N° RG 19/01681 - N° Portalis DBX6-W-B7D-TEMF
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE
PARTAGE NOTAIRE
28A
N° RG 19/01681 - N° Portalis DBX6-W-B7D-TEMF
Minute n° 2024/00
AFFAIRE :
[E] [S]
C/
[G] [S], [Y] [S] épouse [U], [X] [S]
Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : Me Camille CASAGRANDE
Maître Philippe QUERON de la SELARL RAMURE AVOCATS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 21 MAI 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :
Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Madame Delphine DUPUIS-DOMINGUEZ, Juge,
Madame Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 09 Avril 2024 sur rapport de Delphine DUPUIS-DOMINGUEZ, Juge, conformément aux dispositions de l’article 785 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT:
Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,
DEMANDEUR :
Monsieur [E] [S]
né le 18 Mai 1957 à TLEMCEN (ALGERIE)
2 Château Saint Florin
33790 SOUSSAC
représenté par Me Camille CASAGRANDE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
DEFENDEURS :
Monsieur [G] [S]
né le 28 Septembre 1954 à OUJDA (MAROC)
1 Lejean
33190 SAINT HILAIRE DE LA NOAILLE
représenté par Me Camille CASAGRANDE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
N° RG 19/01681 - N° Portalis DBX6-W-B7D-TEMF
Madame [Y] [S] épouse [U]
née le 24 Janvier 1959 à TURENNE (ALGERIE)
61 rue Théodore Toulouse
33220 PINEUILH
représentée par Me Camille CASAGRANDE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Monsieur [X] [S]
né le 11 Mars 1963 à TLEMCEN (ALGERIE)
5 Les Grands Courgeauds
33790 CAZAUGITAT
représenté par Maître Philippe QUERON de la SELARL RAMURE AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
EXPOSE DU LITIGE
M. [V] [S], né le 13 septembre 1926 à TURENNE en ALGERIE, de son vivant retraité et Mme [A] [D], née le 27 avril 1929 à NEDROMA en ALGERIE, de son vivant retraitée, mariés sous le régime de la communauté, demeurant à CAZAUGITAT (Gironde) lieudit Courget Nord, sont décédés le 14 février 2014 à SOUSSAC et le 14 septembre 2014 à MONSEGUR.
Ils laissent pour recueillir leur succession leur quatre enfants :
M. [G] [S]
M. [E] [S]
Mme [Y] [S] épouse [U]
M. [X] [S]
Dans le cadre des opérations de liquidation et partage amiable de la succession, Maître [B] [C], membre de la SCP [B] [C] Jean-Yves DECHE Sandrine ROULIERE Nathalie LAOUTI, notaires à SAUVETERRE-DE-GUYENNE, notaire, a établi un acte de notoriété et une déclaration de succession ensuite de chacun des décès.
Faisant valoir qu’il a travaillé gratuitement sur la propriété exploitée par son père, M. [E] [S] a fait citer ses frères et soeur devant le tribunal judiciaire de BORDEAUX par acte du 13 février 2019, aux fins qu’il soit porté au passif de la succession de ses parents une créance de salaire différé.
L’ordonnance de clôture du 30 avril 2019 a été révoquée suite à la constitution d’un avocat pour la défense de M. [X] [S].
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 9 janvier 2024, M. [E] [S], Mme [Y] [S] épouse [U] et M. [G] [S], sur le fondement des dispositions de l’article L.321-13 du code rural et de l’article 778 du code civil, demandent au tribunal de :
juger que M. [E] [S] est bénéficiaire d’un contrat de travail à salaire différé d’une durée de 3 ans et 15 jours ayant porté sur les périodes suivantes : du 15 juillet au 31 décembre 1976 puis du 1er janvier au 31 décembre 1978, puis enfin du 1er janvier au 31 juillet 1979juger que M. [E] [S] est détenteur d’une créance de salaire différé qui doit être portée au passif de la succession de son père M. [V] [R] [S] dont le montant doit être calculé conformément à l’article L.321-13 alinéa 2 du code rural, en fonction du salaire minimum interprofessionnel de croissance qui sera en vigueur au jour du partage consécutif au décès de M. [V] [R] [S]juger que M. [X] [S] a bénéficié de dons manuels et autres donations indirectes à hauteur de 62.945,39 eurosen conséquenceordonner leur réintégration dans la succession de M. [V] [S]juger que M. [X] [S] doit être privé de tout droit sur ces sommes en application des dispositions de l’article 778 du code civildébouter M. [X] [S] de l’ensemble de ses demandes fins et prétentionsordonner l’ouverture des opérations de comptes liquidation et partage de la succession de [V] [R] [S] né le 13 septembre 1926 à TURENNE (ALGERIE) et décédé le 14 février 2014 à SOUSSAC (GIRONDE) et de celle de Mme [A] [I] [D] veuve [S] née le 27 avril 1929 à NEDROMA (ALGERIE) et décédée le 19 septembre 2014 à MONSEGUR (GIRONDE)commettre tel notaire qu’il plaira pour y procéder en tenant compte de la créance de salaire différé de M. [E] [S] qui aura été fixée par le tribunal sur les bases ci-dessusjuger que les dépens de l’instance seront employés en frais privilégiés de partage.
Dans ses dernières conclusions, signifiées le 8 novembre 2023, M. [X] [S] au visa des dispositions des articles L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, des articles 815 840-1 1303 du code civil et 9 du code de procédure civile, demande au tribunal de :
à titre principaldire et juger que M. [E] [S] ne démontre nullement être titulaire d’une créance de salaire différé à l’encontre de la succession de [V] [R] [S], que ce la soit dans son principe ou dans son montanten conséquencedéclarer irrecevable ou débouter les parties de l’ensemble de leurs demandes fins et prétentionsà titre subsidiaire, dire et juger que M. [X] [S] est également titulaire d’une créance à l’encontre de la succession de [V] [R] [S], pour la somme de 39.228, 79 euros, sur le fondement d’une créance de salaire différé ou de l’enrichissement induen conséquenceretenir l’inscription au passif de la succession de [V] [R] [S] de ladite créanceà titre reconventionnelordonner l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de [V] [R] [S] né le 13 septembre 1926ordonner l’inscription au passif des successions la somme de 87.303, 60 euros au titre de la créance d’indemnité au preneur au sortant due à M. [X] [S].N° RG 19/01681 - N° Portalis DBX6-W-B7D-TEMF
déclarer irrecevable ou débouter les parties adverses de toutes les autres demandes fins et prétentionscommettre tout notaire pour y procéderordonner l’exécution provisoiredire que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 28 mars 2024.
MOTIVATION
I -demandes principales
A- L’ouverture des opérations de compte liquidation partage
Les parties s’accordent sur l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage.
SUR CE
Selon l’article 815 du code civil, nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. L’article 840 du même code rappelle que le partage n’est fait en justice que lorsqu’au moins un des indivisaires refuse de consentir au partage amiable ou s’il s’élève des contestations sur la manière d’y procéder ou de le terminer, ou lorsque le partage amiable n’a pas été autorisé ou approuvé dans l’un des cas prévus aux articles 836 et 837.
Il n’est pas discuté que les parties sont en indivision sur le patrimoine successoral réuni de M. [V] [S] et de Mme [A] [D], composé pour l’essentiel de deux biens immobiliers sis respectivement à CAZAUGITAT et ARGELES-SUR-MER, d’une assurance vie et de comptes bancaires mais ne parviennent pas à trouver un accord quant au partage amiable notamment du fait de la discussion sur l’existence d’une créance de salaire différé.
Il convient en conséquence d’ordonner l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision existant entre les parties à l’instance suivant les modalités précisées au dispositif ci-après.
Le partage portant entre autres sur des biens soumis à la publicité foncière, il y a lieu de désigner un notaire.
Les parties n’étant pas d’accord sur le nom d’un notaire, il y a lieu de désigner le président de la chambre des notaires de la Gironde, avec faculté de délégation et de remplacement, à l’exclusion de Maître [B] [C], membre de la SCP [B] [C] Jean-Yves DECHE Sandrine ROULIERE Nathalie LAOUTI, notaires à SAUVETERRE-DE-GUYENNE, vainement intervenu dans le cadre des opérations de succession.
Le président de la chambre des Notaires de GIRONDE disposera d’une année suivant sa désignation pour achever ses opérations conformément à l’article 1368 du code de procédure civile.
Un magistrat sera commis pour surveiller les opérations à accomplir et en particulier pour s’assurer que ce délai sera respecté.
Aux termes de l'article 1368 du code de procédure civile susvisé, il appartiendra en particulier au notaire liquidateur de dresser un état liquidatif établissant les comptes entre les copartageants, la masse partageable et les droits de chacun d'eux.
Il appartiendra au notaire de se faire remettre tout document utile à l'accomplissement de sa mission, notamment les comptes de l'indivision, d'examiner les sommes éventuellement dépensées pour le compte de celle-ci ou perçues pour son compte. En effet, chaque indivisaire peut être créancier de la masse au titre d'impenses qu'il a faites, de frais divers qu'il a acquittés, de la rémunération de sa gestion ou de ses travaux personnels, comme débiteur de cette masse au titre des pertes ou détériorations qu'un bien indivis aurait subi par sa faute, de la perception de fonds indivis qu'il n'aurait pas remis à l'indivision ou prélevés dans la caisse de celle-ci, ou encore d'une avance en capital.
En cas de situation de blocage durant les opérations ou de désaccord ou carence des parties quant au projet de partage établi à leur terme, le notaire dressera un procès-verbal de difficultés accompagné de son projet d'état liquidatif et le juge commis pourra être saisi sur simple requête aux fins de conciliation conformément aux dispositions de l'article 1373 du code de procédure civile. Le tribunal tranchera le cas échéant les différends persistants dans le cadre d'une nouvelle instance et pourra homologuer le projet de partage dressé par le notaire délégué s'il est saisi à cette fin.
B- Sur les créances de salaire différé
1-Sur la créance de salaire différé de M. [E] [S]
M. [E] [S] Mme [Y] [S] épouse [U] et M. [G] [S] revendiquent une créance de salaire différé au titre du travail accompli sans contrepartie par M. [E] [S] sur 3 périodes d’un total de 3 ans et 15 jours. Ils versent au soutien de cette prétention les déclarations de succession, l’attestation de la MSA, les déclarations de revenus du défunt et des témoignages.
M. [X] [S] s’y oppose, arguant du caractère déclaratif des attestations MSA et déclarations de revenus produites.
SUR CE
Les articles L.321-13 et L. 321-17 du code rural dispose :
“Les descendants d’un exploitant agricole qui, âgés de plus de 18 ans, participent directement et effectivement à l’exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d’un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d’une soulte à la charge des cohéritiers.”
“Le bénéficiaire d’un contrat de salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l’exploitant au cours du règlement de sa succession. (...)”
L’existence de la créance de salaire différé est subordonnée à la reconnaissance de la qualité d’exploitant de l’ascendant concerné.
Ensuite, pour pouvoir bénéficier d’une créance de salaire différé, le descendant d’un exploitant agricole doit ainsi remplir trois conditions :
-être âgé de plus de 18 ans au moment de la participation à la mise en valeur de l’exploitation familiale
-participer de manière directe et effective à l’exploitation
-ne pas avoir été associé aux bénéfices ni aux pertes de l’exploitation ni avoir reçu de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration
La preuve de la participation à l’exploitation et de l’absence de rémunération incombe à celui qui se prétend créancier. Elle peut être rapportée par tout moyen.
En l’espèce, la nature agricole de l’activité de M. [V] [S], ses qualités de chef d’exploitation, et d’ascendant du demandeur au salaire différé, ne sont pas contestées et ressortent des éléments du dossier.
Il n’est pas davantage discuté que M. [E] [S] avait plus de 18 ans le 15 juillet 1975, comme étant né le 18 mai 1957, ni qu’il a travaillé sur l’exploitation paternelle.
Il ressort par ailleurs de l’attestation délivrée le 1er avril 2014 par la Mutualité Sociale Agricole que M. [E] [S] a été affilié en qualité d’aide familial sur l’exploitation de M. [V] [S] à compter du 15 juillet 1975 jusqu’au 31 décembre 1976, puis du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981.
Dans ses déclarations de revenus de 1976 1977 1978 et 1979, M. [V] [S] déclare M. [E] [S] au titre des personnes à charge en qualité d’aide familial, statut réservé aux membres de la famille du chef d’exploitation agricole, qui implique de vivre sur l’exploitation et d’y participer sans avoir la qualité de salarié, ce qui peut induire l’absence de rémunération exigée par les dispositions du texte précité, qui résulte également de plusieurs témoignages.
MM. [M] [H] et [K] déclarent ainsi :
“(...) Directeur du centre oenologique du SOUSSAC entre 1972 et 2005, j’atteste que lors de mes visite en tant qu’oenologue conseil pour la propriété de M. [V] [S], j’ai bien vu entre 1975 et 1979 M. [E] [S] travailler pour l’exploitation de son père. J’ai souvenir que pendant cette période et en tant qu’aide familial, il a fait une année d’étude afin d’obtenir le statut de jeune agriculteur. Au cours de mes différentes discussions avec M. [S] [V] il m’a confirmé que M. [S] [E] était un aide familial car il ne pouvait pas lui verser de salaire.”
“(...) Je venais donc régulièrement voir M. [S] [V] sur son exploitation. Je peux donc dire qu’entre l’été 1975 et le mariage de M. [S] [E], celui-ci a travaillé quotidiennement sur l’exploitation de son père. C’est M. [S] [V] qui lors de nos discussions m’a expliqué qu’il ne pouvait pas verser de salaire à [E] et l’avait donc déclaré en tant qu’aide familial.”
“ (...) Je peux donc certifier que M. [S] [E] a travaillé quotidiennement avec moi sur l’exploitation de M. [O] [W] son beau-père à partir du mois d’août 1979 et ce jusqu’à mon départ en décembre 1980.”
A vu de ces éléments suffisamment précis et concordants, tant sur le travail sur l’exploitation paternelle que sur la période afférente et l’absence de rémunération, il y a lieu de dire que M. [E] [S] peut prétendre à une créance de salaire différé envers la succession de M. [V] [S] pour la période du 15 juillet 1975 au 31 décembre 1976, puis du 1er janvier au 31 décembre 1978 et du 1er janvier au 31 juillet 1979.
Par application des dispositions de l’article L. 321-13, il reviendra au notaire liquidateur de calculer le montant du salaire différé, dont le taux annuel sera égal pour chacune des années de participation à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur, au jour du partage, le montant se calculant selon la loi en vigueur au moment du décès de l’exploitant pour les successions ouvertes après le 4 juillet 1980, ce depuis loi d’orientation du 4 juillet 1980 ayant modifié l’ouverture de ce droit et son montant.
2- Sur la créance de salaire différé de M. [X] [S]
M. [X] [S] sollicite le paiement de la somme de 39.228,79 euros sur le fondement d’une créance de salaire différé ou, de l’enrichissement sans cause, à raison de son dévouement à ses parents, excédant les devoir filiaux, dont attestent plusieurs témoins.
M. [E] [S] Mme [Y] [S] épouse [U] et M. [G] [S] soulèvent l’irrecevabilité de cette prétention, tirée de la prescription, ajoutant que le défendeur ne peut contourner l’extinction de son action en salaire différé par le recours à l’action en enrichissement sans cause.
SUR CE
Sur la prescription
La créance de salaire différé naissant à compter de l’ouverture de la succession de l’exploitant, soit au jour du décès de celui-ci, c'est à cette date que court le délai de prescription de l'action en paiement de cette créance. Aux termes de l’article 2224 du code civil, il est fixé à 5 ans.
L’article 2240 du code civil prévoit que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Il est constant que l’action en versement d’un salaire différé, qui ne tend ni à la liquidation de l’indivision successorale ni à l’allotissement de son auteur, n’a pas la même finalité que l’action en partage. (Civ 1er 7 juillet 2021 n° 19-11.638) Elle vise à indemniser le descendant qui a travaillé sur l’exploitation agricole sans percevoir de rémunération en contrepartie. En conséquence, l’action en partage ou les échanges intervenus lors d’une tentative de partage amiable n’interrompent pas la prescription de celle en paiement d’un salaire différé.
En l’espèce, le délai de prescription court depuis la date du décès de M. [V] [S], 14 février 2014. M. [X] [S] ayant formé sa demande au titre du salaire différé par voie de conclusions notifiées le 29 octobre 2019, celle-ci est prescrite.
Contrairement à ce qu’il affirme, la déclaration de succession, destinée aux services fiscaux pour le calcul des droits de succession, ne vaut pas reconnaissance d’un droit, et ne peut être considérée comme une cause d’interruption de la prescription telle que prévue à l’article 2240 du code civil, ce de même que tout échange intervenu amiablement pour tenter de parvenir au partage.
L’action de M. [X] [S] sera donc déclarée irrecevable comme prescrite.
En vertu des dispositions de l’article 1303-3 du code civil, l’appauvri n’a pas d’action sur le fondement de l’enrichissement sans cause, lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel la prescription.
Par conséquent, M. [X] [S] qui disposait d’une autre action que l’action en enrichissement sans cause, qui a été déclarée prescrite, ne peut agir sur ce fondement.
C- les dons manuels
M. [E] [S] Mme [Y] [S] épouse [U] et M. [G] [S] sollicitent le rapport de la somme de 62.945, 39 euros au titre de dons manuels et donations indirectes consentis par les défunts à M. [X] [S]. Ils produisent au soutien de cette assertion des relevés de compte et de chèques, et un tableau récapitulatif.
M. [X] [S] soulève la prescription de cette demande de rapport.
Sur le fond, M. [X] [S] conteste l’ensemble des demandes de rapport, soit par application des dispositions de l’article 852 du code civil, soit parce qu’il s’agit de remboursements d’avances qu’il a faites à ses parents, de frais exposés par ceux-ci pour leur propre compte ou encore d’indemnités au preneur sortant dues à l’issue d’un bail rural à long terme.
SUR CE
Sur la prescription
En application des dispositions de l’article 843 du code civil, le rapport tend à assurer l’égalité entre les cohéritiers et constitue une des opérations de partage, qui ne peut se prescrire avant la clôture de celles-ci.
La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en rapport sera donc rejetée.
Sur les demandes de rapport
Selon l'article 843 du code civil, tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
La preuve de l'existence d'un don manuel consenti à l'un des héritiers d'une succession par leur auteur peut être faite par tous moyens par les cohéritiers qui font valoir des droits personnels sur la succession.
Le don manuel est une donation entre vifs qui s’opère, sans acte notarié, au moyen de la tradition réelle de la chose donnée qui peut être matérielle ou scripturale, par chèque ou par virement de compte, dans des conditions telles qu'elle assure la dépossession irrévocable et définitive du donateur.
Ainsi, la tradition nécessaire à l’existence d’un don manuel d’argent peut se réaliser par la remise d’un chèque dont la provision est irrévocablement acquise au bénéficiaire dès sa création.
Le dessaisissement doit avoir lieu avant le décès. Ainsi, la jurisprudence est unanime pour considérer que la mise en possession des fonds postérieurement au décès ne peut constituer un don manuel.
Le don manuel suppose également, en plus de la tradition, la réunion de l’intention libérale du donateur et de l’acceptation du donataire de recevoir à titre gratuit. Comme toutes les donations, le don manuel implique en effet l’intention libérale du disposant.
La donation indirecte peut consister dans des paiements effectués à la place d’autrui, ne donnant lieu à aucune créance ni remboursement.
L’article 852 du code civil dispose : “Les frais de nourriture, d’entretien, d’éducation, d’apprentissage, les frais ordinaires d’équipement, ceux de noces et les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant.
Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant.”
En l’espèce, les 3 chèques du GFA [S] à M. [X] [S], respectivement de 1.200 10.000 et 10.000 euros dont les quatre cohéritiers sont les gérants associés, selon les termes de l’extrait KBIS versé aux débats, ne peuvent faire l’objet d’un rapport, car il ne s’agit pas de sommes reçues des défunts.
De même, le montant du chèque à [P] [S] ne peut faire l’objet d’un rapport, celle-ci n’étant pas héritière de la succession en cause, comme exigé par l’article 843 précité.
Par ailleurs, c’est à juste à titre que M. [X] [S] conteste l’existence de dons manuels s’agissant de sommes pour lesquelles les talons de chèque sont dépourvus de nom de bénéficiaire ou comportent un autre nom de bénéficiaire que le sien, comme le chèque de 1.014.95 francs du 24 septembre 1992, le chèque de 2.139 francs du 16 décembre 1994 (acquit), le chèque de 2455.02 francs du 21 avril 1993 (capsules).
De même, seront exclues du rapport les sommes pour lesquelles le défendeur justifie les avoir remboursées à ses parents (10.000 francs le 14 novembre 2001 et en novembre 1993).
Il est en revanche inopérant de qualifier certaines, sommes dont le rapport est sollicité, de dérisoires ou banales, le montant du don étant indifférent au regard de l’obligation au rapport.
Aux termes de l’article 852, si les frais d’entretien et les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, encore faut-il apporter la preuve de l’entretien apporté, et caractériser les circonstances dans lesquelles ces dons sont intervenus, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, à l’exclusion des dons datant de la période du mariage et de l’anniversaire du défendeur.
Enfin, concernant les travaux sur le chai, ou encore les frais de notaire et les indemnités au preneur sortant, à défaut de tout justificatif, rien ne permet de considérer qu’il s’agirait de paiement effectués par M. [X] [S] à la place de ses parents.
Seuls seront donc pris en compte les talons de chèque marqués [X], dont le n° et le montant correspondent avec les relevés du compte des défunts ouvert à La Poste versés aux débats.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, M. [X] [S] devra rapporter à la succession de ses parents la somme de 38.784, 53 euros au titre des dons manuels et donations directes que ceux-ci lui ont consentis.
D- la créance d’indemnité due au preneur sortant
M. [X] [S] se dit créancier de la somme de 87.303, 60 euros envers la succession au titre de l’indemnité au preneur sortant que ses parents ne lui auraient pas réglé.
Les demandeurs lui opposent la prescription et sur le fond, contestent que cette indemnité ait été due, à raison de l’imputation des dettes de fermage du défendeur sur cette somme.
SUR CE
L’indemnité dont se prévaut M. [X] [S] est prévue dans le bail à long terme du 27 juin 2003 communiqué par les demandeurs, dans les termes suivants : (...)” Les indemnités auxquelles le preneur pourra prétendre à l’expiration du bail à raison des améliorations apportées par lui au fonds loué seront réglées conformément aux dispositions des articles L. 411-69 du code rural et de la pêche maritime”.
Cet article dispose :
“(...)La demande du preneur sortant relative à une indemnisation des améliorations apportées au fonds loué se prescrit par douze mois à la date de fin de bail à peine de forclusion.”
Selon le courrier du 18 novembre 2009 versé aux débats par M. [X] [S], émanant d’un comptable, l’indemnité au preneur sortant sollicitée a été calculée à cette date, qui sera prise en compte pour fixer le point de départ du délai de prescription.
Par conséquent, la demande au titre de cette indemnité ayant été formulée par voie de conclusions du 31 octobre 2019 est prescrite.
E- le recel
M. [E] [S] Mme [Y] [S] épouse [U] et M. [G] [S] font grief à leur frère de s’être rendu coupable de recel successoral, pour avoir bénéficié durant 20 ans de dons d’argent, de paiements de biens ou encore de factures de la part du défunt.
M. [X] [S] rétorque que cette demande est prescrite et qu’il n’y a pas dissimulation car l’épouse de M. [E] [S] avait la main mise sur les comptes.
SUR CE
Sur la prescription
Par application des dispositions de l’article 780 alinéa 2 du code civil, l’action en recel des demandeurs, qui se prescrit par 10 ans à compter de l’ouverture de la succession, n’est pas prescrite, la succession ayant été ouverte le 14 septembre 2014 et l’action en recel initiée par voie de conclusions signifiées le 1er décembre 2021. La fin de non-recevoir soulevée de ce chef sera donc rejetée.
Sur le fond
Conformément aux dispositions de l’article 778 du code civil, le recel est caractérisé par "toute manoeuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre l'égalité du partage, quels que soient les moyens employés pour y parvenir.”
Il nécessite l'existence d'une part, d'un élément matériel résultant de la soustraction ou de la dissimulation des dons à la succession par le bénéficiaire, d'autre part, d'un élément intentionnel résidant dans l'intention frauduleuse de fausser les opérations de partage.
La fraude doit être prouvée : elle ne résulte pas du seul fait de la dissimulation ; il faut en outre un acte positif constituant une mauvaise foi, tel qu'un mensonge ou même une réticence.
Les conséquences du recel sont définies par l'article 778 du code civil.
Il incombe aux consorts [S], qui invoquent l'existence d'un recel, d'en rapporter la preuve.
Si M. [X] [S] s’est abstenu de révéler l’existence des donations dont il a bénéficié, il n’est pas rapporté que la réticence reprochée résulte d’une intention frauduleuse de fausser l’équilibre du partage au détriment de ses cohéritiers.
Il n’est donc pas justifié de le frapper des peines du recel.
II. Sur les demandes annexes
Compte tenu de la nature successorale du présent litige, les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation et partage.
Pour les mêmes motifs, il n’y a pas lieu en équité de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, l’exécution provisoire n’apparaît pas nécessaire au regard des circonstances de l’espèce. Elle ne sera pas ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
ORDONNE l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [V] [S] et de Mme [A] [D], décédés le 14 février 2014 à SOUSSAC et le 14 septembre 2014 à MONSEGUR,
DÉSIGNE pour y procéder le président de la Chambre des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre, à l’exception de tout notaire de l’étude de Maître [B] [C], membre de la SCP [B] [C] Jean-Yves DECHE Sandrine ROULIERE Nathalie LAOUTI, notaires à SAUVETERRE-DE-GUYENNE,
DIT qu’en cas d’empêchement du notaire délégué, le président de la Chambre des notaires de la Gironde pourra lui-même procéder à son remplacement,
RAPPELLE qu’en cas d’inertie d’un indivisaire, un représentant au copartageant défaillant pourra être désigné en application des dispositions des articles 841-1 du code civil et 1367 du code de procédure civile,
N° RG 19/01681 - N° Portalis DBX6-W-B7D-TEMF
RAPPELLE que le notaire désigné devra accomplir sa mission d’après les documents et renseignements communiqués par les parties et d’après les informations qu’il peut recueillir lui-même,
RAPPELLE que le notaire a en outre le devoir de contrôler par tous moyens les déclarations des intéressés,
RAPPELLE que le notaire pourra si nécessaire s’adresser aux centres des services informatiques cellules FICOBA et FICOVIE qui seront tenus de lui communiquer l’ensemble des informations qu’il réclame,
DIT que le notaire devra soumettre aux parties son acte de partage ou établir un procès-verbal de difficultés dans un délai d’un an à compter de sa désignation,
DIT qu’en application de l’article 1372 du code de procédure civile, si un acte de partage amiable est établi et signé entre les parties, le notaire en informera le juge commis qui constatera la clôture de la procédure,
RAPPELLE qu’en cas de désaccord, le notaire délégué dressera un procès-verbal de dires où il consignera son projet d’état liquidatif et les contestations précises émises point par point par les parties à l’encontre de ce projet, lequel sera transmis sans délai au juge commis,
COMMET le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal judiciaire de BORDEAUX en qualité de juge commis pour surveiller les opérations à accomplir
DIT que la succession de M. [V] [S] est redevable envers M. [E] [S] d’une créance de salaire différé sur les périodes suivantes : du 15 juillet au 31 décembre 1976 puis du 1er janvier au 31 décembre 1978, puis enfin du 1er janvier au 31 juillet 1979, dont le montant doit être calculé par la notaire liquidateur conformément aux dispositions de l’article L.321-13 du code rural et de la pêche maritime,
DECLARE irrecevable comme prescrite la demande de M. [X] [S] au titre d’une créance de salaire différé,
REJETTE la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action en rapport des dons manuels et donations indirectes des demandeurs,
DIT que M. [X] [S] devra rapporter la somme de 38.784, 53 euros à la succession de M. [V] [S] et de Mme [A] [D] au titre des dons manuels et donations indirectes consenties par ceux-ci,
DECLARE irrecevable comme prescrite la demande de M. [X] [S] au titre d’une créance d’indemnité au preneur sortant,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en recel successoral des demandeurs,
REJETTE la demande des demandeurs au titre du recel successoral,
REJETTE les demandes sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
ORDONNE l’emploi des dépens en frais privilégiés de partage successoral,
ECARTE l’exécution provisoire,
REJETTE toutes les autres demandes.
La présente décision est signée par Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Madame Hassna AHMAR-ERRAS, Adjoint administratif faisant fonction de greffier.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT