La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°23/00164

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 1ère chambre civile, 04 juillet 2024, 23/00164


N° RG 23/00164 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XLR5
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE







79A

N° RG 23/00164 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XLR5

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


S.A.R.L. [O] HOSSEGOR, [S] [I]

C/

S.A.R.L. CADRIMAGES







Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : Me Naomi CAZABONNE-PESSE
Me Sophie LALANDE
la SELARL MAURIAC AVOCATS
la SCP UHALDEBORDE SALANNE GORGUET VERMOTE BERTIZBEREA



TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 04 JUILLET 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré :

Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Monsieur Ollivier JOULIN, Magistrat honoraire ...

N° RG 23/00164 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XLR5
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

79A

N° RG 23/00164 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XLR5

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

S.A.R.L. [O] HOSSEGOR, [S] [I]

C/

S.A.R.L. CADRIMAGES

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : Me Naomi CAZABONNE-PESSE
Me Sophie LALANDE
la SELARL MAURIAC AVOCATS
la SCP UHALDEBORDE SALANNE GORGUET VERMOTE BERTIZBEREA

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 04 JUILLET 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré :

Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Monsieur Ollivier JOULIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 23 Mai 2024 conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

Ollivier JOULIN, magistrat chargée du rapport, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte dans son délibéré.

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDEURS :

S.A.R.L. [O] HOSSEGOR
104 Impasse des rémouleurs
40150 SOORTS-HOSSEGOR

représentée par Maître Vincent MAURIAC de la SELARL MAURIAC AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats postulant, Me Sophie LALANDE, avocat au barreau de BAYONNE, avocat plaidant

Monsieur [S] [I]
né le 20 Août 1980 à CAHORS (46000)
de nationalité Française
8 Rue Mancennes
40530 LABENNES
N° RG 23/00164 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XLR5

représenté par Maître Vincent MAURIAC de la SELARL MAURIAC AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats postulant, Me Sophie LALANDE, avocat au barreau de BAYONNE, avocat plaidant

DEFENDERESSE :

S.A.R.L. CADRIMAGES
9 Rue Orbe
64100 BAYONNE

représentée par Maître Jon BERTIZBEREA de la SCP UHALDEBORDE SALANNE GORGUET VERMOTE BERTIZBEREA, avocats au barreau de BAYONNE, avocats plaidant, Me Naomi CAZABONNE-PESSE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant

***

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [S] [I] est un illustrateur exerçant sous le pseudonyme de “[O]” et exploitant ses créations via la société [O] HOSSEGOR.

Ses créations sont diffusées par différents revendeurs, puis depuis 2015-2020 par ses propres boutiques.

Il a acquis une notoriété lui permettant de faire éditer par LAROUSSE “la France vue par [O]” et de travailler avec différents partenaires (les voies navigables de France, le comité de la conchyculture d’Arcachon, les Galeries Lafayettes...).

Il a travaillé avec la société CADRIMAGES société initialement orientée vers les travaux d’encadrement.

Monsieur [S] [I] considère que la société a contrefait deux dessins originaux

Dessins de [O] :Dessins de CADRIMAGES :

La société [O] HOSSEGOR se plaint en outre d’agissements parasitaires de la part de la société CADRIMAGES laquelle développe des produits (magnets, carnets, serviettes de plages, cabas, transats) à l’instar de ce qu’elle propose elle-même, en faisant appel aux mêmes fournisseurs, dans le sillage de sa concurrente, en déclinant une gamme de produits similaires et en s’implantant dans sa zone de chalandise.

Aucune conciliation n’a été possible. Une assignation en contrefaçon et concurrence déloyale a été délivrée.

***

Au terme de leurs dernières conclusions déposées le 24 octobre 2023 la société [O] HOSSEGOR et Monsieur [S] [I] sollicitent de voir :

-DEBOUTER la société CADRIMAGES de l’ensemble de ses demandes.
-DECLARER les demandes de Monsieur [S] [I] et la Société [O] HOSSEGOR recevables et bien fondées, et en conséquence :
SUR LA CONTREFAÇON :
-DIRE ET JUGER que les dessins « LES LANDES » et « TOULOUSE RUE DU TAUR » édités par la société CADRIMAGES sont des contrefaçons des Œuvres originales « LANDES » et « TOULOUSE RUE DU TAUR » de l’auteur [O] ;
En conséquence :
-AVANT DIRE DROIT : ORDONNER à la société CADRIMAGES, sous astreinte de 500€ (CINQ-CENTS EUROS) par jour de retard, passé un délai de 8 (HUIT) jours à compter du prononcé de l’injonction de communiquer un relevé, certifié par un expert-comptable, du volume des ventes, en quantité et en chiffre d’affaires, de ses affiches « Les LANDES » et « TOULOUSE – RUE DU TAUR » depuis la création de ces dernières ;
-CONDAMNER la société CADRIMAGES à payer à Monsieur [I] la somme de 20 000€ (VINGT MILLE EUROS), sauf à parfaire, en réparation de l’avilissement des Œuvres Originales « LANDES » et « TOULOUSE - RUE DU TAUR » du fait de leur contrefaçon ;
-CONDAMNER la société CADRIMAGES à verser à Monsieur [I], en qualité d’auteur, la somme de 10 000€ (DIX MILLE EUROS), au titre de l’atteinte à son droit moral ;
-ORDONNER à la société CADRIMAGES, de détruire tous les supports quels qu’ils soient sur lesquels les Dessins Originaux apparaissent, y compris ceux destinés à sa communication sur les réseaux sociaux, sur Internet ; Une telle injonction sera assortie d’une astreinte de 2.000€ (DEUX MILLE EUROS) par jour de retard.
Le tribunal se réservera le pouvoir de liquider cette astreinte.
-ORDONNER la publication judiciaire, aux frais de la société CADRIMAGES, de la décision à intervenir sur
- Son site Internet accessible via l’URL https://www.cadrimages.com/
- Sa page Instagram accessible via l’URL https://www.instagram.com/cadrimages_/
- Sur sa page FACEBOOK accessible via l’URL : https://www.facebook.com/cadrimages
- Ou sur tous autres sites qui leur seraient substitués,
- Et dans un journal (y compris électronique), au choix des demandeurs et aux frais avancés par
la société CADRIMAGES sur simple présentation d‘un devis, dans la limite de 5.000€HT (CINQ
MILLE EUROS HORS TAXES) par insertion.
Et ce, pendant une durée de trois mois et sous astreinte de 5.000 € (CINQ MILLE EUROS) par jour de retard passé un délai de 21 jours à compter de la signification de la décision à intervenir et par support concerné, de l’avis suivant :
AVIS
Par jugement en date du ____, le Tribunal judiciaire de Bordeaux a condamné la société CADRIMAGES pour :
- pour contrefaçon des Œuvres originales de l’auteur [O] intitulées « LES LANDES » et « TOULOUSE – Rue du Taur »
- et pour concurrence déloyale par parasitisme de la société [O] HOSSEGOR.

AU TITRE DES ACTES DE CONCURRENCE DELOYALE ET DE PARASITISME :
-CONDAMNER la société CADRIMAGES à verser à [O] HOSSEGOR la somme de 40 520 € (QUARANTE MILLE CINQ CENT VINGT EUROS), en réparation des préjudices subis en raison des agissements parasitaires ;
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :
-CONDAMNER la Société CADRIMAGES à verser à [O] HOSSEGOR la somme de 9 000€ (NEUF MILLE EUROS) en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
-CONDAMNER la société à CADRIMAGES aux entiers dépens en ce compris les constats d’huissier ;

Monsieur [S] [I], exerçant sous le pseudonyme [O] se prévaut de sa qualité d’auteur, créateur d’oeuvres originales et titulaire des droits de propriété intellectuelle qui y est associé, ce que ne peut ignorer la société CADRIMAGES qui a été l’un des diffuseur de ces oeuvres et en particulier des deux dessins contrefaits ensuite.

La société CADRIMAGES en a implicitement convenu en procédant à la destruction des produis supports de la contrefaçon.

Les demandeurs procèdent à une analyse détaillée des dessins, le premier figurant un paysage landais composé de pins maritimes, d’un chemin dunaire encadré de palissades en bois, débouchant sur l’océan, avec au centre une silhouette, tous ces éléments sont repris dans la composition contrefaisante, donnant une impression similaire ;

Pour ce qui est du dessin représentant la rue du taur à Toulouse, le point de vue est identique, les détails similaires, les tons rosés/bleuté identiques (alors qu’il ne s’agit pas des tons des volets réels- par exemple) l’arrondi des pavés est copié (ils sont carrés dans la réalité), les oiseaux blancs stylisés pareillement à l’oeuvre originale.

Ils produisent différents éléments montrant que la société CADRIMAGES met en vente ces produits.

L’existence d’un risque de confusion est avéré, la défenderesse s’inscrit dans le sillage des demandeurs, profitant de leur succès, ce qui est d’autant plus condamnable qu’ils étaient partenaires, elle cherche à profiter de la notoriété des demandeurs, en détournant leur clientèle et leur occasionnant un manque à gagner.

Le parasitisme est manifeste puisque chaque fois que la société [O] HOSSEGOR propose un nouveau produit, la défenderesse fait de même, cela a été le cas pour l’édition de carnets, de magnets, de serviettes de plage, de cabas et plus récemment de puzzle, la défenderesse s’adressant aux mêmes fabricants, la globalité de ces agissements montre que la défenderesse s’inscrit dans son sillage qui a ainsi choisi de s’implanter à TOULOUSE dans un local contigüe au sien.

En ce qui concerne le préjudice subi du fait de la contrefaçon, Monsieur [I] sollicite qu’il soit fait injonction à la société CADRIMAGES de communiquer le volume de ses ventes, sous astreinte, et réclame 20.000 € au titre de l’avilissement de son oeuvre outre 10.000 € au titre de l’atteinte au droit moral, ainsi que l’interdiction et la destruction des supports.

Au titre de la concurrence déloyale, la société [O] HOSSEGOR réclame 40.520 € de dommages-intérêts à la société CADRIMAGES, ce qui correspond à la rémunération de son chef de produit, la société adverse ayant fait l’économie des frais de développement sur de nouveaux supports.

Elle réclame, à titre complémentaire, une mesure de publication.

***

La SARL CADRIMAGES, société à responsabilité limitée inscrite au RCS de Bayonne sous le n°413 599 812, dont le siège social est situé 9 Rue Orbe à BAYONNE (64100) par ses dernières conclusions déposées le 2 avril 2024, sollicite de voir :

- Débouter Monsieur [S] [I] et la société [O] HOSSEGOR de l’ensemble de leurs demandes.

- Constater en toute hypothèse que la société CADRIMAGES a procédé à la destruction des stocks et à la cessation de vente des dessins « LANDES » et « TOULOUSE Rue du TAUR ».

A titre reconventionnel,

principalement

- Condamner la société [O] HOSSEGOR au paiement en faveur de la société CADRIMAGES de la somme de 80.000 € en réparation du préjudice causé par le parasitisme.

Subsidiairement

- Ordonner une mesure d’expertise judiciaire et ainsi désigner tel expert qu’il plaira à la juridiction avec mission classique en la matière et notamment :

- Se rendre sur les lieux
- Se faire remettre toutes pièces utiles par les parties
- Chiffrer la perte de chiffre d’affaire et de marge brute causée par l’installation de la SARL [O] HOSSEGOR en raison des actes de parasitisme - déposer son rapport dans le délai de 3 mois à compter de sa saisine

En toute hypothèse

- Condamner solidairement la société [O] HOSSEGOR et Monsieur [I] au paiement en faveur de la société CADRIMAGES la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle rappelle qu’elle exerce depuis de nombreuses années son activité d’encadreur et de vendeur d’affiches et photographies et qu’elle s’est rapprochée de Monsieur [I] en 2015 afin qu’il puisse disposer de son potentiel commercial.

Elle a eu quelques déconvenues lorsqu’il est apparu que certaines de ses illustrations étaient des plagiats qui ont dû être retirées de la vente. Néanmoins, alors que c’est grâce à elle que le demandeur a obtenu une certaine notoriété, celui-ci a décidé de vendre lui même sa production en créant la société [O] BIARRITZ devenue [O] HOSSEGOR, venant la concurrencer directement.

En ce qui concerne le grief de contrefaçon de deux dessins LANDES et TOULOUSE RUE DU TAUR, elle ne conteste pas que le demandeur soit l’auteur des oeuvres, elle ne disconvient pas qu’il existe des ressemblances avec les affiches qu’elle vend, mais il s’agit de représentation standardisées et communes, elle produit à ce titre d’autres illustrations antérieures qui reprennent les mêmes éléments de l’illustration LANDES ou de celle de la rue du Taur à TOULOUSE, il est normal que la représentation de lieux identiques produisent une image similaire.

Elle estime que les demandeurs, coutumiers de la contrefaçon, sont placés pour venir lui faire un grief quelconque.

En ce qui concerne les demandes au titre de la concurrence déloyale, elle soutient qu’il ne peut être obtenu une double réparation sur ce fondement et celui de la contrefaçon, que la commercialisation d’une même gamme de produits ne caractérise pas la concurrence déloyale, qu’elle a réalisé un nombre très faible de ventes et qu’il n’est justifié d’aucun manque à gagner, ni aucune confusion dans l’esprit du consommateur.

Elle précise que pour éviter toutes difficultés elle a détruit le stock dont elle disposait des représentations arguées de contrefaisantes.

En ce qui concerne la demande de la société [O] HOSSEGOR au titre du parasitisme, elle les juge fantaisiste, elle estime être libre de définir sa stratégie commerciale en vendant des produits dérivés (magnets, carnets, transats, serviettes, puzzles) ; qu’il lui est loisible d’avoir des fournisseurs identiques à celle de sa concurrente, pour certaines fabrications dans un secteur où le nombre de fabricants est limité, et alors que la demanderesse a fait de même en démarchant les fournisseurs de la défenderesse...

Elle note que la demanderesse s’est implantée dans les plus importantes vielles du Sud-Ouest à toute proximité géographique de ses magasins et produit à titre divers plans des villes de SAINT-JEAN-DE-LUZ, BIARRITZ, BAYONNE, HOSSEGOr et enfin TOULOUSE où sa concurrente s’est installée dans le magasin voisin du magasin CADRIMAGES.

Elle conclut que les demandes indemnitaires non chiffrées sont irrecevables, qu’il n’est, de fait, justifié d’aucun préjudice, la demande de destruction est sans objet puisqu’elle a été réalisée, les actes de concurrence déloyale et de parasitisme ne sont pas démontrés.

En réalité les demandeurs ont anticipé les griefs qui pouvaient leur être faits en choisissant d’attaquer alors qu’ils ont largement profité de la notoriété et des investissements de la défenderesse, s’installant dans les mêmes villes, à toute proximité.

Elle estime son préjudice à 20.000 € par boutique soit 80.000.€, sauf si le tribunal estime devoir recourir à une mesure d’expertise auquel cas elle sollicite une provision de 10.000 €.

Elle réclame 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur les faits de contrefaçon.

En application des articles L 121-1 et L 121-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son oeuvre qu’il est seul en droit de divulguer.

Il n’est pas contesté que Monsieur [S] [I], “[O]” sous son pseudonyme artistique, est l’auteur des deux dessins “LANDES” et “TOULOUSE”, représenté dans l’exposé qui précède et qu’il divulgue sous son nom.

La société défenderesse, qui en a effectué la commercialisation (pièce 11 et 12 dem) ne peut contester sa qualité d’auteur titulaire des droits y afférent.

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même [...] l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. Il en résulte que constitue une contrefaçon l'emprunt à une œuvre préexistante qui porte sur «le choix du sujet, la composition et le développement des scènes».

Il se déduit des articles L 122-4 et L 335-5 du Code de la propriété intellectuelle que la contrefaçon de droit d'auteur est constituée par la reprise des caractéristiques qui fondent l'originalité de l'oeuvre et s'apprécie par les ressemblances que présente avec celle-ci l'oeuvre arguée de contrefaçon et non par leurs différences.

En l’espèce, l’illustration “LANDES” est composée d’un dessin où apparaissent les silhouettes stylisées de pins maritimes encadrant un chemin lunaire débouchant sur l’océan, lui même délimité par une clôture en piquet de bois reliés par du fil de fer.

Le sujet et le point de vue sont identiques, le détail du fléchissement de la clôture sur la droite de l’image est repris en copie conforme, de même que les moignons de l’arbre situé à gauche, la composition est similaire puisque l’original figure une silhouette humaine en contre-jour au centre, la copie ne comporte qu’une légère différence puisqu’il s’agit d’un couple, la composition et la scène reproduites se ressemblent : il s’agit d’un chemin lunaire d’accès à une plage landaise, au moment où le soleil se couche, avec une bande bleue de même proportion figurant l’océan, le titre de l’image “LANDES” figure également à la même place, en majuscule et lettres blanches. L’impression visuelle est la même, jusqu’au style de l’artiste (image évocatrice de bande dessinée ou d’anciennes affiches SNCF) avec un gamme chromatique douce.

S’il existe des représentations des mêmes lieux, antérieures à l’image de [O]; celles-ci sont composées autrement, s’en distinguant nettement notamment en ce qui concerne la perspective originale d’un chemin lunaire en montée, donnant sur un océan limité une petite bande bleue où figure un personnage en ombre chinoise au contraire de l’image présentée (page 6 des conclusions de la défenderesse) où le point de vue est plus large, en pente vers la plage et l’océan où sont représentées des déferlantes, un parasol, une planche de surf et des oiseaux sur dimensionnés avec des couleurs plus crues et tranchées.

Pour ce qui concerne l’image “TOULOUSE”, il s’agit d’une figuration de la rue du TAUR, particulièrement connue dans la ville rose, et qui reprend les éléments essentiels à son identification par le promeneur.

L’oeuvre de [O] présente des caractéristiques singulières, notamment la représentation en forme arrondie de pavés larges (alors qu’il s’agit de petits pavés carrés) , la suppression des trottoirs, l’ajout de potelets qui n’apparaissent pas dans la réalité, ces éléments ajoutent à la spécificité de l’oeuvre où est imprimé le style de l’auteur et la fantaisie de sa création.

Le dessin mis en vente par CADRIMAGES - qui pouvait représenter une rue connue de TOULOUSE - apparaît comme une reproduction des éléments essentiels de l’oeuvre précédente: même angle de vue, même gamme de couleur, mêmes pavés ronds, trottoirs supprimés, potelets ajoutés, titre “Toulouse” auquel est seulement ajouté “rue du Taur”. Autrement dit, la reproduction ne reprend pas que les éléments visuels nécessaires à la représentation d’un lieu connu, mais copie les éléments spécifiques issus de la seule imagination de [O] (pavés ronds, absence de trottoir, potelets. La contrefaçon est ainsi manifeste.

S’il existe des représentations des mêmes lieux, antérieures à l’image de [O]; celles-ci sont composées autrement, s’en distinguant nettement notamment en ce qui concerne la perspective originale des pavés et le gommage des trottoirs, le choix des couleurs (page 78 des conclusions de la défenderesse).

Il convient de juger que l’image”LANDES” et l’image “TOULOUSE rue du Taur” éditées par CADRIMAGES constituent des contrefaçons des oeuvre intitulées LANDES et TOULOUSE de l’artiste [O].

Sur les faits de concurrence déloyale et parasitaire.

Le seul fait de reproduire deux oeuvres, constitutif de contrefaçon et sanctionné par la présente décision, ne saurait être également retenu au titre de la concurrence déloyale, s’agissant très exactement des mêmes éléments et non d’éléments distincts.

En ce qui concerne les autres faits qualifiés de parasitisme il convient tout d’abord d’observer que la société défenderesse a développé son activité avant que les demandeurs s’inscrivent dans une activité concurrente, “[O]” étant à l’origine un prestataire de la défenderesse qui a ainsi contribué à sa notoriété et à la divulgation de ses oeuvres.

Ensuite, le fait de développer des produits dérivés (carnets- pièce 5, magnets, transats- pièce 7, serviettes de plage -pièce 6, cabas- pièce 7, puzzle -pièce 9) à partir des oeuvres propres de chacune des entreprises ne saurait constituer une action parasitaire, chacun demeurant libre de développer son activité par ce biais, d’autant que le public est en attente de ces déclinaisons des oeuvres qui évoquent les sites touristiques qu’il affectionne.

De même, la liberté du commerce et de l’industrie ne permet pas d’interdire à un concurrent de solliciter des fournisseurs ou fabricants identiques dont le savoir faire est recherché, de sorte que le grief de faire appel aux mêmes réseaux de fabrication est inopérant pour caractériser une action parasitaire.

En outre la société [O] ne saurait s’approprier un style ou un genre et reprocher aux graphistes de sa concurrente d’avoir été “orientés” pour obtenir des illustrations des “best sellers” de [O] et des codes de cet auteur, alors même que les deux sociétés répondent aux attentes du public en vendant notamment des illustrations de sites touristiques qui peuvent évoquer, par exemple, les affiches touristiques classiques apposés dans les trains depuis les années 1930 :

Enfin, les deux sociétés visent à conquérir un public touristique dans les villes du Sud-Ouest (Toulouse, Bordeaux, Hossegor, Biarritz, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz...) En multipliant les implantations dans les quartiers achalandés, les centres historiques, leurs points de vente sont nécessairement proches, sans qu’il ne puisse être conclu à une volonté d’exercer une concurrence parasitaire.

L’implantation (postérieure) de [O] à HOSSEGOR est distante d’une centaine de mètres de celui de CADRIMAGES, de 150 mètres à BAYONNE, de 300 mètre à BIARRITZ et SAINT JEAN DE LUZ, de près d’un kilomètre à BORDEAUX, ce qui permet de considérer que ce n’est pas la proximité immédiate qui est effectivement recherchée par les sociétés qui s’implante naturellement dans les endroits touristiques et fréquentés de ces agglomérations.

Elles ont pu du reste par le jeu normal de la concurrence, s’intéresser au même local rue de la Baronie à Toulouse, auquel la société demanderesse a finalement renoncé pour conclure avec le propriétaire d’un local contiguë, alors que la société défenderesse, qui n’ignorait pas l’intérêt de “[O]” pour le premier local, concluait un bail pour celui-ci mais en ignorant -selon les termes des conclusions de la demanderesse - la démarche de “[O]” pour acquérir le local contiguë.

Même si le parasitisme qui consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, doit être apprécié dans sa globalité, l’ensemble des éléments rapportés ci-dessus démontrent qu’après avoir été partenaire de la société défenderesse, la société demanderesse a développé la même activité que la défenderesse, élargissant la vente de produits dérivés, étendant ses surfaces commerciales, dans un cadre de libre concurrence et qu’elle ne peut reprocher à son diffuseur historique son propre développement en réponse aux attentes du marché.

Il ne sera pas fait droit aux demandes formulées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire formée par les demandeurs.

Reconventionnellement la société CADRIMAGES reproche à la société [O] ses implantations proches dans quatre villes du Sud-Ouest (SAINT JEAN DE LUZ, BIARRITZ, BAYONNE et TOULOUSE) . Ces implantations respectivement à 100 m, 150 m, 300 m pour les trois premiers sites procèdent du développement normal d’une société dans le cadre d’une concurrence ne présentant aucun caractère déloyal, le principe étant la liberté d’installation. Pour ce qui concerne l’implantation à TOULOUSE (magasin contiguë) il apparaît que cet élément est insuffisant pour constituer une concurrence déloyale à l’égard de la société CADRIMAGES par la société [O] HOSSEGOR, le nouveau magasin étant exploité par une société soeur qui n’est pas à la cause.

La société CADRIMAGES sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale.

Préjudice occasionné par la contrefaçon.

En application de l’article L 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière
3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies
d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».

Monsieur [I] sollicite, avant dire droit qu’il soit fait application de l’article L 331-1-2 du même code et que soit ordonné à la société CADRIMAGES, sous astreinte de 500 euros (cinq-cents euros) par jour de retard passé un délai de 8 (huit) jours à compter du prononcé de
l’injonction de communiquer un relevé, certifié par un expert-comptable, du volume des ventes, en quantité et en chiffre d’affaires, de ses affiches « Les LANDES » et « TOULOUSE – RUE DU TAUR depuis la création de ces dernières.

La défenderesse produit une extraction de son journal des ventes selon lequel elle a vendu 180 affiches “LANDES” pour une marge HT de 2.876,10 € (pièce 8) et 68 affiches “TLS RUE DU TAUR” pour une marge HT de 1.099,86 € ; ces éléments sont suffisants pour apprécier du volume des ventes pour 4.000 €.

Le préjudice est par ailleurs constitué par un avilissement des oeuvres originales et une atteinte au droit moral de l’auteur.

Ainsi, le tribunal est en mesure de liquider à 12.000 € le préjudice subi par Monsieur [I] du fait de la contrefaçon de ses oeuvres et ce sans qu’il soit nécessaire de prescrire une mesure d’investigation complémentaire.

Il n’est pas nécessaire de prescrire la destruction des supports puisqu’il a été justifié de ceux-ci le 28 novembre 2022 (affiches et produits dérivés : pièces 10.1 et 10.2), cette destruction a été faite peu après la réception d’une mise en demeure sollicitant qu’il soit mis fin à la vente de ces produits en date du 13 septembre 2022.

En revanche il doit être fait droit à la demande en ce qu’elle concerne la suppression sur les réseaux sociaux et sites de la société défenderesse de la représentation des dessins contrefaits.

Il n’apparaît pas nécessaire, à titre d’indemnisation complémentaire, de prescrire la publication judiciaire demandée, l’essentiel des faits de contrefaçon retenus ayant pris fin dans un délai de deux mois après mise en demeure.

L’équité commande d’allouer la somme de 6.000 € à la société [O] HOSSEGOR sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

STATUANT par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort;

DIT ET JUGE que les dessins « LES LANDES » et « TOULOUSE RUE DU TAUR » édités par la société CADRIMAGES sont des contrefaçons des Œuvres originales « LANDES » et « TOULOUSE RUE DU TAUR » de l’auteur [O] (Monsieur [I]) ;

CONDAMNE la société CADRIMAGES à payer à Monsieur [I] la somme de 12 000€ (DOUZE MILLE EUROS), en réparation de l’ensemble de son préjudice.

DIT n’y a voir lieu à ordonner des investigations supplémentaires pour apprécier de ce préjudice.

REJETTE la demande de destruction, laquelle a été opérée deux mois après la délivrance de la mise en demeure.

ORDONNE à la société CADRIMAGES de supprimer toutes références aux supports contrefaits sur les réseaux sociaux et sites internet dans un délai de 2 mois et sous astreinte provisoire de 100 € par jour passé ce délai et durant trois mois, le tribunal se réservant de liquider l’astreinte.

DÉBOUTE les demandeurs de leur demande de publication.

DÉBOUTE la société [O] HOSSEGOR de ses demandes au titre de la concurrence déloyale ou parasitaire.

DÉBOUTE CADRIMAGES de ses demandes reconventionnelles.

CONDAMNE la société CADRIMAGES à verser à la société [O] HOSSEGOR la somme de 6.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNE la société CADRIMAGES aux entiers dépens comprenant les frais de constat de commissaire de justice.

La présente décision est signée par Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/00164
Date de la décision : 04/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-04;23.00164 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award