, elle soulève l’irrecevabilité des demandes de la société [I], qui cumule la demande d’exécution forcée et la demande de résiliation, estimant que cela conduirait à obtenir une indemnisation sur deux fondements différents pour un seul préjudice.
En tout état de cause, s’agissant de la demande d’exécution forcée du protocole, elle ne conteste pas avoir cessé de verser le paiement des indemnités mensuelles à compter du mois de juillet 2023 mais fait valoir l’exception d’inexécution dès lors qu’en raison de l’absence de remise des documents relatifs à l’aménagement du local par la société [I], dans le délai de trois mois suivant la signature du BEFA, les travaux étaient bloqués. Elle conteste les arguments de la société [I] selon lesquels les projets de plan du bâti auraient changé puisqu’aucun permis de construire modificatif n’a été déposé. Elle soutient que c’est le comportement de la société [I] qui est à l’origine du retard de la construction, en dépit de plusieurs mises en demeure.
Sur la demande de résiliation du protocole et du BEFA, elle oppose là encore le comportement fautif de la société [I], de sorte que la demande lui paraît devoir être rejetée. Elle ajoute est toujours dans l’attente du devis de dallage retourné signé. Elle souligne être toujours dans l’attente des plans complets des travaux qui vont être engagés et qu’en l’absence des plans de réseaux sous dallage, il n’est pas possible de finaliser les infrastructures en béton, les longrines devant être commandées au visa de ce plan. S’agissant du retard sur dans la livraison prévisionnelle, la société HEXAGONE fait valoir que l’article 3.4 du BEFA prévoit, au titre des causes légitimes de suspension du délai initialement prévu, « les décalages dus à des travaux modificatifs demandés par le preneur ou convenus avec le preneur » et en déduit que dans ces circonstances, l’envoi tardif des documents a contractuellement retardé la date prévisible d’achèvement, ce dont d’ailleurs la société [I] a été informée par courriel du 20 octobre 2023.
A titre infiniment subsidiaire, elle soutient, s’agissant des demandes indemnitaire que pour les motifs évoqués plus haut, elles ne peuvent se cumuler. Elle ajoute qu’il n’est pas exclu que le mobilier acquis soit réutilisé, et que la société [I] ne peut demander des dommages et intérêts du fait du retard de livraisons alors que l’indemnité prévue au protocole doit s’appliquer jusqu’à la livraison. Elle s’oppose aussi à la demande formée au titre de la perte de fonds de commerce qu’elle estime excessive, car fondé sur le chiffre d’affaires alors que le résultat courant avant impôt est de 5888 euros.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la possibilité de cumuler une demande de résiliation et une demande d’exécution forcée du même contrat
Aux termes de l’article 1217 du code civil : « La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :/- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;/- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;/- obtenir une réduction du prix ;/- provoquer la résolution du contrat ;/- demander réparation des conséquences de l'inexécution./Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter. »
En application cet article (ancien article 1184 du code civil) et d’une jurisprudence constante en la matière, si la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté a le choix, ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts, elle ne peut cumuler ces demandes dès lors que cela reviendrait à obtenir deux fois réparation d’un même préjudice.
En l’espèce, la société [I] demande à la fois l’exécution forcée du protocole d’accord puisqu’elle demande le paiement des indemnités mensuelles dues en raison de la suspension de son activité ainsi que la résiliation judiciaire de ce protocole d’accord, et celle du BEFA qui lui est lié, outre des demandes de dommages et intérêts, sans hiérarchiser ses demandes.
Sa demande d’exécution forcée du protocole d’accord repose sur le manquement du bailleur dans son obligation de payer les indemnités mensuelles prévues en compensation de la suspension de l’activité commerciale due à la mise en œuvre des travaux. Cette demande a pour objet de sanctionner le comportement du bailleur qui a eu pour effet de causer un préjudice financier à la société [I], en ce qu’elle a continué à supporter des frais fixes pendant cette période d’inactivité : une demande en paiement des sommes prévues au contrat est formée.
D’un autre côté, la société [I] demande la résiliation, pour l’avenir, aux torts exclusifs du bailleur du protocole d’accord et du BEFA au motif que les indemnités n’ont pas été versées et que les travaux n’ont pas été réalisés. Cette demande n’est pas motivée exclusivement sur le défaut de paiement des indemnités mais également sur le défaut de réalisation des travaux. Ainsi, la résiliation demandée ne conduit pas à sanctionner deux fois un même comportement et ne conduit pas à obtenir deux réparations sur un même manquement.
Les demandes d’exécution forcée et de résiliation formées par la société [I] seront donc examinées.
2. Sur la demande d’exécution forcée du protocole d’accord
2.1 Sur l’existence de l’obligation de payer des indemnités en raison de la suspension de l’activité commerciale
Aux termes de l’article 1353 du code civil : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver./ Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
En l’espèce, il ressort des pièces produites que la société HEXAGONE et la société [I] ont signé, le 14 février 2023, un « protocole d’accord et de résiliation amiable de bail commercial, emportant suspension de l’exploitation du preneur ».
L’article premier, intitulé « Bail commercial » mentionne que preneur et bailleur déclarent que le bail du 27 juillet 2018 est résilié, « emportant la suspension, le temps des travaux uniquement » de l’exploitation commerciale de la société [I] « à compter de ce jour 00h00 et pour une durée expirant « à la date de constatation de leur achèvement au sens du BEFA » tel que défini à l’article 3 du BAIL COMMERCIAL EN l’ETAT FUTUR D’ACHEVEMENT et pour une durée maximum expirant le 30 octobre 2023 ».
Il en résulte que l’activité commerciale du preneur est suspendue durant le temps des travaux et au plus jusqu’au 30 octobre 2023.
L’article 2.1 du protocole prévoit qu’en conséquence, le bailleur renonce à demander paiement des loyers et charges prévus dans le bail initial et le BEFA pendant la durée des travaux et jusqu’à la livraison du nouveau local.
L’article 2.2.1 prévoit quant à lui que le bailleur s’engage à payer au preneur une somme fixe forfaitaire maximum et mensuelle de 10 000 euros HT soit 12 000 euros TTC, payable pour la période du 15 au 28 février 2023, par virement émis le 14 février 2023 pour une somme de 5000 euros HT soit 6000 euros TTC et pour la période allant du 1er mars 2023 et « se terminant à la date de livraison du nouveau local, par virement d’une somme forfaitaire mensuelle de 10 000 euros HT soit 12000 euros TTC venant à échéance le 5 de chaque mois. »
Il est ainsi démontré, ce qui n’est au demeurant pas contesté, que la société HEXAGONE doit verser à la société [I] une indemnité mensuelle compensant le préjudice subi du fait de la suspension de l’activité commerciale en raison des travaux.
2.2 Sur l’exception d’inexécution opposée par la société HEXAGONE
Il n’est pas contesté que la société HEXAGONE a payé cette indemnité pour les mois de février, mars, avril, mai et juin 2023. Elle a cessé de la verser à compter du mois de juillet 2023.
En application des dispositions de l’article 1353 du code civil précitées, il lui appartient de démontrer l’existence d’un manquement de la société [I] à ses obligations contractuelles pour s’exonérer de son obligation de paiement.
Aux termes des paragraphes v et vi du préambule de la protocole d’accord précité : «(v) Des échanges sont intervenus entre les parties, les PARTIES s’étant notamment mis d’accord sur les conditions et sur le contenu des travaux à réaliser (construction et aménagement intérieur du futur local commercial) et sur l’indemnisation du préjudice subi par le PRENEUR, lequel se voit contraint de suspendre son activité commerciale durant la réalisation des dits travaux./ (vi) A ce titre, il a été convenu entre les parties les termes d’une convention séparée intitulée « BAIL COMMERCIAL EN L’ETAT FUTUR d’ACHEVEMENT » forme un tout indivisible avec les présentes et qui est signé par les parties, concomitamment aux présentes ».
De l’accord des parties, le protocole d’accord et le BEFA forment donc un tout indivisible.
Le bailleur estime que la société [I] n’a pas respecté ses engagements au titre du BEFA et en déduit qu’il est bienfondé à se prévaloir d’une exception d’inexécution pour s’exonérer de ses obligations au titre du protocole d’accord.
Il y a donc lieu de rechercher si le manquement imputé à la société [I], à savoir avoir retardé la réalisation des travaux du fait de l’absence de transmission de documents relatifs à l’aménagement, est caractérisé.
En préambule du titre I du BEFA, il est indiqué que le bailleur s’engage à faire réaliser les travaux de construction des locaux loués dans les conditions prévues par le BEFA. Le descriptif technique des locaux, le plan de masse et le plan de façade sont joints en annexes 2,3 et 4.
L’article 1.5.1 prévoit que le preneur réalisera quant à lui les travaux d’aménagements des locaux loués, à savoir tous les travaux qui ne sont pas visés dans le descriptif technique. Il est précisé que « préalablement à la réalisation de ces travaux, le Preneur devra obtenir le consentement du Bailleur. A cet effet, le Preneur devra transmettre au bailleur le dossier correspondant aux travaux envisagés, comportant notamment un descriptif technique, des plans et le devis et obtenir toutes autorisations administratives, dans les 3 mois de la signature des présentes ».
Il en résulte une obligation pour le preneur de transmettre des documents dans un délai de 3 mois au bailleur, en lien avec son seul projet d’aménagement. Cette obligation de transmission a pour seul objet de soumettre le projet d’aménagement à l’accord du bailleur ; aucune sanction n’est attachée au non- respect de ce délai. Surtout, cette obligation du preneur n’est aucunement reliée à l’obligation du bailleur de construire le local.
D’ailleurs, l’article 6 du BEFA, prévoit que les locaux sont réputés achevés lorsqu’auront été exécutés les ouvrages à la charge et sous la responsabilité du bailleur, conformément aux plans des locaux et à la notice descriptive, étant précisé que « tout retard pris par le preneur dans la réalisation des travaux dont il a la charge en vertu du BEFA ne saurait d’aucune façon remettre en cause l’achèvement des locaux au sens du présent BEFA ».
Il en résulte que l’obligation de construction du bailleur et l’obligation d’aménagement du preneur sont envisagées séparément dans le BEFA, l’absence de travaux d’aménagements par le preneur étant sans influence sur le caractère achevé ou non de l’ouvrage.
Contrairement à ce qui est soutenu en défense, l’absence de transmission, ou le retard pris dans cette transmission, de documents relatifs aux travaux d’aménagement envisagés, tels que le descriptif technique, les plans, les devis et les autorisations administratives, n’est pas de nature à justifier le retard pris dans la réalisation du gros œuvre à la charge du bailleur.
Il en résulte que l’exception d’inexécution ne peut être opposée à la société [I].
2.3 Sur le montant des sommes dues
La société [I] demande 108 000 euros TTC au titre de factures du 1er juillet 23 au 1er mars 24.
Cependant, il résulte de la lecture combinée des articles 1 et 2.2.1 du protocole d’accord que les parties se sont entendues pour dire que la suspension de l’activité commerciale était liée à la réalisation des travaux et que cette suspension expirait à la date d’achèvement des travaux et au plus tard le 30 octobre 2023. Aussi, il n’y a pas lieu d’allouer des sommes pour compenser la suspension de l’activité commerciale au-delà du 30 octobre 2023.
En conséquence, il y a lieu d’allouer à la société [I] la somme de 10 000 euros HT pour les mois de juillet, août, septembre et octobre 2023, soit 40 000 euros HT, soit 48 000 euros TTC.
A cette somme, il y a lieu, en application du II de l’article L. 441-10 du code de commerce, s’agissant de factures impayées émises par la société [I], d’ajouter des pénalités de retard telles que prévues par cet article à compter du 6 octobre 2023, date de la dernière facture émise pour le mois d’octobre 2023.
En revanche, l’indemnité forfaire de 40 euros par facture impayée prévue par les articles L. 441-10 et D. 441-5 du code de commerce sera fixée à 160 euros dès lors qu’il n’est fait droit à la demande qu’au titre de 4 factures impayées.
3. Sur la demande de résiliation du protocole d’accord et du bail commercial en l’état futur d’achèvement
Aux termes de l’article 1229 du code civil : « La résolution met fin au contrat. /La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice. Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9. »
En l’espèce, au vu de ce qui a été dit plus haut, il est établi que la société HEXAGONE n’a pas versé au locataire les sommes dues au titre de la suspension de son activité durant les travaux. Il ressort par ailleurs des écritures et des pièces produites, notamment du constat d’huissier de justice et des attestations de témoins, que le chantier est à l’arrêt et que les travaux ne sont pas terminés.
En application des dispositions de l’article 1217 du code civil précitées, il appartient à la partie qui considère que le contrat n’a pas été exécuté de démontrer, pour refuser d’exécuter elle-même ses obligations, que son co-contractant n’a pas respecté ses obligations. La société HEXAGONE estime que si elle n’a pas exécuté les travaux et a cessé de verser les indemnités compensatrices, la société [I] en est seule responsable.
Ainsi que cela a été démontré plus haut, les motifs avancés par la société HEXAGONE ne sont pas de nature à l’exonérer de ses obligations tant au titre du paiement des indemnités lors de la suspension de l’activité qu’au titre de la réalisation des travaux.
En outre, il ressort des pièces du dossier et en particulier du constat établi par commissaire de justice le 26 octobre 2023 qu’à cette date, les travaux de construction n’étaient pas achevés : la séparation des cellules n’était pas réalisée, les menuiseries non posées, le bâtiment n’était ni hors d’eau ni hors d’air. Le toit n’était pas couvert. Les attestations de voisins établies au mois de novembre 2023 font état d’un chantier à l’abandon depuis plusieurs semaines ; Si la société HEXAGONE impute à la société [I] l’arrêt du chantier, force est de constater que madame [I] n’est concernée que par la cellule n°2 du bâtiment et que le reste des travaux de construction n’est pas davantage avancé.
Aussi, dès lors qu’il n’est pas démontré que le retard pris dans le chantier l’a été pour force majeure ou un motif légitime tel qu’énoncé à l’article 3.4, et que contrairement à ce que soutient la société HEXAGONE, ce retard de chantier n’est pas consécutif à des modificatifs demandés ou convenus avec le preneur, il y a lieu de considérer que les deux manquements énoncés, à savoir défaut de paiement des indemnités compensatrices mensuelles et arrêt injustifié du chantier, constituent des manquements suffisamment graves justifiant la résiliation du protocole d’accord et du BEFA aux torts de la société HEXAGONE, avec effet à la date du présent jugement, les indemnités versées en compensation de la suspension de l’activité commerciale du preneur ayant trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat.
4. Sur les demandes de dommages et intérêts
Sur la demande de dommages et intérêts au regard des frais en engagés pour l’aménagement intérieur du local et pour le mobilier
La société [I] produit une facture émanant de la société MY RENOV correspondant à un acompte pour l’aménagement de l’intérieur du local commercial en construction.
Ces frais ayant été engagés en vue de son installation dans des nouveaux locaux qui n’ont toutefois jamais été construits, il y a lieu de lui allouer la somme de 19 800 TTC demandée et de condamner la société HEXAGONE au paiement.
En revanche, la demande formée au titre de la facture établie par la société Business Coiffure Beauté au titre de l’achat de mobilier sera rejetée dès lors que cette facture date du mois de janvier 2024, alors que la société [I] avait bien conscience que le chantier était à l’arrêt et que le mobilier a vocation à être réutilisé ou revendu.
Sur la demande de dommages et intérêts en raison des manquements contractuels
La société [I] sollicite la somme de 30 000 euros en réparation des manquements résultant du non paiement des indemnités et du retard dans l’exécution des travaux.
Cependant, ces manquements ont déjà donné lieu à réparation en ce que l’exécution forcée a été accordée et que les frais engagés à perte pour l’aménagement du local sont indemnisés.
Cette demande sera en conséquence rejetée.
5. Sur la demande de résiliation du bail du 27 juillet 2018.
La résiliation amiable du bail commercial du 27 juillet 2018 étant anéantie par la présente décision, ce bail reprend ses effets, celui-ci arrivant à échéance le 31 juillet 2027.
Aux termes de l’article 1722 du code civil : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement. »
Selon l’article 1741 du même code : « Le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements. »
En l’espèce, il ressort des débats que les travaux de démolition du local commercial initial ont été entamés le 15 février 2023. Il n’est pas contesté que la société [I] est dépourvue à ce jour de tout local lui permettant d’exploiter son activité, en raison de la démolition du local initial et de l’absence de reconstruction d’un nouveau local.
Le bail est en conséquence résilié de plein droit.
6. Sur la demande d’indemnisation du fait de la perte totale des locaux loués
La société [I] forme une demande indemnitaire fondée sur une attestation comptable mentionnant un chiffre d’affaires TTC de 224 162 euros pour la période du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2022 auquel il est appliqué un barème de 130% en application de la table financière de l’administration fiscale.
Dès lors que l’exploitation a été perturbée dès le début de l’année 2023, il apparaît pertinent de prendre pour base le chiffre d’affaires réalisé entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022. Toutefois, il ressort des éléments comptables produits aux débats que le chiffre d’affaires pour l’exercice clos au 30 septembre 2022 était de 169 187 euros. C’est donc cette base qui sera retenue. En outre, il ressort de ce même document comptable que l’excédent brut d’exploitation pour cet exercice était de 5327 euros, ce qui ne démontre pas une forte rentabilité de l’exploitation. Dès lors, il n’y a pas lieu de faire application du taux le plus élevé du barème de l’administration fiscale qui prévoit pour l’activité de salon de coiffure un barème allant de 50% à 130% du chiffre d’affaires TTC.
Aussi, il y a lieu d’appliquer au chiffre d’affaires retenu un taux de 60%, et d’allouer à la société [I] en réparation de son préjudice résultant de la perte de son local commercial une somme de 101 512 euros.
7. Sur la demande reconventionnelle en remboursement des indemnités compensatrices versées entre février et juin 2023
La résiliation étant prononcée au jour du jugement, il n’y pas lieu de faire droit à cette demande, les indemnités versées étant dues lorsqu’elles l’ont été.
8. Sur les frais du procès
- Dépens
En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION succombant, elle sera condamnée aux dépens, en ce compris les frais du constat établi par commissaire de justice le 23 octobre 2023 en application de l’article 695 du même code.
- Frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.[...]. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
Au vu des circonstances particulières du litige, il apparaît équitable de condamner la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION à verser à la société [I] une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
Dit que la société [I] est fondée à solliciter l’exécution forcée du protocole et la résiliation pour l’avenir de ce protocole et du bail en l’état futur d’achèvement,
CONDAMNE la société HEXAGONE GROUPE à payer à la SAS [I] les sommes suivantes ;
- 48 000 euros TTC au titre du paiement des indemnités dues en exécution du protocole d’accord du 14 février 2023, outre pénalités de retard à compter du 6 octobre 2023, dans les conditions de l’article L. 441-10 du code de commerce,
- 160 euros au titre des frais de recouvrement en application des articles L. 441-10 II et D. 441-5 du code de commerce,
- 19 800 TTC au titre de la facture d’aménagement du local
ORDONNE la résiliation du protocole d’accord et de résiliation amiable de bail commercial, emportant suspension de l’exploitation du preneur et du bail en l’état futur d’achèvement conclus entre la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION et la SAS [I] le 14 février 2023, à compter de la date du présent jugement,
ORDONNE la résiliation du bail commercial du 27 juillet 2018 pour perte de la chose louée à compter du présent jugement,
En conséquence, CONDAMNE la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION à verser à la SAS [I] la somme de :
- 101 512 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de son local commercial,
DEBOUTE la société [I] de ses demandes formées au titre de la facture de mobilier et au titre des manquements contractuels,
DÉBOUTE la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION de sa demande de restitution de sommes versées au titre du protocole d’accord,
CONDAMNE la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION aux entiers dépens, en ce compris les frais de constat établi par commissaire de justice le 23 octobre 2023,
CONDAMNE la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION à payer à la société [I] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de la société HEXAGONE GROUPE PROMOTION sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
- RAPPELLE que le présent jugement est assorti de plein droit de l’exécution provisoire.
Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente, et par Madame Isabelle SANCHEZ, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT