INCIDENT
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
CABINET JAF 9
N° RG 23/00407 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XME4
Minute n°24/
AFFAIRE :
[B] [K]
C/
[W], [G], [M] [R], [E], [H] [J] veuve [R], [Y] [R], [O] [R]
Grosses délivrées
le
à
Maître Anne CADIOT-FEIDT
Maître Isabelle PIQUET
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
LE DIX HUIT JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE
Nous, Madame Marianne JAMET, Première Vice-Présidente adjointe, Juge de la mise en état,
assistée de Madame Bettina MOREL, faisant fonction de Greffier
ORDONNANCE :
Contradictoire, susceptible d’appel dans les conditions prévues à l’article 795 du Code de Procédure Civile,
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,
Vu la procédure entre :
DEMANDEUR
Monsieur [B] [K]
né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 12] (Loire-Atlantique)
DEMEURANT :
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Maître Stephen MONTRAVERS de la SELARLU JUDIJURISOL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant et par Maître Anne CADIOT-FEIDT de la SELARL CADIOT-FEIDT, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant
DÉFENDERESSES
Madame [W], [G], [M] [R]
née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 14] (Pyrénées-Atlantiques)
DEMEURANT :
[Adresse 11]
[Localité 8]
représentée par Maître Michael SARDA de la SELARL SARDA-BARREIRO, avocat au barreau de la GUADELOUPE, SAINT-MARTIN, SAINT-BARTHÉLÉMY, avocat plaidant et par Maître Isabelle PIQUET, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant
Madame [E], [H] [J] veuve [R]
née le [Date naissance 3] 1936 à [Localité 13] (Algérie)
DEMEURANT :
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Maître Yasmine DEVELLE de la SELARL MINERAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Madame [Y] [R]
DEMEURANT :
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 5]
représentée par Maître Yasmine DEVELLE de la SELARL MINERAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Madame [O] [R]
DEMEURANT :
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Maître Yasmine DEVELLE de la SELARL MINERAL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant exploit d’huissier en date des 9 et 10 janvier 2023, Monsieur [B] [K] a assigné Madame [W] [R], Madame [E] [R], Madame [Y] [R] et Madame [O] [R] devant le tribunal judiciaire de BORDEAUX aux fins de faire valoir une créance détenue par lui sur un bien appartenant en indivision à son ancienne compagne et à la famille de celle-ci.
Il expose avoir financé l’acquisition d’un bien immobilier appartenant en indivision à Madame [W] [R] et ses parents Madame [E] [H] [J] et Monsieur [T] [A] [D] [R] (aujourd’hui décédé) ainsi que sa rénovation pour une somme totale de 177 600 euros.
Par conclusions notifiées par RPVA le 4 octobre 2023, Madame [W] [R] a soulevé la prescription des demandes de Monsieur [B] [K].
Par conclusions notifiées par RPVA le 9 octobre 2023, Mesdames [E], [O] et [Y] [R] ont soulevé l’absence d’intérêt à agir du demandeur à leur encontre et sollicité la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 22 novembre 2023, Monseur [B] [K] a conclu au désistement de sa demande dirigée contre Mesdames [E], [O] et [Y] [R] ainsi que la condamnation aux dépens conformément aux dispositions de l’article 399 du code de procédure civile.
Mesdames [E], [O] et [Y] [R] ont accepté le désistement et maintenu leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
À l’audience du 6 février 2023, l’incident provoqué par Madame [W] [R] a été renvoyé à la demande des parties à l’audience du 7 mai 2024.
Par ordonnance en date du 5 mars 2024, le juge de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance dirigée contre Mesdames [E], [O] et [Y] [R] par l’effet du désistement de Monsieur [B] [K] et condamné celui-ci aux dépens et à leur verser la somme de 2400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Madame [W] [R] a notifié de nouvelles conclusions d’incident par RPVA le 10 avril 2024 et maintient ses demandes de voir :
- Dire et juger irrecevable [B] [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions comme étant prescrites.
- Débouter Monsieur [B] [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
- Condamner Monsieur [B] [K] à verser à Madame [W] [R] la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens distraits au profit de Maître Michael SARDA.
Par conclusions notifiées par RPVA le 2 mai 2024, Monsieur [B] [K] demande au juge de la mise en état de :
À titre principal : sur la fin de non-recevoir fondée sur la prétendue prescription de la présente action
1) sur le point de départ de la prescription arbitrairement décrété et arrêté par la partie adverse au jour de l'ouragan Irma en septembre 2017
- juger que le délai de prescription querellé commence à courir au moment du glissement patrimonial qui s'est opéré dans un premier temps, en juin 2019, lorsque l'assurance de l'emprunt immobilier, intégralement financée par le concluant, vient rembourser la partie adverse de la somme de 571.255 euros et ce, au préjudice de Monsieur [B] [K], qui prend alors connaissance de son propre appauvrissement, en corrélation directe avec l'enrichissement litigieux ;
partant,
- juger la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la présente action excipée infondée ;
au demeurant,
- dire et juger que ce n'est qu'en initiant la présente action que le concluant a pris connaissance de l'acte de donation intervenue le 7 juin 2021 et de sa subséquente succession au profit de Madame [W] [R] ;
aussi,
- juger que le point de départ de la prescription de la présente action pour enrichissement injustifié de Madame [W] [R] peut également débuter par l'acte de donation du 7 juin 2021, qui lui a permis de devenir l'unique propriétaire d'un bien pour lequel elle n'a jamais rien assumé financièrement ;
en outre,
- dire et juger que la suspension du règlement des traites de l'emprunt immobilier, en septembre 2017, a la suite du sinistre Irma, n'enrichit pas pour autant le patrimoine de Madame [W] [R] et n'affecte en rien le point de naissance de l'enrichissement injustifié qui intervient ultérieurement ;
à titre subsidiaire, le point de départ de la prescription de l'action pour enrichissement du patrimoine de l'un des concubins au détriment du patrimoine de l'autre peut également être arrêté à la date de rupture du couple
partant,
- dire et juger que la rupture effective du couple de concubins est datée au mois de juin 2019, voire même du mois de novembre 2018, ainsi que le corrobore la partie adverse elle-même ;
en conséquence,
- dire et juger que la prescription de l'action pour enrichissement du patrimoine de l'un des concubins au détriment du patrimoine de l'autre doit être arrêtée à la date de la rupture du couple, soit en juin 2019 ou encore en novembre 2018 ;
ainsi
- dire et juger que la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la présente action excipée par la partie adverse est rejetée et que l'action du concluant est déclarée recevable.
Sur la demande reconventionnelle et subséquente d'incident de production forcée de pièces par la partie adverse
- juger que les évolutions jurisprudentielles en matière de preuves légalement admissibles en droit civil, consacrent désormais un principe incontournable du droit a la preuve en l'espèce,
- juger que Madame [W] [R] allègue désormais s'être effectivement enrichie en juin 2019 grâce à l'occurrence d'une succession familiale et non grâce au versement d'une indemnité de 571.265 euros par l'assureur, dont les traites étaient honorées par le requérant et ce, en pure contradiction avec les précédentes écritures adverses ;
partant,
- juger parfaitement nécessaire et proportionnée de la demande de production forcée de pièces par la partie adverse excipée par le demandeur ;
- juger que la priorité judiciaire doit tendre à la manifestation de la vérité et non à ce qui accommode ou incommode l'une des parties ;
Dès lors,
- juger qu'en l'absence de motif légitime à empêcher une telle production en regard d'un contrôle de proportionnalité que le juge doit arbitrer, la communication participe a la manifestation de la vérité et ne porte aucune atteinte disproportionnée au but poursuivi et aux droits antinomiques des parties ;
par conséquent,
- Juger la présente requête en production forcée de ces éléments probatoires parfaitement proportionnée au but poursuivi est essentielle à la solution du présent litige, sans pour autant heurter l'enjeu judiciaire poursuivi qui demeure la recherche de la vérité.
partant,
- faire injonction à Madame [W] [R] de produire l'intégralité des éléments propres à révéler avec authenticité les sommes perçues par elle de la part de l'assurance, intégralement financée par le concluant et ce, aux fins de permettre à la juridiction d'expertiser parfaitement l'étendue financière de l'enrichissement dénoncé ;
et, plus précisément, lui intimer de produire :
- d'une part, tous les éléments financiers et justificatifs des indemnités reçues dans le cadre de la garantie assurancielle de l'emprunt immobilier, aux fins d'établir que la partie adverse a notamment, bien été intégralement remboursée du prix d'achat de la propriété, et, d'autre part, les relevés bancaires de Madame [W] [R] de l'année 2012 à ce jour, ses déclarations et avis d'imposition sur cette même période,
ainsi que les relevés des recettes de location depuis l'année 2019 à ce jour ;
- ainsi que tout élément propre a constater la différence entre ce qui a été verse par l'assurance mais également ce qui a été rembourse à la banque [9] par l'assureur ;
- enfin, verser tous les éléments probatoires de l'indemnisation du coût du relogement de Madame [W] [R], intégralement prise en charge par l'assurance, à la suite des intempéries ; éléments nécessairement justifiés par les relevés bancaires de la concubine ;
et ce, sous une astreinte de l000 euros par jour de retard a compter de la notification de la décision à intervenir.
À l’audience du 7 mai 2024, le conseil postulant de Madame [W] [R] a sollicité le report de l’audience en l’absence d’instructions du conseil de celle-ci à [Localité 8] (97).
Le conseil de Monsieur [B] [K] s’y est opposé, faute de motif légitime en précisant que ses dernières conclusions ne comportaient pas d’éléments nouveaux.
Le juge de la mise en état a retenu l’affaire et l’incident a été mis en délibéré au 18 juin 2024.
SUR CE,
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action
La loi applicable aux conditions d’existence de l’enrichissement injustifié que fait valoir le demandeur est celle du fait juridique qui en est la source (Cass. 1re civ., 3 mars 2021, n° 19-19.000, Publié au bulletin).
En application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières, au nombre desquelles figure l’action fondée sur un enrichissement sans cause, se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Il convient de préciser que le bien immobilier, objet du litige, a été acquis le 1er décembre 2012 par Madame [W] [K] à hauteur de 98/100ème et les parents de celle-ci [T] [A] [D] et [E] [H] [J], lesquels lui en ont fait donation de leur quotité indivise à hauteur de 1/100ème chacun par acte du 7 juin 2021.
Au soutien de son action qu’il fonde sur un enrichissement sans cause, Monsieur [B] [K] expose avoir remboursé seul d’avril 2013 à mai 2017 les échéances du prêt immobilier souscrit par Madame [W] [R] et ses parents pour financer l’acquisition du bien immobilier dans lequel le couple a vécu, en créditant chaque mois de manière significative, le compte de cette dernière sur lequel les échéances étaient alors débitées, en ayant ainsi payé un montant total qu’il évalue à 127 600 euros (58 x 2 200 €) outre 50 000 euros de travaux effectués dans la maison.
Il précise n’avoir eu connaissance de son appauvrissement qu’à compter du jour où Madame [W] [R] a perçu seule, en sa qualité d’unique propriétaire, l’indemnisation de l’assurance à hauteur de 571 265 euros en suite de la destruction de la maison après le passage de l’ouragan IRMA ou encore la date de séparation du couple en 2019 pour justifier du point de départ de son action.
Monsieur [B] [K] reporte ainsi le point de départ de la prescription de son action au jour où il aurait eu connaissance de son appauvrissement.
Or, le point de départ d’un délai de prescription légale ne peut dépendre que d’un fait objectif et non d’un événement que l’une des parties a le pouvoir de faire arriver ou d’empêcher, ce qui caractériserait une condition purement potestative, dont la nullité est instituée par l’article l’article 1304-2 du code civil.
La prescription de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause est la prescription du fait juridique qui en est la source, soit la créance qu’il revendique à l’égard de Madame [W] [R], et non d’un fait subjectif, aléatoire et imprévisible, qui pourrait être la séparation des concubins, ou une indemnisation par l’assurance.
La prescription de pareille action est régie par l’application de l’article 2224 du code civil rappelé ci-dessus.
Le point de départ de la prescription d’une créance entre concubins est fixé à la date de sa naissance, soit au moment de l’engagement des dépenses et non de la connaissance qu’il avait de son appauvrissement et de l’enrichissement corrélatif de Madame [W] [R], à les supposer démontrés.
En effet, les créances entre concubins sont exigibles dès leur naissance de sorte que, pour les créances réclamées sur le fondement de l’enrichissement injustifié la prescription court à compter de chaque fait justifiant sa demande.
Lors de chacun des virements vers le compte de Madame [W] [R] qu’a opérés Monsieur [B] [K] de 2013 à 2017 aux fins de contribuer au remboursement du prêt contracté par Madame [W] [R] et ses parents, ainsi que lors du paiement des travaux (qu’il allègue, en l’absence de production de pièces sur ce point), Monsieur [B] [K] ne pouvait qu’avoir parfaitement connaissance de ce qu’il payait ces sommes au profit du patrimoine de Madame [W] [R], seule propriétaire du bien immobilier qu’il contribuait à financer, et que ses paiements constituaient autant de faits générateurs de créances nées à son profit à défaut d’avoir été animé de toute volonté libérale de se dépouiller sans contrepartie.
En l’absence de toute cause d’interruption de la prescription invoquée par Monsieur [B] [K], l’action fondée sur un enrichissement sans cause que Monsieur [B] [K] a engagée à l’encontre de Madame [W] [R] par son assignation signifiée le 10 janvier 2023, s’est avérée tardive, puisque la prescription légale extinctive était alors déjà acquise depuis le 5 mai 2022, dans les 5 ans qui ont suivi le dernier virement le 5 mai 2017.
L’action exercée le 10 janvier 2023 par Monsieur [B] [K] à l’encontre de Madme [W] [R] sur le fondement d’un enrichissement sans cause doit donc être déclarée irrecevable comme prescrite.
Sur les demandes reconventionnelles de Monsieur [B] [K]
Compte tenu de la prescription de l’action de Monsieur [B] [K], cette demande est sans objet.
Sur les demandes de fin de jugement
Partie perdante, Monsieur [B] [K] doit être condamné aux dépens et à verser à Madame [W] [R] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Nous, Madame Marianne JAMET, Première Vice-Présidente adjointe, Juge de la mise en état, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire, susceptible d’appel dans les conditions prévues à l’article 795 du Code de Procédure Civile,
DÉCLARONS irrecevable l’action fondée sur l’enrichissement sans cause, comme étant prescrite,
DÉBOUTONS Monsieur [B] [K] de l’ensemble de ses demandes,
CONDAMNONS Monsieur [B] [K] aux entiers dépens de l’instance,
CONDAMNONS Monsieur [B] [K] à payer à Madame [W], [G], [M] [R] la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Michael SARDA, avocat au barreau de la GUADELOUPE, SAINT-MARTIN et SAINT-BARTHÉLÉMY.
La présente décision a été signée par Madame Marianne JAMET, Première Vice-Présidente adjointe, Juge de la mise en état et par Madame Bettina MOREL, faisant fonction de Greffier.
LE GREFFIERLE JUGE DE LA MISE EN ETAT