N° RG 22/08482 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XFKI
PREMIERE CHAMBRE
CIVILE
SUR LE FOND
64A
N° RG 22/08482 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XFKI
Minute n° 2024/00
AFFAIRE :
S.C.I. CFV ALLIANCE
C/
[E] [A], [B] [A] épouse [U]
Grosses délivrées
le
à
Avocats : Me Delphine BARTHELEMY-MAXWELL
Me Céline FOUSSARD-LAFON
Me Cloé MONDON
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 30 MAI 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lors des débats et du délibéré
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Statuant à Juge Unique
Greffier, lors des débats et du prononcé
Madame Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint Administratif faisant fonction de Greffier
DÉBATS
A l’audience publique du 11 Avril 2024
JUGEMENT
Contradictoire
En premier ressort
Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile
DEMANDERESSE
S.C.I. CFV ALLIANCE
4 LES GOURDINS EST
33580 COURS DE MONSEGUR
représentée par Me Céline FOUSSARD-LAFON, avocat au barreau de LIBOURNE
DÉFENDEURS
Monsieur [E] [K] [A]
né le 09 Août 1933 à CAZAUGIGAT (33790)
de nationalité Française
10 route du Bois de Bourbon
33580 MONSEGUR
représenté par Me Cloé MONDON, avocat au barreau de BORDEAUX
N° RG 22/08482 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XFKI
Madame [B] [A] épouse [U]
née le 05 Avril 1960 à COURS DE MONSEGUR (33580)
de nationalité Française
1 Pièce Neuve
33580 TAILLECAVAT
représentée par Me Delphine BARTHELEMY-MAXWELL, avocat au barreau de BORDEAUX
EXPOSE DU LITIGE
La SCI CFV ALLIANCE, dont les gérants et associés sont M. [X] [H] et son épouse Mme [R] [Y], a acquis le 30 mai 2011 une propriété cadastrée section ZB n°4 d'une contenance de 82a 30ca située 4 les Gourdins Est à COURS de MONSEJOUR (33) qui jouxte à l'Est une parcelle cadastrée ZB n°10 dont M. [E] [K] [A] est usufruitier et sa fille Mme [B] [A] épouse [U] nue-propriétaire.
Divers problèmes de voisinage opposent les parties : ainsi les gérants de la SCI CFV ALLIANCE ont reproché à M. [A] des dégradations causées sur leur propriété par ses animaux, moutons et vaches, qu'il laisse divaguer malgré leurs observations , des moutons ayant ainsi mangé les légumes de leur potager et un veau étant tombé dans leur piscine endommageant sa bâche de protection. Ils lui ont aussi fait grief de ne prendre aucune mesure permettant de faire cesser l'écoulement sur leur propriété des eaux pluviales provenant d'une grange vétuste.
En outre, le 7 juin 2018 une partie de cette grange s'est effondrée sur le fonds de la SCI CFV ALLIANCE détruisant des poulaillers et diverses constructions et endommageant le potager.
La SCI CFV ALLIANCE ayant déclaré son sinistre, une expertise était diligentée au contradictoire de M. [A] et de son assureur. Il a été notamment constaté qu'une partie de la grange de M. [A] s'était effondrée, que des pierres et gravats ont recouvert une partie du terrain des époux [H] et qu'ont été ainsi ensevelis trois poulaillers , un composteur et de la clôture grillagée et qu'enfin, la toiture de cette grange était dépourvue de dalles et gouttières.
Faute d'accord sur les mesures à prendre et sur les préjudices occasionnés, la SCI CFV ALLIANCE saisissait le juge des référés du tribunal judiciaire de BORDEAUX , pôle protection et proximité, qui par ordonnance du 9 octobre 2020 ordonnait une expertise confiée à M. [S]. Sur saisine de la SCI CFV ALLIANCE le juge des référés par ordonnance du 3 septembre 2021 déclarait communes à Mme [U] les opérations d'expertise confiées à M. [S]. Celui-ci déposait son rapport le 28 juin 2022.
Par actes distincts en date du 8 novembre 2022 la SCI CFV ALLIANCE a fait assigner M. [E] [K] [A] et Mme [B] [A] épouse [U] pour obtenir sur le fondement des troubles anormaux de voisinage leur condamnation à réparer ses préjudices.
Par conclusions notifiées par RPVA le 5 février 2024 auxquelles il convient de renvoyer pour l’exposé des moyens, la SCI CFV ALLIANCE demande au tribunal au visa de l'article 641 du code civil de :
.condamner in solidum les consorts [A] du fait des troubles anormaux du voisinage qu'elle a subis à lui payer la somme de 50 000 euros au titre des préjudices subis
.les condamner sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, à supprimer les pierres et gravats encombrant sa propriété,
.les condamner à prendre en charge l’intégralité des frais d'expertise,
.les condamner au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 25 mai 2023 et auxquelles il convient également de renvoyer pour l’exposé de l’argumentaire, M. [E] [K] [A] demande au tribunal de :
.débouter la demanderesse de toutes ses demandes,
.la condamner à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
.la condamner aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise,
.lui donner acte de ce qu'il ne s'oppose pas à la démolition des bâtiments litigieux dans le cas où Mme [U] voudrait y procéder.
Par conclusions notifiées par RPVA le 6 décembre 2023 de Mme [B] [A] épouse [U] au visa des articles 578 et 605 du code civil, demande quant à elle au tribunal de :
.débouter la SCI CFV ALLIANCE de l'intégralité de ses demandes
A titre subsidiaire,
.condamner M. [A] à la relever indemne des l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
En tout état de cause,
.condamner solidairement la SCI CFV ALLIANCE et M. [A] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
.les condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 mars 2024.
MOTIVATION
I-sur les troubles de voisinage
A- sur l’existence des troubles anormaux de voisinage
Le 7 juin 2018 une partie de la grange appartenant à M. [A], usufruitier, et à sa fille , Mme [U], nue propriétaire, s'est effondrée pour partie sur la propriété voisine de la SCI CFV ALLIANCE qui par ailleurs s'était plainte de l'écoulement sur son fonds des eaux pluviales provenant de cette grange.
Il est acquis que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.
M. [A] a certes fait constater le 28 novembre 2019 que le bord de la toiture de sa grange était en retrait de la limite de propriété et qu'en conséquence, les eaux pluviales de sa grange ne s'écoulaient pas sur la propriété de la SCI mais sur une bande de terre lui appartenant, que sur le terrain de celle-ci ne se trouvaient ni gravats ni débris hormis deux morceaux de plaques noires ainsi que deux pierres dans le fossé et que les éboulis provenant de l'effondrement d'une partie de sa grange se trouvaient entassés sur sa propriété de façon apparaissant stable.
Toutefois, il résulte du rapport de l'expert judiciaire en date du 28 juin 2022 que la grange litigieuse appartenant aux consorts [A] qui se trouve à l'Est du fonds de la SCI CFV ALLIANCE, à proximité de la limite séparative, est composée de trois bâtiments anciens, de surface et de hauteur différentes, accolés les uns aux autres par des murs de refend en pierres ; le bâtiment le plus proche de la rivière le Dropt s'est effondré en grande partie au mois de juin 2018 tandis que les deux autres bâtiments sont dans un état proche de la ruine.
L'expert qui estime que les trois bâtiments présentent un risque de ruine et d'effondrement à court terme a constaté que l'ensemble des murs présente des lézardes et est instable, que les eaux pluviales provenant des toitures ne sont pas récoltées et tombent directement au pied des murs sur les fondations entièrement déchaussées notamment du côté du fossé et de la parcelle de la SCI CFV ALLIANCE, que l'ensemble de la charpente bois est en très mauvais état, que certaines poutres maîtresses sont brisées et qu'enfin, la toiture du bâtiment en aval n'existe plus, celle du bâtiment central est effondrée et celle du bâtiment en amont repose sur un mur menaçant de s'effondrer à chaque instant.
Les désordres et la ruine de ces trois corps de bâtiment sont la conséquence selon M. [S] de leur vétusté, de la déstructuration des pierres et des briques due à une altération des mortiers et torchis de liaison de ces matériaux au fil des ans, d'une absence d'entretien depuis de très nombreuses années, et de l'influence de la chute sur le bas des murs et sur les fondations des eaux de pluie non récoltées faute de dalles et de gouttières.
Il considère qu'aucune mesure réparatoire n'est envisageable, les trois bâtiments constituant la grange étant trop dégradés pour être restaurés et qu'en conséquence la totalité de la construction doit être démolie au plus tôt avant qu'elle ne s'effondre sur elle même et en partie sur la propriété de la SCI CFV ALLIANCE. Il a souligné le risque avéré d'effondrement à court terme et recommandé que l'accès à proximité soit interdit ; cette grange présentant en conséquence un risque pour les personnes et les biens.
Il est patent au vu des pièces versées aux débats et du rapport d'expertise que l'origine de l'importante dégradation de cette grange nécessitant sa démolition en son entier réside dans une absence d'entretien depuis plusieurs années par M. [A], usufruitier depuis 2011 et précédent propriétaire.
Au cours des opérations d'expertise, Mme [U] nue propriétaire a déclaré vouloir procéder elle même à la destruction de la grange et à la remise en état du terrain après enfouissement et/ou évacuation des matériaux et gravats et a communiqué à cet effet à l'expert judiciaire une demande de permis de démolir en date du 4 mars 2022.
Il n'est pas contesté qu'elle a fait procéder à une date et pour un coût non précisés à la démolition des trois bâtiments constituant la grange litigieuse.
Concernant les conséquences pour le fonds de la SCI CFV ALLIANCE de l'absence sur cette grange de tout système d'évacuation des eaux pluviales, le rapport d'expertise permet d'établir que le fossé longeant la grange litigieuse à environ 70 cm de ses murs extérieurs et à proximité de la limite séparative s'est approfondi sous l'effet des eaux de pluie en provenance majoritairement de la grange qui chutaient directement en son milieu . Ce fossé se dirigeant au travers de terrains de plus en plus pentus vers le Dropt situé en contrebas et appartenant à la SCI a entraîné les éléments sableux du fossé et des terrains en direction de cette rivière, ravinant ainsi cette partie de la propriété de la SCI CFV ALLIANCE.
Ces faits constituent des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.
B-sur la réparation des préjudices
La SCI CFV ALLIANCE demande d'une part, la condamnation in solidum des consorts [A] au paiement de la somme de 50 000 € de dommages-intérêts en réparation des troubles du voisinage subis et d'autre part, leur condamnation sous astreinte à supprimer les pierres et gravats encombrant sa propriété.
Il est incontestable que l'effondrement d'une partie de la grange des consorts [A] sur la parcelle de la SCI CFV ALLIANCE , l'impossibilité pour ses deux associés de cultiver leur potager dans les mois suivant cet effondrement ( le rapport d'expertise établissant que ce potager était exploité en 2021), la crainte générée par le risque imminent d'effondrement de la partie restante de cette grange vétuste ainsi que le ravinement du sol de sa propriété lié à l'absence de système d'évacuation d'eaux pluviales sont à l'origine d'un préjudice moral et matériel qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros . Celle-ci sera mise à la charge de M. [A] qui par absence d'entretien de cette grange depuis plusieurs années est à l'origine de ces troubles de voisinage .
Mme [U] en sa qualité de nue propriétaire a fait démolir l'intégralité des bâtiments constituant la grange qui s'était partiellement effondrée sur le fonds de la SCI CFV ALLIANCE au mois de juin 2018 pour mettre fin aux risques qu'elle générait pour la sécurité des époux [H] et de leurs biens, supprimant ainsi les débordements générés par l'absence de système d'évacuation des eaux de pluie.
Toutefois, s'il a été constaté le 7 juin 2023 à la requête de la SCI désireuse d'installer une clôture en partie EST entre son fonds et la parcelle ZB 10 que la grange avait été effectivement démolie, il a été relevé que les débris et pierres en provenant avaient été entassés en surplomb de la parcelle ZB 4, que des pierres avaient roulé dans le fossé et qu'un éboulement avait eu lieu obstruant le fossé et se répandant sur la propriété de la SCI entravant ainsi la pose de la clôture. Il se déduit de ce constat que cet empilement de gravats ainsi qu'en témoignent les photographies annexées au constat n'a pas été sécurisé.
En conséquence Mme [U], nue propriétaire, qui a pris l'initiative de procéder à la démolition de la grange et entassé les gravats en provenant de façon instable , sera condamnée à enlever les pierres et gravats se trouvant sur la propriété de la SCI CFV ALLIANCE selon les modalités figurant au dispositif. Il n’y a pas lieu par ailleurs de condamner M. [A] à la relever indemne de cette condamnation, dès lors que celui-ci n’est pas à l’origine des conditions dans lesquelles la démolition a été effectuée.
II- sur les demandes annexes
En application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens qui incluront le coût de l'expertise de M. [S], nécessaire à la présente instance, seront mis à la charge de M. [A] .
L'équité commande par ailleurs de condamner M. [A] à payer à la SCI CFV ALLIANCE la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter Mme [U] de sa demande d’indemnité sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal,
-CONDAMNE M. [E] [K] [A] à payer à la SCI CFV ALLIANCE une somme de 10.000 euros de dommages-intérêts en réparation des troubles du voisinage qu'il a causés,
-CONDAMNE Mme [B] [U] née [A] à enlever les pierres et gravats encombrant la propriété de la SCI CFV ALLIANCE dans les trois mois de la signification du présent jugement et passé ce délai sous astreinte de 50 € par jour de retard pendant trois mois,
-DEBOUTE Mme [B] [U] née [A] de sa demande tendant à être relevée indemne de cette condamnation par M. [E] [K] [A] et de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-CONDAMNE M. [E] [K] [A] à payer à la SCI CFV ALLIANCE une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-CONDAMNE M. [E] [K] [A] aux dépens de l’instance qui incluront le coût de l'expertise judiciaire réalisée par M. [N] [S],
-DEBOUTE les parties de leurs plus amples et contraires demandes.
La présente décision est signée par Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente, et Madame Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de Greffier.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,