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30/05/2024 | FRANCE | N°22/02627

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 5ème chambre civile, 30 mai 2024, 22/02627


N° RG 22/02627 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WPOY
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND





30Z

N° RG 22/02627 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WPOY

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


S.C.I. GECA

C/

S.A.S. FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL











Grosses délivrées
le

à
Avocats :
la SCP D’AVOCATS INTER-BARREAUX MAUBARET
la SELARL DUCASSE NICOLAS SICET



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 30 MAI 2024


COMPOS

ITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Angélique QUESNEL, Juge


Greffier, lors des débats et du prononcé
Pascale BUSATO, Greffier

D...

N° RG 22/02627 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WPOY
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

30Z

N° RG 22/02627 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WPOY

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

S.C.I. GECA

C/

S.A.S. FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL

Grosses délivrées
le

à
Avocats :
la SCP D’AVOCATS INTER-BARREAUX MAUBARET
la SELARL DUCASSE NICOLAS SICET

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 30 MAI 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Angélique QUESNEL, Juge

Greffier, lors des débats et du prononcé
Pascale BUSATO, Greffier

DÉBATS :

A l’audience publique du 21 Mars 2024
Délibéré au 30 mai 2024
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition du jugement au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile

DEMANDERESSE :

S.C.I. GECA
immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le N°843 842 949
331 boulevard du Président Wilson
33200 BORDEAUX CAUDERAN

représentée par Maître Clémence LEROY-MAUBARET de la SCP D’AVOCATS INTER-BARREAUX MAUBARET, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

DÉFENDERESSE :

S.A.S. FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL immatriculée au RCS de Paris sous le n° 329 120 794
55 rue Pierre Charon
75008 PARIS
N° RG 22/02627 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WPOY

représentée par Maître Olivier NICOLAS de la SELARL DUCASSE NICOLAS SICET, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats postulant, Maître Jean-Pierre BLATTER de la SCP BLATTER RACLET ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

******

FAITS ET PROCEDURE

Selon acte sous signature privée en date du 22 mars 1994, les consorts [S], aux droits desquels se trouve la SCI GECA depuis le 19 février 2020 (ci-après la bailleresse) a donné bail commercial d’un immeuble en copropriété à la SARL TURBULENCE, aux droits de laquelle se trouve la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL (ci-après, la locataire) pour une période de 9 ans à compter du 1er février 1994, pour un loyer annuel de 69 845,25F. Cet immeuble se situe 25 cours de l’Intendance à BORDEAUX.

Ce bail a fait l’objet de plusieurs renouvellements, le dernier étant intervenu pour une nouvelle durée de neuf ans à compter du 1er avril 2017.

En date du 25 septembre 2020, la SCI GECA a délivré un commandement de payer signifié par commissaire de justice demandant la régularisation des loyers impayés au titre du deuxième trimestre 2020, correspondant à la somme de 4 600b€ conformément aux stipulations contractuelles du contrat de bail commercial en visant la clause résolutoire.

Le 16 octobre 2020, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL s’est acquittée de l’ensemble des trimestres dus au titre de l’année 2020.

Par courrier du 15 juillet 2021, la SCI GECA a délivré un nouveau de commandement de payer signifié par commissaire de justice demandant la régularisation des loyers et charges impayés, au titre des 1er, 2ème et 3ème trimestres 2021 correspondant à la somme de 14 888,78€ (frais d’acte inclus) conformément aux stipulations contractuelles du contrat de bail commercial en visant la clause résolutoire.

Les 28 juillet et 2 août 2021, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL a procédé au règlement des 1er, 2ème et 3ème trimestre 2021.

Par courrier du 8 novembre 2021, la SCI GECA a délivré un troisième commandement de payer signifié par commissaire de justice demandant la régularisation des loyers et charges impayés du 4ème trimestre 2021, correspondant à la somme de 5 055,85 € (frais d’actes inclus) conformément aux stipulations contractuelles du contrat de bail commercial en visant la clause résolutoire.

Le 8 décembre 2021, la locataire s’est acquittée du 3ème trimestre 2021.

La SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL n’a pas procédé au paiement des 1er et 2ème trimestres 2022 conformément aux termes du contrat.

C’est dans ce contexte que la SCI GECA a fait assigner la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL le 4 avril 2022 devant le tribunal judiciaire de BORDEAUX aux fins de résiliation du bail commercial.

La mise en état a été clôturée par ordonnance en date du 6 mars 2024 et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience collégiale du 21 mars 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières conclusions régulièrement notifiées le 5 mars 2024, par voie électronique, la SCI GECA demande sur le fondement des articles L. 145-14 et suivants du code de commerce au tribunal de :
Prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial liant les sociétés GECA et FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL portant sur les locaux sis à BORDEAUX - 25 cours de l’Intendance, aux torts exclusifs du preneur,Ordonner à la société FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL de restituer à la société GECA ces locaux libres de tous biens et occupants de son chef dans le délai de trente jours à compter de la signification du jugement à intervenir sous astreinte passé ce délai de 500 euros par jour de retard courant pendant un délai de trente jours, Ordonner l’expulsion de la société FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL ainsi que de tous occupants et biens de son chef avec le concours de la force publique,La condamner au paiement d’une indemnité d’occupation d’un montant mensuel de 10 000€ exigible à compter de la résiliation du bail jusqu’à parfaite libération des locaux et remise des clés, Rappeler l’exécution provisoire de droit, La condamner au paiement d’une indemnité de 4 000€ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre entiers dépens. Au soutien de ses demandes, la SCI GECA fait valoir :
qu’aux termes de l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu de deux obligations principales dont celle de payer le prix du bail aux termes convenus, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, elle invoque que la locataire a gravement et de façon répétée manqué à son obligation de régler le loyer au terme convenu, soit trimestriellement et d’avance, dès lors qu’entre 2020 et 2023 le loyer a été payé avec plusieurs semaines de retard. Le paiement systématiquement irrégulier du loyer l’a contraint à adresser à la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL trois commandements de payer. Dès le 25 septembre 2020, elle a fait signifier une mise en demeure en visant la clause résolutoire. Si la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL a réglé le 2ème trimestre 2020, elle ne l’a fait que le 16 octobre 2020. Elle a de nouveau signifié le 15 juillet 2021 un nouveau commandement de payer avec rappel de la clause résolutoire. La locataire a procédé au règlement des diverses échéances les 28 juillet et 2 août 2021. La SCI GECA a pour la troisième fois signifié un commandement de payer en date du 8 novembre 2021 pour les échéances du 4ème trimestre 2021. Elle fait observer que la locataire a encore payé le dernier jour du délai, soit le 8 décembre 2021. La SCI GECA expose que sur l’année 2022, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL ne payant toujours pas ses loyers aux échéances prévues, c’est donc dans ces conditions qu’elle a sollicité la résiliation du contrat de bail. Elle fait valoir la jurisprudence de la troisième chambre civile selon laquelle un bail commercial peut être résilié quand “un preneur paye les sommes dues au titre des loyers mais systématiquement à l’expiration d’un délai et non spontanément les commandements de payer intervenant longtemps après l’échéance concernée, la répétition de cette résistance au paiement étant constitutive d’un manquement grave et sérieux aux obligations contractuelles, ce paiement tardif sans explication admissible des loyers étant constitutif de mauvaise foi”, ce qui est le cas en l’espèce. Elle ajoute qu’à la date de notification de ses conclusions, la locataire a réglé les loyers des 3èmes, 4emes trimestres 2023 et 1er trimestre 2024 à la date du 20 février 2024 alors qu’ils étaient exigibles depuis les 1er juillet et 1er octobre 2023. Elle souligne qu’elle a payé 19 495€ alors que la somme dûe s’élève à 19 602 €. En réplique aux conclusions de la locataire, que cette dernière est de mauvaise foi et que ses défauts de paiements ne se limitent pas à la période de la crise sanitaire. Par ailleurs, elle rappelle que la jurisprudence n’a pas exonéré les preneurs de payer les loyers durant cette période particulière. Elle ajoute que la locataire ne justifie d’aucune difficulté économique. Elle fait également valoir que la “prétendue” escroquerie invoquée par la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL ne justifie pas non plus ces retards de paiement. Elle fait observer que la plainte déposée au mois d’octobre 2023 n’explique pas les retards de paiements du 3ème trimestre 2023, exigible depuis le 1er juillet 2023.
qu’en outre, elle fait valoir sa bonne foi puisqu’elle a proposé de modifier l’exigibilité des loyers pour l’année 2020 de trimestrielle à mensuelle, puis des délais de paiement en 2021, ce qui a été refusé par la locataire. La SCI GECA fait observer qu’elle a acquis ces lots de copropriété en recourant à l’emprunt. Elle précise qu’elle est tenue de rembourser mensuellement une somme de 2 888,58€. Ainsi, le loyer de la locataire constitue près de 60% des échéances de crédit. C’est pourquoi, elle a été mise en difficulté en raison de sa défaillance systématique. En effet, elle indique qu’elle a été mise en demeure le 10 janvier 2024 par le prêteur de deniers pour payer les échéances. Elle précise que ces difficultés financières sont corroborées par les données de son expert-comptable.
qu’enfin sur les conséquences de la résiliation du bail commercial, elle soutient que la locataire devra faire l’objet d’une expulsion et qu’elle sera condamnée au paiement d’une indemnité d’occupation d’un montant mensuel de 10 000 € à compter de la résiliation jusqu’à la parfaite libération des locaux et remise des clefs. Elle expose que cette somme correspond à la valeur locative minimale de ces locaux situés Cours de l’intendance. Elle rappelle que le lot loué a une superficie de 139,15m2 qui peut être pondérée dans le respect de la charte applicable à 100m2. Le prix du m2 pondéré s’élève à minima à 1200 € mensuel, ce qui correspond à une valeur locative de 120 000 € par an. Elle fait observer que la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL reconnaît les montants de cette indemnité puisqu’elle l’estime à une somme annuelle variant entre 130 000 € et 140 000 € HT et HC.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 27 février 2024 par voie électronique, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL demande au tribunal sur le fondement de l’article 1353 du code civil de :
Débouter la SCI GECA de l’ensemble de ses demandes de paiement, fins et prétentions, Condamner la SCI GECA aux dépens de la procédure en application de l’article 696 du code de procédure civile, lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Olivier NICOLAS, conformément aux dispositions de l’article 699 du même code, ainsi qu’au paiement de la somme de 10 000€ par application de l’article 700 dudit code, Ecarter l’exécution provisoire du chef des demandes de la SCI GECA de la décision à intervenir en vertu de l’article 514-1 du code de procédure civile. En défense, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL fait valoir  :
son opposition à la résiliation du bail commercial dont elle est titulaire, aux motifs que des retards occasionnels dans le paiement de ses loyers ne peuvent constituer une faute suffisamment grave, dès lors qu’au jour où le tribunal statue, il ne persiste aucun arriéré. Elle soutient qu’aux termes de l’article 1353 du code civil, la bailleresse doit démontrer l’inexécution contractuelle et le caractère grave de la faute commise par la locataire. Elle évoque la jurisprudence selon laquelle les retards en paiement constituent un motif grave et légitime à condition d’être inexcusables et répétés. Elle expose que lorsque les impayés s’inscrivent dans un contexte de difficultés économiques reconnues, comme c’est le cas en l’espèce, les défauts de paiement ne présentent pas un degré de gravité suffisant pour justifier la résiliation du bail.Elle soutient que le loyer est payé à son échéance depuis 2008, parfois avec un léger différé mais toujours en intégralité dans un délai raisonnable. Elle rappelle que ces retards sont intervenus dans un contexte de crise sanitaire. Elle expose qu’elle a traversé des situations économiques difficiles liées à cette période inédite. En effet, elle précise qu’elle a été contrainte de fermer son commerce de vente de prêt à porter suite au décret n°2020-293 du 23 mars 2020 interdisant l’exploitation de tels magasins. Néanmoins, elle fait valoir que tous les loyers ont été régularisés et qu’au jour de la notification de ses dernières conclusions, aucun retard de paiement n’a été enregistré.
Par ailleurs, elle relève que les factures émises par la bailleresse sont non-conformes car l’exigibilité des échéances en cause n’y est pas inscrite.
que l’exigence de bonne foi contractuelle, résultant de l’article 1104 du code civil, impose aux parties, en cas de circonstances exceptionnelles de vérifier si ces dernières ne rendent pas nécessaires une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. En l’espèce, elle fait observer que la bailleresse n’a jamais adapté les modalités d’exécution du contrat de bail en dépit des circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire. Elle soutient sa bonne foi en tant que locataire et indique qu’elle a toujours payé ses loyers et charges, étant précisé qu’elle occupe les locaux depuis 2008. qu’elle a subi une escroquerie dite “au faux RIB” au cours du 3er trimestre 2023. Elle expose qu’une personne a usurpé l’identité de la société GECA et a demandé le versement des loyers sur un nouveau RIB. Elle indique qu’elle a tenté de verser la somme de 5 114€ sur ce nouveau compte bancaire. Toutefois, suite à une alerte “escroquerie” de la banque, un dépôt de plainte a été effectué par la directrice administrative et financière de la société SMALTO. La SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL soutient qu’elle a tout mis en oeuvre pour régler au plus vite la situation. Elle ajoute qu’au début du mois de février 2024 tous les loyers ont été régularisés, de sorte qu’il n’existe à ce jour aucune dette. qu’enfin, la SCI GECA essaie de mettre fin au bail commercial pour pouvoir réaliser une opération financière destinée à échapper au paiement d’une indemnité d’éviction. Elle indique que le droit au bail de la société FRANCESCO a été estimé à près d’un million d’euros. Elle fait également observer que ses seuls retards de paiement ne permettent de déterminer avec certitude les difficultés économiques de la société GECA. En effet, les pièces versées aux débats ne démontrent pas en quoi les retards de paiement sont à l’origine des difficultés économiques de la SCI.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - Sur la demande de résiliation judiciaire du bail commercial au titre des retards systématiques de paiement des loyers :

Aux termes de l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu de deux obligations principales, d’user de la chose louée “raisonnablement” et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention ; et de payer le prix du bail aux termes convenus.

Aux termes de l’article 1227 du code civil, la résolution peut, en toute hypothèse être demandée en justice.

L’article 1184 du même code dans sa rédaction en vigueur lors de la signature du contrat de bail dispose que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

En application de ces dispositions combinée , en cas de non respect de son obligation de paiement du loyer au terme convenu avec le bailleur, le preneur s’expose à la résolution du contrat. Il est néanmoins de jurisprudence constante qu’il appartient au juge de rechercher, en cas d’inexécution partielle et d’après les circonstances de fait, si cette inexécution a assez d’importance pour que la résolution doive être immédiatement prononcée ou si elle ne sera pas suffisamment réparée par une condamnation à des dommages et intérêts. En outre, s’il n’est pas nécessaire, pour prononcer la résolution, que le non paiement des loyers soit actuel au jour où il statue, le juge doit prendre en considération toutes les circonstances portées à sa connaissance et intervenues jusqu’au jour de sa décision (Cass. Civ. 3ème 05 mai 1993).

1.1 - Sur la date d’exigibilité du loyer :

En vertu de l’article 1188 du code civil, le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque son intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

En l’espèce, il résulte du bail commercial du 22 mars 1994 prévu pour une durée de 9 ans renouvelable, qu’il concerne l’exploitation de locaux dont la destination est celle d’un commerce de vente de prêt à porter.

Il est relevé que le contrat de bail comporte en page 8, un article intitulé “loyer” qui prévoit “un loyer annuel de 69 845,25F. Le preneur s’oblige à payer ce loyer au domicile du bailleur ou dans les bureaux de son mandataire ou en tout autre endroit indiqué par eux”.

Il s’ensuit que le contrat de bail commercial initial ne prévoit ni la fréquence, ni la date d’exigibilité du paiement du loyer.
A défaut de précision sur la fréquence du paiement du loyer courant dans le contrat de bail commercial initial, il convient de se référer à la commune intention des parties.

L’examen des pièces produites révèle que chaque facture prévoit un loyer commercial par trimestre et est adressée systématiquement le 1er mois du trimestre ( facture n°130921, facture n°03072023, facture n°28092023, facture n°21222023). Si la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL expose dans ses conclusions que ces factures sont non conformes puisqu’elles n’indiquent pas l’exigibilité des échéances en cause, il n’en demeure pas moins qu’elle ne conteste pas la fréquence de paiement des loyers “trimestriel et d’avance”. En effet, il est relevé que la locataire ne fait que citer cette non conformité sans développer des moyens en ce sens. Il sera également observé que ce n’est qu’en cours d’instance, après que la société GECA ait diligenté son action, que la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL s’est plainte de la non conformité des factures.

En outre, le décompte établi par le conseil de la bailleresse comporte des informations détaillées, telles que le trimestre exigé, la date d’exigibilité prévue (paiement en avance), la date de paiement effective ainsi que les retards constatés. Ce type de document démontre à nouveau que les loyers sont dûs trimestriellement et d’avance. Il est à noter que ce tableau détaillé n’a pas été contesté par la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL.

Enfin, les décomptes tirés du grand livre auxiliaire établis par la locataire sur la période de 2019 à 2022 font ressortir que les loyers ont été appelés trimestriellement et d’avance à hauteur de 4 600 € HC et 4 900 € TTC.

En conséquence, il convient de dire que les loyers sont payés trimestriellement et d’avance.

1.2 - Sur la faute grave du locataire :

Au cours du deuxième trimestre 2020, des difficultés sont apparues concernant le paiement des loyers et un premier commandement de payer a été signifié à la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL le 25 septembre 2020 visant la clause résolutoire du contrat de bail commercial et mentionnent le délai d’un mois précité. La SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL n’a jamais contesté le paiement des loyers avec retard et la bailleresse a délivré à nouveau deux commandements de payer les 15 juillet 2021 et 8 novembre 2021.

En premier lieu, il est relevé des pièces produites que la locataire a payé dans le délai d’un mois pour les trois commandements de payer :
- le 1er commandement de payer signifié le 25 septembre 2020 par commissaire de justice, payé le 16 octobre 2020, soit dans un délai de 21 jours,
- le 2ème commandement de payer signifié le 15 juillet 2021, payé sous la forme de deux versements les 28 juillet et 2 août 2021, soit dans un délai de 13 et 17 jours,
- le 3ème commandement de payer signifié le 8 novembre 2021, payé le 8 décembre 2021, soit dans un délai de 30 jours.

En deuxième lieu, il résulte de la chronologie des divers paiements effectués que la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL a de nombreuses reprises réglé les loyers dûs trimestriellement en retard, au-delà du terme échu, postérieurement à l’expiration du trimestre de référence.

En effet, l’étude de ces pièces amène à constater des retards de paiements dès le mois d’avril 2020 pour le second trimestre 2020 payé le 16 octobre 2020, le troisième trimestre 2020 payé le 7 août 2020, le quatrième trimestre 2020 payé le 16 octobre 2020.

Ces retards de paiements se sont poursuivis en 2021 (1er, 2ème, 3ème et 4ème trimestres), puis sur le 1er trimestre de l’année 2022.

En 2023, ces retards de paiement ont été constatés pour les troisième et quatrième trimestres et se sont poursuivis sur le 1er trimestre 2024.

Ainsi, sur les 48 mois qui ont pu être analysés par le tribunal, 31 appels de loyers n’ont pas été payés le mois de l’échéance, soit 64% environ. Il est constaté que la majorité des loyers sont payés en moyenne avec trois mois de retard, soit la valeur d’un trimestre.

S’il est observé que pour une partie de l’année 2022, les loyers ont été payés trimestriellement et d’avance, il n’en demeure pas moins que pour l’année 2023, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL a de nouveau payé avec retard ces loyers malgré la procédure judiciaire en cours.

Le manquement de la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL à son obligation principale de loyer a été réitéré et régulier pendant trois années.

Par ailleurs, il est observé que la SCI GECA a acquis ces lots de copropriété en recourant à un prêt bancaire n° 09032698 de 560 000€ dont le remboursement mensuel s’élève à la somme de 2 888,58€. Il est relevé que le loyer du bail commercial s’élève à la somme de 1 533,33 € par mois, soit près de 60% du montant d’une échéance de crédit. Il ressort également des pièces versées par la bailleresse que cette dernière a été mise en demeure le 10 janvier 2024 par la banque populaire pour approvisionner son compte bancaire avant clôture du compte n°86121889873 car “la situation présentée par ce compte depuis de nombreux mois ne permet plus la couverture des échéances du prêt n°09032698". Ce courrier corroboré par l’attestation de l’expert comptable de la SCI GECA permet d’affirmer que cette dernière rencontre des difficultés économiques.

Ainsi, il est établi que la SCI GECA a été mis en difficulté économique par le paiement irrégulier systématique des loyers.

A ce préjudice s’ajoute les difficultés liées à la nécessité récurrente de recourir à des procédures de signification de commandement de payer pour obtenir le paiement des loyers alors que la ponctualité dans le règlement s’impose au preneur commercial et participe à l’équilibre de l’opération bancaire de la bailleresse.

En outre, si la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL indique qu’elle a rencontré des problèmes financiers qui justifient ses retards de paiement, il n’en demeure pas moins qu’elle ne verse aux dossiers aucun document comptable tel qu’un relevé d’exploitation justifiant ses difficultés économiques.

Il est également rappelé que la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL doit rapporter la preuve du paiement des loyers à l’échéance prévue au bail. Toutefois, il est relevé des conclusions qu’elle se contente de contester la conformité des factures établies par la bailleresse.
Enfin, si cette dernière verse au dossier un dépôt de plainte pour escroquerie “au faux RIB” en date du 13 février 2024, cette pièce est inopérante pour justifier le retard de paiement des 3ème et 4ème trimestres 2023, exigibles depuis les 1er juillet et 1er octobre 2023.

Par conséquent, la répétition des retards constitue un manquement grave de la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL justifiant le prononcé à ses torts de la résiliation du bail.

1.3 - Sur l’exécution de bonne foi du contrat :

En vertu de l’article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

En l’espèce, si la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL expose que la SCI GECA a fait preuve de mauvaise foi dans l’exécution du contrat, elle n’en rapporte pas la preuve.

En effet, il est relevé des pièces produites que la SCI GECA n’a fait preuve d’aucune mauvaise foi en se limitant à exiger le paiement d’un loyer incontestablement dû, ce qui n’est que la stricte application du contrat de bail.

Il n’est par ailleurs, aucunement fait état d’un élément sérieux susceptible de constituer la mauvaise foi alors que les pièces produites établissent qu’en réalité la SCI GECA a par courrier:

- du 29 avril 2020 autorisé la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL de “régler mensuellement et d’avance les loyers et charges à compter du 1er mai 2020 jusqu’au 31 décembre 2020. En ce qui concerne le loyer et charges du mois d’avril, nous vous autorisons à la régler en trois fois” ;

- du 29 avril 2021 autorisé la locataire a réglé en trois fois “l’arriéré de loyers de 9 800€ HT soit un règlement immédiat de 3 300€ HT et deux versements les 5 juin et 5 juillet 2021 de 3 250€ HT”.

Ainsi, il résulte de ces courriers que la SCI GECA a tenu compte des circonstances exceptionnelles et manifesté sa bonne foi en proposant à sa locataire pendant la première période de confinement la mensualisation de certains loyers et un délai de paiement. Il est observé de l’analyse du courrier du 15 mai 2020 que la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL a refusé cette proposition d’échelonnement de paiement.

En conséquence, il est établi que la SCI GECA a exécuté son contrat de bail de bonne foi contrairement aux dires de la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL.

2 - Sur la demande d’expulsion et de paiement d’une indemnité d’occupation :

2.1 - Sur la demande d’expulsion avec restitution des locaux :
En conséquence de la résiliation judiciaire du bail, l’obligation du preneur de quitter les lieux n’est pas contestable et son expulsion sera ordonnée en cas de non restitution volontaire des lieux selon les modalités fixées au dispositif de la présente décision.
L’enlèvement des meubles et effets se trouvant dans les lieux sera effectué selon les règles fixées par les articles L433-1 et suivants, et R433-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution.

En l’espèce, il résulte des motifs qui précèdent que la résiliation judiciaire est établie et qu’il y a lieu dans ces conditions d’ordonner l’expulsion de la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL des lieux, objet du bail résilié.

En conséquence, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL devra restituer les locaux dans le délai d’un mois et ce à compter de la date de signification de la présente décision. Cette obligation de restituer les clés sera assortie d’une astreinte de 50 € par jour de retard pendant un délai maximum de trois mois.

2.2 - Sur l’indemnité d’occupation :

Il est rappelé qu’ en occupant sans droit ni titre les lieux loués à compter de la résiliation judiciaire du bail commercial, la défenderesse causera un préjudice au propriétaire, résultant de l’indisponibilité du bien et de la perte des loyers et charges.

En application des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, il appartient au bailleur qui sollicite la condamnation du locataire au paiement de loyers, charges et accessoires, ou d’indemnités d’occupation, de produire les pièces justificatives permettant au tribunal de constater et de vérifier, outre l’existence de l’obligation du locataire, l’exactitude des sommes réclamées. Il doit notamment fournir un décompte reprenant tous les loyers, charges ou autres sommes dues impayées et les règlements effectués par le locataire, ainsi que les justificatifs (factures, appels de charges, avis d’imposition) des sommes réclamées.

En l’espèce, il ressort des productions que le montant du loyer trimestriel s’élevait pour l’année 2023 à 4 600 euros HT, soit 1 533 € mensuel.

Si, la bailleresse demande que l’indemnité d’occupation soit fixée à 10 000 € mensuel, soit presque multiplié par dix le prix du loyer contractuel, elle ne verse au dossier aucune pièce justifiant cette demande d’augmentation.

Il est relevé que la seule pièce produite dans le dossier provient de la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL. En effet, la locataire a versé une estimation du droit au bail évaluée par l’agence de conseil en immobilier Knight Frank. Il est rappelé que cette estimation a été faite dans l’objectif d’évaluer le droit au bail appartenant au locataire et non pour une valeur locative. Cette évaluation n’est pas pertinente pour justifier une augmentation du loyer à 10 000 € mensuel.

Il est d’usage en matière de baux de fixer une indemnité d’occupation à un montant compensant d’une part la valeur locative des lieux et d’autre part le préjudice résultant pour le propriétaire du maintien de l’occupant dans les lieux. Cette indemnité est en pratique fixée à un montant égal à celui des derniers loyers et charges contractuelles.

La bailleresse ne produisant aucun élément probant à l’appui de sa demande, il y a lieu en conséquence de condamner la locataire à payer, à compter de la présente décision, une indemnité d’occupation égale au dernier loyer contractuel qu’elle aurait réglé si le bail s’était poursuivi, soit 1 533 €, majoré des charges prévues au bail, jusqu’à la libération des lieux, caractérisée par la remise des clés ou son expulsion.

3 - Sur les autres demandes

3.1 Sur les dépens :
L'article 696 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL, partie perdante, sera condamnée aux dépens de la présente procédure.

3.2 Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
En l’espèce, la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL sera condamnée à payer à la SCI GECA la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

3.3 Sur l'exécution provisoire :
Il convient de rappeler que la présente instance est soumise aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile aux termes duquel les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
En l’espèce, aucun motif ne conduit à écarter l'exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal,

Prononce la résiliation judiciaire du bail commercial à compter de la date du présent jugement, entre la SCI GECA et la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL, concernant l’immeuble en copropriété situé 25 cours de l’Intendance sur la commune de Bordeaux (33 000),
Ordonne à la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL de quitter les lieux, objet du bail résilié, au plus tard dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement, à défaut de quoi, passé ce délai autorise d’ores et déjà son expulsion, ainsi que celle de tous occupants de son chef, le cas échéant, au besoin avec le concours de la force publique, requise à cet effet par le bailleur,
Dit que faute de restituer les clés , la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL sera redevable, passé le délai d’un mois susvisé, d’une astreinte dont le montant sera provisoirement fixé à 50 € par jour de retard pendant un délai maximum de trois mois,
Condamne la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL à payer la SCI GECA une indemnité d’occupation mensuelle, égale au montant du loyer contractuel, soit 1 533 €, augmenté des charges et taxes, à compter de la présente décision jusqu’à la libération effective des lieux et la remise des clés,
Condamne la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL aux entiers dépens de la présente instance,
Condamne la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL à payer à la SCI GECA la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS FRANCESCO SMALTO INTERNATIONAL de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de prcoédure civile
Rappelle que le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire.

Le présent jugement est signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par Madame Pascale BUSATO, Greffier.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 5ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/02627
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;22.02627 ?
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