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16/05/2024 | FRANCE | N°23/00002

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, Expropriations, 16 mai 2024, 23/00002


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION DE LA GIRONDE


JUGEMENT FIXANT INDEMNITES D’EXPROPRIATION.

le JEUDI SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE


N° RG 23/00002 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XOOM
NUMERO MIN: 24/00046

Nous, Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de BORDEAUX, désignée spécialement en qualité de juge de l’Expropriation par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d’appel de BORDEAUX en date du 31 août 2023, pour exercer dans le département de la Gironde les fonctions pr

évues aux articles L.211 et R 211-1 et suivants du Code de l’expropriation, assistée de Mme Céline DONET,...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION DE LA GIRONDE

JUGEMENT FIXANT INDEMNITES D’EXPROPRIATION.

le JEUDI SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

N° RG 23/00002 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XOOM
NUMERO MIN: 24/00046

Nous, Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de BORDEAUX, désignée spécialement en qualité de juge de l’Expropriation par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d’appel de BORDEAUX en date du 31 août 2023, pour exercer dans le département de la Gironde les fonctions prévues aux articles L.211 et R 211-1 et suivants du Code de l’expropriation, assistée de Mme Céline DONET, Greffier

A l’audience publique tenue le 04 Avril 2024 les parties présentes ou régulièrement représentées ont été entendues et l’affaire a été mise en délibéré au 16 Mai 2024, et la décision prononcée par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile

ENTRE :

BORDEAUX METROPOLE
[Adresse 9]
[Localité 3]
représentée par Maître Clotilde GAUCI de la SCP COULOMBIE - GRAS - CRETIN - BECQUEVORT - ROSIER, avocats au barreau de BORDEAUX

ET

Monsieur [J] [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]

Madame [M] [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentés par Maître Laurent SUSSAT de la SCP HARFANG AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX

En présence de Madame Anne BAILLY, Commissaire du Gouvernement

-------------------------------------------
Grosse délivrée le:
à :
Expédition le :à :

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur et madame [J] et [M] [B] sont propriétaires de la parcelle cadastrée section CR n°[Cadastre 5], d’une contenance totale de 1462 m², située [Adresse 7] sur le territoire de la commune de [Localité 12].

Le terrain supporte un bâtiment à usage professionnel (bureaux et hangar/entrepôt), d’une superficie utile de 500 m².

Par déclaration d’intention d’aliéner enregistrée le 22 septembre 2022, Maître [Y] [S], notaire à [Localité 3], a informé la commune de [Localité 12] de l’intention de monsieur et madame [B] de céder leur bien, inoccupé, pour un prix de 1 200 000 euros.

Par arrêté du 13 décembre 2022, le président de Bordeaux Métropole a décidé d’exercer son droit de préemption urbain pour un prix de 585 000 euros, TVA en sus le cas échéant.

Par lettre du 22 décembre 2022, le conseil des époux [B] a informé Bordeaux Métropole du refus de son offre.

En application de l’article R. 213-11 du code de l’urbanisme, Bordeaux Métropole a saisi le juge de l’expropriation de la Gironde par lettre recommandée avec avis de réception en date du 20 janvier 2023 reçue le 24 janvier 2023 afin qu’il fixe judiciairement le prix du bien.

La copie du récépissé de consignation prévue à l’article L. 213-4-1 du code de l’urbanisme a été transmise par Bordeaux Métropole au greffe de la juridiction le 22 février 2023.

Suivant ordonnance du 5 octobre 2023, le juge de l’expropriation a organisé le transport sur place, qui s’est tenu le 27 novembre 2023 en présence des représentants de Bordeaux Métropole et de son conseil, de monsieur [B] et de son conseil, et du commissaire du gouvernement.

L’audience a été fixée au 7 décembre 2023. Après plusieurs renvois, l’affaire a été plaidée à l’audience du 4 avril 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par mémoire récapitulatif notifié aux parties et reçu au greffe le 2 avril 2024, Bordeaux Métropole demande au juge de l’expropriation de fixer le prix d’acquisition dans le cadre de l’exercice de son droit de préemption à la somme 585 000 euros, TVA en sus le cas échéant, de l’immeuble appartenant aux époux [B], de rejeter toute demande plus ample ou contraire et de statuer ce que de droit sur les dépens.

Bordeaux Métropole indique que la parcelle cadastrée section CR n°[Cadastre 5] est classée en zone UM13-4L35 du PLU de Bordeaux Métropole et que la zone UM 13 correspond aux tissus à dominante de grands ensembles et tissus mixtes. Elle ajoute que la parcelle est grevée d’une servitude de mixité sociale SMS 293 réservant 100% de la surface de plancher à l’habitat, dont plus de 50% à l’accession sociale. Elle est également concernée par les dispositions relatives à l’environnement et aux continuités écologiques et au patrimoine (protection E2157). Elle estime que la date de référence à prendre en considération en application de l’article L. 213-4 du code de l’urbanisme est le 24 février 2017 et qu’à cette date, le bien était un terrain bâti. Si les époux [B] contestent cette date de référence en retenant la date du 24 janvier 2020, Bordeaux Métropole indique que dans les deux cas, le bien considéré était un bien bâti. Elle souligne qu’il n’est pas contesté que le terrain revêt la qualification de terrain à bâtir au sens de l’article L. 322-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Elle souligne que son offre d’acquisition correspond à l’estimation du bien faite par le Pôle d’Evaluation Domaniale du 7 décembre 2022, aux caractéristiques du bien et aux contraintes urbanistiques de l’unité foncière qui doivent être prises en considération en application de l’article L. 322-4 du code de l’expropriation. Elle expose que le bien se situe dans un secteur grevé d’une servitude de mixité sociale SMS 293 consistant à réserver dans les zones urbaines et à urbaniser du PLU des emplacements en vue de la réalisation de programmes de logements, dans le respect des objectifs de mixité sociale et qu’en l’occurrence, le règlement prévoit de réserver 100% de la surface de plancher à l’habitat, dont plus de 50% à l’accession sociale. Elle souligne que le projet de construction qui s’implantera sur le terrain devra respecter la servitude de mixité sociale imposée, ce qui aura des répercussions sur le prix de vente des logements et par conséquent sur le prix d’achat du bien.
Elle ajoute que la parcelle est également soumise à la protection E 2157 qui mentionne un intérêt architectural, écologique et historique. Elle ajoute que l’offre est conforme aux mutations intervenues sur la commune de [Localité 12] majoritairement et [Localité 11].
Elle fait valoir que les trois méthodes d’évaluation proposées par les époux [B] ne peuvent être retenues dès lors que sauf dans le cas où un texte particulier dérogerait à ce principe, c’est la méthode par comparaison qui doit être privilégiée et souligne que les termes de comparaison qu’elle a sélectionnés sont pertinents et permettent d’évaluer la parcelle litigieuse, de sorte qu’il n’y a pas lieu de recourir à d’autres méthodes. Sur les termes de comparaison produits par les époux [B], elle prend acte de ce que les références des publications des actes ont été produits, mais rappelle qu’ils ne portent pas sur des biens comparables, soit que le terrain choisi est beaucoup plus grand que celui des époux [B], soit que les cessions portent sur des biens sis à [Localité 8], commune dont les caractéristiques ne sont pas comparables à celles de [Localité 12]. Elle souligne que la position du bâtiment située en plein milieu de la propriété ne permet pas de valoriser le terrain résiduel de manière suffisante pour atteindre le montant réclamé par les époux [B] de sorte que l’évaluation résultant des rapports de M. [G] et [V] ne peut être retenue.
S’agissant de l’évaluation faite par le commissaire du gouvernement, elle retient que 3 de ses termes de comparaison sont identiques aux siens et qu’en se fondant sur la médiane, son offre est conforme aux mutations visées par le commissaire du gouvernement.

Par conclusions du 11 décembre 2023, le commissaire du gouvernement propose de fixer le prix d’acquisition du bien à la somme de 655 000 euros en se fondant sur le fait que le terrain doit être considéré comme un terrain à bâtir, qu’il y a lieu de retenir la méthode d’évaluation par comparaison. Sa recherche de termes de comparaison a porté sur des bâtis professionnels à usage d’ateliers ou entrepôts avec bureaux accessoires, d’une surface utile comprise entre 400 et 800 m² dans un périmètre de 3 km entre janvier 2020 et novembre 2023. 7 termes de comparaison sont retenus, aboutissant à un prix moyen de 1310 euros le m².
Aux termes de leurs dernières conclusions 18 mars 2022, les époux [B] demandent au juge de l’expropriation de fixer à la somme de 1 200 000 euros le prix de la parcelle bâtie préemptée et de condamner Bordeaux Métropole à leur verser une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils exposent que leur terrain est implanté face à l’hôpital [15], proche du centre hospitalier [10] et des facultés de [Localité 14]. Ils indiquent avoir acquis le terrain nu en 1988 et y avoir successivement bâti entre 1988 et 1993 des clôtures, trottoir, allée béton et les 2 bâtiments. Ils produisent un rapport d’expertise amiable établi par M. [G]. Ils soutiennent que la date de référence à retenir en application de l’article L. 213-4 du code de l’urbanisme est celle du 24 janvier 2020 et que même s’il persiste un désaccord avec Bordeaux Métropole sur cette date, cela reste sans incidence dès lors que la nature du bien n’a pas été modifiée entre 2017 et 2020. S’agissant de la valeur du bien, ils rappellent qu’avant l’acte sous seing privé ayant donné lieu à l’exercice du droit de préemption, ils avaient reçu une offre le 9 octobre 2020 par Bouygues Immobilier portant sur 1 150 000 euros. Le 9 novembre 2020, la société MARIGNAN avait même proposé une somme de 1 200 000 euros tenant compte d’une servitude de mixité sociale de 80%, soit supérieure de 30% de celle imposée par le PLU de Bordeaux Métropole. Mais ils ont fait le choix de privilégier une entreprise locale en signant l’acte sous seing privé du 20 septembre 2022. Le financement avait été accordé le 4 novembre 2022, ce qui ne permet pas de douter de la sincérité de l’offre. Ils font valoir que dans son rapport d’expertise, monsieur [G] rappelle les éléments positifs justifiant la valeur de la parcelle (situation sur Bordeaux Métropole disposant d’un ensemble de services et de commodités, aisément accessible depuis la Rocade, construction à usage mixte de bureau et de hangar, terrain situé en zone UM13). Il en rappelle les éléments négatifs qui se résument à la servitude de mixité sociale. Ils soulignent à cet effet que si l’expert tient compte de cette moins value, cela ne doit pas conduire à considérer qu’elle a pour effet de diminuer de moitié la valeur de la parcelle. Et la servitude environnementale n’induit aucune implication particulière pour cette parcelle. Ils exposent que l’expert propose trois méthodes d’évaluation (méthode sol et construction, méthode par comparaison et méthode de récupération foncière) et que quelle que soit la méthode, l’évaluation retenue est supérieure à un million d’euros et une moyenne de 1 150 000 euros, soit très proche du prix objet de la DIA. S’agissant des termes de comparaison retenus par Bordeaux Métropole, ils sont contestés car ne concernent pas des biens situés dans le même zonage, sont distantes de 2.5 km à vol d’oiseau et ne présentent pas les mêmes caractéristiques (règles d’urbanisme plus restrictives, biens affectés d’inconvénients divers et biens vendus loués). S’agissant des références du commissaire du gouvernement, autres que celles communes au préempteur, il est soutenu que la situation locative n’est pas connue et que le zonage est différent. Ils ajoutent avoir demandé à un expert économiste de la construction d’évaluer le bâtiment, ce qui a abouti à la somme de 690 000 euros, pour le bâtiment seul, somme à laquelle ils estiment devoir ajouter le prix du terrain, ce qui rejoint l’estimation faite par l’expert [G].

MOTIVATION

En application de l’article L. 213-4 du code de l’urbanisme, à défaut d’accord amiable sur le prix d’acquisition dans le cadre de l’exercice du droit de préemption urbain, le prix d’acquisition est fixé par le juge de l’expropriation. Ce prix est exclusif de toute indemnité accessoire, notamment d’indemnité de remploi. Le prix est fixé comme en matière d’expropriation sous les réserves suivantes : la date de référence est, pour les biens non situés dans une zone d’aménagement différé, la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes publics révisant ou modifiant le PLU et délimitant la zone dans laquelle est située le bien.

La consistance du bien est appréciée à la date du jugement.

Sur la description du bien
Le transport sur les lieux est intervenu le 27 novembre 2023. Le bien préempté est situé [Adresse 7]. Le terrain est proche de la gare ferroviaire [Localité 12], à proximité d’une station de tramway (ligne B) et desservi par des lignes de bus (36, 39 et 44). La rocade est proche. Il est également proche de l’hôpital [15] et de l’hôpital [10] ainsi que de toutes commodités. Le terrain est situé dans un environnement en pleine mutation, au cœur de zones de projets d’aménagement urbains. La surface libre de la parcelle est enherbée, bien entretenue.
La parcelle est bâtie, de forme rectangulaire. Elle supporte un bâtiment à usage de bureaux, un garage et un hangar/entrepôt. L’accès au bâtiment se fait depuis la voie publique par un portail puis une allée bitumée avec des graviers. Le terrain est desservi par les réseaux. La parcelle est entièrement clôturée.
La construction est en deux parties : la partie nord (bureaux) date de 1993, édifiée en maçonnerie et brique sous enduit. La partie sud (hangar) a été édifiée sur ossature métallique avec remplissage de parpaings.
La couverture (bac acier) a été refaite en 2000 sur une charpente métallique. La partie nord de la toiture est isolée.
Sur les murs extérieurs de la partie bureaux sont visibles des tags dont monsieur [B] a pu indiquer qu’ils sont dus à la destruction de sa clôture arrière par bordeaux Métropole dans le cadre des opérations d’aménagement du tramway, ce qui facilite les intrusions sur sa propriété.
L’ensemble des deux bâtiments sont en bon état général. A l’intérieur, la partie bureau comprend 5 bureaux outre une salle de réunion. Le bâtiment est équipé de chauffage et de la climatisation. Au premier étage, desservi par un escalier en colimaçon, une autre pièce de bureau est présente. Le garage situé à l’arrière du bâtiment nord comprend une pièce de stockage et une chaudière.
Le hangar attenant à la partie bureau comprend une très grande porte métallique. Une fissure sur l’enduit est présente. Le hangar comprend un étage accessible en fond de bâtiment, outre de sanitaires et pièces de stockage.
La partie bureau mesure 165 m², la partie hangar mesure 335 m².
Le terrain est situé en zone UM13 du PLU de Bordeaux Métropole, correspondant aux tissus à dominante de grands ensembles et tissus mixtes du PLU de Bordeaux Métropole 3.1. Il est grevé d’une servitude de mixité sociale SMS 293 réservant 100% de la surface de plancher à l’habitat dont plus de 40% à l’accession sociale. Il est également concerné par les dispositions relatives à l’environnement et aux continuités écologiques, aux paysages et au patrimoine, protection E 2157 du PLU.

Sur la date de référence
La parcelle expropriée est incluse dans le périmètre du droit de préemption urbain.

Par application des dispositions combinées des articles L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et L. 213-4 du code de l’urbanisme, auquel renvoie l’article L. 213-6 du même code, la date de référence est celle à laquelle la dernière révision du PLU modifiant la zone dans laquelle est située le bien en cause a été rendue opposable aux tiers.

En outre, en application de l’article L. 322-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et de l’article L. 151-41 du code de l’urbanisme, lorsque l’expropriation porte sur terrain compris dans un emplacement réservé par un plan local d’urbanisme, la date de référence prévue à l’article L. 322-3 du code de l’expropriation est celle de l’acte le plus récent rendant opposable le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est située l’emplacement réservé.
En l’espèce, la parcelle en cause étant à la fois située en partie sur un emplacement réservé (servitude de mixité sociale) et soumise au droit de préemption urbain, la date de référence à retenir pour l’ensemble de la parcelle considérée est celle de l’acte le plus récent rendant opposable le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est située la parcelle en cause, sur laquelle est par ailleurs situé l’emplacement réservé.
Bordeaux Métropole et le commissaire du gouvernement retiennent comme date de référence le 24 février 2017, date à laquelle la modification du PLU qui délimite la sone UM 13, intervenue le 16 décembre 2016, a été rendue opposable aux tiers.
Les époux [B] retiennent comme date de référence celle du 24 janvier 2020, correspondant à la date de la 9e modification du PLU.
Toutefois, outre que cette 9ème modification n’a été rendue opposable aux tiers que le 10 mars 2020, il n’est pas démontré que cette 9e modification a modifié le zonage dans laquelle est située la parcelle préemptée.
Dès lors que la révision du 16 décembre 2016, rendue opposable aux tiers le 24 février 2017, a élaboré le PLU 3.1 et modifié tous les documents pour intégrer le PLH et le PDU, et a créé la zone UM13, il y a lieu de retenir cette date comme date de référence.
Sur la qualification de terrain à bâtir du bien
En application des articles L. 322-2 à L. 322-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le terrain est qualifié de terrain à bâtir, au sens du code de l’expropriation, dès lors qu’il remplit deux conditions cumulatives, qui doivent être remplies un an avant la déclaration d’utilité publique: être situés dans un secteur désigné comme constructible par le plan local d’urbanisme et être effectivement desservi par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable, etc.. Les terrains qui ne répondent pas, à la date de référence, à ces conditions cumulatives, sont évalués en fonction de leur seul usage effectif.
En l’espèce, la qualification de terrain à bâtir du bien à la date de référence, qui ressort de son zonage, n’est pas contestée par les parties.

Sur le prix

En application des articles L. 322-1 et L. 322-2 du code de l’expropriation, le prix du bien préempté, estimé à la date du jugement, est fixé en fonction de sa consistance à cette même date et de son usage effectif ou de sa qualification de terrain à bâtir à la date de référence.

Sur la prise en compte de la servitude de mixité sociale et la protection E2157

Bordeaux Métropole expose que le bien préempté est grevé d’une servitude de mixité sociale dont il y a lieu de tenir compte de l’évaluation du bien, ainsi que la protection E2157.

Si Bordeaux Métropole n’applique pas d’abattement sur le prix en raison de cette servitude, il est mentionné dan ses dernières écritures que « Bordeaux Métropole ne conteste pas que les termes de comparaison concernent des biens vendus loués. En revanche, il est important de préciser que le bien litigieux, quant à lui, est également soumis à des contraintes urbanistiques, et notamment la servitude de mixité sociale grevant ladite parcelle, et la protection E2157. »

Ainsi, la prise en compte de la servitude de mixité sociale se manifeste dans le choix des termes de comparaison retenus par Bordeaux Métropole, considérant que ces contraintes urbanistiques équivalent peu ou prou à la cession d’un bien vendu occupé, étant rappelé que celui des époux [B] est cédé libre de toute occupation.

Toutefois, ainsi que le souligne Bordeaux Métropole, le rapport de présentation du PLU énonce que ces servitudes de mixité sociale constituent des emplacement réservés.
Or, il y a lieu de rappeler qu’en application de l’article L. 322-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, « lorsqu'il s'agit de l'expropriation d'un terrain compris dans un emplacement réservé par un plan local d'urbanisme en application des 1° à 4° de l'article L. 151-41 du code de l'urbanisme [le 4° étant relatif à « des emplacements réservés en vue de la réalisation, dans le respect des objectifs de mixité sociale, de programmes de logements qu'il définit à une servitude de mixité sociale], (…) le terrain est considéré, pour son évaluation, comme ayant cessé d'être compris dans un emplacement réservé.»
En conséquence, la circonstance que la parcelle litigieuse soit grevée d’une telle servitude ne doit pas être prise en considération dans l’évaluation du bien.
Par ailleurs, s’il n’est pas contesté qu’elle est concernée par la protection E 2157, aucune restriction d’urbanisme n’en découle, de sorte que cette circonstance n’a pas à entrainer de décote particulière.
Sur la méthode d’évaluation.
En l’espèce, Bordeaux Métropole et le commissaire du gouvernement retiennent la méthode par comparaison. Sans contester le principe du recours à cette méthode, les époux [B], qui ont eu recours à un expert amiable, proposent au choix la méthode par comparaison, la méthode dite du sol et construction et la méthode de récupération foncière, laquelle complète la première méthode.
La méthode par comparaison est en principe privilégiée car elle permet d’évaluer le prix au regard de la réalité du marché immobilier local. Néanmoins, elle ne peut être utilement mobilisée que pour autant que les termes de comparaison sélectionnés par les parties et le commissaire du gouvernement permettent au juge de comparer des bien situés dans un espace géographique proche, ayant les mêmes caractéristiques, cédés à une date la plus proche possible de la date d’évaluation.
En l’espèce, le bien à évaluer est un bien à usage de bureau, comprenant un grand hangar et un garage, situé sur une parcelle très bien desservie, dans une zone à dominante de grands ensembles et tissus mixtes. Surtout, le terrain est cédé libre de toute occupation.
Or, l’ensemble des termes de comparaison fournis par Bordeaux Métropole sont des cessions de bâtiments loués. Ces termes de comparaison ne peuvent en conséquence qu’être écartés, la cession d’un bien occupé étant évidemment moins onéreuse que celle d’un bien libre.
Il en va de même des 5 premiers termes de comparaison fournis par le commissaire du gouvernement. Ils seront en conséquence également écartés.
Restent les deux derniers termes de comparaison du commissaire du gouvernement :
Le n°6 est relatif à une cession d’un bâtiment à usage principal d’entrepôt et de commerce de gros de matériaux de construction sis [Adresse 6], situé à 2,2 km à vol d’oiseau du bien préempté, pour un prix au m² de 1892 euros en zone UP 87-5 du PLU de Bordeaux Métropole. La cession date du 31 mai 2022.
Le n°7 concerne une cession d’un bâtiment à usage industriel et commercial sis [Adresse 1] (2.4 km de distance), pour un prix de 1776 euros/m², également en zone UP87-5. La cession date du 27 juillet 2022.
Si les époux [B] critiquent ces termes de comparaison au motif que la situation locative du bien n’est pas connue, force est de constater que les actes de cession ont été produits par le commissaire du gouvernement et qu’il n’est pas fait mention de ce que les biens seraient cédé loués.
S’agissant du zonage, l’expert mandaté par les époux [B] n’a pas estimé cet élément rédhibitoire dès lors qu’il a lui-même sélectionné comme terme de comparaison la cession du bien sis [Adresse 6]. En tout état de cause, la zone UP 87-5, si elle s’avère en effet plus restrictive pour les possibilités de construction, ces restrictions ne concernent que certains secteurs dont il ne ressort pas des débats que les termes de référence retenus y soient situés.
Ces deux termes de comparaison peuvent en conséquence être retenus.
Les époux [B] produisent en outre un terme de comparaison résultant d’une cession intervenue à [Localité 8], commune limitrophe à [Localité 12], relative à une cession d’un bâtiment à usage mixte de bureaux et d’entrepôt, pour un prix au m² de 2118 euros.
Si Bordeaux Métropole estime ce terme de comparaison non pertinent car situé à [Localité 8], non à [Localité 12], force et de constater que le bien se situe à 2,6 km à vol d’oiseau, de l’autre côté de l’hôpital [10]. En outre, il convient de souligner que dans son offre, Bordeaux Métropole retenait un terme de comparaison d’une cession portant sur un bien à [Localité 8], encore plus loin du bien préempté ([Adresse 13]). Enfin, si le terrain est plus important, le bâti est de surface équivalente.
Ce terme de comparaison sera en conséquence retenu.
En revanche, le dernier terme de comparaison proposé par les époux [B], portant sur une cession intervenue le 3 mars 2020 sera écarté pour être trop ancien.
Au total, seuls trois termes de comparaison peuvent être retenus : 1892 euros par m², 1176 euros par m² et 2118 euros par m².
Ces trois termes de comparaison constituent des estimations « en bloc », c’est-à-dire sans dissocier le bâti du terrain. Si la méthode dite « sol + construction » peut également être mobilisée, elle a pour effet d’isoler les composantes d’un bien pour son évaluation, or cette distinction n’est pas opérée dans la réalité du marché : les cessions de terrain bâti comportent un prix d’ensemble (terrain et bâti).
En tout état de cause, il convient de souligner que les trois termes de comparaison retenus portent sur des parcelles bâties dont les bâtiments ne couvrent pas l’ensemble de la parcelle : ainsi, le terme n°6 du commissaire du gouvernement est relatif à une parcelle de 5496 m², pour une surface utile de 712 m², le terme 7 est relatif à une parcelle de 2001 m², pour une surface utile de 760 m² et le terme de comparaison retenu des époux [B] est relatif à une parcelle de 6485 m² pour une surface bâtie de 590 m².
Dès lors, quand bien même le terrain des époux [B] est de 1462 m², que la surface bâtie est de 500m² et qu’en application des dispositions du PLU applicables à la zone UM13, qui prévoient que l’emprise bâtie ne peut dépasser 40% du terrain, soit 584,80 m², leur laissant 84 m² de possibilité de construction, cette circonstance n’est pas de nature à écarter la méthode d’évaluation par comparaison pour privilégier celle d’une évaluation sol+construction.
Enfin, si les époux [B] produisent une évaluation du seul bâti à hauteur de 690 000 euros, cette évaluation ne peut être retenue comme pertinente dans le cadre de la présente dès lors qu’il s’agit d’une estimation immobilière qui ne s’appuie pas sur des cessions intervenues dans le secteur.
Au total, il convient de retenir un prix moyen au mètre carré de 1929 euros, arrondi à 2000 euros au regard de la situation géographique de la parcelle considérée, de sa configuration et de l’état du bâti, soit pour une surface utile de 500 m², la somme de 1 000 000 euros, TVA en sus le cas échéant.

Sur les dépens
Conformément à l’article L. 312-1 du code de l’expropriation, Bordeaux Métropole supportera les dépens.

Sur l’indemnité au titre des frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile: “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :/1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;/2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991./Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'Etat.”
En l’espèce, il convient d’allouer aux époux [B] une somme de 3000 euros au titre de leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le juge de l’expropriation, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

FIXE au 24 février 2017 la date de référence,

Fixe à 1 000 000 euros le prix de la parcelle cadastrée CR n°[Cadastre 5], d’une contenance totale de 1462 m², située [Adresse 7] sur le territoire de la commune de [Localité 12], vendue par monsieur et madame [B] et préemptée par Bordeaux Métropole, TVA en sus le cas échéant,

Condamne Bordeaux Métropole à payer à monsieur et madame [B] la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Bordeaux Métropole aux dépens.
La présente décision a été signée par, Madame Marie WALAZYC Juge de l’Expropriation, et par Mme Céline DONET, greffier présent lors du prononcé.

Le GreffierLe Juge de l’Expropriation


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : Expropriations
Numéro d'arrêt : 23/00002
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;23.00002 ?
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