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24/06/2024 | FRANCE | N°24/00214

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, Referes 1ère section, 24 juin 2024, 24/00214


TRIBUNAL JUDICIAIRE

DE BORDEAUX



ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ


50B

Minute n° 24/573


N° RG 24/00214 - N° Portalis DBX6-W-B7I-YV3X


3 copies











GROSSE délivrée
le24/06/2024
àMe [L] [R]
la SCP JOLY CUTURI WOJAS REYNET- DYNAMIS AVOCATS
la SELARL MARIE CHAMFEUIL
Me Frédéric SIMONIN


Rendue le VINGT QUATRE JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE

Après débats à l’audience publique du 27 Mai 2024

Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalableme

nt avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente au tribunal judiciaire de BORDEAUX, ass...

TRIBUNAL JUDICIAIRE

DE BORDEAUX

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

50B

Minute n° 24/573

N° RG 24/00214 - N° Portalis DBX6-W-B7I-YV3X

3 copies

GROSSE délivrée
le24/06/2024
àMe [L] [R]
la SCP JOLY CUTURI WOJAS REYNET- DYNAMIS AVOCATS
la SELARL MARIE CHAMFEUIL
Me Frédéric SIMONIN

Rendue le VINGT QUATRE JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE

Après débats à l’audience publique du 27 Mai 2024

Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente au tribunal judiciaire de BORDEAUX, assistée de Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.

DEMANDERESSE

Madame [L] [K]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Maître Marie CHAMFEUIL de la SELARL MARIE CHAMFEUIL, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, Me Myriam FORT, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE

DÉFENDERESSE

Association D.E.F.I PRODUCTIONS, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Maître Carolina CUTURI-ORTEGA de la SCP JOLY CUTURI WOJAS REYNET- DYNAMIS AVOCATS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, Me Frédéric SIMONIN du CABINET MERCIE, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

Par acte du 23 janvier 2024, Madame [K] a fait assigner l’association D.E.F.I PRODUCTIONS devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, au visa des articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile, L.121-5 et L.132-28 du code de la propriété intellectuelle et L.131-1 du code des procédures civiles d’exécution, aux fins de voir :
- ordonner à la défenderesse de lui remettre l’intégralité des documents et fichiers nécessaires à l’achèvement des films “Les Apprentis”, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir;
- ordonner à la défenderesse de lui transmettre un relevé d’exploitation détaillé et un état des recettes d’exploitation des films “Les Splendides”, “Les Crapules” et “Les Apprentis “, certifié par expert-comptable, ainsi que la copie de tout contrat et de tout justificatif relatifs à l’exploitation de ces films, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir ;
- condamner la défenderesse à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

La demanderesse expose qu’elle est autrice-scénariste-réalisatrice de créations mettant en lumière l’invisible et les minorités ; que dans le cadre d’un projet auprès notamment des populations jeunes et discriminées, l’association D.E.F.I PRODUCTIONS a fait appel à elle pour l’écriture et la réalisation de courts-métrages ; qu’elle a ainsi écrit le scénario et réalisé seule en 2020 un court-métrage intitulé “Les Crapules” dont elle a cédé les droits par contrat du 02 juillet 2020 ; qu’elle n’a reçu aucun suivi d’exploitation ni perçu aucun droit d’auteur ; qu’elle a ensuite écrit le scénario et réalisé seule en 2021 le court-métrage “Les Splendides” dont elle a cédé les droits par contrat du 1er février 2021qui prévoyait une rémunération de la cession des droits d’auteur proportionnelle aux recettes générées par l’exploitation, et une obligation pour le producteur de tenir une comptabilité de production et d’exploitation ; que malgré le large succès du film, qui lui a permis d’acquérir une grande notoriété, elle n’a reçu là non plus aucun suivi d’exploitation ni perçu aucun droit d’auteur ; qu’enfin, elle a écrit en 2022-2023, sur commande de la défenderesse, les scénarii de deux courts- métrages intitulés “Les Apprentis” qui n’ont jamais été achevés en raison de désaccords opposant les parties, pour lesquels elle n’a pas davantage été informée des suites ni n’a perçu de droit d’auteur ; qu’elle a en outre, en l’absence de cession des droits d’auteur, été privée de l’accès aux rushs et sessions de montage qui ont été conservés par l’association oeuvres ; qu’elle est empêchée d’achever l’oeuvre alors que la défenderesse ne peut sans son consentement établir une version définitive ni procéder à son exploitation ; que ses tentatives de médiation se sont heurtées à une fin de non recevoir.

L'affaire, appelée à l’audience du 29 avril 2024, a été renvoyée pour échanges et conclusions des parties à l'audience du 27 mai 2024.

Les parties ont conclu pour la dernière fois :

- la demanderesse, le 23 mai 2024, par des écritures aux termes desquelles elle sollicite le rejet des demandes formées en défense et maintient ses demandes ;

- l’association D.E.F.I PRODUCTIONS, le 27 mai 2024, par des écritures aux termes desquelles elle conclut à l’incompétence du juge des référés en raison de l’existence d’une contestation sérieuse, demande qu’il soit dit n’y avoir lieu à référé, que Mme [K] soit déclarée irrecevable en ses demandes à défaut de justifier d’un intérêt légitime à agir, renvoyée à se pourvoir au fond et condamnée à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que faute d’avoir mené à terme la réalisation des courts-métrages “Les Apprentis”, l’association Clémence Isaure à qui ils devaient être livrés lui a notifé le 28 mars 2023 la fin de leur collaboration, ce qui lui a causé un grave préjudice financier ; que la demande se heurte à de nombreuses contestations sérieuses portant non seulement sur le statut d’”oeuvre de l’esprit” applicable à la création mais aussi sur la qualité d’auteur unique de Mme [K] et la titularité des droits dans la mesure où le travail a été accompli dans un cadre associatif visant à former des jeunes à la réalisation cinématographique où la demanderesse était employée en tant qu’assistante réalisatrice ; que la question de la liberté créatrice laissée à l’intéressée doit être posée et éventuellement débattue devant le juge du fond ; qu’en outre les films ont été réalisés dans le cadre d’un contrat de commande à son initiative de sorte qu’ils sont susceptibles d’être qualifiés d’oeuvre collective au sens de l’article L.113-2 alinéa 3 du CPI, de sorte qu’en application de l’article L.113-5, sauf preuve contraire, l’oeuvre collective est la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée ; que s’agissant d’une oeuvre audiovisuelle, le producteur bénéficie d’une présomption légale de cession des droits d’auteur à son profit (article L.132-24 CPI), et que même si la présomption est en principe liée au contrat de production audiovisuelle qui fait ici défaut du fait du refus de Mme [K] de le signer, cette absence ne saurait faire échec à la présomption alors qu’elle était liée par un contrat de travail et qu’il était convenu dès le départ qu’elle céderait ses droits d’exploitation comme pour les autres créations ; que si le droit d’auteur a vocation à s’appliquer aux ébauches, esquisses, brouillons, travaux préparatoires (article L.111-2 du CPI), la forme retenue doit déjà être porteuse d’une certaine originalité empreinte de la personnalité de son auteur ; que cette condition n’est pas démontrée ici et ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge des référés, peu important le dépôt à la SACED qui ne lie pas le juge et atteste uniquement de la parternité de l’oeuvre mais non de son originalité ; que la demanderesse enfin ne justifie d’aucun intérêt légitime pour obtenir restitution alors que la version définitive doit être établie avec l’accord du producteur ; que si elle considère que le non établissement de la version définitive résulte de son fait, il lui appartient d’agir en indemnisation au fond ; qu’elle devra alors répondre des conséquneces financières sur l’association.
Elle soutient que Mme [K] est aussi irrecevable en sa demande tendant à obtenir un relevé d’exploitation détaillé et un état des recettes d’exploitation des films “Les Splendides”, “Les Crapules” et “Les Apprentis “dans la mesure où elle les a déjà, ayant librement accès aux comptes en tant qu’adhérente de l’association ; qu’elle produit un état des droits d’auteur 2020-2023 pour “Les Crapules” mentionnant des droits de diffusion nuls car il n’a jamais été diffusé sauf à titre gracieux, et un état 2021-2023 pour “Les Splendides” dont il résulte que la demanderesse a perçu des redevances par virement bancaire.

La présente décision se rapporte à ces écritures pour un plus ample exposé des demandes et des moyens des parties.

II - MOTIFS DE LA DÉCISION

sur les demandes principales :

Aux termes des dispositions de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

- sur la demande de remise sous astreinte de l’intégralité des documents et fichiers nécessaires à l’achèvement des films “Les Apprentis” :

La défenderesse soutient que la demande se heurte à de nombreuses contestations sérieuses portant non seulement sur le statut d’”oeuvre de l’esprit” applicable à la création mais aussi sur la qualité d’auteur unique de Mme [K] et la titularité des droits sur l’oeuvre.

Aux termes des dispositions de l’article L.113-7 du code de la propriété intellectuelle, ont la qualité d’auteur d’une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre.
Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d’une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration
- l’auteur du scénario ;
- l’auteur de l’adaptation ;
- l’auteur du texte parlé ;
- l’auteur des compositions musicales ;
- le réalisateur.

La réalisation de ces courts-métrages (intitulés “Adnan” et “Jade”) a donné lieu à l’établissement de contrats de production (pièces 5 et 6 de la demanderesse) rédigés en des termes identiques à ceux des précédents contrats qui, bien que non signés par les parties, mentionnent d’une part que “l’auteure-réalisatrice a d’ores et déjà remis au producteur la version définitive du scénario, celle-ci ayant été acceptée par le producteur”, et que “le producteur accepte l’auteure [S] [D] [K] en qualité de réalisatrice “pour l’exécution de prestations diverses parmi lesquelles la réalisation, le découpage technique, la direction artistique, le montage et tous travaux de finition jusqu’à l’établissement de la version définitive.

L’article 2 précise que la cession des droits intervient sous réserve de l’exécution intégrale du présent contrat.

Ces contrats mentionnent par ailleurs à l’article 3 “Durée” : “au cas où dans un délai de six mois à compter de la signature des présentes, le film n’aurait pas été réalisé (...), le présent contrat sera résolu de plein droit par la simple arrivée du terme et sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure ou formalité judiciaire quelconque ; l’auteure réalisatrice reprendra alors la pleine et entière propriété de tous ses droits, les sommes déjà reçues lui restant, en tout état de cause définitivement acquises”.

La teneur de ces contrats n’est pas remise en cause par la défenderesse qui fait grief au contraire à la demanderesse d’avoir refusé de les signer. Or il en ressort :
- d’une part, que la demanderesse est bien l’auteure unique des courts-métrages intitulés “Les Apprentis” dès lors qu’elle est reconnue comme l’auteure du scénario et du texte et chargée de la réalisation ;
- d’autre part, que faute d’exécution intégrale du contrat, aucune cession des droits ne saurait être présumée au profit de l’association, la demanderesse reprenant au contraire la pleine et entière propriété de tous ses droits sur les oeuvres.

Dans ces conditions, la demanderesse justifiant d’un intérêt légitime à former cette demande, et la contestation de la défenderesse sur la titularité des droits ne pouvant être qualifiée de sérieuse, il y lieu de faire droit à la demande comme étant bien fondée et de condamner l’association à remettre à Mme [K], dans des conditions d’astreinte précisées au dispositif, l’intégralité des documents et fichiers nécessaires à l’achèvement des films “Les Apprentis”.

- sur la demande de communication d’un relevé d’exploitation détaillé et un état des recettes d’exploitation des films “Les Splendides”, “Les Crapules” et “Les Apprentis “, certifié par expert-comptable, ainsi que la copie de tout contrat et de tout justificatif relatifs à l’exploitation de ces films

La défenderesse oppose à cette demande qu’elle n’est pas en mesure de produire d’éléments sur les courts-métrages “les Apprentis”, lesquels n’ont jamais été exploités faute d’être exploitables.

Elle produit aux débats (ses pièces 11 et 12) des états des droits d’auteur 2020-2023 pour “Les Crapules” mentionnant des droits de diffusion nuls, et un état 2021-2023 pour “Les Splendides” dont il résulte que la demanderesse a perçu des redevances par virement bancaire.

Pour succints qu’ils soient, ces états ne peuvent être suspectés d’incomplétude en l’absence de tout élément contraire.

La demande à ce titre sera dès lors rejetée.

sur les autres demandes

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [K] les sommes, non comprises dans les dépens, exposées par elle dans le cadre de la présente instance. La défenderesse sera condamnée, outre les dépens, à lui payer une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

III - DÉCISION

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux statuant par une ordonnance contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe et à charge d'appel;

Vu les articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile, L.121-5 et L.132-28 du code de la propriété intellectuelle

Ordonne à l’association D.E.F.I PRODUCTIONS de remettre à Madame [L] [K] l’intégralité des documents et fichiers nécessaires à l’achèvement des films “Les Apprentis”, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance et pendant une durée de 90 jours

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires

Condamne l’association D.E.F.I PRODUCTIONS à payer à Madame [K] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Condamne l’association D.E.F.I PRODUCTIONS aux dépens.

La présente décision a été signée par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente, et par Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : Referes 1ère section
Numéro d'arrêt : 24/00214
Date de la décision : 24/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-24;24.00214 ?
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