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27/06/2024 | FRANCE | N°23/01326

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 1ère chambre civile, 27 juin 2024, 23/01326


N° RG 23/01326 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XPTX
PREMIERE CHAMBRE
CIVILE





92C

N° RG 23/01326 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XPTX

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


S.A.S. DISTILLERIE [B], S.C.E.A. DE CHEZ DAGNEAU

C/


DIRECTION RÉGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS POITIERS, RECETTE INTERREGIONALE DES DOUANES DE BORDEAUX







Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : Me Fabien FOUCAULT
la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD



TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PR

EMIÈRE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT DU 27 Juin 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré

Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente
Statuant à Juge Unique

Mada...

N° RG 23/01326 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XPTX
PREMIERE CHAMBRE
CIVILE

92C

N° RG 23/01326 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XPTX

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

S.A.S. DISTILLERIE [B], S.C.E.A. DE CHEZ DAGNEAU

C/

DIRECTION RÉGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS POITIERS, RECETTE INTERREGIONALE DES DOUANES DE BORDEAUX

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : Me Fabien FOUCAULT
la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 27 Juin 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré

Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente
Statuant à Juge Unique

Madame Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 23 Mai 2024,

JUGEMENT :

Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDERESSES :

S.A.S. DISTILLERIE [B]
25 chemin du Dagneau
17520 BRIE-SOUS-ARCHIAC

représentée par Maître Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats postulant, Me Fabien FOUCAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

S.C.E.A. DE CHEZ DAGNEAU
25 chemin du Dagneau
17520 BRIE-SOUS-ARCHIAC

représentée par Maître Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats postulant, Me Fabien FOUCAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

N° RG 23/01326 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XPTX

DEFENDERESSES :

DIRECTION RÉGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS POITIERS
32 rue Salvador Allende
86000 POITIERS

Représenté par [H] [L] habilité en vertu d’un pouvoir spécial

RECETTE INTERREGIONALE DES DOUANES DE BORDEAUX
66 rue Lafaurle de Monbadon
CS 21 895
33081 BORDEAUX CEDEX
Représenté par [H] [L] habilité en vertu d’un pouvoir spécial

EXPOSE DU LITIGE

La SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU qui appartiennent au même groupe (GROUPE [B]) et ont leur siège social en Charente Maritime (17), ont pour objet principalement la production et le négoce d’eau de vie de cognac et, à ce titre, ont le statut d’entrepositaire agréé au sens de l’article 302 G du code général des impôts.

Le 24 octobre 2021, la SAS [B] a perdu 57,1070 hl d’alcool pur et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU 765 hl de vin, suite à des actes malveillants commis dans leurs locaux : une cuve en inox contenant l’eau de vie de cognac et constituant la “réserve climatique bons bois” a été incendiée et la vanne d’une cuve a été ouverte de sorte que le vin qu’elle contenait s’est répandu au sol. Ces faits ont été portés immédiatement à la connaissance du Centre de la Viticulture et du Cognac de Jonzac et ont donné lieu à un dépôt de plainte à la gendarmerie d’Archiac.

Après s’être rendue sur les lieux et avoir constaté les pertes subies, l’Administration des Douanes a émis le 20 avril 2022 deux avis préalables de taxation sur les produits disparus lors du sinistre, qualifiés de manquants, en application de l’article 302 D du Code général des impôts régissant l’exigibilité des impôts des sociétés entrepositaires agréés.

Par courrier en date du 26 avril 2022 la SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU ont contesté cette taxation.

Toutefois, par courriers distincts en date du 23 mai 2022, l’Administration des Douanes a notifié à chacune des sociétés un avis définitif de taxation à hauteur de 2.991 euros pour la SCEA DE CHEZ DAGNEAU au titre du droit de circulation du vin et de 135.999 euros pour la SAS DISTILLERIE [B] au titre du droit de consommation sur les alcools et de la cotisation pour la sécurité sociale sur les boissons alcooliques. Ces courriers ont été suivis de deux avis de mise en recouvrement n° 0927/2022/073/0499 et n° 0927/2022/073/0500 émis le 20 juin 2022 par la Recette Interrégionale des Douanes de Bordeaux. La SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU ont contesté ces avis de mise en recouvrement le 23 juin 2022 mais ont néanmoins réglé les taxations dans l’attente de l’issue de leur recours.

Par décision du 15 décembre 2022 reçue le16 décembre 2022, la Direction Interrégionale des Douanes a rejeté la contestation des deux avis de mise en recouvrement.

Aussi, par actes distincts en date des 3 et 8 février 2023 la SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU qui contestent devoir les taxations appliquées, ont assigné la DIRECTION REGIONALE DES DOUANES DE POITIERS et la RECETTE INTERREGIONALE DES DOUANES DE BORDEAUX devant la présente juridiction aux fins d’obtenir, l’annulation de la décision du 16 décembre 2022 comme des avis de mise en recouvrement et de taxation antérieurs, ainsi que le dégrèvement et remboursement des sommes mises à la charge de chacune des deux sociétés au titre de ces taxations.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 novembre 2023 la SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU demandent au tribunal au visa de l’article 302 D du code général des impôts et de la directive 2020/262 du 19 décembre 2019 établissant le régime général des accises de :
-annuler les avis définitifs de taxation émis le 23 mai 2022, les avis de mise en recouvrement n° 0927/2022/073/0499 et n° 0927/2022/073/0500 du 20 juin 2022, la décision du 16 décembre 2022 rejetant la contestation de ces mêmes avis de recouvrement,
-ordonner le dégrèvement et le remboursement des 2.991 euros à la charge de la SCEA DE CHEZ DAGNEAU au titre du droit de circulation du vin ainsi que les 135.999 euros à la charge de la SAS DISTILLERIE [B] au titre du droit de consommation sur les alcools et de la cotisation pour la sécurité sociale sur les boissons alcooliques, le tout augmenté des intérêts légaux à compter de leur paiement jusqu’à leur complet remboursement,
-condamner solidairement les défenderesses à verser à chacune des deux sociétés requérantes la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les requérantes considèrent infondée la taxation appliquée aux pertes subies suite au sinistre subi le 24 octobre 2021.
Elles rappellent d’abord, que les alcools qu’elles détiennent ont été placés sous un régime suspensif de droit d’accise, de sorte que droits et contributions afférents ne sont exigibles que lors de la mise à la consommation des alcools à l’occasion d’une sortie effective du régime suspensif. Or, elles soutiennent que les pertes d’alcool suite à des actes malveillants ne constituent pas des sorties du régime suspensif ; l’alcool perdu n’ayant pu être livré et donc réceptionné par son destinataire, condition impérieuse pour consacrer la sortie du régime suspensif et donc de la mise en consommation au sens de la Directrice du 19 décembre 2019.
Ensuite, elles font valoir que les déperditions d’alcool constatées sont imputables à un cas de force majeure avéré, et ne constituent donc pas des manquants taxables, de sorte que les quantités d’alcool perdues lors du sinistre doivent bénéficier de l’exonération prévue par l’article 302 D I, 1,2°, a) du Code Général des Impôts. Les requérantes soutiennent en effet, que tant l’incendie de la cuve contenant l’alcool que l’ouverture de la vanne de la cuve de stockage du vin, résultent de faits malveillants qui revêtent les caractères de la force majeure à savoir l’extranéité, l’anormalité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité. Elles exposent que l’imputation du sinistre par l’Administration des Douanes à une ou plusieurs personnes liées à l’entreprise n’est qu’une allégation gratuite ; l’enquête pénale n’ayant pas identifié l’auteur des faits et au demeurant les personnes suspectées par l’Administration des Douanes, à savoir les membres de la belle famille de la représentante des deux sociétés en conflit avec celle-ci, ne sont pas liés aux deux entreprises dont ils ne sont ni préposés ni substitués. Par ailleurs, la nature criminelle des faits et l’ampleur des pertes constatées rend ceux-ci anormaux. Elles ajoutent que rien ne permettait aux deux sociétés de prévoir l’incendie et l’ouverture des vannes, aucun événement analogue n’étant survenu précédemment et les tensions entre la représentante des deux sociétés Mme [T] [Y] avec sa belle famille depuis le décès de son époux M. [B] ne laissaient présager la survenu de faits aussi graves et dangereux notamment l’incendie d’une cuve contenant de l’alcool. Elles exposent également qu’elles avaient pris toutes les mesures utiles pour protéger les bâtiments lieu du sinistre et cuves (alarme , détecteur de fumée, cadenassage des vannes des cuves contenant le vin) , et que , même si le bâtiment avait été équipé d’une caméra de vidéo-surveillance, cela n’aurait pas pu empêcher les actes de destruction malveillants. Les requérantes ajoutent que l’Administration des Douanes ne peut pas remettre en cause la localisation de la cuve dont la vanne a été ouverte alors qu’elle a validé l’agencement du site.
Enfin, à titre subsidiaire, si le tribunal juge que les pertes consécutives aux actes malveillants ne sont pas imputables à la force majeure, les requérantes entendent voir qualifier celles-ci d’accidentelles et sollicitent leur exonération d’accises en application de l’article 111-00 A de l’annexe III du Code Général des Impôts.

Par conclusions du 3 avril 2024, la DIRECTION REGIONALE DES DOUANES DE POITIERS et la RECETTE INTERREGIONALE DES DOUANES DE BORDEAUX entendent voir sur le fondement de l’article 302 du code général des impôts et 1218 du code civil :
-débouter la SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU de l’ensemble de leurs demandes,
-juger que les avis de taxation émis le 23 mai 2022, les avis de mise en recouvrement n° 0927/2022/073/0499 et n° 0927/2022/073/0500 du 20 juin 2022 et la décision du 16 décembre 2022 rejetant la contestation des avis de mise en recouvrement sont valides,
-débouter SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU de leurs demandes de remboursement des sommes réglées par la SCEA DE CHEZ DAGNEAU soit 2.991 euros au titre du droit de circulation du vin et par la SAS DISTILLERIE [B] soit 135.999 euros au titre du droit de consommation sur les alcools et de la cotisation pour la sécurité sociale sur les boissons alcooliques,
-condamner les requérantes aux entiers dépens.

Les défenderesses ne contestent pas que les sinistres subis par chacune des deux sociétés requérantes le 24 octobre 2021 sont la conséquence d’actes malveillants mais considèrent que les pertes subis sont des manquants taxables au sens de la réglementation applicable.
Elles exposent que la directive 2020/262 du 19 décembre 2019 invoquée par les requérantes n’est applicable qu’en vertu d’une transposition nationale et qu’au demeurant les requérantes omettent de préciser que l’article 6, 5° de ladite directive permet une taxation des pertes de produits soumis à accise lorsqu’elles n’ont pas pour cause un cas fortuit ou de force majeure. En l’espèce, elles font valoir que les sinistres n’ont pas pour cause un événement revêtant les caractères de la force majeure notamment l’imprévisibilité et l’extranéité de sorte que la taxation des pertes subies qui constituent des manquants est parfaitement exigible et fondée telle que notifiée.
Elles exposent en effet que si l’enquête pénale est toujours en cours, il existe une très forte probabilité que les faits malveillants aient été commis par une ou plusieurs personnes liées à l’entreprise ce qui est exclusif de la force majeure . A ce titre, elles invoquent d’abord, la plainte pour vol de cognac déposée le 17 septembre 2021 par Mme [T] [B] mettant en cause son ex-belle-mère avec laquelle elle entretient des relations personnelles et commerciales conflictuelles depuis le décès de son mari. Ensuite elles rappellent les déclarations de Mme [T] [B] lors de sa plainte du 25 octobre 2021 laissant penser que le cadenas verrouillant la vanne de la cuve qui contenait du vin a été ouvert et non fracturé et enfin soulignent que les cuves ne faisaient pas l’objet de protection particulière et étaient situées en bordure de la voie publique dans un lieu isolé.

L’ordonnance de clôture a été établie le 29 avril 2024.

MOTIVATION

1-SUR LA CONTESTATION DE LA TAXATION

Il est acquis au débat que la SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU de par leur activité de production et négoce d’eau de vie de cognac ont le statut d’entrepositaires agréés au sens de l’article 302 G du code général des impôts dans sa version applicable en l’espèce, et à ce titre, les alcools qu’elles détiennent sont placés sous le régime suspensif des droits d’accise c’est-à -dire des taxations indirectes telles que les droits sur les eaux de vie de cognac, cotisation de sécurité sociale sur les boissons alcoolique et droits de circulation sur les vins.

Il convient de relever à titre liminaire, que la Directive Européenne 2020/262 du 19 décembre 2019 établissant le régime général des accises a été transposée en droit français par la loi de finance 2019/1479 du 28 décembre 2019, l’ordonnance 2021-1843 du 22 décembre 2021 et le décret du 30 novembre 2021, et ses dispositions sont entrées en vigueur à compter du 13 février 2023 ; elles n’étaient donc pas applicables le 24 octobre 2021 date des faits ayant donné lieu à la taxation critiquée, de sorte que les requérantes ne peuvent se prévaloir de cette directive.

Selon l’article 302 D I du Code Général des Impôts dans sa version en vigueur à la date du sinistre du 24 octobre 2021 et issu de la transcription de la directive européenne 2008/118 du 16 décembre 2008, l’impôt :

“I-1 est exigible
1° Lors de la mise à la consommation. Le produit est mis à la consommation :
a. Lorsqu'il cesse de bénéficier du régime suspensif des droits d'accises prévu au II de l'article 302 G ou de l'entrepôt mentionné au 8° du I de l'article 570 ;
a bis) Lorsqu'il est fabriqué hors des régimes suspensifs mentionnés au a, sans bénéficier des exonérations prévues à l'article 302 D bis ;
b. Lorsqu'il est importé, à l'exclusion des cas où il est placé, au moment de l'importation, sous un régime suspensif des droits d'accises mentionné au a ;
2° Lors de la constatation de déchets ou de pertes de produits soumis à accise placés sous un régime de suspension de droits ;
Par dérogation au premier alinéa du présent 2° sont exonérés de droits :
a. Les alcools, les boissons alcooliques et les tabacs manufacturés dont la destruction totale est intervenue à la suite d'une autorisation donnée par l'administration des douanes et droits indirects ou dont la destruction totale ou la perte irrémédiable est imputable à une cause dépendant de la nature même des produits ou à un cas fortuit ou de force majeure ;
[...]
2° bis Lors de la constatation de manquants ;
Sont considérés comme manquants les produits soumis à accise placés sous un régime de suspension de droits, autres que ceux détruits ou perdus en cours de fabrication, de transformation ou de stockage, qui ne peuvent être présentés aux services des douanes et droits indirects alors qu'ils figurent dans la comptabilité matières tenue par l'entrepositaire agréé ou qu'ils auraient dû figurer dans celle-ci ;
[...]”

En vertu de ces dispositions, la sortie du régime suspensif entraînant l’exigibilité de l’imposition, n’est donc pas limitée au seul cas de la mise à la consommation des produits mais également , en cas de constatation de déchet ou perte de produits soumis à accise placés sous le régime de la suspension de droits ou lors de constatation de manquants. La circulaire du 31 décembre 2014 relative au “régime des pertes, déchets et manquants dans le secteur des alcools et boissons alcoolisées” précise que les manquants diffèrent des pertes et déchets en ce qu’ils correspondent à des disparitions injustifiées s’entendant de celles qui ne résultent pas du processus de production ou de stockage.

Il s’ensuit que le défaut de mise en consommation de la quantité d’alcool et de vin perdue suite aux actes malveillants commis dans l’entrepôt des sociétés requérantes le 24 octobre 2021 ne saurait à lui seul rendre infondée la taxation incriminée ainsi que soutenu par les requérantes. La mise en consommation n’était d’ailleurs pas le motif d’exigibilité de l’impôt invoqué par l’Administration des Douanes pour justifier son recouvrement, mais la disparition qualifiée d’injustifiée des produits et donc constitutive d’un manquant ainsi que cela résulte de la décision critiquée de rejet de la contestation des avis de mise en recouvrement des taxations du 15 décembre 2022 reçue le 16 décembre 2022.

L’Administration des Douanes explique dans cette décision avoir qualifié de manquants taxables, la disparition des produits du fait du sinistre, dès lors que ces pertes ne relevaient ni d’une mise en consommation ni d’un cas fortuit ou de force majeure exonératoire de toute taxation sens du 2° de l’article 302 D I du Code Général des Impôts.

Ainsi que précisé par la CJCE dans une décision du 18 décembre 2007, reprise par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er juillet 2008 n° 04. 17-902, la force majeure au sens des directives relatives au régime des accises vise : “des circonstances étrangères à l’entrepositaire agréé, anormales et imprévisibles dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées par celui-ci”

En l’espèce, il n’est pas contesté par l’Administration des Douanes que l’incendie de la cuve en inox constituant la “réserve climatique bons bois” de l’eau de vie de cognac de la SAS DISTILLERIE [B] et l’ouverture de la vanne d’une cuve de la SCEA DE CHEZ DAGNEAU entraînant le déversement du vin au sol survenu dans l’entrepôt suspensif d’accise le 24 octobre 2021 a pour cause un acte malveillant.

Il ressort en effet des procès-verbaux établis par le contrôleur des Douanes le 28 octobre 2021 à l’issue de sa visite sur site après le sinistre et des photographies annexées :
-des traces évidentes de feu sur la citerne, feu qui paraît avoir démarré sous le robinet de la jauge ; le tube et la jauge ayant fondu sous l’action du feu, occasionnant une perte de 57,1070 hl d’eau de vie pour la SAS DISTILLERIE [B],
- des traces de vin autour de la sortie des vannes de la cuve de la SCA DE CHEZ DAGNEAU qui ont été ouvertes sur la chaussée et dans le fossé soit pour cette société une perte de vin de distillation de cognac de 765 hl .

Il n’est pas discuté que les produits ont été irrémédiablement perdus, le volume d’alcool de la cuve de la SAS DISTILLERIE [B] ayant été consumé lors de l’incendie, et le vin provenant de la cuve de SCEA DE CHEZ DAGNEAU s’étant répandu au sol et imprégné dans celui-ci.

L’Administration des Douanes ne remet pas plus en cause l’anormalité des circonstances dans lesquelles la destruction des produits est intervenue, s’agissant un acte volontaire , malveillant, sans lien avec l’activité des deux sociétés et ayant des conséquences irréparables. Elle conteste uniquement l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extranéité des sinistres.

L’extranéité s’entend des circonstances extérieures au dépositaire agrée dans un sens matériel et physique et des circonstances qui apparaissent objectivement comme échappant au contrôle de celui-ci situées en dehors de sa sphère de responsabilité.

Il n’est pas démontré que l’enquête pénale diligentée suite aux sinistres subis par la SAS DISTILLERIE [B] et la SCEA DE CHEZ DAGNEAU le 24 octobre 2021 et qui est toujours en cours, ait permis d’identifier l’auteur des actes malveillants à l’origine des pertes de produits litigieuses.

Or en matière d’incendie et de dégradation volontaire l’absence d’identification de l’auteur des faits ne saurait priver de toute extranéité les sinistres.

Il convient de rappeler que depuis le décès de M. [F] [B], survenu courant 2020, sa veuve Mme [Y] [T] a récupéré la distillerie que celui-ci avait racheté à sa propre mère Mme [P] [B]. Certes, depuis lors, les relations de Mme [Y] [T], représentante des deux sociétés requérantes avec sa belle-mère sont compliquées voire conflictuelles et émaillées d’incidents ainsi qu’il résulte de la plainte déposée le 17 septembre 2021 par Mme [T] à la gendarmerie de Jonzac pour un vol de cognac dont elle soupçonne sa belle-mère d’être à l’initiative après avoir indiqué que celle-ci “lui fait vivre un enfer depuis un an” car elle veut récupérer la distillerie. Dans la décision critiquée du 15 décembre 2022, l’Administration des Douanes fait valoir que le Directeur général des deux sociétés, M. [U] aurait exposé dans un courrier de recours gracieux suite au vol du 17 septembre 2021, que celui-ci a été commis dans “un contexte de guerre familiale et commerciale”.

Pour autant, il ne peut se déduire des seules déclarations de Mme [T] et des propos qui auraient été tenus par M. [U] dans un courrier non versé au débat concernant le vol de cognac de septembre 2021, que les faits malveillants commis le 24 octobre 2021, sont imputables à la belle famille de Mme [T]. Il convient en effet de relever que ces déclarations concernent des faits distincts et de nature différentes à ceux objets du présent litige, qu’en l’état des pièces communiquées il n’est au demeurant pas établi que c’est bien la belle famille qui est à l’origine du vol de cognac dont Mme [T] l’a accusé, et au surplus il n’est démontré aucun lien de subordination entre la belle famille de Mme [T] et les deux sociétés requérantes de sorte que les actes malveillants du 24 octobre 2021 à les supposer commis directement ou indirectement par la belle-famille de Mme [T], ce qui en l’état n’est pas démontré, ne sauraient entrer dans la sphère de responsabilité de ces deux sociétés.

Il n’est également établi par aucun élément objectif que les actes malveillants qui se sont déroulés le 24 octobre 2021 ont été commis par un préposé des deux sociétés requérantes, ou pour le compte de celle-ci dans l’optique d’une fraude notamment à l’assurance. L’existence d’une procédure prud’homale en cours contre un ancien salarié ainsi qu’indiqué par Mme [T] lors de sa plainte sans évoquer le moindre soupçon à l’encontre de celui-ci, ne saurait faire preuve de ce que les actes malveillants sont imputables à ce salarié. De même, qu’il ne peut être affirmé en l’état des pièces communiquées que l’incendie de la cuve de la SAS DISTILLERIE [B] et l’ouverture des vannes de la cuve de la SCEA DE CHEZ DAGNEAU ne peuvent être que le fait d’un préposé de l’entrepositaire agrée détenteur .En effet, s’agissant de la cuve incendiée, il ressort des photographies versées au débat que le capot cadenassé qui protégeait le robinet, a fondu sous l’effet de l’incendie ; il ne peut donc être déterminé si préalablement à l’incendie le cadenas a été ouvert avec une clé ou fracturé tandis qu’aucun élément n’est communiqué permettant de déterminer les conditions dans lesquelles étaient fermés les robinets de la cuve de la SCEA DE CHEZ DAGNEAU .
N° RG 23/01326 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XPTX

Les allégations de l’Administration des Douanes selon lesquelles les actes malveillants du 24 octobre 2021 ont probablement été commis par une personne non étrangère aux deux sociétés entrepositaires agrées ne sont donc étayées par aucun élément de preuve ; l’identification de l’auteur des faits dépend des éléments recueillis dans l’enquête pénale en cours dont la seule pièce versée au débat est le dépôt de plainte initial de Mme [T], étant précisé, que la présente juridiction n’est saisie d’aucune demande de sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.

Il ne peut donc être considéré en l’état, que les sinistres du 24 octobre 2021 résultent d’actes malveillants qui ne seraient pas extérieurs à la SAS DISTILLERIE [B] et à la SCEA DE CHEZ DAGNEAU.

Il n’est pas plus démontré la prévisibilité des actes malveillants .En dehors du vol de cognac objet du dépôt de plainte du 17 septembre 2021, il n’est justifié d’aucun acte malveillant antérieur aux sinistres commis le 24 octobre 2021, ni de menaces ou faits précis laissant penser à un risque d’incendie criminel d’une cuve d’alcool et ouverture malveillante des vannes de la cuve de vin. Le contexte familial délétère et comportement malveillant de la belle famille de Mme [T], reposent sur les seules déclarations de celle-ci et éventuellement du directeur général M. [U], dont rien ne permet en l’état d’établir le caractère fondé ; la preuve de l’implication de la belle famille dans le vol de cognac dénoncé le 17 septembre 2021 n’étant pas rapportée ainsi que déjà relevé plus haut, de sorte qu’il n’est justifié d’aucun événement rendant raisonnablement prévisible les actes malveillants du 24 octobre 2021.

Il est constant que l’événement irrésistible est celui dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré les diligences déployées.

Il se comprend des conclusions des parties, à défaut de pièces plus précises, que les cuves sinistrées le 24 octobre 2021 sont implantées hors des bâtiments de la distillerie, le long de la voie publique d’une commune rurale peu fréquentée sur un site relativement isolé.

Il résulte des propres déclarations de Mme [T] lors de son dépôt de plainte que le site où se trouvent les cuves vandalisées le 24 octobre 2021 n’est protégé ni par un système de vidéo-surveillance, ni par une alarme ; seuls les bâtiments étant équipés d’une alarme.

Il n’est justifié par aucune pièce de l’existence d’un système de verrouillage ou de sécurité empêchant l’accès aux vannes de la cuve de la SCEA CHEZ DAGNEAU et leur ouverture; les seuls éléments produits concernant la citerne de la SAS DISTILLERIE [B].L’absence de moyen de protection et de sécurité sur la cuve de la SCEA DE CHEZ DAGNEAU est d’ailleurs constatée par les contrôleurs des douanes sur le procès-verbal dressé le 28 octobre 2021 à l’occasion de la reprise du contrôle.

Or, il convient de rappeler que cette cuve contenait un volume de vin important (1300 hl), qu’elle se trouvait en dehors des bâtiments équipés d’une alarme, en bordure d’une route, et qu’un mois avant, un vol de cognac avait été commis sur le site.

La SCEA DE CHEZ DAGNEAU ne justifiant de la mise en oeuvre d’aucune diligence qui aurait permis d’ éviter l’ouverture malveillante des vannes à l’origine du déversement du vin sur le sol, ne peut qualifier l’acte ainsi commis d’irrésistible.

Il s’ensuit que l’événement à l’origine du sinistre subi par la SCEA DE CHEZ DAGNEAU le 24 octobre 2021 ne saurait revêtir le caractère de la force majeure et ouvrir droit à exonération de toute taxation au sens du 2° de l’article 302 D I du Code Général des Impôts.

Par ailleurs, la SCEA DE CHEZ DAGNEAU ne peut solliciter à titre subsidiaire que les pertes subies ne soient pas taxées en application de l’article 111-00A du Code Général des Impôts applicable aux pertes accidentelles, alors qu’il ressort de l’ensemble des pièces communiquées et de ses propres écritures que l’événement n’est pas accidentel mais bien en lien avec un acte volontaire malveillant.

Les pertes subies par la SCEA DE CHEZ DAGNEAU le 24 octobre 2021 ont donc justement été taxées comme manquants par l’Administration Fiscale, à hauteur de la somme de 2.991 euros, selon un calcul qui n’est pas en soi discuté, de sorte qu’il n’y a pas lieu à annulation de l’avis définitif de taxation du 23 mai 2022 émis à son encontre ni de l’avis de recouvrement du 20 juin 2022 n°0927/2022/073/0500 et ni de décision du 15 décembre 2022 reçue le 16 décembre 2022 concernant le rejet de la contestation de l’avis de mise en recouvrement de la taxation des manquants émise à l’encontre de la SCEA DE CHEZ DAGNEAU.

S’agissant du sinistre subi par la SAS DISTILLERIE [B], il a été rappelé plus haut, et admis par l’Administration des Douanes dans son avis définitif de taxation du 23 mai 2022 que les robinets de la citerne inox de cette société contenant l’eau de vie et qui a été incendiée le 24 octobre 2021, étaient équipés d’une protection soit des bouchons cadenassés. Il avait donc été mis en oeuvre par la SAS DISTILLERIE [B] un moyen de sécurité adapté pour empêcher l’accès aux vannes. Il n’est versé au débat aucune pièce établissant que la protection cadenassée n’était pas en place le jour du sinistre ; les photographies de la protection fondue démontrant le contraire. Comme dit plus haut, il n’est rapporté la preuve d’aucun fait laissant présager un acte incendiaire sur cette cuve qui aurait ainsi justifié de prendre des mesures supplémentaires de sécurité, étant précisé que ni l’installation d’une alarme (vu la localisation de la citerne), ni encore moins un système de vidéo-surveillance (qui ne permet que l’identification de l’auteur sous réserve qu’il n’ait pas agi masqué) n’étaient de nature à empêcher l’acte incendiaire. Par ailleurs, il ressort de la chronologie des faits tels que relatés par Mme [T] lors de sa plainte, que les pompiers ont été appelés rapidement après le constat du départ du feu par les personnes sur le site et que dans l’attente de leur venue l’oenologue présent a pris un extincteur pour attaquer le feu, de sorte qu’il ne peut être reproché à la SAS DISTILLERIE [B] de ne pas avoir fait le nécessaire pour atténuer les conséquences du sinistre.

Il ne peut donc être dénié aux faits à l’origine des pertes subies par la SAS DISTILLERIE [B] leur irrésisitibilité, outre leur anormalité, imprévisibilité et extranéité, tel que retenu plus haut, de sorte qu’ils revêtent les caractéristiques de la force majeure et ouvrent droit à exonération sur les droits sur les eaux de vie de cognac irrémédiablement perdus et cotisation de sécurité sociale sur les boissons alcoolique applicables aux produits soumis à accise prévue à l’article 302 D I1 2° du code général des impôts.

Il convient donc d’annuler l’avis définitif de taxation émis à l’encontre de la SAS DISTILLERIE [B] ainsi que l’avis de mise en recouvrement émis à son encontre le 20 juin 2022 n° 0927/2022/073/0499 et la décision de rejet de la contestation du 15 décembre 2022 reçue le 16 décembre 2022 uniquement en ce qui concerne l’avis de mise en recouvrement n° 0927/2022/073/0499.

Il sera donc ordonné le dégrèvement et le remboursement à la SAS DISTILLERIE [B] de la somme de 135.999 euros dont elle s’est acquittée au titre du droit de consommation sur les alcools et de la cotisation pour la sécurité alcoolique, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 8 février 2023.

2- SUR LES DEMANDES ANNEXES

L’équité conduit par ailleurs à condamner les défenderesses in solidum à payer à la SAS DISTILLERIE [B] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à rejeter les demandes de la SCEA DE CHEZ DAGNEAU sur le même fondement.

L’article 364 du code des douanes, dispose que, en première instance et sur l’appel l’instruction est verbale sur simple mémoire et sans frais de justice à répéter de part ni d’autre.

Il n’y a donc pas lieu de statuer sur les dépens.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

ANNULE l’avis définitif de taxation émis le 23 mai 2022 à l’encontre de la SAS DISTILLERIE [B] ainsi que l’avis de mise en recouvrement émis à son encontre le 20 juin 2022 n° 0927/2022/073/0499 et la décision du 15 décembre 2022 reçue le 16 décembre 2022, uniquement en ce qu’elle porte rejet de la contestation de l’avis de mise en recouvrement n° 0927/2022/073/0499,

ORDONNE le dégrèvement et le remboursement à la SAS DISTILLERIE [B] de la somme de 135.999 euros dont elle s’est acquittée au titre du droit de consommation sur les alcools et de la cotisation pour la sécurité alcoolique, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2023,

VALIDE l’avis définitif de taxation émis le 23 mai 2022 à l’encontre de la SCEA DE CHEZ DAGNEAU, ainsi que l’avis de mise en recouvrement émis à son encontre le 20 juin 2022 n° 0927/2022/073/0500 et la décision du 15 décembre 2022 reçue le 16 décembre 2022 uniquement en ce qui concerne l’avis de mise en recouvrement n° 0927/2022/073/0500,

DEBOUTE en conséquence la SCEA DE CHEZ DAGNEAU de ses demandes d’annulation de ces avis et décision, de dégrèvement et remboursement de la somme de 2991 euros acquittée par elle au titre du droit de la circulation sur les vins, ainsi que de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE POITIERS ET LA RECETTE INTERREGIONALE DES DOUANES DE BORDEAUX in solidum, à payer à la SAS DISTILLERIE [B] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civil,

DIT n’y avoir lieu à dépens.

La présente décision est signée par Madame COLOMBET, Vice-Présidente et Madame AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/01326
Date de la décision : 27/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-27;23.01326 ?
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