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16/05/2024 | FRANCE | N°22/01978

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 5ème chambre civile, 16 mai 2024, 22/01978


N° RG : N° RG 22/01978 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WL75
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND






30Z

N° RG : N° RG 22/01978 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WL75

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


S.A.R.L. CALABASH

C/

[F] [S]











Grosses délivrées
le

à
Avocats :
Me Ghislain AKPO
Me Nicolas NAVARRI



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT DU 16 MAI 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibér

é

Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Pascale BUSATO Greffier, lors des débats et Isabelle SANCHEZ Greffier lors du prononcé


DÉBATS :

A l’audi...

N° RG : N° RG 22/01978 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WL75
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

30Z

N° RG : N° RG 22/01978 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WL75

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

S.A.R.L. CALABASH

C/

[F] [S]

Grosses délivrées
le

à
Avocats :
Me Ghislain AKPO
Me Nicolas NAVARRI

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 16 MAI 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré

Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Pascale BUSATO Greffier, lors des débats et Isabelle SANCHEZ Greffier lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 07 Mars 2024,
Délibéré au 16 mai 2024
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort
Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile

DEMANDERESSE :

S.A.R.L. CALABASH
43 rue Lafontaine
33800 Bordeaux

représentée par Me Ghislain AKPO, avocat au barreau de LIBOURNE, avocat plaidant

N° RG : N° RG 22/01978 - N° Portalis DBX6-W-B7G-WL75

DEFENDEUR :

Monsieur [F] [S]
né le 17 Juillet 1976 à PARIS
de nationalité Française
3 rue Vergniaud
33000 BORDEAUX

représenté par Me Nicolas NAVARRI, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

******

FAITS ET PROCEDURE
Le 13 octobre 2014 , monsieur [F] [S], bailleur, et la société CALABASH, preneur, ont conclu par acte notarié un bail commercial pour des locaux sis 43 rue Lafontaine à Bordeaux.
Par exploit d’huissier de justice du 3 mars 2022, la société CALABASH a saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux d’une demande tendant à voir condamner monsieur [S] à lui payer une somme de 102 726,54 euros en réparation des préjudices subis du fait du comportement fautif du bailleur au motif que celui-ci a mis en œuvre un commandement de payer dans l’unique but de faire obstacle à la cession du fonds de commerce envisagée et qu’il s’est opposé à cette cession sans motif légitime.
Par exploit d’huissier de justice délivré le 26 juillet 2022, la société CALABASH a saisi le même tribunal d’une demande tendant à voir condamner monsieur [S] à lui payer une somme de 120 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du comportement fautif du bailleur consistant à augmenter le loyer de manière excessive et à chercher à faire échec à la cession du fonds de commerce.
Par ordonnance du 14 février 2023, le juge de la mise en état a rejeté l’incident tendant à déclarer cette dernière demande irrecevable, rejeté la prétention tendant à condamner monsieur [S] pour procédure abusive, ordonné d’office la jonction des deux instances, renvoyé l’affaire à la mise en état continue, dit que chaque partie conserve à ce stade de la procédure la charge des frais engagés non compris dans les dépens et réservé les dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2024. L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 7 mars 2024.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 avril 2023, la société CALABASH demande au tribunal de débouter monsieur [S] de toutes ses demandes, de le condamner à lui payer une somme de 152 726, 54 euros en réparation des préjudices subis ainsi qu’à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle expose que le litige l’opposant à monsieur [S] a pris naissance lorsque celui-ci a réclamé des charges qui ne figuraient pas dans le contrat de bail. Après tentative de résolution amiable, elle a souhaité céder son fonds de commerce. Bien qu’elle ait trouvé un premier preneur, le bailleur a fait obstacle à cette cession, d’abord en gardant le silence face aux multiples relances du notaire et du locataire puis en augmentant le loyer de plus de 10%. Le premier cessionnaire s’étant retiré du projet, elle a cherché un nouveau preneur dont elle a accepté l’offre d’achat.
Elle explique que toutefois, le 3 novembre 2021, le notaire l’a informée du désistement des futurs acquéreurs en raison des ingérences du bailleur, qui a annoncé une hausse du loyer. Elle déduit de ce comportement une opposition du bailleur à la cession du fonds de commerce. 
S’agissant des fautes du bailleur justifiant ses demandes indemnitaires, elle soutient que celui-ci a méconnu tant son obligation de loyauté et de bonne foi résultant des articles 1104 du code civil et L. 145-15 et L. 145-16 du code de commerce que les clauses du contrat de bail, dès lors qu’il n’a pas respecté la législation en matière d’augmentation du loyer ni respecté le contrat de bail qui plafonne l’augmentation, ce qui a découragé les preneurs potentiels, que son comportement passif, en gardant le silence, est fautif puisque cela a fait obstacle à la cession, sans motif légitime.
Elle lui reproche non seulement d’avoir empêché cette cession mais d’avoir mis en œuvre la clause résolutoire pour mettre un terme à son contrat pour le cas où la cession de fonds échouerait. Elle ajoute que ces manœuvres sont d’autant plus déloyales qu’en sa qualité d’agent commercial, le bailleur est lui-même un professionnel ayant une parfaite maitrise du fonctionnent des baux. Elle soutient que ces fautes lui ont causé un préjudice financier tiré de la perte de chance de gain espéré par la cession de son fonds de commerce, qu’elle évalue à 80 000 euros pour le premier preneur, et à 90 000 euros pour le second. Elle estime que son préjudice est alors à minima de 90 000 euros. Elle ajoute avoir subi un préjudice matériel, suite au départ du repreneur des négociations, et avoir dû faire des investissements à hauteur de 12 726,54 euros (terminal de paiement, limiteur sonore, stock, caisse enregistreuse, agent de sécurité, loyers). Enfin, elle estime avoir subi un préjudice moral de 50 000 euros.
En réponse à la demande du bailleur tendant à constater l’acquisition de la clause résolutoire, elle soutient avoir payé les causes du commandement de payer dans les délais des « ordonnances Covid ». Elle souligne avoir ainsi montré sa bonne foi, bien qu’elle conteste les montants, le bailleur ne justifiant pas des impôts, taxes et redevances comme l’exige l’article L. 145-40-2 du code de commerce. De plus, si le bailleur soutient qu’elle reste redevable de 17 000 euros au titre des loyers impayés, cette somme ne tient pas compte des acomptes versés. Elle souligne que le bailleur ne peut pas mettre en œuvre la clause résolutoire pendant la période dite protégée, en application de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire.

Elle ajoute qu’en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, le commandement de payer doit mentionner le délai d’un mois suivant commandement demeuré infructueux pour que la clause résolutoire puisse jouer et qu’en tout état de cause, aucune décision judiciaire n’a constaté l’acquisition de la clause résolutoire, le bailleur n’ayant jamais saisi de juridiction à cette fin. Elle ajoute que le contrat de bail est valable jusqu’en 2023 et que le bailleur n’a jamais remis en cause ce point. Elle en déduit que pour toutes ces raisons, la clause résolutoire n’est pas acquise.

En réplique, selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 février 2024, monsieur [S] demande au tribunal de :
débouter la société CALABASH de ses demandes, à titre reconventionnel, constater l’acquisition de plein droit de la clause résolutoire contenue dans le bail commercial, condamner la société CALABASH à lui verser une indemnité provisionnelle mensuelle d’un montant équivalent au total des loyers et charges contractuels, soit un montant trimestriel de 2962,43 euros TTC à compter de la résiliation du bail du 27 juin 2021 et jusqu’à libération effective des lieux et remise des clés, soit un total de 34 084,41 euros, la condamner à lui verser une somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens, en ce compris les frais de commandement de payer et l’acte subséquent de nantissement du fonds de commerce. Il expose que durant le cours de la procédure, par LRAR valant congé du 23 mars 2023, la société CALABASH a déclaré mettre fin au bail et proposé une remise des clés, laquelle est intervenue effectivement le 23 septembre 2023.
Il soutient que la clause résolutoire est acquise dès lors que le commandement de payer visant expressément la clause résolutoire a été délivré le 27 mai 2021 pour un arriéré de loyers et de charges de 16 948,14 euros soit environ deux années de retard. Il soutient que ce congé est valable et que le tribunal n’a pas été saisi dans le délai d’un mois suivant la délivrance du commandement prévu par l’article L. 145-41 du code de commerce, de sorte que la clause résolutoire est définitivement acquise. Il ajoute que le tribunal n’a pas non plus été saisi d’une demande de délai car le débiteur a finalement acquitté le solde restant dû le 27 juillet 2021, soit deux mois après le commandement du 27 mai. La société n’a toutefois pas versé les indemnités d’occupation correspondant au loyer et provisions sur charge pour le mois de septembre 2022 et le mois de décembre 2022 et ne les a pas non plus versés depuis le mois de janvier 2023 alors qu’elle n’a quitté définitivement les lieux que le 23 septembre 2023.
S’agissant des demandes indemnitaires formées par la société CALABASH, il soutient qu’aucune faute n’est démontrée. La promesse de cession du fonds de commerce dont il a été informé par le notaire le jour où son huissier délivrait le commandement de payer était conditionnée à l’obtention d’un prêt bancaire du candidat cessionnaire, qui lui a été refusé. Il ajoute que le silence du bailleur voire son refus de participer à la signature d’un acte de cession de fonds de commerce n’est pas dirimant et n’empêche en aucun cas la cession, sauf à la voir signifier selon les formes de l’article 1690 du code civil. Il ajoute que la jurisprudence citée au soutien de la demande est ici inapplicable dès lors qu’elle ne concerne pas la cession de fonds de commerce mais la cession de droit au bail.

S’agissant de la preuve produite par la société CALABASH, issue d’un SMS caviardé, il soutient que son contenu est contesté et qu’à défaut d’avoir été constaté par huissier de justice, cet échange SMS est irrecevable. En tout état de cause, il soutient qu’il est impossible de tirer de cet échange de SMS la démonstration d’une faute commise par le bailleur qui aurait fait échec à la simple promesse de cession de fonds au-delà du refus du prêt bancaire. Il ajoute que si la société CALABASH soutient que le premier cessionnaire avait reçu un accord de principe de la banque, le document produit ne mentionne pas le nom de ce cessionnaire. Il soutient enfin que les demandes d’indemnités sont infondées.

MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient de souligner que le preneur a communiqué en cours de délibéré un décompte de loyer établi le 1er juin 2023 par monsieur [S]. Le conseil de monsieur [S] a demandé à ce que cette pièce soit écartée, aucune note en délibéré n’ayant été autorisée par le tribunal.
En effet, le tribunal n’ayant autorisé aucune communication en cours de délibéré, cette pièce sera écartée des débats. En revanche il n’y a pas lieu d’écarter des débats le courriel du 26 octobre 2021 à 12h49 émanant de monsieur [B] [P], ce courriel étant déjà produit (pièce 27).

1. Sur l’imputabilité au bailleur de l’échec des tentatives de cession de fonds de commerce
Aux termes de l’article 1717 du code civil : « Le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. /Elle peut être interdite pour le tout ou partie. /Cette clause est toujours de rigueur. »
Néanmoins, l’article L. 145-16 du code de commerce, applicable aux baux commerciaux, répute non écrites les conventions qui tendent à interdire au locataire de céder à l’acquéreur de son fonds de commerce son bail ou les droits protégés qu’il détient en application du statut des baux commerciaux.
Lorsque la cession est régulière, elle emporte transfert au profit du cessionnaire, à l’égard du bailleur, de tous les droits et obligations nés du bail, tel que le bail existe, sans en modifier la durée.
En l’espèce, le paragraphe « cessions-sous-location » du contrat de bail conclu le 13 octobre 2014 est ainsi rédigé : « Cession – Le preneur ne pourra dans aucun cas et sous aucun prétexte, céder son droit au présent bail, ni aliéner tout ou partie des locaux loués sous quelque forme que ce soit, sans le consentement exprès et par écrit du bailleur, sauf toutefois dans le cas de cession du bail à son successeur dans un commerce ou son entreprise ».
Il s’ensuit qu’en cas de cession de fonds de commerce, qui comprend la cession du droit au bail, le cédant n’a pas besoin de requérir l’autorisation expresse du bailleur.
Toutefois, pour être opposable au bailleur, cette cession doit soit être acceptée par ses soins soit lui être simplement signifiée, en application de l’article 1690 du code civil, qui prévoit que : « Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur./Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique ».
Il n’est pas contesté que la cession envisagée par la société CALABASH était une cession de fonds de commerce et qu’il ne s’agissait pas d’une seule cession de son droit au bail. Cet élément est du reste corroboré par la lecture de la promesse de cession de fonds de commerce établie le 26 mai 2021 par maître [N], notaire à Bordeaux.
Ainsi que le soutient justement monsieur [S], la société CALABASH n’avait pas, en application du contrat de bail les liant, à rechercher son accord pour la cession de son fonds de commerce, seule une notification à son endroit étant requise pour que la cession du fonds de commerce lui soit opposable.
La nécessité de cette notification était d’ailleurs mentionnée à la charge du cessionnaire selon l’acte notarié précité.
En cela, le silence conservé par le bailleur face aux multiples demandes du notaire et de monsieur [T] ne sauraient traduire strictement une opposition du bailleur à cette cession, dont l’efficacité était indépendante de son consentement.
Mais la société CALABAH reproche également au bailleur d’avoir manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi dans leurs relations, en particulier en adoptant un comportement de nature à faire échec à son projet de cession.
En application de l’article 1104 du code civil, les contrats doivent être exécutés de bonne foi.
En l’espèce, le contrat de bail ne prévoyant pas d’intervention particulière du bailleur dans la procédure de cession, il y a lieu de rechercher si, comme le lui reproche la société CALABASH, celui-ci a néanmoins interféré dans le processus de cession et l’a mis en échec.
S’agissant du premier projet de cession, il ressorts de la promesse de cession de fonds de commerce du 26 mai 2021 que la société CALABASH, représentée par son gérant M. [V] [T], envisageait de céder son fonds de commerce à monsieur [I] [E] [X].
Sous le paragraphe « Loyer » les éléments suivantes étaient apportés : « le montant actuel du loyer trimestriel est de MILLE SIX CENT TRENTE-NEUF EUROS ET CINQUANTE-SIX CENTIMES (1639,56 euros) hors taxes, en ce non compris une provision sur charges d’un montant de HUIT CENT VINGT NEUF EUROS (829,00€) payable d’avance. Ce loyer est révisable en fonction de l’indice des loyers commerciaux. Il n’est dû aucun arriéré de loyer ou de charges. Dépôt de garantie : MILLE CINQ CENTE EUROS (1500 euros).
Le 27 mai 2021, le notaire instrumentaire a adressé un courriel à monsieur [S] l’informant de l’existence de la promesse de cession de fonds de commerce de la société CALABASH au profit de monsieur [I] et d’un projet de réitération de l’acte définitif le 3 septembre 2021 au plus tard. Le notaire l’a alors informée de ce que l’acquéreur souhaitait procéder à cette acquisition au moyen d’une société, lui demandait de lui retourner l’autorisation de domiciliation de cette société et de lui communiquer la copie recto-verso de la taxe foncière, outre le règlement de copropriété de l’immeuble.
Le même jour, monsieur [S] a fait délivrer par huissier de justice un commandement de payer les loyers et les charges à la société CALABASH, pour un montant total de 16 948,14 euros correspondant à des arriérés de loyer de juin, septembre, décembre 2020 et mars 2021, outre le coût de l’acte.
Il ne saurait toutefois être déduit de cette concomitance de dates une intention malveillante de monsieur [S] dès lors que rien n’établit que lorsqu’il a mandaté son huissier de justice, il avait connaissance du projet de cession de commerce. En tout état de cause, à supposer même qu’il en ait eu connaissance, le bailleur peut toujours utiliser les moyens de droit dont il dispose pour recouvrer sa créance de loyers.
Le 21 juillet 2021, monsieur [T] a relancé par courriel monsieur [S] afin d’obtenir les éléments demandés par le notaire, courriel demeuré sans réponse.
Le 28 juillet 2021, monsieur [T] a informé le notaire avoir réglé ses dettes auprès du bailleur et le même jour, le notaire a contacté à nouveau monsieur [S] lui demandant de lui conformer son accord « à l’effet de faire cesser toutes actions visant à la résolution du bail commercial suite au règlement effectué par votre locataire ». Aucune réponse ne lui a été apportée.
Le 29 juillet 2021, l’huissier de justice a établi décompte confirmant l’apurement de la dette de la société CALABASH.
Par un nouveau courriel du 16 août 2021, le notaire a recontacté monsieur [S] en ces termes : « je me permets de revenir à nouveau vers vous suite à mon courriel ci-dessous resté sans réponse de votre part. Votre locataire a procédé au règlement des sommes dues à votre profit. Monsieur [I] a un accord de crédit et attend votre confirmation pour immatriculer sa société. Il faut maintenant nous organiser, a priori votre avocat devait contacter monsieur [I], ce qui n’a pas été fait à ce jour. Pourriez-vous revenir vers moi à ce sujet dès que possible ».
Or, là encore, aucune réponse n’a été apportée par monsieur [S].
Finalement, le cessionnaire a renoncé à son projet, son agence bancaire ayant « renoncé à constituer un dossier de financement », « à l’examen des premiers éléments qui [lui]ont été fournis » sans plus de précision.
Selon attestation de l’expert-comptable de monsieur [I] établie le même jour « l’équilibre économique du projet n’[était] plus assuré avec le nouveau loyer demandé par le propriétaire des murs s’élevant à 18 000 euros HT par an, contre 6560 euros actuellement ».
Ainsi, même si les échanges de SMS supposément intervenus entre monsieur [I] et monsieur [S] concernant un nouveau loyer, qui sont contestés, ne permettent pas d’identifier formellement qu’ils impliquent monsieur [S], il se déduit des éléments rappelés ci-dessus que monsieur [S], a par son silence, contribué à l’échec de la finalisation de ce projet de cession en ne fournissant pas son accord pour la domiciliation de l’entreprise, en ne s’exprimant pas sur le devenir de la procédure engagée au titre de la clause résolutoire à l’encontre de la société CALABASH, laissant planer un doute trop important sur la poursuite du bail commercial. De plus, l’attestation de l’expert comptable de monsieur [I] indique que l’augmentation du loyer annoncée par le bailleur a contribué à mettre en échec l’équilibre financier de l’opération.
Ainsi, s’il est vrai que monsieur [I] n’a finalement pas obtenu de financement, il y a lieu de souligner qu’il ne s’agit pas d’un refus de financement mais d’un renoncement à déposer un dossier de financement au vu des éléments de contexte.
Dès lors, l’absence de financement ne saurait être considérée comme exclusivement à l’origine de l’échec de la cession du fonds de commerce de la société CALABASH, l’attitude de monsieur [S] ayant également contribué à cet échec.
S’agissant du second projet de cession, il ressort d’un acte sous seing privé dénommé « offre d’achat » établi le 21 octobre 2021, portant sur le fonds de commerce de la société CALABASH, que celle-ci était faite sous conditions suspensives de l’obtention d’un crédit, de la régularisation de la cession conformément aux termes du bail, du renouvellement du bail aux mêmes conditions qu’actuellement et de l’accord du bailleur pour domicilier la société en formation. L’offre était valable jusqu’au 28 octobre 2021, avec réitération avant le 28 novembre 2021. Par courriel du 26 novembre 2021, l’un des deux associés de la société Pizza Nofa a informé le notaire en charge du fait que la proposition du bailleur d’augmenter le loyer à la somme de 1500 euros TTC le conduisait à renoncer à l’acquisition du fonds de commerce.
Ce courriel, qui intervient peu de temps après le précédent échec de cession du fonds de commerce, suffit à démontrer une ingérence du bailleur dans la mise en œuvre de la cession du fonds de commerce alors même que cette opération ne requérait pas son assentiment.
La faute du bailleur à l’origine de l’échec de la cession du fonds de commerce de la société CALABASH est ainsi démontrée.
2. Sur la demande de constat de l’acquisition de la clause résolutoire au 27 juin 2021

Selon les articles 1103 et 1728 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et le preneur est tenu de deux obligations principales, soit d’user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail et de payer le prix du bail aux termes convenus.

L’article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Si le commandement remplit les conditions de fond et de forme prévues par la loi et la jurisprudence et que le bailleur établit la persistance de l'infraction au-delà du délai d'un mois, la clause résolutoire doit être appliquée par la juridiction saisie sans rechercher si la sanction est proportionnée ou non à la gravité de la faute commise.
En l’espèce, le bail commercial conclu le 13 octobre 2014 comporte une clause résolutoire. Le commandement de payer signifié par huissier de justice le 27 mai 2021 comporte en annexe cette clause résolutoire et mentionne l’obligation de payer les sommes dues au titre des loyers impayés appelés le 10 juin 2020, le 9 septembre 2020, le 1er décembre 2020 et le 8 mars 2021 dans le délai d’un mois suivant ce commandement.
Il ressort du décompte de l’huissier de justice que les causes du commandement ont été réglées par la société CALABASH le 29 juillet 2021, soit au-delà d’un délai d’un mois suivant la signification du commandement de payer.

Si la société CALABASH semble contester les montants demandés notamment au titre des charges, force est de constater qu’elle a réglé les sommes réclamées au mois de juillet 2021 et n’a pas engagé de procédure contestant les causes du commandement. En tout état de cause, elle ne conteste pas être redevable de sommes au titres des loyers impayés, de sorte que la validité du commandement n’est pas remise en cause de ce chef.
La clause résolutoire est donc acquise, étant souligné qu’elle n’a pas formulé de délais de paiement justifiant la suspension des effets de la clause résolutoire, une telle demande étant nécessaire pour suspendre les effets de cette clause, même lorsque la dette a été réglée.
Pour s’opposer aux demandes de monsieur [S], la société CALABASH invoque les règles mises en place lors de la crise sanitaire liées à l’épidémie de la Covid-19 et excipe la mauvaise foi du bailleur.

2.1 Sur l’incidence du cadre juridique de l’urgence sanitaire

La société CALABASH fait valoir qu’elle a réglé sa dette dans le délai accordé par l’article 4 de l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020, sans plus de précisions.

Cet article a modifié l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 et prévoit que : « Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er. Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme./ Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er. »

En application de l’article 3 de l’ordonnance du 3 juin 2020, modifiant l’article 1er de l’ordonnance précitée du 25 mars 2020, ces dispositions ont été applicables aux délais et mesures qui ont expiré entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.

En l’espèce, même si les causes du commandement concernent des loyers de 2020, le commandement de payer a été délivré le 27 mai 2021, soit largement après la date du 23 juin 2020.

Le moyen invoqué sera en conséquence écarté car inopérant. De même, la circonstance invoquée par la société CALABASH selon laquelle elle serait parfaitement en règle au vu des articles 1 à 4 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité est également inopérante dès lors que les dérogations permises par ces dispositions ont cessé le 23 juin 2020.

2.3 Sur la mauvaise foi du bailleur 
Sont privés d’effet les commandements de payer visant la clause résolutoire, qui quoique répondant aux conditions légales, sont délivrés de mauvaise foi par le bailleur, c’est-à-dire dans des circonstances démontrant sa volonté d’exercer déloyalement sa prérogative de mise en jeu de la clause résolutoire, la preuve de la mauvaise du bailleur incombant au preneur qui l’invoque et s’appréciant au jour où le commandement a été délivré.

En l’espèce, il est reproché au bailleur d’avoir mis en œuvre cette procédure pour bloquer la cession du fonds de commerce. Or, ainsi que cela a été souligné plus haut, la signification du commandement de payer est intervenue le jour où le notaire a informé le bailleur du projet de cession et il n’est pas démontré qu’il avait eu connaissance de ce projet avant de contacter l’huissier instrumentaire.
En outre, la circonstance qu’il n’ait pas demandé de décision judiciaire pour confirmer l’acquisition de la clause résolutoire ne saurait signifier qu’il a renoncé à s’en prévaloir. En effet, le seul écoulement du temps ne peut caractériser un acte manifestant sans équivoque la volonté de renoncer à se prévaloir des effets de la clause résolutoire.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le tribunal ne peut que constater que la clause résolutoire est acquise depuis le 27 juin 2021, soit à l’expiration d’un délai d’un mois suivant signification du commandement de payer.
2.4 Sur l’indemnité d’occupation.
Monsieur [S] sollicite une somme de 34 84,41 euros correspondant une « indemnité d’occupation provisionnelle mensuelle d’un montant équivalent au total des loyers et charges contractuels, soit un montant trimestriel de 2 962,43 euros TTC à compter de la résiliation du bail le 27 juin 2021 et jusqu’à la libération effective des lieux et remise des clés le 23 septembre 2023 ».
En l’espèce, il ressort du contrat de bail du 13 octobre 2014 que le loyer a été fixé annuellement à la somme de 6178,16 euros HT, « hors charges et fournitures énumérées à l’article de la loi du 1er septembre 1948 modifiée ». Ce loyer est indexé chaque année à la date anniversaire de la date d’effet du contrat de bail en fonction de la variation de l’ILC.
Au soutien de sa demande de fixation de l’indemnité d’occupation, le bailleur ne produit aucun calcul du nouveau loyer indexé actualisé.
L’appel de loyer le plus récent figurant en procédure est celui du 15 novembre 2021, produit par la société CALABASH, et fait état d’un montant trimestriel de 1685,09 euros HT, outre une provision sur charges de 850,60 euros.
La différence entre ce montant et la somme de 2962,43 euros réclamée à titre d’indemnité d’occupation ne s’explique pas par la simple application de l’indice ILC.
Dès lors que la somme de 2962,43 euros TTC n’est pas justifiée, il y a lieu de fixer l’indemnité d’occupation au vu des pièces du dossier, à savoir 1685,09 euros HT par trimestre, outre une provision sur charge par trimestre de 850,60 euros applicable à compter du 27 juin 2021 jusqu’au 23 septembre 2023.

Cette condamnation sera prononcée en deniers et quittances dès lors qu’il résulte des conclusions de monsieur [S] que la société CALABASH aurait cessé de payer son loyer à compter de janvier 2023.
3. Sur les demandes indemnitaires formées par la société CALABASH
3.1 Sur les préjudices et le lien de causalité
En application l'article 1151 du code civil, dans sa version applicable au contrat, antérieure à l’ordonnance du 10 février 216 portant réforme du droit des contrats, le créancier ne peut demander réparation que du préjudice « qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention ». Seul le préjudice direct est réparable.
3.1.1 Sur la perte de chance
La jurisprudence définit la perte de chance réparable comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. La réparation doit être mesurée à la chance perdue, et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
En l’espèce, il ressort des pièces versées et notamment de la promesse de cession de fonds de commerce et de l’offre d’achat que la société CALABASH était déterminée à céder son fonds de commerce, la première fois pour une somme de 80 000 euros, la seconde pour une somme de 90 000 euros. La non réitération de ces actes a pour cause l’intervention d’un tiers, à savoir le bailleur, qui, dans le premier cas, s’est abstenu de répondre aux sollicitations du notaire instrumentaire et a fait savoir qu’il entendait augmenter le loyer en cours, et, dans le second cas, a fait savoir au candidat acquéreur qu’il entendait augmenter le loyer.
Si ces interventions ont conduit à l’échec de la cession, force est de constater que la cession n’aurait de toutes façons pas pu prospérer du fait de la délivrance du commandement de payer et de l’acquisition de la clause résolutoire le 27 juin 2021, soit avant l’expiration de la première promesse prévue le 3 septembre 2021.
Il s’ensuit que la perte de chance de finaliser la cession en l’absence des interventions du bailleur n’est pas démontrée.
Sur le préjudice matérielLa société CALABASH indique avoir subi un préjudice matériel, suite à l’échec des négociations et avoir dû faire des investissements à hauteur de 12 726,54 euros (terminal de paiement, limiteur sonore, stock, caisse enregistreuse, agent de sécurité, loyers).
Il ressort des pièces du dossier que la société CALABASH a déclaré mettre fin au bail et proposé une remise des clés, qui est intervenue effectivement le 23 septembre 2023.
Les investissements et charges dont il est demandé indemnisation ont été réalisés en octobre-novembre 2021. Il s’agit de l’emploi d’un saisonnier, d’une prestation de service d’un portier physionomiste, de l’achat des alcools nécessaires à l’activité du bar, de l’achat d’une caisse enregistreuse, l’achat du limiteur de son n’étant quant à lui pas justifié par une facture mais par un simple devis. Force est de constater que toutes ces dépenses ont été nécessitées par la poursuite de l’activité commerciale qui a par ailleurs généré des recettes jusqu’à la libération des lieux.

Le préjudice matériel allégué n’est en conséquence pas démontré et en tout état de cause sans lien direct avec la faute du bailleur ayant conduit à l’échec de la cession du fonds de commerce.
Sur le préjudice moralLa société CALABASH soutient que son image a été dégradée auprès de ses partenaires en raison de cette situation et que le préjudice est accentué par la situation financière difficile dans laquelle la société a été placée.
En l’espèce, il ressort des éléments rappelés plus haut que Monsieur [S] a refusé de répondre aux sollicitations concernant le projet de cession de son locataire, et est manifestement intervenu auprès des candidats acquéreurs alors même qu’il entendait résilier le bail en cours du fait des impayés.
Ce comportement du bailleur, qui peut être qualifié de déloyal à l’égard du locataire souhaitant céder son fonds, a pu créer un préjudice moral pour la société, qu’il convient de réparer à hauteur de 5000 euros. 

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
- Dépens

En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, chacune des parties succombant pour partie à l’instance, il y a lieu de dire que chaque partie supportera ses propres dépens.

- Frais irrépétibles

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.[...]. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
au paiement des dépens.

Au vu des circonstances particulières du litige, il apparaît équitable de rejeter les demandes des parties formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Ecarte des débats la pièce jointe n° 2 de la note en délibéré transmise le 27 mars 2023 par le conseil de la société CALABASH sans autorisation du tribunal,

Condamne monsieur [F] [S] à verser à la SARL CALABASH une somme de 5000 euros en réparation de son préjudice moral,

Rejette les demandes indemnitaires de la société CALABASH au titre de son préjudice matériel et de la perte de chance,

Constate que la clause résolutoire insérée dans le bail commercial du 13 octobre 2014 est acquise depuis le 27 juin 2021,

Condamne la société CALABASH à verser à monsieur [F] [S], une indemnité d’occupation de 1685,09 euros hors taxes par trimestre, outre une provision sur charge de 850,60 euros par trimestre applicable à compter du 27 juin 2021 jusqu’au 23 septembre 2023, en deniers et quittances,
Ordonne la compensation des créances
Dit que chaque partie supportera ses propres dépens,

Rejette la demande de la société CALABASH au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de monsieur [S] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par Madame Isabelle SANCHEZ, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 5ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/01978
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;22.01978 ?
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