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11/07/2024 | FRANCE | N°20/01359

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 5ème chambre civile, 11 juillet 2024, 20/01359


N° RG : N° RG 20/01359 - N° Portalis DBX6-W-B7E-UEPB
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND






63D

N° RG : N° RG 20/01359 - N° Portalis DBX6-W-B7E-UEPB

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


[G] [I], [K] [I]

C/

[O], [X] [Y], Société BPACA











Grosses délivrées
le

à
Avocats :
la SELARL ABR & ASSOCIES
Me Lucie TEYNIE
Me Caroline VERGNE



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT DU 11 JUILLET 2024
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COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré

Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Pascale BUSATO Greffier, lors des débats et Isabelle SANCHEZ ...

N° RG : N° RG 20/01359 - N° Portalis DBX6-W-B7E-UEPB
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

63D

N° RG : N° RG 20/01359 - N° Portalis DBX6-W-B7E-UEPB

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

[G] [I], [K] [I]

C/

[O], [X] [Y], Société BPACA

Grosses délivrées
le

à
Avocats :
la SELARL ABR & ASSOCIES
Me Lucie TEYNIE
Me Caroline VERGNE

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 11 JUILLET 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré

Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Pascale BUSATO Greffier, lors des débats et Isabelle SANCHEZ Greffier lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 Mai 2024,
Délibéré 11 juillet 2024
Sur rapport de conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort
Prononcé pubiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile

DEMANDEURS :

Monsieur [G] [I]
né le 01 Septembre 1980 à PERIGUEUX (24000)
de nationalité Française
4 Impasse MARIGNAN
13007 MARSEILLE

représenté par Me Lucie TEYNIE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant

Monsieur [K] [I]
né le 26 Mars 1979 à PERIGUEUX (24000)
de nationalité Française
34 Rue Jules-Ferry
33220 PINEUILH

représenté par Me Lucie TEYNIE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant
N° RG : N° RG 20/01359 - N° Portalis DBX6-W-B7E-UEPB

DEFENDEURS :

Monsieur [O], [X] [Y]
né le 11 Février 1956 à PERIGUEUX
de nationalité Française
215, route de Chez Nanot
24530 QUINSAC

représenté par Me Caroline VERGNE, avocat au barreau de PERIGUEUX, avocat plaidant

Société BPACA
10 Quai des Queyries
33073 BORDEAUX CEDEX

représentée par Maître Laurent BABIN de la SELARL ABR & ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

******

EXPOSE DU LITIGE
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Monsieur [Z] [Y] est décédé le 12 mars 2008, laissant pour lui succéder son épouse, madame [N] [M], leurs deux enfants, [O] [Y] et [C] [Y], et sa fille issue d’une précédente union, madame [E] [Y].
Madame [N] [M] veuve [Y] a opté pour l’usufruit de l’intégralité des biens issus de la succession, laquelle comportait notamment des portefeuilles de valeurs mobilières souscrits auprès du CCSO et des liquidités.
Par décision du 30 juin 2011, le juge des tutelles a placé madame [M] sous le régime de la tutelle, et désigné son fils, [O] [Y] en qualité de tuteur.
Madame [C] [Y] est décédée le 25 octobre 2017, laissant pour lui succéder ses deux fils, [G] [I] et [K] [I].
Madame [N] [M] est décédée le 24 avril 2018.

Exposant qu’entre le 29 janvier 2009 et le 17 juin 2014, madame [M] a procédé à des remboursements ou à la cession des titres dépendant de la succession de monsieur [Z] [Y] sans recueillir l’accord des nus-propriétaires, par acte délivré le 12 février 2020, monsieur [G] [I] et monsieur [K] [I] ont fait assigner la banque populaire Aquitaine Centre Atlantique (BPACA) venant aux droits du CCSO suite à une fusion-absorption en juin 2015, devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins d’indemnisation de leurs préjudices.
Par acte délivré le 19 novembre 2020, la BPACA a fait assigner monsieur [O] [Y] en garantie des éventuelles condamnations qui pourront être prononcées à son encontre.
Les dossiers ont été joints par le juge de la mise en état le 04 décembre 2020.
Par ordonnance du 14 décembre 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande de renvoi pour connexité du dossier devant le tribunal judiciaire de Perigueux saisi d’un dossier concernant la liquidation de la succession.
La clôture est intervenue le 08 janvier 2024 par ordonnance du juge de la mise en état du même jour.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 mai 2023, [G] et [K] [I] demandent au tribunal de condamner la BPACA à leur payer des dommages et intérêts à hauteur de :
Pour le préjudice économique et financier : 2 651,12 euros correspondant à la vente des titres le 29 janvier 2009, 7 753,97 euros correspondant à la vente des titres les 11 mai et 24 décembre 2012, 7 901,33 euros correspondant à la vente des titres le 17 juin 2014, 10 000 euros au titre du préjudice de ne pas avoir pu conserver les titres jusqu’au décès de madame [M] et actions et ne pas avoir pu profiter des produits générés par ces titres et actions,9 716 euros au titre du préjudice fiscal lié à l’impossibilité pour le notaire de procéder à la déduction de l’actif successoral de [N] [M] de la valorisation des titres démembrés dépendant de la succession de [Z] [Y],5 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral.Ils demandent également la condamnation de la BPACA au paiement des dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Lucie TEYNIE, et à leur payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leur demande indemnitaire, [G] et [K] [I] font valoir, au visa de l’article 1240 du code civil, que la banque a commis une faute en ce qu’elle était avertie de l’option successorale et de la qualité d’usufruitière de [N] [M], et qu’elle n’a pas pris en compte les conséquences juridiques de l’existence du démembrement de propriété en se contentant de suivre les indications de l’usufruitière ou de son représentant. Or, ils exposent que les titres détenus par [Z] [Y], dont le portefeuille total était valorisé à 97.752,15€, constituaient une « universalité de fait » nécessitant le consentement de tous les héritiers pour être vendus, sauf réinvestissement du produit des titres, cette obligation de remploi interdisant à l’usufruitier d’appréhender une partie ou la totalité du produit. Ils ajoutent que la banque a joué un rôle actif, permettant de caractériser son manquement grave à son devoir de vigilance, dès lors que le conseiller bancaire a conseillé en 2014 au représentant de l’usufruitière de clôturer les comptes titres. Ils soutiennent également que la banque aurait dû avertir les cohéritiers de la particularité d’un compte-titres détenu à moitié en pleine propriété par [N] [M], et objet d’une indivision en jouissance et en nue-propriété. Selon eux, la banque s’est abstenue de démarches permettant aux nus-propriétaires de contrôler les cessions et rachats durant l’exercice de l’usufruit. Ils ajoutent que le seul héritier à avoir pu exercer un contrôle sur les transactions effectuées sur les comptes-titres est [O] [Y], lequel est devenu tuteur de sa mère le 30 juin 2011. Ils soutiennent, que quelle que soit l’origine des opérations, un rachat automatique, ou une cession des titres, la banque avait l’obligation d’informer les titulaires du compte, auxquels elle ne peut se substituer, usufruitiers et nus propriétaires, afin de déterminer les modalités de placement des liquidités résultant de ces opérations, ou à défaut l’obligation de placer les sommes sur un compte démembré, ce qu’elle n’a pas réalisé pour les différentes opérations réalisées, caractérisant une faute de sa part. Selon eux, l’existence d’une décision du juge des tutelles ayant autorisé la vente des titres pour le compte de madame [M] ne peut se substituer au consentement des autres co-héritiers, lesquels n’ont jamais été mis en mesure de se prononcer sur la vente projetée, cette ordonnance n’étant pas une cause d’exonération de la responsabilité du banquier.
[G] et [K] [I] soutiennent que cette faute est en lien avec le préjudice qu’ils subissent dès lors que le fait d’avoir permis ces opérations interdites ne laisse aucune possibilité à l’usufruitier de pouvoir consommer et user des liquidités provenant de la vente. Ils ajoutent que la banque n’est pas fondée à leur opposer les conditions générales de la convention de compte-titres BPACA en vigueur en 2014 dès lors que leur mère, héritière de monsieur [Y], dont ils tiennent leurs droits, n’en est pas signataire.

Ils prétendent subir en conséquence un préjudice matériel caractérisé pour chacune des opérations réalisées :
S’agissant de la vente des titres le 29 janvier 2009 : à hauteur provisoire de 2.651,12 euros correspondant au tiers (représentant la quote-part de leurs droits dans la succession de leur grand-père), de la somme de 7.953,36 euros, laquelle constitue le montant du compte FCP HSBC Garantie Europe n°2 tel que valorisé au jour du décès, dès lors qu’il a été impossible de déterminer ce qu’il est advenu des sommes versées sur le compte espèces ouvert au nom de madame [M] à la suite de la dissolution de ce fonds commun de placement,

S’agissant de la vente des titres des 11 mai et 24 décembre 2022 : à hauteur provisoire de 7.753,97 euros correspondant au tiers (représentant la quote-part de leurs droits dans la succession de leur grand-père), de la somme de 23.261,91 euros, laquelle constitue le montant des sommes figurant sur le compte titres FCP HSBC Trajectoire remboursé le 11 mai 2012 à son échéance à hauteur de 20 832 € et sur les titres PARIS-RHIN Rhône indemnisés le 24 décembre 2012 pour un montant de 2.429,91 euros, dès lors qu’il a été impossible de déterminer ce qu’il est advenu des sommes versées, l’analyse des comptes de madame [M] démontrant qu’une partie des liquidités a été utilisée par madame [M],S’agissant de la vente des titres du 17 juin 2014 : 7.901,33 euros correspondant à leur perte de chance d’avoir pu retrouver les liquidités qui ont été déposées sur le compte sur livret n°CPT02406073671 après la vente des titres cédés. A ce titre ils exposent que les titres détenus ont été cédé pour un montant total de 106.000 euros, somme qui a ensuite été placée sur différents livrets, dont ce compte sur livret qui a ensuite connu une baisse de 23.704,18 euros entre la réalisation de la cession et le décès de madame [M], la somme dont ils demandent l’indemnisation correspondant au tiers de ce montant, au regard de leurs droits dans la succession de leur grand-père.
Ils exposent également subir un préjudice de perte de chance de pouvoir s’opposer à la vente des titres réalisée sans remploi et à l’impossibilité de pouvoir percevoir les produits générés par les placements composant le portefeuille titre démembré, préjudice qu’ils évaluent forfaitairement et provisoirement à la somme de 10.000 euros.

Ils prétendent par ailleurs subir un préjudice lié à l’impossibilité de déduire fiscalement lors de la succession de l’usufruitière la valorisation du portefeuille-titres, et ce en l’absence de convention d’usufruit. Ils exposent ainsi avoir dû subir une double taxation, dès lors que des droits d’enregistrement ont été liquidés et payés dans la succession de madame [M] sans qu’il n’ait pu être tenu compte du fait que les soldes créditeurs des liquidités des comptes alimentés à la suite de la vente du 17 juin 2014 ont été taxés, alors même que les comptes-titre avaient déjà été taxés dans la déclaration de succession de leur grand-père en 2008. Ils évaluent ce préjudice, au regard de la valeur de la part taxable qui aurait dû s’en trouver diminuée (à la somme de 114.284 euros au lieu de 138.571 euros), à la somme de de 9 716 € pour eux deux.

Enfin, ils allèguent de l’existence d’un préjudice moral caractérisé par le trouble causé dans le règlement des successions de [Z] [Y], [N] [M] et de leur mère. De plus, ils ajoutent avoir été confrontés à un intervenant réticent pour donner les informations, les obligeant à multiplier les démarches auprès de l’établissement bancaire, lequel leur a adressé un devis de 790 euros pour l’obtention des relevés.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 février 2023, la BPACA sollicite du tribunal :
A titre principal de :débouter monsieur [G] [I] et monsieur [K] [I] de l’ensemble des demandes formées à son encontre,condamner in solidum monsieur [G] [I] et monsieur [K] [I] au paiement des dépens, et à lui paye la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire de :condamner monsieur [O] [Y] à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre en principal, intérêts et frais au profit de [G] et [K] [I],rejeter les demandes de monsieur [O] [Y], monsieur [G] [I] et monsieur [K] [I],condamner monsieur [O] [Y] au paiement des dépens, ainsi qu’à lui payer la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. A titre principal, la BPACA conteste toute faute de sa part, exposant qu’elle n’avait pas besoin de demander l’accord des nus-propriétaires car l’usufruitier est libre de gérer les portefeuille titres. Elle ajoute qu’il convient de distinguer selon que les biens sont ou non consomptibles par le premier usage, et qu’à cet égard les titres et valeurs ne le sont pas, alors que l’argent l’est, et que l’usufruitier a, conformément à l’article 587 du code civil le droit de disposer seul des sommes d’argent à charge pour lui de rendre la somme à la fin de l’usufruit. La BPACA ajoute qu’il est contractuellement prévu dans ses conditions générales de convention de compte-titre en vigueur en 2014 que seule la signature de l’usufruitier est exigée.
Sur les différents comptes-titres concernés, la banque fait la différence entre ceux qui étaient au seul nom de [Z] [Y] et celui en commun avec madame [M], et expose qu’au décès de monsieur [Z] [Y], le notaire a demandé à ce que les comptes du défunt soient mis au nom de madame [M], en qualité d’usufruitière.
Sur les mouvements de titres concernés, la banque fait la distinction entre ceux faisant l’objet d’un remboursement et ceux faisant l’objet d’une cession dûment autorisée. Pour les premiers, elle indique qu’une indemnisation a eu lieu à l’échéance sur le compte de Madame [M] (FCP HSBC TRAJECTOIRE 5-2 arrivé à échéance et remboursé le 11 mai 2012 sur le compte de dépôt de madame [M], et actions PARIS-RHIN-RHONE ayant fait l’objet d’une offre de retrait et indemnisés le 24 décembre 2012). Pour les seconds, elle expose que l’ordonnance du juge des tutelles du 17 avril 2014 a autorisé le tuteur de Madame [M], [O] [Y], à réaliser la clôture des comptes titres et à transférer les sommes s’élevant à 106.137,63 euros sur des livrets ouverts au nom de madame [M]. Elle soutient donc qu’il y a eu une autorisation judiciaire pour ces opérations, et qu’en tout état de cause ce n’est pas elle qui a vendu les titres mais [O] [Y] en qualité de tuteur avec autorisation judiciaire. Elle indique que les titres ont été substitués par des sommes d’argent, ce qui a modifié les prérogatives de l’usufruitier qui en avait alors la libre disposition.

Pour s’opposer à l’indemnisation sollicitée, la BPACA fait valoir :
s’agissant de la cession des titres du 29 janvier 2009 qu’il ne s’agit pas d’une cession des titres mais d’un rachat automatique, qu’elle n’a plus la capacité de donner les relevés de comptes, le délai de conservation de cinq ans étant dépassé, même si elle a réussi à justifier l’opération de rachat automatique. Selon elle, du fait de ce rachat automatique, les titres sont devenus une somme d’argent, bien consomptible qui modifie les prérogatives de l’usufruitier qui en a alors la libre disposition. S’agissant des titres cédés les 11 mai et 24 décembre 2012 que les titres cédés conduit à un dépôt des fonds issus du rachat, fonds dont l’usufruitier avait ensuite la libre disposition, sans qu’elle n’ait à intervenir pour vérifier l’usage que fait l’usufruitier de l’argent. Elle conteste être tenue d’une obligation d’information ou de dépôt des sommes sur un compte démembré, la seule titulaire des comptes étant madame [M], et la banque ne pouvant se substituer aux titulaires des comptes. S’agissant de la cession des titres du 17 juin 2014, elle expose avoir respecté les dispositions de l’ordonnance du juge des tutelles du 17 avril 2014, et que les consorts [I] ne caractérisent par un manquement à son devoir de vigilance, et qu’il ne lui appartient pas de prendre en charge un différend purement familial.S’agissant de la perte de chance alléguée de s’opposer à la vente des titres, la BPACA fait valoir que cette demande forfaitaire est potentiellement redondante avec les demandes précédentes, et est fondée sur un principe erroné qui impliquerait que les sommes d’argent auraient dû être réinvesties dans de nouveaux fonds. Or, la gestion était réalisée par Madame [M] seules, puis par son représentant, son fils mais en aucun cas par la banque, laquelle est tenue d’une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client. Elle ajoute que le préjudice n’est pas démontré tant dans son principe que dans son quantum. S’agissant du préjudice résultant de l’impossibilité d’une déduction fiscale de la succession de madame [M] du portefeuille-titres démembré, elle conteste tant le principe que le quantum de la demande, soutenant l’absence de distinction réalisée par les consorts [I] entre rachats automatiques, lesquels devraient être déduits du calcul effectué par les demandeurs, et cessions, et exposant en tout état de cause qu’elle n’a commis aucun manquement à ses obligations, dès lors s’agissant des cessions de 2014, qu’il appartenait au tuteur de rendre compte de sa gestion des fonds. S’agissant du préjudice moral allégué, que les allégations relatives à ces négligences sont infondées, qu’elle a répondu aux sollicitations directes ou par le biais du notaire chargé de la succession de madame [M] et n’est pas demeurée taisante.A titre subsidiaire, au soutien de sa demande en garantie formée à l’encontre de monsieur [O] [Y], la BPACA fait valoir que celui-ci a été désigné en qualité de tuteur, et à ce titre exerce les missions de l’article 496 alinéa 1 du code civil, notamment pour la gestion du patrimoine de la personne protégée, ce qui l’a conduit à réaliser toutes les opérations litigieuses, à l’exception du rachat automatique du contrat HSBC en janvier 2009 , et à obtenir l’autorisation du juge des tutelles pour la vente des valeurs mobilières le 17 octobre 2014.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 17 mai 2022, monsieur [O] [Y] demande au tribunal de débouter la BPACA de toutes les demandes formées à son encontre, de condamner les demandeurs au paiement des dépens, et de lui allouer la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [Y] conteste l’existence de toute faute de la BPACA, et expose que s’il y a u un dysfonctionnement au sein de la banque, il ne peut en être tenu pour responsable, et que la famille était entourée de professionnels. Il expose que la gestion des titres démembrés incombe le plus souvent à l’usufruitier, et que les comptes de tutelle ont été approuvés. Il ajoute que [K] et [G] [I] n’avaient pas à intervenir aux ventes des titres opérées en 2009, 2012 et 2014 et que leur mère, [C] [Y], pouvait réclamer des versements à leur mère pour contourner les règles de la curatelle dont elle faisait l’objet.
Monsieur [Y] fait valoir l’absence de démonstration d’un préjudice par les consorts [I] étant relevé que l’actif des deux successions est élevé (382 578,13 € pour [N] [M] et 416 848,40 € pour [Z] [Y]) et qu’ils ne peuvent donc établir un préjudice pertinent. Il indique que la majorité de l’argent des comptes-titres se retrouve sur les comptes des défunts, et que la partie n’ayant pas alimenté les comptes a servi à la valorisation du patrimoine immobilier conséquent, qu’il s’est appliqué, en qualité de tuteur, à gérer au mieux des intérêts de sa mère, personne ne s’étant intéressé à cette gestion pendant la période de tutelle. Il soutient donc qu’il n’est pas démontré que l’argent des titres a disparu. Selon lui, rien n’oblige au remploi des comptes titres en d’autres comptes titres de même profil, et qu’il est possible de réinvestir l’argent dans son patrimoine. Il soutient donc qu’il n’est pas démontré que cet argent a échappé à la succession.
De plus, il indique que si une faute de la banque est retenue, les autres héritiers devraient aussi être dédommagés, et que les demandes de [G] et [K] [I], qui ne représentent qu’1/6è des parts de la succession, doivent être considérablement réduites.

MOTIVATION
Sur la demande indemnitaire formée à l’égard de la SA BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE
En vertu de l’article 1382 du code civil (devenu l’article 1240 du code civil) applicable aux faits litigieux antérieurs au 1er octobre 2016, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

 Sur la faute
En l’espèce, il ressort d’un courrier du 27 janvier 2009 établi par le notaire en charge du règlement de la succession de monsieur [Z] [Y] que la banque CCSO, aux droits de laquelle vient la BPACA, a reçu une demande de modification de l’intitulé des comptes ouverts au nom du défunt et des comptes-joints pour les mettre au nom de madame [Y], conjoint survivant, en sa qualité d’usufruitière de la totalité des biens composant la succession.
Il en résulte que la banque était informée par ce courrier de l’existence d’un démembrement de propriété sur les différents comptes du défunt, et notamment sur les comptes titres- portefeuille de valeurs mobilières, pour lesquels les titulaires disposent de droits différents. Ainsi, le nu-propriétaire du droit bénéficie du droit de disposer du bien, tandis que l’usufruitier dispose du droit d’user du bien et d’en percevoir les revenus, et d’une autorisation de gérer cette universalité, limitée à la possibilité de céder les titres dans la mesure où ils sont remplacés au sein de l’universalité. Cela ne l’autorise donc pas à céder les titres, c’est-à-dire à vendre le portefeuille de valeurs-mobilières pour obtenir une somme d’argent.

Cette connaissance de l’existence d’un démembrement de propriété impliquait pour la banque d’être vigilante aux opérations réalisées sur les comptes concernés, et de s’assurer que le donneur d’ordre était bien titulaire de la capacité juridique à le donner.

Afin de déterminer l’existence éventuelle d’une faute de la banque, il convient d’examiner successivement chacune des opérations litigieuses :

opération du 29 janvier 2009 portant sur les titres FCP HSBC : il résulte d’un e-mail de la société HSBC du 02 septembre 2020, sans que cela ne soit contesté par les demandeurs, qu’elle résulte d’une dissolution du fonds qui a provoqué un rachat automatique des fonds pour un montant total de 7.953,36 euros, fonds versés à l’usufruitier dès lors qu’il est celui qui perçoit les revenus du bien. Ce rachat automatique échappait donc au contrôle de la banque, et a conduit à rendre les fonds, qui figuraient sur ce compte, biens fongibles pour lesquels elle n’a cependant pas d’obligation particulière de vigilance, l’obligation pesant uniquement sur l’usufruitier de restituer des choses de même valeur au jour de la cessation de l’usufruit.
opération du 11 mai 2012 portant sur les titres FCP HSBC TRAJECTOIRE 5-2 FR: il résulte d’un avis d’information du CCSO du 23 avril 2012 produit par monsieur [O] [Y], sans que cela ne soit contesté par les consorts [I], que le compte-titre a été dissous le 10 mai 2012 et est donc arrivé à échéance à cette date. Il a donc fait l’objet d’un paiement sur le compte de l’usufruitière dans les mêmes conditions que le précédent, sans qu’aucune faute ne puisse être reprochée à la banque de ce fait.

opération du 24 décembre 2012 portant sur les actions PARIS-RHIN-RHONE: il résulte d’un courrier produit par monsieur [O] [Y] du 04 décembre 2012 émanant du CCSO et d’un communiqué de presse du 3 décembre 2012 produit par la BPACA que ces actions ont fait l’objet d’une offre publique de retrait en bourse, ce qui a conduit à un versement des fonds investis sur le compte de l’usufruitière au regard de ses prérogatives. Cette opération automatique échappait donc au contrôle et à la vigilance de la banque.

opération du 17 juin 2014 portant sur la cession et la clôture des comptes titres n°100692650039, 02400000832, 10069265039 ayant conduit à un transfert de fonds de 106.137,63 euros : Cette opération a certes été autorisée, s’agissant de l’usufruitière par le juge des tutelles en charge de son dossier. Cependant cette décision du juge des tutelles ne porte que sur les droits de l’usufruitière et non sur les droits des nus-propriétaires, dont il n’est pas démontré qu’ils ont donné leur accord à cet acte de disposition de trois comptes-titre non arrivés à terme, alors que seul le nu-propriétaire dispose du droit de céder les titres, s’ils n’ont pas pour vocation à être réinvestis au sein de l’universalité. La banque ne saurait opposer ses conditions générales de fonctionnement des comptes-titre lesquelles ne prévoient que la seule signature du seul usufruitier, cette disposition contractuelle ne portant que sur les opérations de gestion du portefeuille, ce qui ne peut recouvrir les actes de disposition de ce portefeuille. Cette opération (peu important que cette opération ait ensuite permis à madame [M] de disposer de fonds, et de substituer aux titres des sommes d’argent consomptibles dont elle avait la libre disposition) ne pouvait donc être réalisée par la banque en l’absence de demande formelle en ce sens des nus-propriétaires. Il convient donc de retenir, au titre des opérations de cession et de clôture des comptes titres n°100692650039, 02400000832, 10069265039 le 17 juin 2014, l’existence d’un manquement de la banque susceptible d’occasionner un préjudice aux tiers que sont monsieur [G] [I] et monsieur [K] [I].

Sur les préjudices et le lien de causalité
Sur les préjudices économiquesLes demandes relatives aux opérations réalisées en 2009 et 2012 ne sauraient prospérer en l’absence de faute retenue de la banque.
S’agissant de l’opération réalisée en 2014, le préjudice dont il est demandé l’indemnisation porte sur la perte des fonds allégués, à savoir les sommes non retrouvées sur les comptes de madame [M] veuve [Y] au jour de son décès. Or, ce préjudice financier, à supposer qu’il soit établi et caractérisé, ne résulte en aucune manière de la faute de la banque, laquelle ne peut se voir imputer qu’un préjudice financier constitué par la perte de chance d’avoir pu conserver et faire fructifier les placements litigieux, mais d’un éventuel manquement dans la gestion de la part du représentant légal de madame [Y].
La demande à ce titre, sans lien causal avec la faute retenue, sera par conséquent rejetée.

Sur la perte de chance de conserver les placements et de les faire fructifierSi le préjudice dont l’indemnisation est sollicitée est en lien causal avec la faute reprochée à la BPACA dans la gestion de la vente des comptes titres le 17 juin 2014, il convient en revanche de constater, s’agissant de la caractérisation de ce préjudice, que [K] et [G] [I] se contentent de formuler une demande forfaitaire et par ailleurs « provisoire », ce qui contrevient au principe selon lequel la juridiction doit statuer au regard du préjudice effectivement établi au jour de sa décision.
En outre, et en tout état de cause, [K] et [G] [I] ont établi au soutien de leur demande une liste dans leurs écritures qui ne se trouve corroboré par aucune pièce justificative. Ainsi, d’une part, il n’est pas démontré que les titres cédés le 17 janvier 2014 existaient encore au jour du décès de madame [M] veuve [Y]. D’autre part, pour les titres encore existants, il n’est pas justifié de leur valorisation financière à cette date.

Par conséquent, la demande indemnitaire de ce chef, la preuve de l’existence d’un préjudice n’étant pas démontrée, sera rejetée.
Sur le préjudice fiscalIl résulte du message électronique du 24 février 2021 du notaire en charge du règlement de la succession de madame [Y] que « sur le plan fiscal, les comptes titres ne sont pas pris en compte pour le calcul des droits (en passif), sauf s’il avait été signé entre l’usufruitier et le nu-propriétaire une convention fiscale de quasi-usufruit, permettant à l’usufruitier de solder le compte titre s’il le souhaitait ». Il doit donc en être déduit que seule l’existence d’une convention de quasi-usufruit aurait permis d’éviter une nouvelle taxation des comptes-titre.
Or, l’absence de signature d’une convention de quasi-usufruit n’est pas la conséquence de la faute retenue à l’encontre de la BPACA, et il ne peut dès lors lui être imputé un préjudice de ce chef.
La demande indemnitaire au titre du préjudice fiscal, sans lien causal avec la faute retenue, sera par conséquent rejetée.
Sur le préjudice moral En l’espèce, [K] et [G] [I] ont subi des tracasseries administratives et personnelles dans le cadre du règlement de la succession de leur grand-mère, madame [N] [L] [Y] décédée le 24 avril 2018, à laquelle ils viennent en représentation de leur mère, décédée le 25 octobre 2017, dès lors qu’ils justifient avoir dû échanger à plusieurs reprises avec la BPACA pour obtenir des informations complémentaires sur les opérations contestées, qu’une facturation des opérations de recherche a été envisagée par la banque.
Ces désagréments, consécutifs au manquement de la banque pour avoir accepté de vendre des compte-titres à la seule demande de l’usufruitière, justifient leur indemnisation à hauteur de 2.000 euros chacun.

Sur la demande en garantie formée par la BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE à l’encontre de monsieur [O] [Y]
En vertu de l’article 1382 du code civil (devenu l’article 1240 du code civil) applicable aux faits litigieux antérieurs au 1er octobre 2016, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l’espèce, la banque ne démontre pas l’existence d’une faute commise par monsieur [O] [Y] à son encontre.
Ainsi, monsieur [Y] a agi dans le respect des règles applicables, en qualité de représentant légal de l’usufruitière des compte-titres en sollicitant l’autorisation du juge des tutelles en charge du dossier pour réaliser l’opération au nom de sa mère, et pour placer les fonds en résultant.
C’est bien la BPACA qui en, en sa qualité de professionnelle, était tenue de l’alerter des difficultés liées à l’opération envisagée compte tenu du démembrement de propriété existant, et qui devait s’assurer de l’autorisation des nus-propriétaires avant d’accepter la vente des titres et la clôture des comptes.
Par conséquent, il convient de rejeter la demande en garantie formée par la BPACA à l’encontre de monsieur [O] [Y].
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
DépensEn vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l’espèce, la BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE, perdant à titre principal la présente instance, il convient de la condamner au paiement des dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Lucie TEYNIE.
Frais irrépétiblesEn application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : 1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;[…] / Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. / Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent. / […]
En l’espèce, la BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE, tenue aux dépens sera condamnée à payer à messieurs [K] et [G] [I] la somme de 3.000 euros, au titre des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge.
La demande formée par monsieur [O] [Y], qui ne précise pas à l’encontre de quelle partie elle est formulée sera par conséquent rejetée, en l’absence de détermination du débiteur de la prétention.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
Condamne la SA BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE à payer à monsieur [G] [I] la somme de 2.000 euros au titre de son préjudice moral ;
Condamne la SA BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE à payer à monsieur [K] [I] la somme de 2.000 euros au titre de son préjudice moral ;
Déboute monsieur [G] [I] et monsieur [K] [I] de leurs demandes indemnitaires au titre des préjudices économiques, financiers et fiscaux ;
Déboute la SA BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE de sa demande en garantie formée à l’encontre de monsieur [O] [Y] ;
Condamne la SA BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE au paiement des dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Lucie TEYNIE ;
Condamne la SA BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE à payer à monsieur [G] [I] et monsieur [K] [I] la somme globale de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SA BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE et monsieur [O] [Y] de leurs demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par Madame Isabelle SANCHEZ, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 5ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/01359
Date de la décision : 11/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-11;20.01359 ?
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